A SA MAJESTÉ IMPERIALE ELISABETH PREMIERE, IMPERATRICE DE TOUTES LES RUSSIES.
MADAME,
Ce n’est point un sentiment de vanité qui m’a fait rechercher l’honneur de placer votre Auguste Nom à la tête de mon Ouvrage : la flatteuse espérance de procurer à toute l’Europe un avantage qu’elle ne peut devoir aujourd’hui qu’à VOTRE MAJESTÉ IMPERIALE, m’a seule encouragé à lui offrir La Réformation du Théâtre.
Parmi tous les beaux Arts que Pierre le Granda introduisit dans son Empire, cet Auguste Prince ne songea pas à y établir un Spectacle : les soins qu’il prit, soins si dignes d’un vrai Monarque, n’eurent pour objet que le bonheur du peuple innombrable qu’il gouvernait ; et sans doute le Théâtre, tel qu’il le voyait, lui parut moins propre à polir ses Sujets, qu’à corrompre l’innocence de leurs cœurs.
J’offre donc à Votre Majesté Impériale les idées que de longues réflexions m’ont inspirées sur les moyens de réformer le Théâtre. Cette réforme, si difficile à faire chez les Peuples que l’usage et le temps ont accoutumé à ne pas sentir les défauts de leurs Spectacles, peut facilement être embrassée par une Nation, qui n’a connu les Spectacles qu’en passant, et dont le goût n’est encore fixé sur aucun genre.
J’oserais dire que l’établissement d’un Théâtre en Langue Russe, mais d’un Théâtre tel que celui dont je présente le Plan à Votre Majesté Impériale, est une entreprise digne de l’Illustre Fille de Pierre le Grand ; puisque par là elle ferait goûter de bonne heure à la jeunesse une morale sensée, propre à former de sages Politiques, d’intrépides Soldats, de bons Citoyens, des Magistrats intègres et zélés pour l’Etat.
La Russie en tirerait un nouvel éclat du côté des beaux Arts, et donnerait aux autres Empires un exemple, ou plutôt un modèle qu’ils seraient d’autant plus engagés à suivre, qu’admirant déjà les vertus de Votre Majesté Impériale, ils feraient gloire de soumettre leurs préjugés à la vérité qu’elle leur ferait connaître.
Qu’il me soit permis de me flatter que le zèle dont je suis animé, me fera obtenir le pardon d’une hardiesse, que la droiture de mes intentions peut rendre seule excusable auprès de Votre Majesté Impériale. Je n’ai pour but, dans mon Livre, que d’annoblir et de rendre utile un amusement qui deviendrait même une Ecole de vertu, si le vice et la mollesse en étaient bannis. Des vues si pures me font espérer que Votre Majesté ne refusera pas sa protection à mon Ouvrage, et qu’elle recevra avec bonté les hommages du très profond respect avec lequel je suis,
De Votre Majesté Impériale,
MADAME,
Le très humble et très obéissant Serviteur, Louis Riccoboni.