(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre II. De la Comedie. » pp. 163-177
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(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre II. De la Comedie. » pp. 163-177

Chapitre II.

De la Comedie.

N ous comprenons dans ce mot tout ce qui est Dramatique, & qui se represente sur la Scene, soit Tragique, soit Comique, soit Satyrique. Nous ne faisons point icy de distinction de ces divers genres de Ieux, parce que l’Idée vulgaire & universelle les confond ordinairement, & que ces connoissances trop fines pour le Peuple & pour les gens de Cour, l’embarassent beaucoup plus qu’elles ne les instruisent, & qu’ils s’en rebutent plûtost que d’en profiter.

Il est peu de Nations, & de Siecles où ce plaisir ait esté plus en vogue plus en commerce & plus parfait, que parmy nous : & nos beaux Esprits y ont travaillé si heureusement, que nous pouvons sans trop de presomption, nous vanter d’avoir élevé le Theatre beaucoup au de-là des vieilles Idées, & des efforts des anciens Poëtes. Ie croiray sans peine tout ce que m’en diront les habiles ; ie suis prest à donner tel encens que l’on voudra à ces premiers Genies, qui ont défriché la Scene, & qui ont donné le iour à l’Art. Mais ie crois pouvoir dans les choses de pur plaisir preferer le goust vulgaire & moderne à toutes les recherches, & à toutes les citations des plus grands hommes, & des plus profonds Humanistes : & ie ne fais point difficulté de dire que nous avons veu sur nôtre Scene, des Ouvrages qui ne cedent en rien à ceux de l’Antiquité, & dont l’ordre, le dessein & l’execution seroient des exẽples precieux, mesme aux anciens Tragiques & Comiques, que nous prenons pour nos exemples. Toutefois de peut de noise dans ces matieres de bagatelle, faisons une proposition moins contestable & plus utile, & demeurant d’accord de l’avantage que les Anciens peuvent avoir sur les Modernes, tâchons au moins par nos travaux de nous mettre en estat de leur pouvoir disputer la gloire d’un si noble & si loüable secret de plaire. Nous ne manquons ny de grands Maistres ny de beaux Esprits, ny de richesses, ny de magnificence : Pourquoy ne porterons-nous pas la chose au point où l’on peut l’avoir dê-ja portée ? & pourquoy méme ne tascherons-nous pas d’aller plus loin, ayant parmy nous de si bons Guides, & parmy eux de si beaux Exemples ?

Ie ne crains pas de dire, qu’en la personne de Messieurs les Abbez de Maroles & d’Aubignac, la France possede toute l’ancienne Grece, & toute la vielle Rome ; que les Theatres de ces deux vieilles Merveilles du Monde, demeurent encor tous entiers dans leur teste, & que leur memoire n’en laisse rien perdre. Que le grand Corneille a honoré nostre siecle de tout ce que les honnestes plaisirs & la belle curiosité pouvoient attendre de l’Art & de l’Esprit. Nous voyons tous les jours éclorre de nouvelles & admirables Productions & Tragiques & Comiques, & un nombre considerable d’excellens Poëtes & de grands Ouvrages. Messieurs Corneille le ieune, Desmarests, Moliere, Quinaut, Gilbert, Boyer, Racine, & Mademoiselle Desjardins ont droit aux plus justes loüanges qu’on ait jamais données ; & si nous voulons étaler nos petites Galanteries, & tous ces petits amusemens de Theatre, par où l’on tâche de delasser l’esprit des Auditeurs apres de serieux Spectacles : Il est des Devisés, des Viliers, des Iacobs, des Poissons, des Boursault, Chevalier, & beaucoup d’autres, que ie n’ay pas le bien de connoître, ou qui sont echapez de mon souvenir, qui sont tres-capables de divertir les plus delicats par leurs petites Comedies, & d’effacer les anciennes Fables Atellanes. Non omnia apud priores meliora, sed nostra quoque ætas multa laudis & artium imitanda posteris tulit.. Qu’on ne m’accuse point temerairement, & sans avoir examiné & confronté les Poëmes des uns & des autres ; on sera de mon avis, pourveu qu’on soit juste, ou qu’on ne soit point prevenu. C’est le mesme malheur, (quoique d’une differente conséquence) d’estre né dãs une erreur touchant les sens, ou la foy. Toute premiere opinion est toûjours. malaisée à deraciner, & l’avarice interessant l’esprit à la deffendre en redouble l’attachement. Ainsi les Pedans nez dans les Colleges & absorbez dans le Grec & le Latin, ne sont pas capables de juger des beautés modernes, & qui pis est, ils inspirent quelquefois ce mauvais goust à leurs Echoliers, & l’impriment si fortement ; qu’il dure mesme malgré eux contre celuy des honnestes-gens & du beau monde, & sans que la raison fortifiée par les années puisse en purger l’infection, ny en guerir l’aveuglement.

Ie trouve plus raisonnable un avis mitigé, & recent qu’il faut avoir de la veneration pour les Anciens, les estudier ou du moins les avoir lûs ; mais qu’il faut s’attacher principalement aux bons Modernes ; ou pour ne point laisser de prise à mes ennemis, ne suivre que ce qu’il y a de bon dans les uns & dans les autres. Il est des vins vieux exquis, & qui ont emporté l’honneur dans les Festins de Rome. Ie n’en ayme pas moins le vin nouveau. Si l’un me semble plus sain, l’autre me paroist plus agreable : & ie m’aviserois plutost de faire d’un vin de plusieurs feüilles une Medecine qu’une debauche. Cependant laissons la liberté à tout le monde de s’entester de celuy qu’il aymera le mieux. I’ay veu des femmes eprises pour des Vieillards, & des sobres s’enyvrer d’un vin de plusieurs années. Le monde est assez convaincu du peu d’agréement qu’ont ces grands Antiquaires Grecs & Latins, soit dans leurs Livres, soit dans leurs conversations. Car hors leur presomption, dont on se divertit toûjours assez bien, il est tres-peu de choses en eux qui attire ou qui plaise, & les Comediens & les Libraires souvent ne s’en trovent pas bien.

Cependant, puisque le plaisir est l’objet naturel & primitif des Spectacles, sitost qu’on s’aperçoit que l’on ne plaist plus, il faut que le Poëte face iudicieusement sa retraite, qu’il se resolve de bonne foy à quitter une Place qu’il ne peut tenir, & qu’à l’exemple d’un Ancien, il cesse par raison, sans attendre de s’y voir forcé par sa foiblesse. Nous avons veu de nos jours une pareille resolution qui a passé pour exemplaire, & dont le souvenir a plû mesme apres la dedite & la contrevention : mais c’est tousiours beaucoup d’avoir pû la former, & la vanité qui ne nous quite point, ne nous laisse pas souvent cette liberté de reconnoistre, & encor moins d’avoüer nos deffauts. Nous croyons plaire aux autres, quand nous ne plaisons qu’à nous-mesmes, & à force de nous flater dans nostre presomption, nous rebutons le monde & nous nous attirons son mépris ou ses censures.

Il ne s’agit pas icy des Regles de l’Art, de la conformité avec les Anciens, ou de la maniere des Modernes, Sur ces chefs, ie renvoye à M. l’Abbé d’Aubignac, à Monsieur de Corneille, à M. Menardiere, & a beaucoup d’autres ; ou mesme si vous voulez, aux Dames, qui aujourd’huy decident du merite de ces choses. Mon but n’est que d’exposer icy ce qui concerne le Spectacle, & les matieres d’un agréement sensible & vulgaire.

Il est quatre choses, qui sont pour ainsi dire asseurées de plaire generalement à tout le monde, ou à la plus grande partie, ou du moins à la meilleure. La premiere, est un fait de grande importance & de grand exemple, car de soy il attire les esprits & les engage. La seconde, une grande nouveauté. La troisiéme, une grande passion, & la quatriéme, quelque chose d’aplicable au Siecle & aux gens qui y sont la principale figure. Ces sortes d’objets ont un don infaillible de plaire, sans aucun secours du bel esprit ou de l’Art. Ce sont des Substances Theatrales qui y subsistent par soy, & qui seules & sans autre agréement charment les sens & frapent l’imagination.

Nous ne redirons point icy les admirables effets des Machines, & il vaut mieux toucher un autre poinct du Spectacle qui n’est pas de moindre consequence. C’est le choix des Acteurs. Ie suppose que la chose soit possible, & que l’ouvrage en vale la peine. Il faudroit ramasser tous les bons, & en faire une Troupe : ou du moins pour ne point trop innover les choses, il faudroit employer le plus qu’on pourroit les habiles Comediens d’une Troupe, & les charger de toutes les choses principales, sans toutefois s’y opiniastrer, jusqu’à les rendre ennuyeux. Mais un bon Acteur fait tousiours honneur au Poëte, & plaisir au Spectateur. Il seroit aussi à souhaiter que toutes les Comediennes fussent & jeunes & belles, & s’il se pouvoit, toûjours filles, ou du moins jamais, grosses. Car outre ce que la fecondité de leur ventre couste à la beauté de leur visage ou de leur taille ; c’est un mal qui dure plus depuis qu’il a commencé qu’il ne tarde à revenir depuis qu’il a finy. Cependant la beauté & la jeunesse sont les deux sources d’agréement qui ne tarissent point ; & par où les choses les plus inutiles, & les moins spirituelles ne laissent pas d’étre agreables. Sans elles l’habilité, le merite, la hardiesse, la memoire & toutes ces parties ensemble, qui sont les principales & les essentielles de la profession, sont comme des forces desarmées, & des talens decreditez. La persuasion de l’esprit est aisée apres la satisfactiõ des sens.

Mais ce qui est plus possible que tout, & qui est aussi important que le reste, c’est l’ordre qui est rare parmy les Comediens, & la sureté qui manque dans les lieux de la Comedie. A l’egard du premier, il seroit a besoin de regler cette trop grande égalité qui regne parmy eux, & qui leur fait souvent preferer les mauvais avis aux meilleurs ; qui fait naistre dans une Troupe un orgüeil intraitable, & des opiniatretez seditieuses & mal fondées. Par-là, non-seulement leur ignorance se découvre, leur brusquerie éclate, mais encore leur interest, & le plaisir public en souffrent.

Pour le second, c’est une coupable timidité de n’oser pas faire comprendre au Roy la consequence des plaisirs interrompus, & de la sureté publique violée. Ce nombre de Spadassins qui s’y rendent de toutes parts, sans curiosité, sans connoissance, & sans argent, n’est qu’un levain de querelles & d’insolences. Ces lieux consacrez aux beaux & honnestes plaisirs, doivent estre sous une protection particuliere du Roy & de ses Magistrats : & loin d’y souffrir l’insolence de ces Breteux, qui ne sont Braves que parmy les Bourgeois & les femmes : il faudroit empescher absolument la liberté d’entrer avec des armes & sans argent. Aujourd’huy, sur tout, que les Gardes du Corps, les Mousquetaires, & les autres Officiers du Roy, sont presque tous Gentils-hommes & de qualité : Il n’est rien de plus aisé que de regler leur entrée, soit qu’elle soit gratuite, soit qu’elle soit taxée. Il coûteroit peu de regler un certain nombre de Mousquetaires que l’on voudroit laisser entrer, & d’envoyer tous les jours de Jeu, pareil nombre de billets aux Officiers qui les distribueroient à son gré, & qui répondroit de ceux qu’il envoye. La taxe en seroit pourtant plus honeste pour eux que la grace, & l’on éviteroit par-là deux inconveniens tres-considerables. Le premier est, que la dépense retrancheroit toûjours quelque chose de leur foule, que leur oisiveté & leur pretendu droit rendent tousiours plus grande que celle des vrais curieux & des bons. Bourgeois. Le second feroit que venant en moindre nombre, le bruit qu’ils font sans cesse en seroit moins importun à ceux qui s’apliquent au Spectacle, & qui veulent écouter. Outre qu’y venant plus rarement ils seroient plus attentifs, & tâcheroient de profiter à une visite pour épargner les frais de la seconde.

Il y auroit pareillement à desirer quelque chose du costé des Comediens, qui mesme leur seroit vtile, & qui augmenteroit beaucoup la multitude des Spectateurs. Par exemple, de comencer de bonne-heure la Comedie ; en Hyver à trois Heures & demye, en Esté à quatre Heures & demye. Les Bourgeois & les Bourgeoises, qui ordinairement craignent plus les Filoux que le serain, y couroient en foule dans les deux Saisons : Sur tout si cette premiere regle estoit suivie de la seureté dont nous avons parlé, de quelque soin de leur commodité, & de leur faire tenir des sieges dans le Parterre. Mais la chose qui regarde immediatement le succez ou l’embaras du Spectacle, c’est de tenir de Theatre vuide, & de n’y souffrir que les Acteurs. Le monde qui s’y trouve, ou qui survient, tandis qu’on jouë y fait des desordres & des confusions insuportables. Combien de fois sur ces morceaux de Vers, mais le voicy, mais ie le voy : que nos Autheurs par un miserable entestement de leurs pretenduës regles, ne manquent point d’employer pour lier leurs Scenes, combien de fois dis-je, a-t’on pris pour un Comedien & pour le Personnage qu’on attendoit, des hommes bien-faits & bien mis qui entroient alors sur le Theathre, Theathre, & qui cherchoient des Places après mesme plusieurs Scenes des-ja executées ?

Il en est encore une qui merite une serieuse reforme, c’est de changer souvent de Jeu, & de Piece : car non-seulement du costé des Comediens le métier s’oublie, la paresse bannit l’estude, & la memoire s’affoiblit, mais le Spectateur est furieusement ennuyé de voir durant deux mois une mesme chose, qui bien souvent & sans aucun merite, & qui ne dure que par la cabale de quelques sots, ou de quelques Coquetes, ou par l’opiniastreté des Comediens. Mesme en quelque façon, l’honneur de l’Etat en patit. Car tel Estranger qui durant deux mois ne voit que la mesme chose sur un Théatre, se persuade que l’on n’a rien que cela à représenter, & conclut au prejudice de nostre Nation, la sterilité de ses beaux Esprits & la misere de nos Acteurs. Je ne doute point que les Comediens mesme ny trouvassent aussi mieux leur compte, si apres huit ou dix representations d’une Piece nouvelle, ils reprenoient leurs autres Pieces à tour de Roole, sans en doubler le Jeu, hors dans les occasions particulieres, comme d’indisposition de quelque Camarade, ou pour satisfaire au desir de quelque Curieux & de quelque personne de qualité.

Mais après cela, je voudrois aussi qu’on eût un peu plus d’égard que l’on n’a à leur s interests, qu’on favorisast leur gain, c’est à dire leurs portes, qu’on les secourut de quelque chose de la part du public, pour les aider à soustenir avec plus de courage la despence des habits, des decorations, & mille faux frais, dont ils ne peuvent se dispenser, & qui les ruïnent & les consoment. Car de la maniere que nos Theatres vont, & selon la connoissance que j’en puis avoir. Nos Acteurs ne manquent ny de courage ny d’ambition pour faire valoir leurs Comedies, & pour plaire à leurs Spectateurs ; mais leur generosité est encor plus à plaindre qu’à admirer, car hors de leur Garderobe qui n’est jamais venduë à peu prez de ce qu’elle couste, il en est très-peu qui puisse faire fonds de quelque chose pour subsister dans le repos, & pour passer la vieillesse sans besoin. Cependant outre la despence & les avances qu’il leur faut faire necessairement, il n’est aucun métier où le travail & la sujetion soient plus tiraniques, & où la paine soit plus grande & moins considerée.