(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Des anciens Spectacles. Livre premier. — Chapitre premier. Du Theatre. » pp. 73-99
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(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Des anciens Spectacles. Livre premier. — Chapitre premier. Du Theatre. » pp. 73-99

Chapitre premier.

Du Theatre.

Section premiere.

Du nom, de la forme, & de la difference du Theatre.

L e mot de Theatre est Grec, & ne signifie autre chose qv’un lieu de Spectacle ; c’est à dire, où l’on voit commodement & pleinement les choses extraordinaires qu’on expose en veuë pour le divertissement ou pour le bien, du public. On a plûtost retenu le mot de Spectacle que celuy d’Auditoire, soit par le souvenir des premiers Spectacles qui n’estoient que pour les yeux, soit que les vers & les chants qui en faisoient la nouveauté, eussent besoin de quelques choses de plus que des paroles, pour avoir un plein effet ; soit enfin que les objets entrent dans l’ame plus fortement par les yeux que par les oreilles.

Le Theatre est un Amphitheatre coupé. Car l’ovale pleine laissoit un parterre, ou pour parler comme les Romains une cave ou lieu vuide, où ne paroissoient que les Atheletes qui devoient combatre, ou les bestes qu’on devoit chasser. Le theatre prenoit une partie de cette Ovale : les uns la moitié, les autres plus ou moins, selon les choses qui devoient y paroistre, ou selon la magnificence de ceux qui les entreprenoient & qui vouloient y donner du divertissement.

Les Anciens qui cherchoient plus les choses que les mots, & ces ames grandes & Romaines se piquant de plus de splendeur que de Grammere se soucioient peu du nom qu’on donnoit aux lieux où ils se divertissoient. Ce mespris nous a laissé dans une grande confusion de pensées sur la difference des Theatres & des Amphitheatres comme j’ay déja dit. Pour débroüiller le mieux que nous pourrons cette nouvelle espece de Magnificence, il en faut expliquer les principales parties, & faire voir la difference & le raport qui peut estre entre les Amphitheatres, & les Theatres.

Les Romains estendoient plus loin que nous le sens du mot de Theatre. Car nous n’entendons par ce terme que ce lieu élevé où l’Acteur paroist, & où se passe l’action, au lieu que les Anciens y comprenoient toute l’enceinte du lieu commune aux Acteurs & aux Spectateurs. Quand la difference des Ieux les obligea de distinguer le lieu des uns & des autres : le nom demeura en son entier pour la chose entiere, & cette élevation de bois ou de pierre, que l’on fit dans une certaine partie de ce grand tout du Theatre, fut apellée Scene. Nous verrons plus bas l’explication & l’origine de ce mot. Nous nous attacherons icy à tracer quelque crayon de ce tout, & de ses parties.

L’endroit le plus ordinairement choisi pour la construction de ces sortes d’edifices estoit une place publique, où l’intelligence de l’Architecte pût travailler sans contrainte & sans obstacle, & répondre plus surement à l’attente du Peuple, & à la magnificence de l’entreprenneur. L’ouvrage commençoit par la regularization (pour ainsi dire) du lieu. Quelque forme qu’il eût on le reduisoit en ovale, ou en partie dovale, d’ont l’une estoit destinée pour les regardans, l’autre pour le Spectacle. La premiere avoit des degrez, des loges, des sieges & toutes ces commoditez dont nous avons desja parlé dans le Chapitre precedent : La seconde comprenoit la Scene, qui cõsistoit en une espece de plate-forme, de perron, d’élevation ou d’échafaut, ou pour user de nostre nom, de Theatre où les Ieux sceniques se donnoient.

Cette Scene estoit precisément une espece de Tapisserie, qui separoit le Theatre, & qui couvroit les bastimens, quand il y en avoit, ou simplement l’endroit où estoient les Comediens. Elle recevoit tous les ornemens que la magnificence des Magistrats vouloient faire ; & tantost elle faisoit paroistre de beaux morceaux d’Architecture, de Perspective ou de Païsage. Quelquefois mesme ces Edifices quoy qu’ils ne fussent que de bois, offrirent aux yeux des Spectateurs de si belles choses, que l’on se passoit fort aisément de tout autre ornement. Quoy qu’il en soit, la Scene & tout ce qui entre dans le sens de ce mot, faisoit voir tant de beautez & eût si grande reputation, que son nom passa aux Ieux qui s’y donnerent & qu’ils furent appellez Sceniques. Nous allons en parler tout à l’heure.

Le Theatre, ou la Scene, ou l’Echafaut avoit cinq pieds de hauteur, & plus ou moins de profondeur, selon le besoin, le jeu, le lieu & la dépense. Ce que les bastimens ou les voiles cachoient estoit compris sous le mot de Scene , qui signifie ombre ou abry du Soleil : Ce qui estoit devant ce voile de separation s’appelloit l’avant-Scene :* & c’estoit le lieu où joüoient les Comediens & les Mimes. Car à Rome, ces derniers n’avoient point de Theatre particulier, comme en Grece, où ils avoient l’Orhestre* affectée pour leurs Danseurs. Cette place fut occupée par les personnes de qualité, comme Magistrats, Senateurs, & ensuite par les Chevaliers, les Dames, les Vestales & autres personnes, selon le temps. Car leurs sceances ont souvent changé.
On y representoit trois sortes de Poëmes appellez Dramatiques, à cause que les Acteurs y parlent, & non le Poëte. Ces Poëmes estoient Tragiques, ou Comiques, ou Satyriques, & ils avoient leurs Acteurs, leur Scene & leurs sujets particuliers & distinguez. Les Acteurs Tragiques avoient une espece de Brodequins ou Patins eslevez, qui haussoient extraordinairement leur taille, eslevoient leur mine, & les faisoit ainsi mieux representer les Dieux & les Heros. La Scene faisoit voir des Temples ou des Palais, & le sujet ou la Fable comprenoit les amours ou les exploits de quelque Divinité passionnée, ou de quelque illustre Mortel. Les Comiques avoient des habits plus simples, & n’avoient que des * souliers bas & communs. Leur Scene estoit un tas de maisons basses & vulgaires, & où ne se representoit que quelque action populaire & du bas monde. Dans les Satyriques, on deguisoit les Acteurs, en faunes, en Bergers, & en autres personnages champetres. La Scene estoit un tissu d’arbres & de verdure, & le sujet ou la Fable un evenement ou une representation de quelques amours bocageres.

Ces trois sortes de Poëmes se representoient sur ce grand Echafaut : Les boufons ou Hystrions n’y montoient point parmy les Grecs, & n’avoient que ce petit Tertre ou second Theatre, pour y faire leurs railleries ou leurs Pantalonades, & mille autres tours de Farce & de Charlatans.

Section II.

De l’origine des Ieux de la Scene. Des Theatres, & de leurs beautez.

L a Religion a donné la naissance & la durée à ces divertissements, car en l’année 389. aprés celle de Rome, vne cruelle peste ravageant les champs & la ville, on recourut aux Dieux pour en obtenir quelque remede. L’année suivante sous le Consulat de C. Sulpicius Peticus, & de C. Licinius Stolon, on ordonna la plus celebre des suplications appellée Lectisternium, c’est à dire où l’on faisoit à Iupiter, Iunon & Minerve, un celebre festin, en dressant un superbe lit à ce Dieu Tout-puissant, & des cheses magnifiques aux deux autres Deesses. Mais ces Divinitez ne paroissant point appaisées, & la peste continuant tousiours, on eut recours à des remedes plus surs & plus innocens, & disposant doucement les esprits à la joye, on appella les Boufons du païs d’Hetrurie, qui commancerent ces Ieux Sceniques par de simples mommeries sans art & sans raison, mais qui ne laisserent pas d’avoir quelque effet, & dont le succez quoy que naturel, fit un des principaux mysteres de leur Religion. D’un mot de ces Etruriens est venu celuy qu’on a donné aux Mimes, car comme ils appelloient leurs Farceurs Histres, ils ont depuis fait passer le nom d Histrions à tous leurs Boufons.

Cette nouveauté eut des progrez fort lents & fort divers. Car comme les commencements de toutes choses sont imparfaits d’abord, on se contenta de quelques dances & de quelques grimaces. Ces premieres badineries furent bien-tost suivies de quelques chants, ensuite de certaines paroles mal-digerées, & de peu de grace. Enfin le plaisir reveillant de temps en temps le goust des plus curieux, les obligea de faire des vers bons ou mauvais, jusqu’à ce que l’art & l’intelligence en banirent la negligence & la temerité, & que les Acteurs se piquerent dans leurs ouvrages de beaucoup d’ordre, de soin & de reflexion.

La perfection de ces Ieux, sembla desirer un lieu particulier & destiné à de tels ébats. Apparemment, on se contenta dés les commencements de leur élever quelque tertre ou quelque échaffaut, mal ordonné ou ils pussent estre aperceus de toutes parts. Le changement des temps leur fit changer les manieres. Les premiers furent de bois, grossierement construits & qui ne durerent qu’autant que les Ieux. Mais enfin, soit par le desir de les voir plus souvent, soit par l’ambition qui se coule ordinairement dans les plaisirs : La pensée vint à quelques-uns, de faire un Theatre plus estendu, où les divertissemens se prissent avec un peu plus de galanterie & de commodité. Ce dessein pourtant ne fut pas si-tost executé, & laissa ces divertissemens aussi imparfaits qu’auparavant.
La vieille confusion des Seances du Peuple & des Senateurs, qui furent contraints de prendre leurs divertissements debout, & sans aucune distinction de rang & de qualité, dura cinq cens cinquante ans. Le plaisir toutefois prevalant à toutes ces commoditez, on ne laissa pas de bastir & rebastir divers Theatres à diverses fois, qui n’eurent point de beauté singuliere ny de durée considerable.
Mais enfin les plaisirs l’emporterent sur les loix & sur la severité : L’on perdit la crainte du peril, que les meurs y pouvoient courir ; & les Censeurs mesme, qui devoient estre des obstacles eternels à toute sorte de desbauche & de licence, furent les premiers qui firent d’un nouveau luxe un des devoirs de leur Charge. M. Valerius Messala, & Cassius Longinus Censeurs s’emanciperent iusques là, que de commencer un Theatre de pierre sur le Mont Palatin, proche la figure d’une Louve qui alletoit les deux gemeaux Remus & Romulus. Toutefois Scipion Nasica, soit par un renouvellement de l’ancienne severité, soit par un particulier respect pour cette Statuë de la Nourice des premiers Romains, s’y opposa avec tant de force & tant de succez, que cette tentative fut vaine & que le dessein avorta.
Les Theatres toutefois tenoient trop au cœur des Romains, pour estre ruïnez par la severité d’un seul homme : s’ils estoient mobiles & destruits immediatement apres les Ieux, ils estoient soigneusement reparez à chaque occasion ; & ny les Magistrats ny le Peuple ne manquoient pas de faire dãs certains temps les Instãces necessaires, soit pour les remetre sur pied, sot pour lesrendre plus magnifiques. Nous lisons que L. Mummius apres avoir détruit Corinthe, remporta à Rome les Vases d’un celebre Theatre, qu’il avoit trouvé dans cette mal-heureuse Ville, & qu’aux Ieux qui se donnerent à son Triomphe, on en fit parade & on s’en servir sur le Theatre. Quelques-uns mesme veulent qu’il ait esté le premier Autheur des Theatres de bois, qu’on a veus à Rome.
Cependant toutes ces choses augmentant de iour en iour, leur beauté & leur merite : elles trouverent enfin leur derniere perfection dans la prodigalité & dans la magnificence de Marcus Scaurus. Il entreprit un ouvrage le plus grand qui pût tomber dans l’esprit humain. Les ornemens en furent si extraordinaires, que les Autheurs ne daignent pas nous parler de sa grãdeur ny de sa matiere. Ils remarquent seulement la richesse l’intelligẽnce & la curiosité de sa Scene. Elle avoit sur sa hauteur trois cent soixante colonnes, en trois rangs les uns sur les autres. Outre la diversité des trois ordres exactement observez, il y avoit encore une espece de miracle dans le choix & dans la diversité de la matiere de chaque étage de cette Scene. Le premier fut de Marbre, le second de Verre, & le troisiéme de la plus belle dorure. Les plus basses colomnes avoient trente-huit pieds de hauteur. Entre les colomnes il y eût trois mille Statuës d’airain, & enfin, pour achever en peu de mots une grandeur incroyable, il y avoit de la place dans son aire (pour user d’un mot de quelques Modernes) pour quatre-vingt mille Spectateurs. Mais helas ! sa durée fut courte, & est oubliée dans tous les Autheurs.
Curion ne fut pas moins ambitieux, & n’auroit pas cedé à Scaurus s’il eust esté comme luy, fils ou gendre d’un premier Ministre. Mais faute de faveur il manqua de richesses, & il fut ainsi contraint de se retrancher dans les ingenieuses imaginations, & dans les subtilitez de l’art, pour regagner par son bel esprit l’avantage que Scaurus avoit emporté par sa despence. On remarque qu’il n’eut de bien que celuy qu’il acquit dans les broüilleries de l’estat : & cependant il fit un espece de Theatre, suspendu & brise qui se separoient en deux quãd on vouloit, ensorte que l’on pouvoit executer differentes choses dans les deux sans que l’on ouyt de l’un ce qui se passoit dans l’autre, & un moment apres on-le rejoignoit par des ressorts si soudains, si puissans & si entendus, que des deux, il ne s’en faisoit qu’vn ; ensuite par un autre aussi miraculeux detachement, les planches se separoient & s’estendoient imperceptiblement, & faisoient un grand & spacieux Amphitheatre où l’on donnoit les combats de Gladiateurs.
Il ne reste plus qu’à parler de la superbe entreprise & de l’heureuse execution du Theatre de Pompée. Ce grand homme que Tertulien mesme éleve encor au dessus de son Theatre, eût l’avantage du temps sur ces deux Illustres Ædiles, dont nous venons de parler ; car il en fit un entier de pierre, sur des fondemens si solides qu’il sembloit bâtir pour l’eternité. Aussi les Autheurs ne font mention que de sa matiere, & de la solemnité des Ieux & des Chasses qui s’y donnerent. La solidité de l’Edifice donna tant de ioye à tout le Peuple, que cette nouveauté eut encore plus de reputation que toutes les autres. Il n’eut point toutefois ny l’artifice de celuy de Curion, ny grandeur de celuy de Scaurus, car il se pouvoit tenir que quarante mille personnes ; mais il est à croire que la commodité en estoit plus grande, & que les rangs & les sieges estoient mieux disposez. Il eut mesme des soins particuliers qu’il fit une espece d’Aqueduc pour porter de l’eau dans tous les rangs du Theatre, soit pour rafraichir le lieu, soit pour remedier à la soif des Spectateurs.
Il y a bien eu à la verité d’autres Theatres à Rome enrichis de plusieurs elles choses ; mais soit que leurs Autheurs fussent moins puissans que Pompée ; soit que l’honneur de l’invention luy eust attiré une gloire particuliere, ils n’en ont point eû ny l’éclat ny la reputation. Iules Cesar en fit faire un de pierre proche le Capitole. Depuis on a admiré celuy de Marcel qui fut basty sur les extremitez d’un fonds renommé par son ancienneté ; par les monumens de Ianus, autrement apellé Vertumnus,, & qui est au bout de la ruë Toscane au pied du Capitole, dans la seconde region de la Ville. Il fut consacré par Auguste, & la ceremonie en fut celebre & extraordinaire mais Iules Cesar l’ayant commencé, a bonne part à la gloire de l’ouvrage, & en retranche autant de celle de Marcel qui ne fit que l’achever.
Dans le seul champ Flaminius, on y a conté jusqu’à quatre Theatres ; On a parlé de celuy de Balbus, & de quatre colonnes d’un marbre exquis, dont il estoit orné. *Vn Autheur François a fort vanté celuy de Gallus, ou Gallio, & voudroit mesme luy attribuer la gloire du premier fondateur de la Scene & du Theatre permanent : Trajan en fit un pompeux & magnifique, *qu’Adrian toutefois fit ruiner. Quoy qu’il en soit, tous ces ouvrages ont esté de beaucoup inferieurs à ces premiers, dont nous avons parlé : & il suffira apres ce que nous en avons dit, de faire icy une espece de petite recapitulation, qui conserve dans le souvenir la chose qui en est la plus digne. C’est que du temps de Empereurs, il y avoit à la fois dans Rome, trois Theatres & un Amphitheatre, dont ie crois mesme avoir desia dit quelque chose.

Section III.

Des diverses Parties détachées du Theatre.

N ous avons sujet de parler icy de l’intelligence & de la somptuosité des Theatres, soit en ce qui concerne la grandeur de leur tour, soit en ce qui peut regarder le détail de cette partie appellée la Scene. Mais crainte de quelque redite, je ne toucheray que les parties detachées & subalternes, qui veritablement contribuent beaucoup à la perfection, mais qui ne dependent que du goust & du caprice des Entrepreneurs. Outre que les Autheurs en ont fait des descriptions si particulieres, & qu’ils nous en ont laissé des Estampes si belles, qu’elles ont dequoy satisfaire plus pleinement ses yeux & la curiosité.

Ces Parties moins principales, & qui neantmoins sont des accessoires de grand prix & de grand effet, peuvent estre reduites à six. Au corps de l’Echafaut ou Theatre. A la Scene ou au bastiment qui separe le Theatre, c’est à dire ou son avant-Scene & le lieu de la retraite des Acteurs. Aux Peintures. Aux Tapisseries, Rideaux ou Voiles. Aux Machines, & à la Musique.

Le corps du Theatre ou de l’Echafaut, sur lequel s’executoient les Ieux Sceniques, avoit environ quinze toise, de profondeur, espace qui est capable de faire ioüer de grandes Machines, & de soûtenir les plus belles decorations. Pour voir tout ce que la curiosité peut nous faire desirer, il faut lire le 18. Chapitre de l’incomparable Monsieur l’Abbé d’Aubignac, dans son Ter. Iust.

La Seconde prit sa naissance de la simplicité des premiers Acteurs, qui se contentoient de l’ombre des arbres pour y pouvoir plus commodement divertir les Spectateurs. Cette ombre ainsi recherchée donna son nom Grec à tout ce qui cacha les Acteurs, & à tous les Ieux où l’on en usa de cette forte. Ainsi les plus simples au cõmencement ne furent composées que d’arbres assemblez, & que de verdures apropriées. Mais enfin, le goust solicitant l’invention, on en fit tantost avec de simples voiles, tantost avec des aix informes, jusques à ce que le luxe faisant deborder la dépense, les fit embelir des plus celles Peintures, & y employa les plus riches Tapisseries. Le plus souvent toutefois le bastiment estoit effectif, & d’un bel ordre d’Architecture, où il avoit une porte du milieu par où sortoient les Dieux, les Heros & les Rois ; & quelques autres aux deux costez, qui estoient celles des Hostelleries publiques pour les Etrangers & pour les Survenans. Ordinairement le costé gauche estoit destiné aux prisons, & aux autres lieux ou de desordre ou de mespris. Pour les Peintures, C. Pulcher fut des premiers qui en orna la Scene, où jusqu’à luy on s’étoit contenté de la diversité des colomnes & de la structure des bastimens sans aucun autre embelissement. Antoine encherissant sur le premier traict de luxe, la fit toute argenter. Vn certain Petreïus la fit doter : & pour braver les uns & les autres, Catulus la fit revêtir d’Ebene. Cette derniere dépence valoit bien celles des Peintures. Mille autres se piquerent de pareils excez. Neron pour regaler Tiridate, dora tout le Theatre ; & plusieurs de ses successeurs y ajoûterent mille coloris nouveaux, & mille surprenantes beautez de la Sculpture & de la Peinture.
Les Rideaux, Tapisseries,ou Voiles font le troisiéme ornement. Il en estoit de deux sortes. Les uns ne servoient qu’à specifier & qu’à orner la Scene : les autres estoient pour la commodité des Spectateurs. Ceux de la Scene representoient quelque chose de la Fable qui se joüoit ; & pour ne rien oublier de ce qui a esté mis en question par les Doctes, qui soit digne de quelque observation : Il y en avoit vne versatile un triangle suspendu, & facile à tourner, qui portoit des Rideaux où estoient peintes certaines choses qui pouvoient avoir raport, ou au sujet de la Fable, ou du Chœur, ou des Intermedes, & qui donnoient par ce moyen quelque intelligence aux choses ignorées, ou quelque éclaircissement aux douteuses. Les voiles tinrent lieu de couverture, & durant quelque temps on s’en servit pour la seule commodité & pour mettre à couvert du Soleil les testes des Spectateurs. Mais le luxe se mesla dans cette necessité, & fit estendre des Voiles de pourpre au lieu de ceux de toile. Quelques-uns veulent que Cleopatre & Antoine eussent employé de pareils voiles dans leur fuite ; & que le Vainqueur indigné d’un si furieux luxe, au lieu de s’en servir dans ses Vaisseaux, les eut employez à la Pompe des Ieux & des Theatres. Ce mesme Catulus dont nous avons parlé, fut le premier Inventeur de cette commodité. Il fit ouvrir tout l’espace de l’Amphitheatre de Voiles estendus sur des cordages, qui estoient attachez à des mats de Navire, ou à des troncs d’arbres fichez dans les murs, comme l’on eut voir dans l’Amphitheatre de Nismes dont nous avons parlé. Ces Voies toutefois ne furent employez aux Theatres que lors qu’ils estoient sans toits, ce qui estoit le plus ordinaire. Car on a remarqué comme choses extraordinaires, les Theatres couverts, soit à cause de la nouveauté, soit à cause de la richesse des materiaux qui entroient à leurs couvertures. Le toict du Theatre qu’Herodes fit à Athenes estoit de bois de cedre ; mais la beauté des Voiles dont quelques curieux affecterent de couvrir leurs Theatres, n’estoit pas ny moins galante ny moins riche. Lentulus Spinther en fit de lin d’une finesse jusqu’alors inconnuë. Cesar en fit de soye & en fit couvrir un espace incroyable. Neron nonseulement les fit teindre en pourpre, mais y adjoûta encor des Etoiles d’or, au milieu desquelles il étoit peint monté sur un chariot : le tout travaillé à l’éguille avec tant d’adresse & d’intelligence, qu’il paroissoit comme un Apollon dans le Ciel serain, qui moderant ses rayons ne laissoit briller que le jour agreable des belles nuits & des Astres subalternes.
Les Machines ont esté sans doute parmy eux fort ingenieuses : & il en est des descriptions plus belles que croyables. Il s’en faisoit de toutes les sortes, dont les noms sont amplement deduits dans un moderne. Ie ne toucheray jcy que la plus commune, & qui servoit comme de base à toutes les autres. C’estoit un assemblage de Poutres, sur lesquelles on batissoit tantost des creux, tantost des Enfers, des Palais, des Prisons, des Tours & mille autre choses dont les Autheurs pouvoient avoir besoin pour la representation ou pour l’éclat de la Piece. On y élevoit des Heros dans le Ciel ; on y faisoit descendre sur terre les Divinitez, & enfin on n’ignoroit rien de ces pratiques du Theatre que nos Modernes Machinistes ont fait reussir si glorieusement.
La Musique a fait aussi sans doute une des principales beautez du Theatre : & je ne doute point que le plaisir des Chants n’ayent esté un des principaux objets des Entrepreneurs. Il pourroit bien mesme avoir esté cause de ces inventions deduites si amplement par les Architectes, & affectées si universellement dans leurs ouvrages, pour garder & cõserver la voix dans ces vastes lieux. Et apparemment les Chants leur ont esté aussi chers que les Paroles. Cicerõ ordõne ; que dans les Ieux publics, où il n’y a ny courses ny combats, qu’on tache de réjoüir le Peuple par des Chants, & par des Symphonies d’instrumens ou à chordes ou à vent  ; C’est à dire, que toutes les sortes de Musiques leur estoient connuës & pratiquées dans leurs Ieux, car il n’y en peut avoir que de ces deux especes, ou vocale, ou simphonique, dont l’une ne concerne que la diversité des chants & la beauté de la voix, & l’autre consiste dans l’agrement des instruments & dans la iustesse de leurs Concerts. Ces notions toutesfois aussi-bien que toutes les autres choses n’ont pas receu leur derniere perfection de leurs premiers Inventeurs ; & la suite des temps, ou la diversité des gousts ont multiplié le nombre des Instruments. Mais les plus ordinaires parmy eux, ou du moins les plus en usage sur leurs Theatres, estoient les Lires ou Instrumens à chordes, ou les Flutes ou autres Instruments à vents. Les Romains mesloient souvent les voix & les Instruments, & ils appelloient les Concerts faits sans le meslange des deux, insipides & sans goust.

Il se fait ordinairement deux questions sur ces Instrumens, qui ont embarassé les plus habiles, & qui ont fait un considerable partage de leurs sentiments.

La premiere, est de sçavoir ce que les Romains entendoient par flutes pareilles ou differentes. Ma réponse simple & de bonne foy tiendra lieu de ce grand & importun amas de nos doctes, qui se piquent plutost de dire beaucoup de choses inutiles que de resoudre precisément une question & que de satisfaire nostre curiosité. Car ils songent plus à faire paroistre leur eruditiõ qu’à developer à nostre ignorance les choses belles & cachées. le dis donc que les flustes pareilles étoient des flûtes a l’uni-son, & qui joüoient le même sujet ; & que les autres estoient differentes en grosseur, dont l’une joüoit le dessus, & l’autre la basse. je ne voy rien de plus net ny de plus naturel.

La seconde vient des noms qu’on leur donnoit, de flutes droites ou gaucheres. Ie veux bien que le sujet du Poëme en reglât le nombre & la situation, par ce qu’il avoit ou de serieux ou d’enjoüé : & je n’ignore pas absolument les diverses opinions qui sont si amplement deduites chez les Autheurs. Mais ie crois que ie puis sans perdre le respect que ie dois aux Anciens & aux Habiles, hazarder la mienne qui est naturelle & assez apparente. C’est qu’il y avoit deux Chœurs, separez & placez aux deux côtez du Theatre. Ceux qui ont veu les Cours d’Italie ou d’Allemagne auront bien moins de peine à la recevoir, que les Critiques n’auroient à la combatre, & ie conçois tant pour l’une & l’autre difficulte, une raison commune qui me semble convainquante. Il y avoit en ce temps des prodigues & des menagers ; il s’y trouva des Pieces heureuses qui engagerent à la dépense, & d’autres, qui quoy qu’avec un pareil merite furent recitées sans ces extraordinaires ornemens de Musique & de Symphonie, & où l’on se contenta d’un seul Instrument.

Il faut dire toutefois à l’honneur des Musiciens, que l’on faisoit une si particuliere estime de leurs chants, qu’ils avoient rang dans le titre des Poëmes & avoient leur part de la gloire & du succez.

Ie n’adioûteray qu’une chose en faveur de nos Poëtes, que dés ce temps-là, on faisoit si grand cas de leurs travaux, qu’on ne se contentoit pas de leur donner de steriles & infructueux applaudissements, mais que l’on achetoit & payoit liberalement leurs Pieces, jusques là que l’Eunuque de Terence luy a valu huit mil écus de monnoye de Rome.

Ie n’ay point icy parlé des Chœurs, parce que c’estoient des accessoires si formels, si iustes & si unis au corps du sujet principal ; qu’il m’eust falu faire un Chapitre exprez du Poëme dramatique, pour m’aquiter pleinement de ce qu’il en faut dire. Mais comme ce seroit exceder l’abregé que ie me suis prescrit, je ne feray que renvoyer à tant d’Illustres Ecrivains qui en ont fait des Dissertations si particulieres.