Chapitre X.
Des entrées faites aux Rois & aux Reines.
S’ il est quelque chose parmi nous qui puisse estre comparée aux triomphes Romains, & remplir▶ en quelque façon les idées qui nous en restent, ce sont sans doute les Entrées que les bonnes Villes font à leurs Souuerains ; la depense, la magnificence, & la foule du peuple & des aclamations r’appellent dans le souvenir, & representent assez fortement ces anciennes & fastueuses Pompes dont on recompensoit les Vertus & les Succez des grands Hommes.
Il faut qu’il y ait un dessein, un poinct principal, un nœud mysterieux qui d’une façon ou d’autre appartienne si precisement au sujet, & s’étende si naturellément à toutes les parties qui le composent, qu’il ne puisse estre appliqué à autre chose qu’à ce qu’il est destiné. Ce point peut estre ou historique & reel, ou allegorique : Quand le premier peut suffire, cét un double bonheur & pour le Heros, & pour le Poëte : quand l’Allegorique convient mieux & fait un plus beau Jeu, le Poëte y a biẽ plus à travailler, mais il a plus de merite dans son succez. Un Gustave pouvoit se passer de la simple peinture de ses belles actions ; ses victoires pouvoient ◀remplir plusieurs Arcs triomphaux, & les Heros comme luy fournissent toûjours assez de matiere pour joüir d’une pleine gloire sans le secours des beaux Esprits. Les Heroïnes qui pour l’ordinaire n’ont que le merite de leur naissance, de leur sexe, de leur jeunesse & de leur beauté, demandent des supplémens d’esprit qui consolident les loüanges & qui les fassent subsister mesme aprés la feste & les acclamations, dans le particulier & dans le silence. Un sujet reel doit faire regner le corps de l’Histoire & ne placer les ornemens qu’en accessoire. L’Allegorique tout au contraire doit faire regner l’allegorie, & faire les applications à l’Histoire & à la verité par accessoire, pour conserver toûjours le tout, & le dessein en son entier.
Les parties doivent estre variées, differentes, mais sans perdre leur rapport avec le tout, & sans que le nombre donne de la confusion, ou force à y en ajoûter de superfluës.
Il seroit à souhaiter qu’on observast cette coûtume des Romains d’eriger des Arc triomphaux solides & durables, pour y conserver contre les temps le souvenir des belles actions & du merite des Heros. Mais soit avarice, soit impuissance, nous ne faisons que des Jeux de Carte, des ouvrages de papier, & nous nous contentons de quelque Peinture qui abuse, & de quelque Machine qui dure autant que la Feste. Je me raporte aux Spectateurs, de l’estime qu’ils en peuvent faire. Cependant le Poëte ne laisse pas d’avoir occasion d’y reüssir, s’il veut s’en prevaloir, & se donner le soin de faire quelque dessein grand & juste, dont le mystere ou le sujet fasse tant d’impression sur les esprits, que la memoire s’en charge pour jamais.
Je veux sur le tout, qu’il y ait quelque nouvauté & quelque sorte d’encherissement sur les choses déja faites. Quoy que les deux dernieres Entrées, celle de nôtre Reine, & celle de la Reine de Suede ayent eu beaucoup d’éclat & fait beaucoup de bruit. I’ay soûpiré aprés une galanterie qui manquoit à la Pompe de l’une & de l’autre, & qui estoit une des plus singulieres beautez dont on pouvoit les orner ; c’étoit une ou plusieurs Escadres des belles Dames montées, ou sur Palefrois, ou sur des Chariots avec leurs Escuyers & leurs Pages, & les autres accompagnemens dont elles pouuoient se parer. Cette pensée pourra s’executer si jamais elle fait une Entrée, où dans la Flandre, où dans d’autres Royaumes où elle peut auoir droit.
Cette nouveauté eust charmé beaucoup plus que certains artifices de nos ayeux, quoy que dignes d’admiratiõ par exẽple, celuy dont parle Belleforest : Ce fut au Mariage d’Isabelle de Baviere, qui passant sur le Pont Nostre-Dame receut d’un Ange qui estoit parti de dessus les Tours Nostre-Dame, une Couronne d’or qu’il luy mit sur la teste, & puis remonta d’où il estoit venu. Telles singularités font un grand effet dans ces occasions.