Chapitre VII.
Des Carozels.
C E mot est plus Italien & Espagnol que François. Il signifie toutefois par tout également un Jeu, & un Spectacle representé sur Chariots.
Paris en a veu un depuis peu d’années dans la court des Thuilleries, pour lors n’estoit qu’une Place vaine, ou qu’un reste de Jardin en desordre. Mais le Sieur Vigarany, dont nous parlerons plus amplement ailleurs, avoit si bien disposé ce lieu, qu’il y avoit dequoy placer dix à douze mille personnes.
Ce n’estoit pourtant pas proprement parlant un Carosel, ny Masquarade faite de Chariots, & de Masques, mais une simple Cavalle. Le souvenir neantmoins de celuy qui fut fait aux Nopces du defunt Roy, & l’energie du mot fit donner le nom de Carozel à cette Cavalcade.
Rien n’a paru de plus galant, ny de plus magnifique en Europe, & le tout peut servir d’exemple à tous les Rois & à tous ceux qui voudront entreprendre un pareil Spectacle. Mais je n’ay pas icy resolu de renouveller les recits & les peintures qui en ont couru dans le monde. Ie veux seulement en profiter, & faire entendre à nos Cavaliers, que la richesse des habits, la fierté des Chevaux, & le nombre des Soûtenans n’eust pas eû tout son éclat, si le sujet & le dessein n’eussent esté accompagnez d’un esprit secret & d’une fine intelligence, tant au choix & à la distribution de ses diverses parties, qu’à l’expression & qu’à la justesse de la representation. Tout y estoit regulier jusques aux livrées, & non-seulement la ressemblance, mais mesme la conformité y estoit toute entiere.
Nous ne laisserons pas de donner quelque avis pour les Carrosels, soit pour la construction, soit pour le nombres des Chariots. Les richesses reglent la Magnificence, mais les receptes font valoir les richesses. Il faut que le dessein soit tousiours representatif de quelque chose par exemple, d’Esclaves, de Galeriens les uns & les autres chargez de fers, & que leur action & leur mouvement les fasse reconnoistre si sitost qu’ils sont aperceus : ou representatif de quelques choses sans action. Par exemple, d’une Ville ou d’une Montagne, l’une avec ses bastimens, l’autre avec ses arbres & ses rochers.
Par de-là la representation il y doit avoir un Jeu particulier, à quoy tout cet appareil appartienne naturellement, & si precisement que la fin, la suite & la liaison des choses soient apparceües, d’abord & sans effort d’esprit. Car s’il est d’inutiles Machines, qui soient ou embarrassantes ou superfluës ; qui n’aident qu’à la representation, & non pas au Jeu ; qui ne servent que de nombre ; qui ne facent qu’alonger les files, ou que grossir la troupe : Le tout n’est qu’une phantaisie de Violon, & qu’une extravagance de Poëte, & n’est non plus un Carosel qu’une Mascarade, & tient aussi peu de l’un & de l’autre, que la Guitare du Luth, & qu’un Cheval d’un Dromadere.
Vn parfait Carosel comprend un dessein amoureux & guerrier, & fait porter ses Troupes, marcher ses Chars, & eslever ses Machines, avec une continuelle relation à son Jeu & à son dessein. Par exemple, le ravissement d’Helene, traité en Carosel, fera paroistre ces Amants dans un Char ; avec une suite reglée d’Infanterie & de Cavalerie pour escorte. Sur leurs pas, les Grecs courant à la recousse de cette Beauté, se battront à leur rencontre : Les Troyens se rangeront dans leur Ville. Les ennemis se camperont au tout, & après divers efforts bien reglez & concertez, entreront dans la Ville & y metront un Feu artificiel. Ainsi tout est suivy, tout à part à l’action, & la fin de l’action & de la representation est consommée avec le principal appareil.