CHAPITRE III.
Réflexions sur le renouvellement du
Théâtre.
Le Théâtre recommença par les représentations saintes ou morales : Peu de temps après, la corruption y mêla du profane▶, et le Public les goûta davantage. Par succession de temps, le ◀profane▶ s’empara entièrement de la Scène, et les représentations saintes cessèrent.
On ne peut pas douter que, dans les commencements, les Poètes, les Spectateurs et les Gouvernements n’ayent reconnu, d’un aveu unanime, que le Théâtre n’avait rien de mauvais, et qu’il méritait, au contraire, d’être soutenu et suivi ; mais, lorsque le ◀profane fut resté en possession de la Scène, les sentiments se trouvèrent partagés. On sait que les personnes graves décrièrent les Spectacles, et qu’elles tâchèrent de les faire supprimer : On sait aussi que les gens de Lettres et les Poètes, de leur côté, cherchèrent à persuader, par leurs dissertations, que le Théâtre était utile, et que les Anciens l’avaient regardé comme une école pour la correction des mœurs : c’est une différence d’opinion qui dure encore.
Pendant cette altercation le Public s’érigea en Juge ; et ne consultant, à son ordinaire, que son propre goût, il décida que le Théâtre était un soulagement nécessaire pour les esprits occupés, et une occupation décente pour les paresseux. Les Gouvernements les plus sages ont bien senti le faux du préjugé ; et, sur les plaintes que l’on entendait de toutes parts, ils ont tâché, dans tous les temps, de mettre des bornes à la licence des Théâtres.
Nous voyons de nos jours que les Spectateurs ne pensent pas que le Théâtre doive servir à la correction des mœurs : on le prend sur le pied d’amusement ; on en jouit avec avidité, et on s’embarrasse peu si les bonnes mœurs n’en souffrent pas. Ce Public cependant, qui pense en général comme nous venons de dire, ne cesse pas de changer d’avis, ou de paraître en changer de temps à autre : lorsqu’il parle de bonne foi, ce n’est pas la correction des mœurs qu’il cherche au Théâtre, il n’y va que pour son plaisir ; mais, si les plaintes contre le Théâtre se renouvellent, son langage n’est plus le même ; il craint qu’on ne resserre la liberté des Poètes, et qu’on ne les réduise à devenir insipides, et par conséquent ennuyeux. Dans ce cas, il change de sentiment en apparence, et soutient que le Théâtre est épuré, et qu’il n’y a pas une Pièce qui ne tende à la correction des mœurs. Pour le prouver, il fait un grand étalage de tous les vices qui sont punis, et de toutes les passions qui sont tournées en ridicule sur la Scène ; et en conséquence il décide que de telles Pièces sont nécessaires, parce qu’elles sont instructives.
Le voilà pour lors dans la règle en partie ; mais, par un aveuglement inconcevable, ce même Public, qui se range, par caprice, du parti des bonnes mœurs, a une prédilection marquée pour la passion d’amour ; il n’en apperçoit pas les dangereuses conséquences, et il passe légérement sur tout ce qu’elle peut avoir de funeste ; parce qu’il aime cette passion, dans quelque état qu’on la lui présente.
Je n’hésiterais donc pas de dire que les règlements d’une bonne police devraient renfermer cette passion dans les bornes qu’elle doit avoir, pour n’offrir que de bons exemples, et pour n’être jamais un sujet de séduction.
L’amour de Théâtre des Anciens était scandaleux, et les Modernes ont bien fait de le proscrire ; mais le prétendu amour honnête, que les Modernes ont introduit, ne mérite pas plus de grace ; parce que, tel qu’il est, non seulement il ne peut jamais corriger, mais il sera toujours très pernicieux et de mauvais exemple, malgré le verni d’honnêteté dont on veut le couvrir.