D
ans le traité qui précéde celui-ci,
nous avons parlé des divertissemens en général & du jeu, nous réservant
de traiter dans celui-ci des spectacles, comédies, & en un mot, de tous
les divertissemens qui choquent la piété, la pudeur & la modestie
Chrétienne ; sur quoi je prie d’observer trois choses. 1°. Que quoi que l’on
ait banni de nos théâtres les impiétés sacriléges, les obscénités honteuses
qui deshonoroient les spectacles anciens ; les nôtres, pour être plus
épurés, ne laissent pas de faire craindre de grands dangers pour la pudeur
& les autres passions qu’ils peuvent faire naître. 2°. Il faut prendre
garde dans un Discours sur les spectacles, de n’y point comprendre les
divertissemens qui d’eux-mêmes sont innocens, tels que sont les tournois,
les courses de bague, les combats des animaux, &c. 3°. En montrant le
danger des spectacles, il ne faut cependant rien outrer, vû qu’il y a des
personnes qui ne peuvent se dispenser de se
trouver quelquefois aux spectacles, par le respect qu’elles doivent à ceux
qui les y obligent : mais d’un autre côté, on ne peut trop exagérer le
danger que courrent ceux qui se font une habitude du spectacle. J’avertis
encore, qu’il ne sera pas déplacé de modifier quelquefois les expressions
des saints Peres, par la raison que plusieurs tomberoient à faux, vû la
différence de nos spectacles & de ceux contre lesquels ils
invectivoient.
Pensées diverses. Sur les
Spectacles.
L’Eglise condamne les comédiens, & croit par-là
défendre assez les comédies : la décision en est précise dans les rituels ;
la pratique en est constante. On prive des Sacremens & à la vie & à
la mort, ceux qui jouent des comédies, s’ils ne renoncent à leur art ; on
les passe à la sainte table comme des pécheurs publics, on les exclue des
Ordres sacrés comme des personnes infâmes ; & par une suite infaillible,
la sépulture ecclésiastique leur est aussi refusée. Quant à ceux qui
fréquentent les comédies, comme il y en a de plus innocens les uns que les
autres, & peut-être quelques-uns qu’il faut plutôt instruire que blâmer,
ils ne sont pas repréhensibles en même dégré ; aussi l’Eglise ne fulmine pas
contre tous : mais de-là, il ne s’ensuit pas qu’il faille autoriser les
désordres publics, & c’est aux Pasteurs & aux Prédicateurs à les
instruire.
Il y a tant de décrets publics
contre les comédies, & tant de loix qui les défendent, qu’on ne peut
presque les compter. Si maintenant la coutume l’emporte, si l’abus prévaut,
ce qu’on en
doit conclure, c’est tout au plus que
la comédie doit être rangée parmi les maux & les désordres que l’on
défend toujours, & que l’on ne laisse pas de commettre. Mais après tout,
quand les loix civiles autoriseroient la comédie ; quand au lieu de flétrir
comme elles ont toujours fait les comédiens, elles leur auroient été
favorables ; les Prélats & les Prédicateurs, doivent imiter les
Chrysostômes & les Augustins qui pendant que les loix ne pouvoient
déraciner tous les maux, ou les souffroient, ou les permettoient, ces grands
hommes disoient hautement que ces abus & ces désordres étoient réprouvés
par la loi de l’Evangile.
Ce n’est pas avoir lû les Peres, que de dire qu’ils ne
blâment dans les spectacles de leur temps que l’idolâtrie, & les
scandaleuses & manifestes impudicités : ils blâment dans les spectacles
des théâtres, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de
l’esprit peu convenable à un Chrétien ; ils y blâment les passions excitées,
la vanité, la parure, les vains ornemens qu’ils mettent au nombre des pompes
que nous avons abjurées en naissant dans les eaux sacrées du Baptême ; le
desir de voir & d’être vû, la trop grande occupation à des choses
vaines : on trouvera dans les Peres toutes ces raisons de blâmer les
spectacles, & beaucoup d’autres.
Si nous sommes obligés de résister à nos
passions dès le commencement, nous ne le sommes pas moins d’éviter avec soin
tout ce qui est capable de les inspirer & de les entretenir. Or, il est
sans difficulté que rien n’est plus propre que ce qui s’appelle spectacles,
bals, comédies, opéra & autres semblables. C’est-là que l’esprit se
laisse enfler d’orgueil, quand il voit que l’ambition est le caractere
essentiel qu’on y donne toujours au héros de théâtre, & que le cœur se
laisse amollir par des amours feintes que
souvent
en font n’aître de véritables : c’est-là que l’ame se livre toute entiere
aux divers mouvemens de la joie & de la tristesse, de l’espérance &
de la crainte, de la pitié & de l’indignation : c’est-là enfin, que les
passions sont d’autant plus dangereuses, qu’on les ressent avec un plaisir
tout pur, exempt de ces peines & de ces inquiétudes qui les accompagnent
toujours, & qui servent quelquefois à les en dégoûter. Que peut-on voir
de plus opposé à l’humiliation de l’esprit, au détachement du cœur, à la
paix & à la tranquillité intérieure qu’un Chrétien doit travailler sans
cesse à se procurer de plus en plus, que ces pensées d’élévation, que ces
impressions de tendresse, ce trouble & cette agitation de toutes les
passions humaines ?
Tout ce qui se fait dans les
représentations malheureuses, ne porte qu’au mal, dit saint Chrysostôme :
les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards des
yeux, les mouvemens du corps, le son des instrumens, les sujets mêmes, les
intrigues des comédies ; tout y est plein de poison, tout y respire
l’impureté. Si quelqu’un dit qu’il n’y a au contraire dans les spectacles
d’aujourd’hui que des choses innocentes, honnêtes & agréables, il est
aisé de leur répondre avec Tertullien qui se fait la même objection, qu’on
n’a jamais vû mêler du fiel avec le poison que l’on cache plutôt dans les
ragoûts les plus exquis, & l’on déguise soigneusement les amertumes sous
la délicatesse des mêts. Le démon en use de même en répandant son venin sur
les choses de ce monde, qui sont les plus agréables. Je veux, dit ce Pere,
que tout ce que nous représentent les comédiens paroisse généreux, fin,
honnête, délicat, & qu’il soit même accompagné des charmes de la
musique ; il ne faut considérer tous ces agrémens que comme un breuvage de
miel mêlé de poison : soyez
donc en cela plus
touché du danger, que du plaisir.
Quel est d’ordinaire le but des comédies ? De tourner
la piété & la Réligion en ridicule, de rendre méprisables la pudeur
& la modestie, d’autoriser les foiblesses les plus honteuses, & les
désordres du cœur les plus criminels. On y voit les plus grands crimes
flattés & déguisés d’une maniere à les faire aimer ; les passions les
plus dangereuses ménagées avec art pour les faire plus aisément entrer dans
le cœur, soutenues d’ailleurs par des exemples illustres & par d’heureux
succès ; tout cela est exposé aux yeux des spectateurs par des personnes
parées fort immodestement, qui donnent aux maximes pernicieuses qu’elles
débitent dans les rôles qu’elles jouent, tout l’agrément du chant & de
la déclamation, & qui ne prennent peut-être que trop souvent les
passions qu’elles semblent feindre, ou du moins qui ne travaillent qu’à les
inspirer aux autres. Ces représentations donnent lieu à des rencontres,
& à des entrevues très-fatales à l’innocence. On y vient avec un cœur
fort disposé à recevoir les impressions les plus fâcheuses. Tout ce qu’on y
voit & tout ce qu’on y entend, excite & entretient ces impressions.
Parmi tant de dangers & tant d’écueils, comment la vertu &
l’innocence pourroient-elles se soutenir & se sauver ? La sainteté la
plus affermie & la plus consommée, tremble & ne croit pas être en
assurance dans les retraites les plus écartées ; & de jeunes personnes,
avec une vertu très-foible, avec des passions fort vives & un cœur fort
tendre, se croiront assez fermes pour s’exposer à un danger si certain &
si évident ?
L’oubli de Dieu, l’éloignement des Sacremens, la
négligence de ses devoirs, le libertinage & l’irréligion, voilà où ces
divertissemens conduisent pour l’ordinaire ceux qui y assistent : du moins
n’arrive-t-il pas communément qu’on y perde
le précieux thrésor de la Grace, & que la pudeur y recoive des atteintes
mortelles auxquelles on ne peut presque plus apporter de reméde ? Une jeune
personne vient aux spectacles, comme dit saint Cyprien, avec un cœur encore
pur & chaste, & elle en sort avec un cœur tout gâté & tout
corrompu ; tant d’images dangereuses qui restent dans l’esprit, & qui
donnent naissance à une foule de mauvaises pensées ; tant de vers tendres
& de chansons passionnées qui sont autant de leçons d’un amour profane
& criminel, & dont le souvenir qui ne peut presque plus s’effacer,
fait couler sans cesse dans l’ame un poison subtile & mortel ; c’est ce
que la jeunesse en remporte, & ce qui cause ensuite cette corruption de
mœurs dont on ne sauroit trop gémir.
Considérez ce que c’est que
tous ces spectacles profanes, où est employé tout ce qui peut allumer le feu
de la passion : objets séducteurs, scènes agréables, décorations pompeuses,
habits magnifiques, mystères d’amour ingénieusement expliqués, airs
languissans, récits pleins de tendresse, acteurs poussant les plus doux
traits de la passion, concerts harmonieux, voix pénétrante, actions
empoisonnées, enchantemens diaboliques, inventions funestes de l’enfer :
examinez ce que c’est que tout cela pour vous, quelle impression votre cœur
en reçoit, en quelle disposition se trouvent alors vos sens : jugez-en par
le présent, par le passé ; & si vous êtes de bonne foi, je m’assure que
vous direz, que sans avoir égard aux autres, vous trouverez en tout cela une
occasion prochaine & personnelle de péché.
Voici à peu-près la maniere dont les gens du monde
justifient les bals, les danses, les comédies, & autres semblables
divertissemens : ce sont
des choses, disent-ils,
qui sont purement indifférentes d’elles-mêmes, & qui ne sont péchés que
par le mauvais usage qu’on en fait ; car enfin, quelque austérité que l’on
ait dans les mœurs, on ne peut pas dire qu’écouter précisément des acteurs
qui récitent un poëme, où l’on fait voir le crime puni & la vertu
récompensée, où il ne s’agit que d’un amour vertueux & légitime qui
n’aboutit qu’à un lien sacré : quelque sévére, disent-ils, que l’on soit, on
ne peut pas dire que ce soit un péché en soi-même. Il en est ainsi du bal,
ou des autres assemblées ou spectacles, où l’on suppose qu’il ne se trouve
que des gens d’honneur & de probité : si donc l’on péche dans ces
occasions, ce n’est que la mauvaise intention des particuliers, qui en est
la cause, & nullement le spectacle, qui est de soi indifférent, &
qu’on peut rendre bon ou mauvais, selon la disposition dans laquelle on est.
C’est ainsi que parle le monde ; mais ce n’est pas ainsi que parlent les
Saints. Le saint Homme Tobie ne vouloit point entendre parler de jeux ni de
danses :
Nunquam cum ludentibus miscui me. Le Prophète
Jérémie assure qu’il ne s’est jamais trouvé dans ces sortes d’assemblées :
Non sedi cum concilio ludentium : si ces
sortes de spectacles & de divertissemens avoient été indifférens,
Prophète, vous n’auriez pas parlé de la sorte.
Saint Jerôme, parlant des danseurs, dit que c’est le
démon qui danse dans leurs personnes, & qu’il se sert de ces lâches
ministres pour séduire & tromper les hommes : His
tripudiis diabolus saltat, his dæmonum ministris homines
decipiuntur. En effet, tout ce que la volupté▶ est
capable d’employer d’artifice, est attaché au bal, à la danse, & à la
comédie. Si je demande à une Dame du monde, quel dessein avez-vous quand
vous vous préparez au bal ? vous faites tout ce que vous pouvez
pour vous parer, vous employez tous les artifices
imaginables, vous ajoûtez, autant que vous pouvez, à la beauté que la nature
vous a donnée : mais quel est votre dessein ? c’est pour vous faire voir,
c’est pour vous rendre agréable ; & qu’est-ce qu’il en arrive ? une
fille chrétienne qui ayant vécue dans la modestie, croyant qu’il lui est
permis de prendre quelque chose d’extraordinaire, se met au hasard de se
perdre. Voilà le premier pas du démon, c’est par l’ornement que vous
apportez au bal qu’il commence à vous gagner ; il débauche votre cœur : mais
quand vous y êtes, qu’y faites-vous ? Tout ce qui vous est possible pour
paroître agréable, charmante, & pour être du nombre de celles à qui on
vient rendre des hommages ; & n’est-ce pas là pour donner une étrange
atteinte à la pudeur ? Il n’est pas permis de dire toutes choses : mais il
est certain que comme on y est libre, on y fait des déclarations qu’on
n’oseroit faire autre part ; & dans ce malheureux commerce, on forme des
alliances qu’on entretient secrettement : & qu’en arrive-t-il ? des
suites déplorables pour des familles.
Le
premier desir qui emporta saint Augustin avec plus de violence, fut celui
des spectacles, spectacles qui lui furent si pernicieux, & qu’on regarde
aujourd’hui comme innocens : c’est-là où le démon forge les traits de feu
qui enflamment la convoitise, & où la mort entre par tous les sens ;
c’est-là où l’on apprend le crime en le voyant, où l’image des choses que
l’on représente fait de malheureuses impressions qui ne s’effacent presque
jamais ; où une intrigue d’amour profane, de vengeance, ou de quelqu’autre
passion représentée avec adresse, nous donne de l’amorce pour le même vice ;
où le malheureux plaisir qu’on goûte en voyant tous les ressorts que le
péché met en
œuvre, devient un appas pour le
commettre.
J’ai remarqué, qu’avant même la publication
de l’Evangile, parmi les Peuples les mieux policés, tous ceux qui servoient
aux plaisirs des autres, ont toujours été estimés infâmes ; les Comédiens,
les Baladins, les Danseurs, & tous les autres ministres de la ◀volupté▶.
Ce qui est une preuve invincible que ces Peuples étoient persuadés que les
hommes n’étoient point nés pour ces plaisirs ; car autrement, pourquoi noter
ces personnes d’infâmie, si ce qu’elles font est selon l’ordre de la raison
& de la nature ? Nous les regardons de même selon nos loix & nos
coutumes : cependant ces hommes ne s’adonnent à ces exercices estimés
infâmes, que pour servir à nos plaisirs. Comment donc en allant dans ces
lieux où se représentent ces spectacles, pouvez-vous espérer de vous
conserver un honneur qu’on leur ôte ? Si vous n’alliez point à la comédie,
dit saint Chrysostôme, il n’y auroit point de comédiens : vous contribuez
donc à leur péché, dit ce Père, & vous serez aussi punis comme eux.
Si les
peintures immodestes raménent naturellement à l’esprit ce qu’elles
expriment, & que pour cette raison on en condamne l’usage, combien plus
sera-t-on touché des expressions du théâtre où tout paroît effectif, où ce
ne sont point des traits morts & des couleurs seiches qui agissent, mais
des personnages vivans, de vrais yeux, ou ardens, ou tendres, ou plongés
dans la passion ; que vraies larmes dans les acteurs qui en attirent d’aussi
véritables dans ceux qui regardent ; enfin, de vrais mouvemens qui mettent
en feu tout le parterre ? Aussi que fait un acteur lorsqu’il veut jouer
véritablement une passion, que de rappeller, autant qu’il peut, celles qu’il
a ressenties ? & pour les exprimer, il faut qu’elles lui reviennent avec
tous leurs agrémens empoisonnés, & toutes
leurs graces trompeuses. Mais tout cela, dira-t-on, paroît sur les théâtres
comme une foiblesse, je le veux : mais il y paroît comme la foiblesse des
Héros & des Héroïnes ; enfin, comme une foiblesse si artificieusement
changée en vertu, qu’on l’admire, qu’on lui applaudit sur tous les théâtres,
qu’elle doit faire une partie si essentielle des plaisirs publics, qu’on ne
peut souffrir de spectacle ou non-seulement elle ne soit, mais encore où
elle ne regne & n’anime toute l’action.
On est assez persuadé que la
représentation des passions agréables porte naturellement au péché, quand ce
ne seroit qu’en flattant & en nourrissant, de dessein prémédité, la
convoitise qui en est le principe. On répond que pour prévenir le péché, le
théâtre purifie l’amour profane, que la scène, toujours honnête dans l’état
où elle paroît aujourd’hui, ôte à cette passion ce qu’elle a de grossier
& d’illicite ; que ce n’est, après tout, qu’une innocente inclination
pour la beauté qui se termine au nœud conjugal. Mais on se trompe ; car
encore que vous ôtiez en apparence à l’amour profane, ce grossier & cet
illicite dont on auroit honte ; il en est inséparable sur le théâtre, de
quelque maniere que vous vouliez qu’on le tourne & qu’on le dore : dans
le fonds ce sera toujours, quoiqu’on en puisse dire, la concupiscence de la
chair, que saint Jean défend de rendre aimable, puisqu’il défend de l’aimer.
Le grossier que vous en ôtez feroit horreur, si on le montroit ; &
l’adresse de le cacher, ne fait qu’y attirer les volontés d’une maniere plus
délicate, & qui n’est que plus perilleuse lorsqu’elle paroît épurée.
Croyez-vous en vérité, que la subtile contagion d’un mal dangereux demande
toujours un objet grossier, ou que la convoitise soit corrigée ou ralentie
par
l’idée du mariage que vous lui mettez devant
les yeux dans vos héros & vos héroïnes passionnés ?
Il n’y a guére eu que ce siécle-ci où l’on ait
prétendu justifier la comédie, & la faire passer pour un divertissement
qui se pouvoit allier avec la dévotion : les autres étoient plus simples
dans le bien & dans le mal. Ceux qui y faisoient profession de piété,
témoignoient par leurs actions & par leurs paroles, l’horreur qu’ils
avoient de ces spectacles profanes : ceux qui étoient possédés de la passion
du théâtre, reconnoissoient au moins qu’ils ne suivoient point en cela les
régles de la Religion chrétienne ; mais il s’est trouvé des gens dans
celui-ci, qui ont prétendu pouvoir allier sur ce point la piété avec
l’esprit du monde : on ne se contente pas de suivre le vice, on veut encore
qu’il soit honoré, & qu’il ne soit pas flétri par le nom honteux de
vice, qui trouble toujours un peu le plaisir que l’on y prend, par l’horreur
qui l’accompagne. C’est à quoi on a beaucoup travaillé au sujet de la
comédie ; car, comme il n’y a guére de divertissement plus agréable aux gens
du monde que celui-là, il leur étoit fort important de s’en assurer avec une
jouissance douce & tranquille, afin que rien ne manquât à leur
satisfaction.
La comédie est un
métier où les hommes & les femmes représentent des passions de haine, de
colere, d’ambition, de vengeance, & principalement d’amour : il faut
qu’ils les expriment le plus naturellement & le plus vivement qu’il leur
est possible ; & ils ne le sauroient faire, si en quelque sorte ils ne
les excitent en eux-mêmes. Il faut donc que ceux qui représentent une
passion d’amour, en soient en quelque sorte touchés, pendant qu’ils la
représentent. Ainsi la comédie, par sa nature même, est une Ecole & un
exercice de
vices, puisqu’elle oblige
nécessairement à exciter dans soi-même & dans les autres, des passions
vicieuses. Il faut donc avouer que c’est un emploi profane & indigne
d’un Chrétien ; que ceux qui l’exercent sont obligés de le quitter, comme
tous les Conciles l’ordonnent, & par conséquent qu’il n’est point permis
aux autres de contribuer à les entrenir dans une profession contraire au
Christianisme, ni de l’autoriser par leur présence.
La comédie ne peut passer pour un divertissement dans
le Christianisme, ne pouvant avoir l’effet qu’il est permis d’y chercher ;
car le Chrétien ne doit chercher qu’un simple délassement d’esprit, qui le
rende plus capable d’agir chrétiennement : or, tant s’en faut que la comédie
y puisse servir, vû qu’il n’y a rien qui rende l’ame plus mal disposée
non-seulement aux principales occupations chrétiennes comme la priere, mais
aux actions mêmes les plus communes, lorsqu’on les veut faire en esprit de
Chrétien, c’est-à-dire, avec un esprit recueilli attentif à Dieu, qu’il faut
tâcher, autant que l’on peut, de conserver dans les actions exterieures.
Ainsi, comme le besoin que nous avons de manger, ne fait pas qu’il nous soit
permis de manger de viandes qui ne servent qu’à affoiblir le corps ; de même
le besoin de se divertir ne peut excuser ceux qui cherchent des
divertissemens qui ne font que rendre leur esprit moins propre à agir
chrétiennement.
Le desir de plaire est ce qui conduit l’Auteur ; & le
spectateur est conduit par le plaisir de voir peintes des passions
semblables aux siennes : notre amour-propre est si délicat, que nous aimons
à voir les portraits de nos passions aussi-bien que de nos personnes ; il
est même si incompréhensible, qu’il fait, par un étrange renversement, que
ses portraits deviennent souvent des modéles, &
que la comédie, en peignant les passions d’autrui, émeut
notre ame d’une telle maniere, qu’elle fait naître les nôtres, qu’elle les
nourrit, qu’elle les échauffe, qu’elle leur inspire de la délicatesse, &
qu’elle les rallume même lorsqu’elles sont éteintes.
Ce qui est de
plus déplorable en cette matiere, c’est que les Poëtes sont maîtres des
passions qu’ils traitent ; mais ils ne le sont pas de celles qu’ils ont
ainsi émues. Ils sont assurés de faire finir celles de leur héros & de
leur héroïne avec le cinquiéme acte, & que les comédiens ne diront que
ce qui est dans leur rôle ; mais le cœur émû par cette représentation n’a
pas les mêmes bornes, il n’agit pas par mesure : dès qu’il se trouve attiré
par son objet, il s’y abandonne selon toute l’étendue de son inclination ;
& souvent après avoir résolu de ne pousser pas les passions plus avant
que le héros de la comédie, il s’est trouvé bien loin de son compte.
L’esprit accoutumé à se nourrir de toutes les manieres de traiter la
galanterie, n’étant plein que d’aventures agréables & surprenantes, de
vers tendres, délicats & passionnés, fait que le cœur dévoué à tous ces
sentimens n’est plus capable de retenue.
Quoi qu’on veuille dire que le
théâtre ne souffre plus rien que de chaste, & que les passions y sont
traîtées de la maniere du monde la plus honnête, je soutiens qu’il n’en est
pas moins contraire à la réligion Chrétienne, & j’ose même dire que
cette apparence d’honnêteté & le retranchement des choses immodestes le
rend beaucoup plus à craindre. Il n’y auroit que les libertins qui pussent
voir les pieces des honnêtes ; les femmes de qualité & de vertu en
auroient de l’horreur ; au lieu que l’état présent de la comédie ne faisant
aucune peine à la pudeur attachée à leur sexe, elles ne se défendent pas
d’un poison aussi dangereux, & plus caché que l’autre.
Les Puissances
ecclésiastiques ont apporté le reméde autant qu’il leur a été possible à ce
désordre public. Salvien nous assure qu’on ne recevoit personne au Baptême,
s’il ne renonçoit à ces divertissemens comme aux pompes du démon. Le sixiéme
Concile de Constantinople dépose les clercs, excommunie les laïcs qui
donnent ces divertissemens criminels au public. Deux Conciles d’Arles
défendent de recevoir les acteurs à la Pénitence, s’ils ne renonçent à une
profession qui ne s’applique qu’à inspirer des crimes, & qui est
coupable de tous ceux qu’elle fait & qu’elle peut faire commettre. Mais
parce que tous les foudres de l’Eglise ne sont pas capables d’arrêter la
fureur qu’on a pour ces sortes de divertissemens qu’elle juge si criminels,
les Puissances séculieres ne sont pas excusables, si elles ne prêtent leurs
bras & leurs forces à l’Eglise pour reprimer ces ennemis publics des
bonnes mœurs… Quoi ! un Magistrat souffriroit sans péché qu’on joue des
comédies scandaleuses, il souffriroit que la pudeur, que la piété, que la
charité, que les autres vertus fussent bafouées sur un théâtre &
traduites en ridicules ? Pourquoi recevoir l’épée de la justice si on ne
s’en sert contre ces ennemis déclarés de Dieu & des hommes ? On débitera
des maximes impies ; on inspirera le mépris de Dieu & de toutes ses
loix ; & un Magistrat se croira aussi innocent qu’il est insensible,
& il négligera de remédier à des déréglemens qui ne peuvent être arrêtés
que par une autorité qu’il a reçue de Dieu ?
Telle a toujours été la
conduite de l’Eglise à l’égard des abus qu’elle n’a pû abolir ; gémissant
sur l’empressement que font paroître les peuples, & quelquefois même les
Magistrats pour des pratiques condamnables, elle n’ose en venir à des
extrêmités, & se contente d’ordonner à ses
Ministres de travailler à désabuser les peuples, & à leur donner de
l’horreur de tous les divertissemens dangéreux qui les enchantent. C’est
ainsi qu’en usa le Restaurateur de la discipline ecclésiastique, le grand
saint Charles ; car, ne pouvant abolir les spectacles, il fit ordonner au
troisiéme Concile Provincial, que les Prédicateurs reprendroient avec force
le déréglement de ces plaisirs publics que les hommes séduits par une
coutume dépravée, mettoient au nombre des bagatelles où il n’y a point de
mal ; qu’ils décriroient avec exécration les spectacles, les jeux, les
boufonneries du théâtre, &c. Les Conciles jusqu’aprésent n’ont pas cessé
de fulminer contre les spectacles, quoique depuis plusieurs siécles, le
théâtre ne soit plus tel qu’il étoit dans les premiers. Le changement qui
s’y est fait, n’a pû faire entierement lever l’anathême. La discipline sur
ce point a toujours été uniforme : les Canons ont été sans cesse
renouvellés ; & si les gens du monde passionnés pour les spectacles
cherchent des approbateurs, qu’ils se souviennent de ce qu’a dit saint Paul,
qu’il viendra un temps que les hommes ne pourront plus
souffrir la saine doctrine, & qu’ayant une extrême démangeaison
d’entendre ce qui les flatte, ils auront recours à des Docteurs
propres à satisfaire leurs desirs. Ajoutez, qu’ils sont
accablés par ce torrent de passages des Conciles & des Peres, qui depuis
le premier jusqu’au dernier, ont condamné les spectacles, & employé la
ferveur de leur zele & la vivacité de leur éloquence pour en donner de
l’horreur aux fideles.
Les jeunes personnes vont au bal, & dans
des assemblées pour se faire connoître ; mais c’est en effet pour se
déshonorer elles-mêmes. Car, c’est dans ces rencontres que les yeux s’y
trouvent aussi libres, que les pieds & que les mains ; les paroles à
double sens s’y font entendre distinctement, le
bruit & le tumulte de l’assemblée y laisse dire beaucoup de choses que
la retenue ne permettroit pas ailleurs ; les libertés qu’on croit illicites
dans d’autres endroits semblent demeurer ici permises : d’ailleurs, la nuit
qu’on choisit ordinairement pour ces assemblées, comme étant l’ennemie de la
pudeur & la confidente des crimes, donne de la hardiesse aux plus
timides pour tenter leurs pernicieux desseins ; & les filles croient
être plus parfaites pour savoir bien danser, que pour savoir bien vivre.
Quoique les jeunes gens des deux sexes
soient par-tout dangereux l’un à l’autre, c’est néanmoins particulierement
dans les danses que le péril est évident & presqu’entierement
inévitable. Dans les occasions de scandales dont le monde est rempli, nous
ne sommes pas sollicités au mal en même temps par tous les endroits par
lesquels nous en sommes susceptibles : mais comme remarque Salvien, ou
l’esprit seul est attaqué par des pensées contraires à la pureté, ou les
yeux sont frappés par des objets déshonnêtes, ou l’oreille est flattée par
des discours messéans ; desorte que si quelqu’un de ces sens se laisse
engager dans le péché, les autres peuvent en même-temps en être exempts,
& servir à l’ame de moyen pour se relever de cette chûte : mais dans les
bals, dans les danses, le démon attaque l’esprit des jeunes gens par tous
les endroits par lesquels il peut inspirer le vice. Vous diriez qu’il a
ramassé dans un même lieu tout ce qui peut donner entrée aux plaisirs
sensuels ; l’oreille y est charmée par les concerts ; les yeux par-tout ce
que le luxe & la vanité peuvent étaler de plus agréable. Le plaisir qui
se rencontre dans les odeurs, y est réveillé par les parfums & par les
senteurs. Enfin, il s’y fait comme une générale conspiration de tout ce que
la ◀volupté▶ à d’attraits & de charmes pour amolir le cœur de l’homme
& pour flatter ses passions. On
prend garde
de n’inviter à ces assemblées, que des personnes qui plaisent &
auxquelles on puisse plaire. Celles qui sont invitées, ne s’appliquent qu’à
se rendre agréables ; elles passent les journées entieres à se parer, à
s’ajuster, à cacher autant qu’il se peut tous les défauts de leurs visages,
elles employent toutes les afféteries, toutes les adresses & tous les
artifices imaginables, afin d’arrêter & de tromper les yeux de ceux qui
les regardent.
Le
spectacle n’est plus une amusement vuide & oisif. C’est un assemblage
vif & séduisant de tout ce qui peut plaire, qui ne tend qu’à enchanter
l’esprit & les sens par mille charmes, & attendrir le cœur par tout
ce que les passions ont de plus insinuant & de plus dangereux. Le
théatre perdroit son agrément sans ce pernicieux artifice : on veut être émû
& touché par le spectacle ; la scene languit, si elle n’irrite quelque
passion. Tout y concourt à séduire l’ame & à l’amollir ; le cœur conduit
par les oreilles & par les yeux s’attache à tout ce qui le charme ; la
raison suspendue par l’enchantement se tait ; rien n’est du goût, que ce qui
flatte les sens ; & parmi tant d’objets si capables de plaire, & qui
plaisent en effet, l’ame sera-t-elle maîtresse de ses desirs ? Ces
spectacles profanes ne sont à proprement parler, qu’une savante école de
toutes les passions ; on y fait avec éclat & avec succès des leçons
publiques de galanterie, de fourberie, de vengéance, d’ambition ; on y
apprend à conduire habilement une intrigue, à éluder la scrupuleuse
vigilance des parens, à surprendre par mille ruses la bonne foi, à ne tendre
jamais à faux des piéges à l’innocence ; à se défaire en habile homme d’un
concurrent, à se venger à coup sûr d’un ennemi, à élever sa fortune sur les
débris de celle d’autrui, & comme ce sont des leçons flatteuses
auxquelles les acteurs donnent un merveilleux relief,
quels progrès une passion vive & ardente, insmuée
avec tant d’artifice, ne fait-elle pas dans un cœur où elle trouve déja de
si grandes dispositions ? Tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend sur le
théâtre ne s’adresse qu’aux sens & à la cupidité, parures, décorations,
chants, harmonies, assemblées, tout tente ; & à force de goûter ce qui
enchante, on trouve des charmes dans les piéges, & on se sait bon gré
d’être tenté. On s’apprivoise aisément avec ce qui plaît, quelque danger qui
s’y trouve. La douceur du poison en fait oublier les funestes suites ; on ne
voit plus rien de honteux dans les passions, dès qu’elles ont été déguisées
sur le théâtre, & embellies par l’art ; & à force d’admirer &
d’applaudir, on apprend à ne rougir de rien.
On se trompe de dire que l’Evangile, que l’Ecrire sainte
ne condamnent nullement ces divertissemens profânes : ils ne les défendent
pas en particulier, quelque part, parce qu’ils les condamnent par-tout ;
car, que signifie autre chose, tout ce que l’Ecriture sainte dit de la
pureté du cœur, qui est comme la base de la vie chrétienne ; tout ce qu’elle
dit de la mortification des sens, de la légereté de l’esprit, de la
foiblesse de la chair, de la force des passions, de la malice, & des
ruses du tentateur, du danger de s’exposer aux moindres occasions d’être
tenté ; enfin, tout ce qu’on dit de l’attention, & de la vigilance sur
les desirs, de la modération des plaisirs, de la perversité des maximes
& des joies mondaines, de sorte que tout l’Evangile lui-même est une
manifeste condamnation des spectacles si communs dans notre siécle.
Ceux qui aiment le
bal, les jeux, la comédie, les spectacles, & qui suivent le luxe &
les vanités du siécle, ne veulent point entendre traiter chrétiennement ces
matieres, afin de pécher plus librement & sans inquiétude. On a beau
leur dire qu’il
y a des jeux défendus, des
spectacles & des assemblées dangereuses ; ils s’en moquent, ferment les
yeux & se bouchent les oreilles pour ne point voir ni entendre toutes
ces choses qui leur déplaisent. Je sais, avec saint Grégoire, qu’il y a des
divertissemens permis. Mais nous entendons parler ici de ceux qui sont
défendus, comme sont les bals, les comédies & autres spectacles de cette
nature qui sont dangereux & corrompent les bonnes mœurs.
Si vous entrez dans la chambre de cette personne
qui se dispose d’aller au bal, vous la trouverez devant un miroir, le
consultant sans cesse, environnée de filles de chambre qui s’étudient à
orner sa tête de frisures, de rubans ; elle pratique mille inventions pour
attirer les yeux de l’assemblée ; & Dieu veuille qu’elle n’ait point
encore de plus mauvais desseins. Si elle a quelque défaut naturel, on
supplée à tout ; les poudres changent la couleur des cheveux ; le fard unit
le visage ; l’habillement est plein d’artifices pour corriger les défauts,
& pour couvrir les difformités de sa taille : on charge ensuite le corps
de rubans dont la diversité des couleurs répond à la diversité des
passions ; on met enfin mille autres agrémens, où l’on croit qu’ils auront
de l’éclat. On étudie avec affectation ses démarches, ses regards, ses
gestes, son discours, & généralement tout ce qu’on doit faire pour
plaire au monde.
Divers Passages de l’Écrituresur ce sujet.
C
um appropinquasset
Moyses ad castra, vidit vitulum & choros, iratusque
valdè projecit tabulas.Exod. 32.
Moyse s’étant approché du camp, vit le veau d’or &
les danses, & fort en colere jetta les tables de la Loi
& les rompit aux pieds de la
montagne.
Filii hominum, ut quid diligitis
vanitatem ?Psal. 4.
Enfans des hommes, pourquoi aimez-vous les choses vaines
& frivoles ?
Me irritaverunt in vanitatibus suis.Deuteron. 32.
Ils ont excité mon indignation & ma colere par leurs
vanités.
Odisti observantes vanitates.Ps. 30.
Vous haïssez, Seigneur, ceux qui s’adonnent à des choses
vaines.
Beatus vir qui non respexit in vanitates
& insanias falsas.Ps. 39.
Bienheureux est l’homme qui ne s’est point arrêté à
regarder les vanités & toutes les folies des
mondains.
Qui amat periculum peribit in illo.
Eccli. 3.
Celui qui aime le péril y
périra.
Cum saltatrice ne assiduus sis.Eccli. 9.
N’ayez ni commerce, ni familiarité avec une femme
danseuse.
Die natalis Herodis, saltavit filia
Herodiadis, & placuit Herodi.Matth. 14.
Comme Herode célébroit le jour de sa naissance, la fille
d’Herodiade dansa, & lui plut.
Que tout ce qui est véritable & honnête soit
l’entretien de vos pensées.
Sentimens des Saints Peressur ce sujet.
Second Siécle.
I
n theatris conspicies, quod tibi dolori sit
& pudori.Cyprian. Epist. ad
Donat.
C
e que vous
verrez représenter sur les théâtres vous causera de la
honte & de la douleur.
Exempla fiunt quæ esse jam facinora
destiterunt.Idem.
Ibid.
On s’autorise des choses qui se représentent sur les
théâtres, & dès-là qu’on ne les regarde plus comme
des crimes, ce sont des exemples qu’on croit devoir
imiter.
Quæ pudica fortasse ad spectaculum
matrona processerat, de spectaculo revertitur
impudica.Id. Ibid.
La femme qui étoit allée au spectacle chaste, en
revient sans pudeur.
Diabolus artifex quia idololatriam per
se nudam sciebat horreri, spectaculis miscuit, ut
per voluptatem posset amari.Id. Libr. de Spectac.
Le démon sachant qu’on auroit horreur de l’idolâtrie
si on la représentoit toute nue, la fait paroître sur le
théâtre accompagnée des ris & des jeux pour la faire
aimer plus aisément.
Ab omnibus ad spectaculum concurritur,
commune dedecus delectat, vel recognoscere vitia,
vel discere. Id. Ibib.
Tout le monde court aux spectacles, & l’on se
fait un plaisir malin, ou de reconnoître les vices des
autres, ou de les apprendre.
In his spectaculis
depositâ verecundiâ, audacior
aliquis fit ad crimina ; discit facere, dum
consuescit videre.Id. Ibid.
A ces spectacles on met bas la pudeur, on devient
plus hardi à commettre le crime, on apprend à faire ce
qu’on s’accoutume de voir.
Citò in hoc afluescimus quod audimus
scelere.Id. Ibid.
On n’est pas long-temps à s’accoutumer au crime
qu’on entend & qu’on voit
représenter.
Avocandus est animus ab istis, habet
Christianus spectacula meliora si velit.Id. Ibid.
Un Chrétien doit fuir ces spectacles, il en peut
trouver de plus sortables à son état, s’il
veut.
Troisiéme Siécle.
Viri & fœminæ communes
constituentes choros, sese invicem libidinum telis
confudiunt, atque lacerant.Basil. Homil. 4. in ebriet. &
luxum.
Les acteurs & les actrices des comédies se
percent & se déchirent mutuellement par les traits
des passions qu’ils représentent.
Quatriéme Siécle.
Ne tantum peccata fugiamus, sed ea
etiam quæ videntur indifferentia, quæ paulatim in
hoc pertrahunt. Chrysostom. Hom. 5. ad Pop.
Antioch.
N’évitons pas seulement les péchés grossiers, mais
même les choses qui paroissent indifférentes, parce
qu’elles conduisent insensiblement au
crime.
Nihil obscenius illo oculo, qui
spectare talia patienter potest.Idem. Ibid.
Il n’y a rien de plus gâté, que l’œil qui peut voir
ces spectacles avec patience.
Quidquid illuc dicitur & fit,
satanæ
pompa est.Id. in Prefat. Comment. in
Joan.
Tout ce qui se dit & se fait sur le théâtre ne
sert qu’à célébrer les pompes de
satan.
Quid ibi verecundiæ potest esse ubi
saltatur ?Ambr. Lib. 3. de Virg.
Quelle pudeur peut-on trouver là où l’on
danse ?
Cinquiéme Siécle.
Rapiebant me spectacula theatrica,
plena imaginibus miseriarum mearum, & fomitibus
ignis mei.S. Aug. Lib. 3. Confess.
c. 2.
Les spectacles de théâtre qui me faisoient voir les
images de ma misere & le feu de ma passion, me
ravissoient & me charmoient.
Les spectacles sont la peste des ames, la
destruction de la probité & de
l’honnêteté.
Noms des Auteurs & des Prédicateurs qui ont écrit
& prêché sur ce sujet.
Saint Augustin, Livre 3. de ses Confessions, chap. 2.
parle amplement des vains spectacles des théâtres.
Le même, Liv. 2. de la Cité de Dieu, montre que les Romains tenoient pour
infâmes les comédiens.
Tertullien a fait un Livre entier des Spectacles.
Saint Cyprien a fait un Traité particulier des Spectacles.
Saint François de Sales, dans son Livre de l’Introduction à la vie
dévote, parle contre les bals, les danses, &c. Part. 3. chap. 32.
& 33.
Le P. Heliodore de Paris, Capucin, dans son Livre intitulé : Discours sur les Plaisirs, en a un entier des comédies.
S. Charles Borromée, dans un excellent Traité qu’il a fait sur les
danses, &c. montre que les
plaisirs sont
condamnés par l’Ecriture Sainte, par les Conciles & par les
Peres.
Le Sérénissime Prince de Conti a donné au Public un Traité de la Comédie
& des Spectacles, selon la Tradition de l’Eglise.
M. Thiers, Curé de Champrond, dans son Traité des jeux & des
divertissemens, au chap. 25. parle des bals & des comédies.
M. Nicole a fait un Traité sur la comédie.
M. l’Evêque de Meaux a fait sur ce sujet un Traité intitulé : Maximes & Réflexions sur la Comédie.
Le P. Croiset, dans ses Réflexions spirituelles, parle du bal, de la
comédie, des spectacles.
Le P. le Jeune, Sermon 16. parle contre les danses.
Dans les Essais de Sermons, il y en a un au 23e Dimanche après la Pentecôte, qui est contre les jeux, danses
& spectacles publics.
Le P. Cheminais dans son Discours sur la Conception de Notre-Dame parle
contre la comédie.
L’Auteur des Sermons sur tous les sujets de la Morale Chrétienne, dans
les sujets particuliers, Tome 2. a un Sermon contre les bals, comédies,
& autres spectacles.
Plan et Objet d’un Discours suivisur les Spectacles.
Facta autem die egressus, ibat in desertum locum.
Luc. c. 4. v. 42.
Le jour étant venu il sortit dehors, & s’en alla dans un
lieu désert.
Vous le savez, les démarches de
Jesus-Christ sont toujours des instructions & des exemples pour nous ;
s’il se retire dans le désert, c’est pour nous apprendre, si-non à fuir le
monde comme lui, du moins à éviter les occasions dangereuses qu’il renferme.
Or, pour appliquer cette instruction à notre siécle, quoi de plus dangereux
parmi nous, que ces théâtres profanes où le monde court en foule ? S’il est
des périls à éviter sur la terre, n’est-ce pas dans ces assemblées que se
trouvent les plus grands ? n’est-ce pas là que le pere du mensonge regne en
Souverain ? n’est-ce pas là qu’il débite ses maximes, qu’il distille son
poison, qu’il allume ses flammes ? n’est-ce pas là qu’il égorge les victimes
dont il doit se rassasier au jour des vengeances ? On le comprendroit
sans-doute, si l’on envisageoit les obligations du Christianisme, & si
l’on avoit un reste de zele pour son salut ; mais comme on ne cherche qu’à
s’aveugler pour satisfaire ses passions, on ferme les yeux sur les dangers
que les spectacles renferment.
Dans les premiers siécles, plus
simples dans le bien & dans le mal, ceux qui faisoient profession de
piété, témoignoient par leurs discours & leur conduite, l’horreur qu’ils
avoient pour les
spectacles, & ceux qui se
les permettoient, reconnoissoient du moins qu’ils ne suivoient point en cela
les regles de la Religion. Mais parmi nous, où l’on trouve l’art de
concilier le devoir avec le plaisir, peu-content de s’abandonner au vice, on
veut encore qu’il ne soit pas flétri de ce nom honteux, & on tâche
d’accommoder la passion avec la conscience pour n’être pas troublé par ses
remords : de-là ces discours insensés par lesquels on prétend qu’il n’y a
point de mal à fréquenter ces assemblées ; de-là, la séduction des autres
qui entraînés par l’exemple, courent s’y livrer tous les jours ; de-là, la
malheureuse sécurité de tous qui étouffent le cri de leurs consciences,
& ne pensent pas même à s’accuser d’une prévarication si criante. Est-il
de plaie plus funeste à la Religion ? Pour venger l’injure qu’elle reçoit
d’une prévarication si funeste, d’une contagion si universelle, essayons, à
l’exemple des grands Maîtres de la Vie Spirituelle, d’ouvrir les yeux à tant
d’aveugles qui se précipitent dans le danger. Faisons leur voir combien ils
se rendent coupables par la fréquentation des spectacles.
Je fais tout ce que j’entreprends, en attaquant un
abus qui a autant de défenseurs, qu’il est de sensuels dans le monde ; que
la raison prenant toute sorte de formes s’efforce de le justifier ; que la
coutume est un titre dont il s’autorise. Je sais même que l’indulgence des
Ministres qui passent légérement sur ce point est pour la plûpart un préjugé
qui les rassure : mais qu’importe que le monde s’en offense, pourvû que la
gloire de Dieu soit vengée ? Le glaive de la parole, dit Isaïe, ne nous est
pas confié pour ménager les pécheurs, mais pour couper jusqu’à la racine de
leurs vices. Plus l’aveuglement est grand, plus le zele Evangélique doit
éclatter ; & ne fût ce que pour jetter
le
trouble dans les consciences, la Vérité doit se faire entendre, & lancer
tous ses traits.
Or, pour traiter cette
matiere, mon dessein est d’exposer tout le mal des spectacles, & de
combattre les prétextes qu’on allégue pour ne les pas condamner ; ainsi je
vous ferai voir dans ma premiere Partie combien les spectacles sont
mauvais ; & dans l’autre, combien les raisons qui les justifient sont
frivoles.
Qu’il est
triste d’être obligé de prouver à des Chrétiens toute l’horreur qu’ils
doivent avoir pour les représentations profanes ! Depuis qu’un Dieu fait
Homme est venu nous apprendre à mortifier nos sens, à combattre nos
passions ; depuis que l’Eglise nous a fait promettre à la face du Ciel &
de la terre, de mourir au monde & à ses pompes, à la chair & à ses
desirs, à satan & à ses œuvres ; depuis que l’Evangile, toujours ouvert
& toujours expliqué, ne prêche par-tout que le renoncement aux joies
& aux vanités du siécle : instruits par tant de voix qui ne forment
qu’un même cri pour les convaincre de la sainteté de leur état,
devroient-ils avoir besoin que nous montions en Chaire, pour leur montrer
tout le crime qu’il y a dans ces divertissemens ; & ne devroient-ils pas
s’élever eux-mêmes contre une abomination si déplorable ? Cependant, à la
honte de la Religion, des hommes qui en font profession, se déclarent pour
des plaisirs si indignes d’un Chrétien : ils courent en foule les autoriser
par leur présence ; & quand la vertu en gémit, quand les gens de bien
s’en plaignent, quand les Ministres tonnent contre ces abus, tout l’effet de
leur discours est de faire demander à la plûpart : Quel est donc le mal des
spectacles ? Sans m’arrêter ici à déplorer un aveuglement si digne de
larmes, apprenons-leur donc aujourd’hui quel est le mal qu’ils ne veulent
pas connoître ; & leur rappellant le
véritable esprit du Christianisme, faisons-leur voir que les spectacles lui
sont entierement opposés dans leur nature & dans leurs effets. Je ne
veux que ces deux réflexions pour ouvrir les yeux à quiconque n’a pas
tenoncé à la foi & à l’espérance chrétienne.
Pour comprendre combien les spectacles
sont opposés au Christianisme dans leur nature, considerons ce que c’est
qu’un Chrétien, & ce que c’est que le spectacle lui-même, & nous
verrons combien l’un est indigne de l’autre.
Qu’est-ce qu’un
Chrétien ? Un Chrétien, disent les Peres, est un citoyen du Ciel qui, éxilé
pour quelque temps dans une terre étrangere, ne doit soupirer qu’après cette
patrie céleste pour laquelle il est destiné ; qui, ne perdant jamais de vue
la perfection à laquelle il est obligé de tendre, doit marcher sans cesse
dans la voie de Dieu pour y atteindre ; & qui, ne jugeant des choses de
la terre que par le rapport qu’elles ont avec l’éternité, s’interdit tout ce
qui peut l’attacher au monde, aux créatures, pour ne s’attacher qu’à Dieu.
Un Chrétien, c’est un homme qui, renonçant du fond de son cœur à tout ce qui
flatte les sens, ne doit s’occuper qu’à les mortifier ; c’est un homme qui,
ayant fait, comme le saint homme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne les
point arrêter sur aucun objet qui puisse corrompre la pureté de son ame,
doit vivre en Ange dans la maison d’argile qu’il habite : un Chrétien est un
homme dont les oreilles ne doivent entendre que ce qui est bon &
édifiant ; qui tout céleste dans ses pensées, tout spirituel dans ses
actions, ne vit que selon Dieu & pour Dieu : un Chrétien est un Disciple
de Jesus-Christ, qui tout occupé de ce divin Modéle, doit le retracer en lui
tout entier, qui adopte la Croix pour son partage, qui goûte une vraie joie
& une
vraie consolation dans les larmes de la
pénitence ; qui toujours armé du glaive de la mortification pour soumettre
la chair à l’esprit, doit combattre sans-cesse ses inclinations, réprimer
ses penchans : un Chrétien est un homme qui, convaincu que tout ce qui est
dans le monde, n’est, selon saint Jean, que concupiscence de la chair,
concupiscence des yeux & orgueil de la vie, ne voit dans ces assemblées
que périls, dans ces plaisirs que crimes ; un homme qui en marchant au
travers des créatures, doit craindre d’en être souillé : enfin un Chrétien
est un autre Jesus-Christ, qui le représente, qui l’imite dans toutes ses
actions, qui pense comme lui, qui agisse comme lui ; qui non-seulement s’est
engagé à marcher sur ses traces, mais qui a juré de ne s’en écarter jamais.
Voilà ce que c’est qu’un Chrétien, un homme mort au monde, à lui-même, &
aussi différent des enfans du siécle, que la lumiere l’est des ténébres.
Or, pour savoir si
cette idée peut s’allier avec celle des spectacles, il suffit d’examiner ce
que c’est que le spectacle : il suffit de remarquer, avec Tertullien, que
c’est une assemblée d’hommes mercenaires qui, ayant pour but de divertir les
autres, abusent des dons du Seigneur pour y réussir ; excitent en eux-mêmes
les passions autant qu’ils peuvent, pour les exprimer avec plus de force :
il suffit de penser, avec saint Augustin, que c’est une déclamation
indécente d’une piéce profane, où le vice est toujours excusé, où le plaisir
est toujours justifié, où la pudeur est toujours offensée, dont les
expressions cachent le plus souvent des obscènités, dont les maximes tendent
toujours au vice & à la corruption, dont les sentimens ne respirent que
langueur & mollesse, & où tout cela est animé par des airs qui étant
assortis à la corruption du cœur, ne sont propres
qu’à l’entretenir & à la fortifier : il suffit de comprendre que c’est
un tableau vivant des crimes passés, ou pour la façon de les peindre, ou en
diminuer l’horreur : il suffit de considérer, avec tous les Docteurs, que le
théâtre est un amas d’objets séduisans, d’immodesties criantes, de regards
indécens, de discours impies ; animés toutefois par des décorations
pompeuses, par des habits somptueux, par des voix insinuantes, par des sons
efféminés, par des enchantemens diaboliques. Or, voilà ce que c’est que le
spectacle, & ce que c’est qu’un Chrétien.
Or, rapprochant maintenant ces deux
idées, je vous demande si rien ne vous blesse dans leur accord ? je vous
demande s’il est convenable à un disciple de Jesus-Christ d’aller autoriser
par sa présence des hommes scandaleux ; d’aller contempler avec curiosité
des femmes sans pudeur, trop semblables à ces syrenes dont parle le Prophète
Isaïe, qui ne charment que pour donner la mort ; des femmes qui par des
attitudes étudiées, des gestes expressifs, répandent de tous côtés le poison
de la ◀volupté▶.
Je vous le demande,
s’il est bien digne d’un Chrétien dont les pensées doivent être toutes
saintes, d’aller écouter des maximes pernicieuses, d’autant plus propres à
corrompre le cœur, qu’elles sont présentées d’une maniere plus ingénieuse
& plus capable d’en imposer. Je vous le demande, si un Chrétien dont la
conversation doit être dans le Ciel, peut aller voir les indécences les plus
grossiéres, & entendre les discours les plus dissolus. Si, ne devant
connoître que la mortification & la pénitence, il doit fréquenter des
endroits où tout ne lui inspire que la mollesse, le plaisir. Enfin si, ayant
promis d’embrasser la Croix de Jesus-Christ & de mourir au monde, de
faire
vivre son Sauveur en lui, & de
continuer sa vie sur la terre, il peut se trouver dans des assemblées où
régne l’esprit du monde, où l’on apprend à vivre comme le monde, à se
conformer à ses maximes, à ses coûtumes, à ses usages criminels. Je vous
demande si un Chrétien fréquentant les spectacles, peut regarder cette œuvre
comme une œuvre de Jesus-Christ : car voilà sur quoi il faut vous demander à
vous-mêmes, si obligés par état de ne faire que des œuvres de Jesus-Christ,
de rapporter à Dieu tout ce que vous faites, la fréquentation des spectacles
doit être regardée comme une œuvre digne de lui. Pourriez-vous bien dire que
c’est par l’amour de Dieu que vous y allez ? Laissez répondre votre cœur,
c’est lui que j’interroge.
Quoi ! cette œuvre profane, inventée par satan, pour
perdre les ames, seroit une œuvre sainte & agréable au Seigneur ?
Jesus-Christ peut-il avoir part à des délassemens si coupables ? lui diriez
vous bien que c’est pour sa gloire que vous les prenez ? Quoi ! vous oseriez
lui dire : C’est pour vous, Seigneur, c’est pour l’amour de vous que je vais
aux spectacles ? c’est pour vous obéir, que je vais rendre hommage au démon
qui préside dans ces assemblées : ce sera votre esprit qui m’y conduira, ce
sera vous qui serez le principe de cette action ; c’est par votre Croix que
vous me l’avez méritée. O Dieu ! qui seroit assez endurci pour souffrir,
sans horreur, toute l’impiété de ce langage ? Si vous ne pouvez pas dire que
la fréquentation des spectacles est une action dont l’Esprit de Dieu soit le
principe, ce n’est donc pas pour J. C. que vous y allez ; & si votre
œuvre n’est pas faite pour lui, si elle n’est pas de nature à pouvoir être
rapportée à Dieu, que peut-elle être, si-non une œuvre que la cupidité
produit, par
conséquent indigne de lui, & qui
étant mauvaise, ne mérite que ses châtimens & la damnation
éternelle ?
Ce n’est pas
que je prétend de défendre tout délassement ; ce seroit outrer la morale de
l’Evangile, & vouloir laisser l’homme sans soulagement dans sa
foiblesse. Je fais qu’il est des délassemens nécessaires au corps & à
l’esprit, quand l’un & l’autre ont été affoiblis par le travail ; &
il ne faut que savoir quelle est notre condition depuis le péché, pour
sentir le besoin que nous avons de nous procurer de temps en temps ce
secours.
Mais je sais aussi que si l’usage des divertissemens
nous est accordé, nous ne pouvons en user que comme d’un reméde à notre
foiblesse, & pour nous préparer par-là à de plus sérieuses occupations.
Je sais encore mieux que les divertissemens doivent être honnêtes à tous
égards, qu’ils ne doivent avoir rien de contraire à l’innocence, à la
sainteté, & qu’enfin il faut qu’ils soient d’une nature à pouvoir être
offerts à Dieu. Or, voyons d’abord si la plûpart ont besoin de délassemens.
Tant de Chrétiens oisifs ou destitués de toute occupation pénible, ont-ils
besoin de délassemens ? Tant dont les jours se passent dans un cercle de
promenades, de jeux, de visites ; tant de femmes mondaines dont le travail
n’a rien de sérieux, ont-elles besoin de délassemens avec une vie qui est
elle-même un délassement continuel ? Et quand ces personnes en auroient
besoin, doivent-elles s’accorder celui des spectacles, puisqu’on ne peut
l’offrir à Dieu comme une œuvre chrétienne ? Que les partisans du théâtre
rapprochent ces principes ; & s’ils sont de bonne foi, ils conviendront
que les spectacles sont opposés au véritable esprit du christianisme,
non-seulement dans leur nature, mais encore dans leurs effets.
Envisagez
l’impression que font sur les cœurs
les
représentations profanes, & vous verrez si elles s’accordent bien avec
la sainteté de notre état. Vous le savez, nous avons en nous-mêmes un fond
de corruption, nous portons avec nous une malheureuse concupiscence capable
de nous livrer aux plus affreux excès si on n’a soin de la réprimer ; une
concupiscence que nous avons promis solemnellement de combattre, & à la
destruction de laquelle sont attachées les couronnes dont jouissent tant de
Saints ; une concupiscence que la moindre parole excite, que le moindre
objet allumé, dont les Hilarions, les Antoines, les Pauls ont gémis plus
d’une fois ; c’est ce soufle de satan dont l’Apôtre saint Paul prioit le
Seigneur de le délivrer. C’est ce malheureux appanage de la nature corrompue
qui doit coûter tant de violence. C’est le viel homme sur les débris duquel
doit s’élever l’homme nouveau, & que nous ne saurions vaincre, qu’en
mourant sans cesse au péché & à tout ce qui peut nous y porter.
Or avec des inclinations
si déréglées que les nôtres, quel peut-être l’effet des spectacles que de
les réaliser en nous, & de leur donner une nouvelle force ? N’est-ce pas
là que par des peintures vives qu’on y fait, les passions s’excitent dans
notre ame, & que le cœur bien-tôt capable de tous les sentimens qu’un
acteur exprime, passe tour à tour de la tristesse à la joie, de l’espérance
à la crainte, de la pitié à l’indignation ? N’est-ce pas là qu’il se sent
attiré au crime par les piéges qui lui sont tendus ; que se laissant prendre
aux amorces les plus dangereuses, il s’abandonne aux transports les plus
déréglés, aux saillies les plus vives ? N’est ce pas là en un mot que le
cœur se voyant lui-même dans celui qui paroît épris d’un objet séduisant,
devient aussi-tôt un acteur secret, qui tandis qu’on joue une passion
feinte, en éprouve lui-même une véritable ?
Pour le comprendre, il ne faut que considérer
quelles impressions font sur l’ame les images les moins animées par
elles-mêmes ; il ne faut que considérer quel est le sentiment naturel qui
accompagne la lecture d’un évenement profâne, la vue d’une peinture
immodeste ou d’une statue indécente : si ces objets, tout inanimés qu’ils
sont, se retracent naturellement à l’esprit, si on ne peut même en sentir
toute la beauté & toute la force sans entrer dans la pensée de l’Auteur
ou dans l’idée du Peintre, quelle impression ne font pas les spectacles, où
ce ne sont pas des personnages morts ou des figures muettes qui agissent,
mais des personnages animés qui parlent aux oreilles, qui trouvent dans les
cœurs une sensibilité qui répond aux mouvemens qu’ils ont taché d’y
produire, jettent toute une assemblée dans la langueur, & la font brûler
des flammes les plus impures ?
L’effet seroit moins
infaillible, si la passion étoit représentée dans sa difformité & avec
des couleurs propres à en inspirer toute l’horreur qu’on en doit avoir ;
mais sous quels traits a-t-on coutume de l’offrir ? Est-ce avec ce caractere
d’opprobre qui pourroit la faire appréhender ? Ne la regarde-t-on pas comme
une belle foiblesse qu’on propose à imiter ? Que dis-je ? empruntant pour la
faire aimer jusqu’à des noms pompeux, n’essaie-t-on pas d’en cacher la honte
& le crime ? Ne se fait-on pas gloire d’y applaudir & d’en être
touché ? N’admire-t on pas un Auteur qui, employant toute la force de son
génie à représenter quelque grande passion, sait vous amener insensiblement
& par dégrès, jusqu’à exciter en vous les mouvemens de cette passion
qu’il a voulu dépeindre ? Et on regarde l’effet comme une partie si
essentielle à la piece, que si elle manque par cet endroit, elle passe pour
un ouvrage froid & insipide. Où en est donc un
cœur ainsi préparé à la séduction par tant d’illusions ? Où en est votre
vertu, femmes Chrétiennes, lorsque vous entendez une personne de votre sexe
avouer sa foiblesse, & la déclarer même au séducteur qui l’a fait
naître ? N’est-ce pas au spectacle que vous voyez ce que le monde par-tout
ailleurs n’oseroit vous offrir ?
Et en qui le voyez-vous ? Si
c’étoit dans un homme à qui la dépravation de nos mœurs permît tout : mais
non, c’est dans une femme dont on affecte de vanter la modestie, qu’on
présente comme un modele de vertu, c’est dans une héroïne. Vous suivez,
comme des yeux, les honteux progrès de sa passion. Vous écoutez de sa bouche
ses criminels aveux, & vos sens résistent-ils à une amorce si
dangereuse ? On n’est pas long-temps à chérir ce que l’on voit représenté
avec tant d’art. Le cœur ouvert à la séduction, reçoit bien-tôt le trait qui
le blesse ; & tel qui étoit chaste avant d’entrer au spectacle, n’en
sort point sans cesser de l’être.
Vous
avez un bel-exemple dans l’ami de saint Augustin, & je puis dire dans
Augustin lui-même. Le premier, je parle d’Alippe, malgré l’aversion qu’il
avoit toujours eue pour les spectacles de l’amphitéâtre, fut assez imprudent
pour s’y laisser conduire. Arrivé dans ce lieu barbare, il se flattoit de ne
prendre aucune part au spectacle, en tenant les yeux fermés : mais bien-tôt
contraint de céder à la curiosité, & pensant se mettre au-dessus de tout
ce qu’il pourroit voir, il fut frappé d’une plus grande plaie dans l’ame,
que le Gladiateur ne le fut dans le corps ; & son amour pour ces jeux
cruels devint si immodéré, qu’il ne lui fut possible de s’en défendre ; tant
il est vrai que le cœur ne peut être indifférent pour tout ce qui est
passionné. Enchanté des images de sa maladie, il idolâtre tout ce qui lui
rend sa corruption sensible. Si des
plaisirs si
barbares qui ne devoient inspirer que de l’horreur, étoient capables de
produire de tels effets, que sera-ce des spectacles de nos jours, ou loin de
révolter, tout amollit & flatte ; où l’on n’éprouve que les attaques
d’une insinuante ◀volupté▶ ? Il est donc manifeste que les représentations de
ces passions agréables les excitent naturellement, ne fût-ce qu’en
nourrissant la concupiscence qui en est la source ; & non-seulement
elles les excitent, mais elles apprennent encore à les satisfaire.
En effet, c’est-là que la ◀volupté▶,
l’ambition, la haine donnent tour à tour des leçons de tendresse, de
perfidie, de vengeance, qu’elles enseignent à réaliser ce qu’elles ne font
que peindre. C’est-là que le cœur s’exprimant en mille façons touchantes, on
est frappé par des expressions d’autant plus faciles à retenir, qu’une
poësie profâne leur prête des charmes corrupteurs. C’est-là, où par des
attitudes & des regards plus éloquens que les expressions, on est excité
à observer tous les mysteres de l’iniquité, & qu’on apprend à conduire
habilement à sa fin toutes les intrigues criminelles ; ensorte que tout ce
que la corruption peut inventer pour plaire & séduire, y est comme
réduit en art. C’est-là que le Spectateur, tantôt découvrant tous les
ressorts que l’ambition fait mouvoir pour arriver à son but, est instruit à
vaincre le plus souvent par le crime tous les obstacles qui s’opposent à ses
desseins. Trahisons, fourberies, violences, cruautés, tout est employé :
comme le meurtrier de Naboth, il ose tout tenter, sans respecter ni le
sacré, ni le profâne. Tantôt applaudissant à cette vertu romaine qui n’est
autre chose qu’un orgueil déguisé ; & s’accoutumant à regarder un
chimérique honneur, comme le bien le plus précieux, il apprend à tout
sacrifier pour le conserver, ou le réparer sans égard pour les droits mêmes
les plus
inviolables du sang & de l’amitié ;
& il l’apprend d’autant plus volontiers, que c’est un pere barbare qui
met lui-même un fer assassin entre les mains de son fils, & lui ordonne
de tuer ou de mourir.
Voilà les leçons qu’on reçoit souvent aux spectacles,
presque sans le vouloir ; c’est-à-dire, que tout ce qui peut satisfaire les
passions, est enseigné dans cette funeste école. Or, sans m’arrêter ici à
vous retracer les tristes effets dont ces représentations sont les suites ;
sans vous dire qu’on n’eût jamais connu parmi nous l’art odieux de laver une
injure dans le sang, si le théâtre ne l’avoit peint avec tant d’avantage,
revenons à notre principe. Dites-moi, si tout ce jeu des passions s’allie
bien avec les sentimens de l’Evangile ; si un Chrétien, dont le principal
soin doit être de triompher des penchans qu’il a promis solemnellement de
combattre, & qui ne peut être Chrétien qu’à ce prix, dites-moi s’il peut
lui être permis, non-seulement de les exciter & de les nourrir, mais
d’appeller à son secours des maîtres également entendus à les exciter &
à les faire naître ; dites-moi si ayant tant de peines à réprimer ses
inclinations corrompues, il peut encore aller se livrer aux inclinations des
autres, & être assez imprudent pour admettre dans son cœur tant de
mouvemens étrangers. N’est-ce pas le comble de la misere de ne pouvoir
trouver de plaisirs que dans ses propres maux, & de récompenser ceux qui
nous apprennent à les entretenir & à les rendre incurables ? Cette
conduite s’allie-t-elle bien avec ce que Jesus-Christ nous prescrit dans
l’Evangile ? Que devient cette vigilance & les autres vertus qui nous y
sont commandées par ce divin Sauveur ? Dites plutôt que c’est se jouer de la
sainteté de la Réligion, & désavouer les promesses de son Baptême :
dites avec Salvien, que c’est avouer tout haut qu’on veut
rentrer sous l’empire du démon & se rendre à lui tout
entier.
Voilà l’outrage qu’on fait au christianisme en fréquentant les
spectacles. Voilà le mal qu’on se fait à soit-même de propos délibéré. Voilà
les péchés secrets dont on se charge, quoi qu’on feigne de ne les pas
connoître. Encore, seroit-on moins coupable en assistant à ces
représentations, si tout leur effet n’étoit que d’allumer des passions
vicieuses ; mais de plus, elles éteignent le goût de la piété. Comme on n’y
apprend à juger des choses que par les sens, & à ne considérer comme
subsistant & réel que ce qui les frappe & fait impression sur eux,
c’est dans ces sens aussi que l’ame s’accoutume à se répandre toute entiere.
Quelle idée peut-elle avoir du vrai bonheur, quand amusée ainsi par des
objets frivoles, elle y place toute sa félicité ; & qu’au lieu
d’appaiser sa faim par une nourriture solide, elle s’empoisonne par le
mensonge & l’erreur ? N’est-ce pas-là la cause de sa plus grande misere,
puisqu’elle y perd tous les dons de la grace à la fois ? L’amour de Dieu qui
doit brûler sur l’autel de notre cœur, & dont chaque Chrétien doit être
le Prêtre, comment ne s’éteindroit-il pas dans des lieux où tous les sens
sont saisis par l’attrait de la ◀volupté▶ ? L’esprit de priere, comment le
conserver, après que tant d’objets profânes ont fait sortir l’ame
d’elle-même, quand elle n’est remplie que de vains phantômes ; & la
priere qu’on adresseroit à Dieu au sortir de ces représentations, supposé
qu’on en fît, ne seroit-elle pas plus propre à l’irriter, qu’à le fléchir ?
Le goût de la vérité peut-il subsister dans un cœur qui ne se nourrit que du
mensonge ? Livré aux joies charnelles d’un monde corrompu, quel attrait
peut-il rester pour elle ? Et celui qui se plaît à n’entendre que des
fables, se plaira-t-il à entendre la vérité ?
enfin, la modestie, le récueillement, la retraite… On perd le goût de tous
les biens spirituels en s’abandonnant aux plaisirs grossiers des spectacles,
les actions mêmes sérieuses & communes deviennent à charge. On n’aime
plus qu’à se satisfaire ; & ce désordre est si funeste à l’homme, qu’il
ruine entierement toutes les qualités de l’esprit & du cœur qu’il avoit
reçues de l’Auteur de la nature, & qu’il devient une entrée à tous les
vices.
Qui peut mieux nous en convaincre, que la
dissolution générale de notre siécle ? N’est-ce pas de ce fond impur, que
coule à grands flots ce torrent de crimes qui inondent les Villes ? La
mollesse, l’impudicité, l’irréligion, le blasphême, tant d’autres vices que
nos peres ne connoissoient pas, seroient-ils si communs, si les spectacles
ne les occasionnoient pas ? Verroit-on les Grands si impies, les riches si
voluptueux, les jeunes gens si débauchés, les femmes si corrompues, si tous
n’alloient recevoir aux spectacles la premiere plaie de leur cœur, & le
trait malheureux qu’il leur faut porter jusqu’au dernier soupir de leur
vie ? L’esprit impur seroit-il en possession de tant de Chrétiens ?
Vous ne
l’avez que trop éprouvé, vous, qui avant que de connoître ce funeste
plaisir, ne trouviez de joie & de consolation que dans la pratique des
œuvres de justice : qu’êtiez-vous alors, & qu’êtes vous devenus depuis
que des engagemens avec le monde vous ont conduits dans ces dangereuses
assemblées ? La mortification, la priere, les bonnes lectures, la
fréquentation des Sacremens, voilà ce qui faisoit vos délices en nourrissant
votre piété : mais depuis que votre cœur s’est livré à ces divertissemens
contagieux où vous porte votre penchant, vos sens amollis insensiblement
vous ont fait donner dans les plus grands excès, & vous vous êtes si
familiarisés avec le
crime, qu’étonnés de votre
corruption, vous désespérez presque de sortir de votre misere : voilà la
plaie sanglante que tant de fidéles reçoivent à cette école, le poison des
mœurs innocentes. Les spectacles sont cette ivraie que l’homme ennemi est
venu semer dans le champ du Pere de famille. Soyez sensible, ô mon Dieu, à
la désolation de votre Eglise : Attende de cœlo, &
vide de habitaculo sancto tuo. La dépravation est si
grande, que nous semblons presque être devenus ce que nous étions au
commencement : Facti sumus quasi in
principio. Il nous semble vivre dans ces temps déplorables
où vous n’êtiez pas encore notre Roi : Cùm non
dominareris nostri ; & nous avons si fort dégénéré
de votre esprit, qu’on diroit que nous ne sommes plus votre peuple :
Neque invocaretur nomen tuum super
nos.
Doutera-t-on, après cela, qu’une source d’où coulent tant de
désordres, ne soit une source infecte, & que des plaisirs si contraites
à l’innocence & à la vertu, ne soient interdits aux enfans de la foi ?
Quand vous connoissez les obligations & l’essence du Christianisme, vous
sentez que des représentations si obscènes ne peuvent s’accorder avec sa
pureté ; qu’on ne peut participer à la table des démons & à celle du
Seigneur, & que Bélial ne peut être adoré sur le même Autel avec
Jesus-Christ ; & quand vous entendez les principes qui nous portent à
condamner les spectacles, pouriez-vous encore chercher des prétextes qui
vous autorisent à les fréquenter ? Après avoir vû combien ils sont mauvais,
voyons encore combien sont frivoles les raisons qu’on allégue pour les
justifier.
Après la
peinture que je viens de vous faire des dangers du théâtre, après vous les
avoir montrés comme contraires en tout à la Religion & aux
mœurs, il semble que je pourrois me dispenser de répondre
aux vains raisonnemens par lesquels on le justifie ; & il devroit
suffire au Chrétien d’y reconnoître le moindre péril, pour se convaincre de
la nécessité de le fuir : cependant comme la cupidité est toujours
ingenieuse à se défendre sur ce qui la favorise, & qu’il importe de ne
rien laisser à desirer sur ce sujet, écoutons un moment le langage des
mondains pour essayer de les confondre.
On justifie ordinairement le spectacle de deux façons,
ou en lui-même, ou par rapport à soi. Ceux qui le justifient en lui-même,
disent que s’il excite les passions, c’est indirectement & par hasard,
& qu’il n’est pas de sa nature de le faire, puisqu’on n’y représente que
des inclinations honnêtes & légitimes, que des sentimens épurés ; que
si, tel qu’il est parmi nous, il est encore dangereux, on ne peut rien voir
dans le monde qui ne le soit aussi ; & enfin, que s’il étoit aussi
mauvais qu’on le prétend, les Loix n’auroient garde de le tolérer, de le
permettre. Ceux qui justifient le spectacle par rapport à eux-mêmes, disent
que tout dangereux qu’il puisse être, il ne fait aucune mauvaise impression
sur leur esprit ; qu’ils n’y ont jamais rien senti de contraire à la
sainteté du Christianisme ; qu’ils en sortent avec le même cœur qu’ils y ont
parus, par conséquent qu’ils peuvent le fréquenter sans rien craindre. Voilà
les raisons qu’on apporte d’ordinaire aux principes qui condamnent les
spectacles.
Quand vous dites que si le théâtre
excite les passions, c’est indirectement & par hasard, je devrois
peut-être vous demander d’abord, si même sur ce prétexte il peut vous être
permis de vous y exposer, s’il faut toujours un péril certain pour vous
interdire un divertissement. Vous devriez
examiner si ne recherchant le plaisir que pour le plaisir, vous pouvez,
sans scrupule, courir le risque d’allumer des inclinations vicieuses ; s’il
ne suffit pas qu’elles puissent être excitées, même par hasard, à ces
représentations du théâtre, pour qu’elles soient défendues : mais je
n’attaque ici que la fausseté de votre prétexte ; il ne s’agit pas encore
d’examiner l’impression qu’elles font ou ne font point sur votre cœur, ce
n’est pas là à quoi je dois d’abord m’arrêter ; je dois plutôt vous dire que
prétendre que les spectacles n’excitent les passions qu’indirectement &
par hasard, c’est une très-grande illusion. Car enfin, qu’y a-t-il de plus
direct & de plus essentiel à toutes les piéces de théâtre, que ce qui
fait le premier objet de celui qui la compose, de ceux qui la récitent, de
ceux-même qui l’écoutent ? Il est triste d’entrer dans ces détails peu
dignes de la Chaire chrétienne ; mais il le faut pour éclaircir la
vérité.
Dites-moi quelle est la principale regle que se propose
de suivre un Auteur, en consacrant sa plume à ces divertissemens profanes ?
N’est ce pas qu’il faut intéresser en tout le spectateur, l’attendrir
insensiblement par une illusion bien ménagée ? tout le but de son travail
est qu’on s’agite avec le personnage qui s’agite, qu’on s’associe à la
douleur d’une femme affligée, qu’on prenne part au ressentiment d’un homme
offensé qui exagére l’outrage qu’il a reçu ; & si l’effet n’accompagne
pas l’exécution de sa piece, ne regarde t-on pas le secret de l’art comme
manqué ? & l’Auteur n’en est-il pas puni sur le champ par le mépris
public qu’on fait de son ouvrage ?
Quel est encore l’objet de ceux qui le
représentent, & quelles peines, quels soins ne se donnent-ils pas pour
jouer au naturel le jeu des passions ? Comme leur intention est d’en exciter
en vous les
mouvemens, ne les retracent-ils pas
avec tous leurs agrémens empoisonnés, & toutes leurs graces trompeuses ?
ne réveillent-ils pas dans leurs cœurs celles dont ils ont été ou sont les
malheureux esclaves, pour donner de l’ame à leur jeu ? & quelles vues
avez-vous vous-mêmes quand vous vous proposez d’aller goûter cet injuste
plaisir ? n’est-ce pas d’éprouver intérieurement cette langueur sensuelle
qui amollit & qui flatte ? & quand on n’a pas sçu vous y livrer, ne
vous plaignez-vous pas de ce que, par la faute de la piéce ou de l’Auteur,
l’esprit & le cœur ont été laissés immobiles ? N’avez-vous pas regret à
la tranquillité que vous croyez remporter, & de ce qu’on n’a sçu ni
troubler votre repos, ni faire couler vos larmes ? Quel peut donc être
l’objet direct du spectacle, si-non d’exciter les passions, puisqu’il ne
peut plaire, qu’autant qu’il les excite ? & quelque effet qu’il produise
d’ailleurs, n’est-il pas insipide, si l’ame n’y est remuée ? Qu’on se
désabuse. Le spectateur veut s’attendrir & qu’on fasse couler ses
larmes ; il veut que l’impression de tout ce qui est représenté se fasse
dans son cœur, l’ambition, la fierté, la vengeance, & sur-tout cette
malheureuse passion, que l’Apôtre saint Paul défend de nommer parmi les
Chrétiens ; il n’est content de tout cela, qu’à proportion que le sentiment
a été plus vif & plus profond : voilà ce qu’on a coutume de louer, c’est
à quoi le cœur est préparé ; triste, s’il n’est blessé ; & satisfait, si
les plaies descendent bien avant.
Ne dites donc pas que le théâtre n’émeut les passions, que
par hasard & indirectement ; il faudroit changer la nature des choses
pour avoir raison de le prétendre : tant que son principal but sera de vous
remuer & de vous rendre sensibles, bien loin de penser qu’il n’excite
les passions que
par hasard, il faudroit croire
au contraire que ce seroit par hasard, s’il ne les excitoit pas.
Je fais bien ce que vous répondez, que pour
prévenir le péché l’on ne représente que des inclinations honnêtes qui se
terminent à un lien sacré, & qu’on éloigne par là ce qu’elles peuvent
avoir de grossier & de dangereux par elles-mêmes. Mais êtes-vous de
bonne foi, quand vous tenez ce langage ? & appellerez-vous honnêtes, ces
intrigues odieuses dont certaines pieces sont remplies, & même celles de
cet Ecrivain si célébre parmi vous, à qui vous faites un mérite singulier
d’avoir saisi & sçu peindre les mœurs de son siécle ; cet Ecrivain que
vous osez nommer le Réformateur de vos théâtres, cet Ecrivain d’autant plus
dangereux, qu’il couvre quelquefois de fleurs les piéges qu’il tend à la
vertu, & qui souvent attaque l’innocence, sans allarmer la pudeur ?
Appellerez-vous honnêtes les expressions libres dont il se sert de temps en
temps pour allumer des passions déréglées, ces équivoques grossieres dont il
égaie ses discours ? appellerez-vous honnête une Morale empoisonnée qui pour
attaquer un vice en justifie un autre plus éclattant, mais plus dangereux ?
voilà les piéces qu’on expose tous les jours à vos yeux : est-ce donc là
cette prétendue honnêteté que vous vantez si fort ?
Mais quand même on ne
représenteroit jamais que des inclinations honnêtes & légitimes,
pensez-vous que la vue des objets soit moins dangereuse en elle-même, &
croyez-vous que le cœur disposé à s’enflammer, se rallentisse par
l’honnêteté apparente qu’on lui met devant les yeux ? Les régles que l’on y
donne pour arrêter les effets des passions, seront-elles capables d’effacer
les mauvaises impressions qu’elles auront faites ? n’est-ce pas plutôt
l’impression des passions que le
spectateur
reçoit, que les régles de ces mêmes passions ? L’Auteur peut s’arrêter où il
veut par un trait de plume ; mais il n’est pas le maître d’arrêter les
effets que la représentation de ces inclinations prétendues honnêtes, fait
sur le cœur de ceux qui y assistent. Leur sensualité n’y est-elle pas
également excitée ? ne commencent-ils pas par se livrer à l’impression de
l’amour charnel ; & quand les idées d’honnêteté s’offrent à leur esprit,
n’est-ce pas toujours inutilement & trop tard ? tout le mal n’est-il pas
déja fait dans leur cœur ? Ne nous aveuglons point. Les représentations qui
excitent les mêmes mouvemens, ne peuvent avoir que les mêmes effets ; &
on ne doit plus mettre de différence entre les unes & les autres : je
prétends au contraire que l’image d’une inclination légitime est souvent
plus dangereuse, que de celle qui ne l’est pas ; car enfin, l’image d’une
passion criminelle révolte quiconque n’a pas perdu tout sentiment de pudeur,
l’esprit ne l’écoute que froidement, qu’avec crainte, qu’avec défiance,
& il n’y a que des cœurs déja corrompus qui s’y livrent sans
frémissement & sans horreur : mais une inclination légitime est d’autant
plus dangereuse, qu’on est moins prêt à s’en defier, que l’esprit l’écoute
avec moins de précaution, & que le cœur s’y livre avec moins de
résistance.
Et voilà, mondains sensuels,
le piége que vous tend le démon, & dans lequel malheureusement vous
donnez. Incertain de vous perdre par des représentations grossiéres qui
auroient pû vous dégoûter, il en a substitué de délicates qui vous touchent
& vous plaisent ; & en vous préparant ce calice d’iniquité, il
trouve le secret de vous le faire boire sans répugnance. Qu’on prétende
après cela prévenir le péché, en ne représentant qu’un attachement
légitime : légitime ou non,
n’importe.
L’impression en sera toujours mauvaise, parce que le grossier, l’illicite,
qu’on a fait semblant d’en bannir, en sont inséparables sur la scène ; ce
sera toujours la concupiscence de la chair, dont l’Apôtre saint Paul parle
dans une de ses Epîtres. Le grossier qu’on épargne à vos yeux, vous feroit
horreur s’il se montroit ; & l’adresse à le cacher, vous familiarise
avec lui.
Cependant, dit-on, si le
théâtre excite les passions, il n’est rien dans le monde qui ne puisse les
exciter aussi ; & puisque dans les lieux mêmes les plus saints on trouve
des objets à craindre, il faut donc rompre tout commerce avec les hommes
& se retirer dans les déserts. Quand vous prendriez ce parti, vous ne
feriez que suivre les traces de tant de Saints qui ayant une ame à sauver
comme vous, ont mieux aimé se cacher dans les forêts, que de s’exposer à la
séduction des créatures : mais ce n’est pas ce qu’on éxige ; ce qu’on
demande, c’est que vous apprenniez à distinguer les périls où l’on se livre,
de propos délibéré, d’avec ceux qui sont inévitables. Qui ne sait que si
Dieu nous protége dans les occasions involontaires, il nous abandonne dans
celles que nous recherchons par goût ; que, comme il soutint un Abraham dans
un pays infidel, parce qu’il y étoit par sa volonté, il en laisse tomber
mille autres dans des occasions moins périlleuses, parce qu’ils s’y exposent
en téméraires ; & qu’enfin celui qui aime & cherche le danger y
périra ?
Tout est plein dans le monde de piéges &
d’écueils ; mais en conclurez-vous qu’il soit permis d’en augmenter le
nombre ? Quoi ! parce que toutes les créatures peuvent être un piége, une
tentation, on pourra chercher de nouveaux piéges, de nouvelles tentations ?
parce que le tentateur peut nous attaquer par-tout, comme il attaqua
nos premiers Peres dans le Paradis terrestre,
comme il a tenté Jesus-Christ dans le désert, il n’y aura donc pas de péché
à aller s’abandonner à lui dans ces lieux où il est comme au milieu de son
empire ? Où seroit la justesse de cette conséquence ? si même dans les lieux
saints on trouve des occasions de se perdre, sera-t-il permis d’aller dans
les lieux profanes & défendus, où l’on est assuré d’en trouver de bien
plus dangereuses ? Dites plutôt que s’il est ici-bas tant de périls
inévitables, il ne faut donc pas chercher à les multiplier.
Dites,
avec saint Cyprien, que si l’on n’est pas en sûreté dans les Temples où le
précepte nous rassemble, on l’est donc bien moins dans les spectacles d’où
la Religion nous bannit : si nous somme troublés dans des endroits où Dieu
est pour nous, ne devons-nous pas être vaincus & terrassés dans ceux où
Dieu même est contre nous ? Voilà les conséquences qu’il faut tirer, plutôt
que celles d’une retraite entiere : il faut conclure que si l’ennemi nous
assiége de toutes parts, nous ne devons pas lui prêter de nouvelles armes
contre notre foiblesse ; il ne faut pas le chercher, où notre perte ne peut
être que plus infaillible.
Mais on n’affecte de
raisonner ainsi, que parce qu’on met tout en œuvre pour justifier un plaisir
qu’on aime & qu’on ne veut pas quitter ; & quand on est forcé de
sentir la fausseté de ses prétextes, on se hasarde à dire que si les
spectacles étoient aussi mauvais qu’on le prétend, les Loix n’auroient garde
de les tolérer, de les permettre : raisonnement aussi frivole que les
autres. Car enfin, que conclure de ce que les Loix ne proscrivent point ces
sortes de représentations ? Si elles ne sont pas défendues par les Loix
humaines, ne le sont-elles pas par les Loix divines & Ecclésiastiques ;
& cela ne doit-il pas suffire à un Chrétien ? Les Loix
humaines sont établies, pour s’opposer à tout ce qui
pourroit troubler l’ordre de la Société civile ; si elles tolérent cet abus,
c’est qu’elles ne sauroient tout détruire. L’Eglise même n’exerce la
sévérité de ses Censures, que sur des pécheurs dont le nombre n’est pas
grand ; elle se contente d’excommunier les ministres du théâtre, & elle
croit par-là défendre assez le théâtre ; & même sa décision est
précise : elle prive des Sacremens à la mort ceux qui s’exercent dans cet
art contagieux, elle les passe au sacré banquet comme des pécheurs publics ;
& si l’Eglise ne lance pas les mêmes foudres sur ceux qui fréquentent
les spectacles, parce que le nombre en est trop grand, s’ensuit-il que ces
joies publiques soient autorisées ? Ce qu’on peut en conclure, dit un
célébre Auteur, c’est tout au plus qu’il faut les mettre au nombre des maux
qu’elle ne cesse de défendre, & qu’on aime toujours.
Mais après tout, quand les Loix civiles les
autoriseroient, ce qu’elles ne font point ; comme ce ne pourroit être que
pour des raisons qui naissent de la corruption de vos mœurs & pour
éviter des désordres, dont un gouvernement sage veut prévenir les suites
funestes & dangereuses ; des Chrétiens animés de l’esprit de
Jesus-Christ, n’en doivent pas être moins prompts à les condamner par leurs
discours & leurs exemple. Ils doivent dire, comme le généreux Mathatias,
quand tous les hommes abandonneroient la loi du Seigneur, c’est alors qu’il
faut rallumer son zele pour les loix de la cité sainte, & que plutôt que
de suivre le torrent & d’aller sacrifier aux idoles du monde, il faut
être prêt à donner sa vie pour l’alliance & le testament de ses
peres.
Mais s’il est
des gens qui justifient le spectacle en lui-même, il en est d’autres qui le
justifient par rapport à eux : quelques mauvaises que puissent
être ces représentations à l’égard de plusieurs, elles ne
font, disent-ils, aucune impression sur nous, & nous en revenons
toujours avec un cœur aussi libre que nous l’avions avant d’y paroître :
quelle raison pourroit nous empêcher d’y assister ? Voilà le langage de la
plûpart des mondains. Toujours ingénieux à se seduire, ils s’imaginent que
parce qu’il leur paroît qu’ils n’ont rien senti à la vue de ces objets, ils
sont incapables d’en être émûs : est-il aveuglement plus étrange ? & ne
devez-vous pas savoir d’abord, vous qui parlez ainsi, que si une déclamation
passionnée n’excite en vous aucun sentiment vicieux, c’est peut être une
preuve que vous avez consommé l’ouvrage du crime ? Ne devez-vous pas penser
que souvent l’on n’est insensible, que parce qu’on est mort, qu’on ne craint
rien, que parce qu’on n’a plus rien à craindre, qu’on croit sortir innocent
parce qu’on étoit entré criminel. Ne devez-vous pas comprendre que les
pertes spirituelles sont d’un ordre bien différent de celles qui touchent
les sens ; qu’il faut n’avoir pas tout perdu pour pouvoir remarquer ce qu’on
vient de perdre, & que le mal qui ne se fait pas sentir, n’en est que
plus grand & plus dangereux ?
Mais quand cette insensibilité ne
marqueroit pas en vous la plus grande misere, en seriez-vous plus en
sûreté ? Ignorez-vous que c’est toujours beaucoup nuire à son ame, que de
ruiner le rempart qui la mettoit à couvert de l’impression d’objets
dangereux par eux-mêmes ? L’aversion qu’elle en avoit d’abord, étoit un
préservatif contre les attaques du démon ; & quand cette aversion cesse,
quel obstacle empêche l’esprit impur de s’emparer d’elle ? Il y a long-temps
qu’on commence à tomber, quand on vient à s’en appercevoir ; les chûtes de
l’ame sont lentes, elles ont des préparatifs & des
progrès ; & il arrive souvent qu’on ne succombe à des
tentations, que parce qu’on s’étoit affoibli dans des occasions moins
importantes.
Il en est de la parole
du démon, comme de la parole de Dieu, dit saint Augustin ; l’une &
l’autre demeurent quelquefois cachées dans un cœur, sans y produire aucun
effet sensible. Comme Dieu attache souvent le salut de certaines personnes à
une de ses paroles qu’il a semée long-temps auparavant dans leur ame, &
qu’il y ranime pour lui faire porter des fruits de vie ; l’esprit de
ténébres se contente quelquefois de remplir la mémoire de paroles qui
paroissent n’y faire aucune impression, mais qu’il saura bien réveiller dans
la suite pour produire des fruits de mort. Voilà ce qu’on peut répondre à
ceux qui prétendent pouvoir assister aux spectacles, parce qu’ils ne s’y
sentent pas émûs. On peut leur dire que si rien ne semble les y tenter
encore, le démon ne saura que trop prendre son temps pour les attaquer ;
peut-être que les captivant déja par des liens secrets, il néglige de se
servir de ceux qui sont visibles.
Rassurez-vous tant qu’il vous
plaira sur le peu d’impression que les spectacles font sur vous : on n’en
conclura jamais que vous puissiez les fréquenter sans vous rendre
coupables ; & s’ils n’étoient pas dangereux par rapport à vous-mêmes,
ils le seroient toujours par le scandale que vous y donnez. Car enfin, ce
n’est pas pour vous seuls qu’une piece est représentée : or, en supposant
que vous y fussiez insensible par la disposition de votre cœur, ne
péchez-vous pas toujours par le mauvais exemple que vous donnez en y
assistant, qui autorise tant d’autres à vous imiter ? Ne contribuez-vous pas
à leur faire regarder ce plaisir comme indifférent ? Et ne sont-ils pas
d’autant plus hardis à s’autoriser dans cette action, que vous paroissez
réguliers dans vos mœurs ? Vous participez à
leurs péchés ; & dès-lors, de combien d’iniquités n’êtes-vous pas
responsable ? que de rendez-vous criminels, que de pensées deshonnêtes, que
de désirs impurs ! Vous seul occasionnez presque toutes ces offenses ; &
si le spectacle ne vous fait pas de plaies par lui-même, vous vous en faites
mille par celles que les autres reçoivent de votre exemple, & par
conséquent, vous devenez le plus coupable de tous.
Si
ces raisons ne suffisent pas pour confondre vos vains prétextes, & si
elles ne vous persuadent pas que le plaisir que j’attaque est indigne d’un
membre de Jesus-Christ, rapportez-vous-en, je ne dis pas à un Théologien
rigide, mais à un homme du monde qui n’étoit pas ennemi de ses joies, à un
courtisan aussi illustre par les sentimens que lui inspira la Réligion, que
par le nombre des disgraces qui lui furent suscitées : & nous pouvons
appliquer aux spectacles, ce qu’il disoit de ces assemblées nocturnes, où
déguisant un visage sur lequel Dieu a imprimé des traits de sa grandeur
& de sa majesté, on emprunte, pour ainsi dire, la figure du démon, comme
pour lui rendre un plus grand hommage dans son empire. Mon expérience m’a
appris, dit-il, qu’on ne peut être Chrétien & participer à ces plaisirs.
Qui est-ce qui parle ainsi. Si c’étoit un Anachorete, vous diriez qu’il n’a
garde d’approuver ces divertissemens qu’il ne lui siéroit pas de goûter ; si
c’étoit un Pere de l’Eglise, vous lui répondriez comme les disciples de
Jesus-Christ à leur Maître : Durus est hic
sermo. Ce Discours est dur. Mais encore une fois, celui qui
s’exprime ainsi est un courtisan élevé dans la grandeur, nourri dans la
◀volupté▶, accoutumé aux délices. Quelque authentique que soit là-dessus le
témoignage des Ecrivains sacrés, celui d’un homme
du monde ne semble-t-il pas l’être encore plus ?
Je ne vous dirai rien
de la pénitence d’un Auteur qui, dans le siécle passé, eut le malheur
d’exceller en consacrant au théâtre ses travaux & ses veilles ; ce grand
maître si vanté parmi nous, & trop digne de cette funeste immortalité ;
à qui la grace ouvrit les yeux au bout de sa carriere, n’a-t-il pas arrosé
ses lauriers de ses pleurs ? De cet exemple je vous ferois conclure, que
s’il a eu raison d’expier l’abus de ses talens pour rentrer en grace avec
Dieu, ceux qui applaudissent à ces dangereux chef-d’œuvres, sont donc plus
criminels que vous ne pensez.
Mais, qu’est-il besoin
d’autorité, où il ne faut que le témoignage de la conscience ? Il suffit de
vous demander à vous qui n’avez pas encore étouffé tout sentiment de
Réligion, mais qui feignez de ne pas comprendre le mal qu’il y a, à
s’accorder des plaisirs de cette nature ; il suffit de vous demander si,
quand vous rentrez en vous-mêmes, vous ne sentez pas un remord secret, qui
vous dit que vous êtes coupables de vous exposer au péché en y assistant,
& qu’il est à craindre qu’il ne soit la cause de vôtre perte éternelle ?
& pour mieux découvrir les sentimens de vôtre cœur : Ecoutez une
supposition. S’il venoit en ce moment un ministre relâché vous débiter dans
cet auditoire que les spectacles ne sont point défendus ; que loin d’être
dangereux, comme on le dit, ils sont indifférens en eux-mêmes ; qu’ils ne
deviennent mauvais, que par l’abus qu’on en fait ; qu’après tout, quand on
vit dans le monde, on peut les fréquenter avec le monde ; si un ministre
vous tenoit ce langage dans la Chaire de Vérité, qu’elle idée auriez-vous de
ce nouveau Prophéte ? Ne ne le regarderiez-vous pas comme un séducteur ?
Bien loin d’applaudir à sa doctrine,
ne
l’accuseriez-vous point de trahir son ministere, de deshonorer sa Réligion ?
Que faut-il de plus pour vous manifester que vous ne pensez pas que le
théâtre soit permis, puisque vous auriez horreur d’un ministre qui vous
prêcheroit cette morale que vous sentez intérieurement ne pouvoir convenir à
un disciple de Jesus-Christ ?
Les premiers
Chrétiens ne recevoient pas de plus grands reproches de la part des ennemis
de la Foi, que de ne paroître jamais ni au cirque, ni aux spectacles
publics ; c’étoit le principal crime dont on les chargeoit, & nous avons
encore les éloquentes apologies qu’ils publioient pour répondre à ces
accusations glorieuses : Quelle différence entre vos jeux & nos
assemblées ! dans le temps que vos yeux ne sont frappés que de ce qui peut
porter au vice, nous n’entendons parmi nous que ce qui peut inspirer la
vertu, ce qui peut nous rendre plus humbles, plus modestes, plus chastes.
Voilà ce qu’ils disoient aux Payens, & ce qu’ils auroient pû dire à
vous-mêmes. Quelle différence entre vos divertissemens, & ceux de ces
premiers héros du christianisme ! on leur faisoit un crime de se trouver à
des assemblées dont le but étoit de ranimer la piété, & d’entretenir la
charité des Fidels ; les vôtres au contraire, ne sont que des rendez-vous,
où le démon lance des traits de feu qui allument la convoitise, où la mort
entre par tous les sens : est-ce donc ainsi que vous marchez sur les traces
des Saints ? & pouvez-vous aspirer aux récompenses dont ils jouissent,
si jusques dans vos plaisirs, vous ne les prenez pour vos modeles ?
Sentez-donc tout l’outrage que vous faites à la
Réligion ; & s’il vous faut des spectacles pour vous intéresser, que
tout y soit Chrétien. Il est des spectacles, dit saint Cyprien, bien plus
dignes de vos regards, que ceux que les hommes vous offrent
dans le monde ; il en est où le pompeux, le surprenant,
le tendre, se trouvent bien mieux réunis que dans les folles représentations
du théâtre. S’il vous faut de beaux objets pour charmer vos yeux,
envisagez les décorations de la nature, la pompe & l’armonie de
l’univers, la magnificence des cieux étendus sur vos têtes, la beauté des
campagnes déployée sous vos yeux, la majesté de la mer qu’un grain de sable
captive dans ses limites, & qui pour rendre hommage à l’Eternel, vient
sans cesse briser ses flots aux pieds de son trône. Quelles décorations de
théâtre peuvent égaler l’éclat de ces globes de lumieres qui roulent sur nos
têtes ? S’il faut des événemens pour étonner vos esprits, considérez dans
les Livres Saints tous ces prodiges que la vertu du Tout-puissant y fait
éclatter : voyez les abîmes se desseîcher pour le passage d’un peuple, les
moissons tomber du Ciel pour appaiser sa faim, les rochers se fondre en eau
pour éteindre sa soif : voyez les remparts des villes s’écrouler au son des
trompettes, le feu du Ciel descendre à la voix d’un homme mortel, un foible
& jeune berger combattre & terrasser un géant superbe.
Enfin, s’il vous faut du
touchant pour remuer, votre cœur ; quoi de plus propre que les travaux des
Apôtres, les souffrances des Martyrs, leurs corps accablés sous de pésantes
chaînes, leurs têtes abbatues sur les échaffauts, leurs membres déchirés par
les plus cruelles tortures ! quoi de plus tendre que les chastes soupirs de
l’Eglise, les pleurs des pénitens, les pieux gémissemens de tant d’ames
fidels ? Il ne faudroit que connoître les délices qu’un cœur Chrétien puise
dans la contemplation de ces objets, pour renoncer à jamais aux criminelles
représentations du théâtre. Voilà des spectacles vraiment dignes des
Chrétiens, continue saint Cyprien ; voilà des plaisirs d’autant plus permis,
qu’ils font partie de nos devoirs mêmes.
Balancerez-vous entre le sacré & le profane ? & craindrez-vous de
préférer des plaisirs purs & innocens à des fatisfactions qui ne sont
suivies, que de crimes & de remords ?
Ah ! bannissant de vôtre mémoire jusqu’au souvenir des images du théâtre,
ouvrez les Livres sacrés, & dites avec le Prophéte : Seigneur, les
méchans m’ont raconté leurs fables, les inventions de leur esprit ; mais
elles n’ont rien qui ressemble à vôtre loi divine : Narraverunt iniqui fabulationes, sed non ut lex tua.
Les plaisirs qu’ils font goûter ne servent qu’à rendre coupable & mettre
le trouble dans l’ame : mais les joies qu’inspire la Réligion sainte sont
d’autant plus solides, qu’elles sont fondées sur la vérité : Omnia mandata tua veritas. Purifiez-moi donc,
ô mon Dieu, de tout ce que j’ai contracté d’impureté dans ces assemblées
contagieuses ; trop contrit de les avoir fréquentés, je veux m’en éloigner
pour jamais. J’y ai renoncé par les vœux de mon Baptême, j’y renonce plus
que jamais ; je le jure à la face de vos saints Autels : soyez le témoin
& l’appui de mes promesses, & remplissez-moi de votre esprit, afin
que ne m’occupant plus que de ce qui est saint, je puisse vous être fidele
sur la terre, & jouir un jour du spectacle de votre gloire dans le
Ciel.
Plan et Objet d’un second Discours suivi
sur les Spectacles. Manuscrit anonyme.
Socrus Simonis tenebatur magnis febribus, & rogaverunt illum pro
eâ.
Luc. 4.
La belle-mere de Simon avoit une fievre violente, & on pria
Jesus de la secourir.
L
a
belle-mere de Pierre, brûlée des ardeurs d’une fiévre violente, n’étoit-ce
pas, dit saint Ambroise, la figure de notre nature agitée par les transports
des passions ? Hélas ! qu’est-ce même que l’incendie qu’une fiévre ardente
allume dans un corps, en comparaison des feux dont la bouillante cupidité
brûle nos cœurs ? feux d’autant plus dangereux, que nous ne voulons point
les éteindre. Coupables frénétiques, nous ne cessons d’insulter à la main
charitable qui voudroit nous guérir ; & bien loin de recevoir le reméde
qu’elle nous offre, nous saisissons avec fureur, nous buvons à longs traits
avec délices le subtile poison qui nous donne la mort. Eh ! comment
voudroit-on s’en défier & le craindre ? on s’obstine toujours à le
méconnoître ; peut-être même envain le nommerai-je aujourd’hui, envain en
découvrirai-je le danger.
Vos théâtres, oui vos théâtres : voilà le funeste foyer
où s’allume & se nourrit habituellement le feu des passions qui vous
dévorent. De grace écoutez-moi ; & vous détachant de tout préjugé, comme
je proteste de m’en détacher moi-même, raisonnons ensemble de bonne foi,
guidés par le seul amour de la vérité & de notre salut. Saint
Jean Chrysostôme, à ce sujet, disoit un jour à
son Peuple : Je ne doute pas que plusieurs de ceux qui sont ici présens, ne
se soient trouvés hier au spectacle, & ne comptent bien s’y trouver
peut-être encore ce soir même. Je voudrois les connoître, poursuivoit cet
inflexible Docteur ; si je les connoissois, je les prierois de sortir de
l’Eglise. Ce zéle austére vous surprend sans-doute. Ah ! c’est qu’en effet
vous ne connoissez le théâtre, que par l’idée qu’un préjugé trop soutenu de
vos passions vous en donne.
Examinons donc aujourd’hui ce que le monde pense
ordinairement des spectacles ; il les regarde comme un amusement indifférent
en soi, honnête même par le motif qu’on s’y propose, & qui tout au plus
deviendroit criminel par le danger qu’on pourroit y courir : mais danger à
présent, dit-on, chymérique, le théâtre étant épuré comme il l’est de nos
jours.
Là-dessus je forme le plan
de ce discours, en proposant simplement deux questions. Le théâtre est-il,
comme on le prétend, indifférent en soi ? Je l’examinerai dans la premiere
partie ; & quand même il seroit indifférent en soi, est-il vrai que
l’innocence n’y coure aucun risque ? Nous le verrons dans la seconde
partie.
Pour qu’une chose puisse être regardée comme
indifférente en elle-même, il faut, en premier lieu, qu’elle ne soit
défendue par aucune loi ; en second lieu, qu’on puisse, en lui donnant
quelque motif honnête, la déterminer à quelque espece de vertu : c’est la
régle que donnoit saint Augustin, & que suit, après lui, le torrent des
Docteurs. Avant que de décider sur les spectacles, il s’agit donc d’examiner
1°. si aucune Loi ne les défend ; 2°. s’ils peuvent être rapportés à quelque
fin véritablement honnête : aussi est-ce bien là ce que prétend le
monde.
1°. Une Loi qui
défende les spectacles ! Où est-elle, nous dit-on ? est-ce dans l’Ecriture
ancienne, ou dans la nouvelle ? est-ce dans les Saints Peres, ou dans les
Conciles ? Oui, c’est dans les Conciles, c’est dans tous les Saints
Docteurs, qui tous ont prétendu qu’ils étoient véritablement condamnés dans
l’Ecriture.
Mais je fais que vous opposez
d’abord à tous les traits d’autorité, un bouclier que vous croyez
impénétrable, c’est la différence prétendue que vous affectez d’exagérer
entre les spectacles anciens & les spectacles de nos jours : j’avoue
qu’il étoit autrefois des spectacles infâmes par eux-mêmes, spectacles même
d’une infâmie grossiére, spectacles qui eussent fait rougir les fronts les
plus endurcis aux crimes ; spectacles, crimes plutôt eux-mêmes, que
représentations de crimes : les ai-je peint de couleurs assez noires ? Mais
vous pensez que ce n’étoit que contre ces abominations grossiéres que les
Saints Peres déclamoient.
Ces abominations
grossiéres n’étoient pas, apparemment, ce que les Chrétiens d’Antioche
regardoient comme des divertissemens permis : car vous supposerez-bien,
sans-doute, ces Chrétiens d’Antioche, aussi réservés, aussi chastes qu’on
pourroit l’être dans notre siécle. Or, ce sont ces divertissemens qu’ils
croioient permis, que saint Chrysostôme assure & prouve être péchés :
ces abominations grossiéres, ce n’étoit pas, sans-doute, ces chefs-d’œuvres
de l’antiquité, que Tertullien, saint Augustin, saint Clément d’Alexandrie
nomment dans le détail, & dont les représentations sont traitées, par
Tertullien, d’inventions diaboliques ; auxquelles saint Augustin s’accuse
d’avoir assisté, comme d’un des plus grands péchés de sa jeunesse, & que
saint Clément
d’Alexandrie défend à tout
Chrétien, sans réserve & sans exception.
Sans-doute, il étoit autrefois d’autres
spectacles que les abominations grossiéres du cirque & de l’arêne ;
& jamais cependant les Docteurs & les Conciles en ont-ils fait la
distinction, pour permettre les uns & défendre les autres ? Ce sont tous
les spectacles en général qui sont interdits aux Chrétiens par deux Conciles
d’Arles, & plus récemment encore, & presque de nos jours par un
Concile de Milan, sous saint Charles. Ce sont tous les spectacles en
général, dont saint Thomas décide qu’ils ne peuvent produire à ceux qui les
représentent, qu’un gain honteux, illicite, & criminel.
C’est que les raisons qui engagerent de tous temps
les Conciles & les Docteurs à les proscrire avec tant de sévérité,
conviennent à tous & sans réserve ; ces raisons, les voici. Rien en
général de plus contraire que les spectacles, à l’esprit du Christianisme, à
la profession du Christianisme, aux exercices du Christianisme.
L’esprit du Christianisme en premier lieu, dit
saint Ambroise, est un esprit de recueillement & de mortification. Que
mes yeux, disoit le Prophête, se ferment à la vanité : c’est-là, poursuivoit
saint Ambroise, la premiere devise du Chrétien ; & vous, ajoûtoit-il
ensuite, refuserez-vous du moins à vos spectacles le nom de
vanité ? le monde, en effet, a-t-il rien nulle part de si attrayant
pour les sens, par la pompe, & la magnificence qui les décorent ? le
monde a-t-il rien nulle part de plus amusant pour l’esprit, par l’ordre
& l’œconomie qui les soutient ? le monde a-t-il rien nulle part de plus
ébranlant pour le cœur, par le combat des passions qui en fait l’ame ? &
ce sont des Chrétiens, concluoit saint Ambroise, des
Chrétiens qui adorent un Dieu crucifié, crucifiant dans
sa chair tous les plaisirs du monde ; ce sont des Chrétiens qui les veulent
accorder avec l’esprit de leur Religion. Or, cette premiere preuve de saint
Ambroise, convient-elle aux spectacles de nos jours ?
L’esprit du Christianisme est un
esprit de sainteté. Ah ! si les anciens Apologistes de la Religion
revivoient parmi nous, que diroient-ils ? un saint Théophile qui prouvoit
aux Payens la pureté de notre Morale par l’horreur que les Chrétiens avoient
pour les spectacles : que diroit-il de nous ? Sommes-nous, disoit-il aux
Idolâtres de son siécle, des ambitieux, des séditieux, des avares, des
ennemis irréconciliables, nous qui ne pouvons souffrir, même sur vos
théâtres, la seule représentation de ces vices ? Le théâtre est-il donc
changé de nos jours, reprenoit un Docteur plus moderne ? qu’y voit-on du
moins, que des haines forcenées, des jalousies furieuses, des révoltes
sanguinaires ? mais nos anciens Peres savoient ce que nous affectons de
paroître ignorer, que la Morale du Christianisme est si austére, qu’elle
proscrit jusqu’à l’ombre du crime, & qu’en amuser volontairement son
imagination seule, c’est en rendre son cœur complice. Or, cette seconde
preuve encore tirée de Théophile, convient-elle aux théâtres de nos
jours ?
Mais la profession du Christianisme en second
lieu, s’accorde-t-elle avec les spectacles ? heureux initiez, s’écrioit
saint Chrysostôme, ignorez-vous à quelle condition le Seigneur vous adopta
pour fils ? Nous vous demandâmes, quand nous vous reçûmes au saint Baptême :
Renoncez-vous aux pompes de satan ? Oui, j’y renonce, répondîtes-vous. Or,
dites-nous quelles sont les pompes de satan, si le théâtre n’en est point
une ; & si vous
osez nier qu’il en soit, j’en
appelle aux idolâtres, reprend Tertullien : Je leur demande s’il est permis
aux Chrétiens d’assister aux spectacles. Ils sont persuadés que vous y avez
renoncé, & ils nous répondront en nous citant les premiers écrits de nos
Docteurs à leurs Césars : nos Peres y protestoient en effet qu’on les
trouveroit par-tout les premiers pour le service de l’Etat ou de l’Empire,
sur la terre, sur la mer, dans le commerce de la société, sur les tribunaux,
dans les armées ; qu’il n’y a que deux endroits où ils font profession de ne
jamais paroître, que quoiqu’on fasse pour les y forcer on ne les y verra
jamais, dans les Temples & sur les théâtres.
Les Temples des Idoles & les théâtres, remarquez bien
ceci, continuoit Tertullien : c’est donc pour les Chrétiens presque la même
chose. Aussi toutes les fois qu’on vous voit aux spectacles, on vous voit
apostats. Et que cette pensée ne vous paroisse point outrée : dans les
principes du monde même, pourquoi renoncer au théâtre, est-ce une profession
de vie plus réguliere ? pourquoi retourner au théâtre après y avoir renoncé,
est-ce un signe de retour au monde ? pourquoi fréquenter les théâtres,
est-ce un scandale pour vous-même dans des personnes de certain état, de
certain rang ? Ah ! l’Evangile est le même pour tous, & tout l’Evangile
concourt à démontrer que dévotion, christianisme & sainteté c’est une
même chose. Selon vous-mêmes, ainsi que selon Tertullien, suivant la maniere
de penser du monde d’aujourd’hui, comme suivant celle des anciens idolâtres,
la fréquentation du théâtre est donc une espece d’apostasie pour des
chrétiens.
Que dirai-je des exercices du Christianisme ? Le
premier, le principal de tous, c’est la priere. Or, dites-nous encore,
reprenoit saint Chrysostôme, comment au sortir du théâtre vous vous
trouvez disposés à prier ? Hélas ! nous-mêmes,
nous vous l’avouons, poursuit ce sage Archevêque, au centre du recueillement
où nous vivons, à peine pouvons-nous devant Dieu captiver notre esprit,
notre cœur & nos sens ; & vous qui vous plaignez sans cesse de vos
distractions, de vos dégoûts, de vos froideurs dans la priere, vous que vos
affaires les plus indispensables troublent toujours dans ce saint exercice,
comment vous y appliquez-vous ? Mais oserez-vous même vous présenter devant
Dieu ? Quoi ! Chrétiens, reprend Tertullien de concert avec saint
Chrysostôme, vous oserez lever au Ciel ces mains que vous venez de fatiguer
en applaudissant à un acteur ? Vous oserez fixer sur l’auguste Tabernacle,
sur la Victime sans tache, ces yeux éblouis encore de la pompe du spectacle,
& tout pleins peut-être de l’action d’un déclamateur passionné ? Et ces
oreilles auxquelles retentit encore l’accord enchanteur d’une symphonie
molle & séduisante, comment écouteront-elles le chant modeste des
pseaumes ?
Or, ces deux preuves enfin de
Tertullien & de saint Jean Chrysostôme, ne conviennent-elles pas aux
théâtres de nos jours ? Avouez donc du moins que ce sont tous les spectacles
en général, ceux de nos jours comme ceux de leur siécle, que condamnent les
saints Docteurs, puisque les raisons qui les ont engagés à condamner les uns
conviennent également aux autres ; & puisqu’ils ont trouvés ceux de leur
siécle contraires à l’esprit, à la profession, aux exercices du
Christianisme, que ceux de nos jours le font encore. Ne nous dites donc
plus, poursuit Tertullien, que les spectacles ne sont point défendus dans
l’Ecriture. Non, répond le saint Docteur, ils n’y sont pas expressément
nommés : mais toute l’Ecriture ne tend-t-elle pas à les défendre ?
Cependant ne raisonnons pas
davantage, concluoit-il enfin : voulez-vous indépendamment de l’autorité
& de l’Ecriture même, une preuve sans replique ? C’est la maniere dont
on a toujours regardé les acteurs du théâtre dans le Paganisme. Demandez aux
Auteurs de Rome ce qu’on y pensoit d’eux : vous trouverez une Loi expresse
de ce sage Senat qui notoient d’infamie tous ceux qui entretiendroient avec
eux aucun commerce : Loi qui fut véritablement abolie par la suite par
l’usage ; mais remarquez que ce fut au temps de la décadence de Rome. Loi
que Charlemagne renouvella dans la suite, & plus sévérement lors du
rétablissement des mœurs & de l’Empire. Mais l’Eglise sur-tout qu’en
pense-t-elle ? L’Eglise qui les rejette de son sein, qui lors même qu’ils se
convertissent leur laisse un lien qui les rend pour toujours incapables du
Ministere sacré, l’Eglise qui même après leur mort les exclut de la
participation de ses prieres : hélas ! sans qu’aucune considération ait pû
faire excepter de cette sévere Loi le prodige du siécle dernier, dont pour
en faire en deux mots le portrait, on pourroit dire ce que disoit un sage
Payen d’un Auteur semblable, qu’étant presque le seul qui pût mériter d’être
vû & écouté sur le théâtre, il étoit d’autre part le seul de ceux qu’on
y voit qui méritat de n’y jamais paroître ; homme, en effet, qui dans tout
autre état que celui où son génie l’avoit jetté, eût été non seulement
l’honneur de sa patrie par la beauté de son esprit, non-seulement l’amour
& les délices de la société par la bonté de son cœur ; mais un modele de
Christianisme même par l’austere probité & par l’intégrité de ses mœurs.
Ciel ! que lui servit & que lui sert sur-tout à présent tant de
réputation & tant de gloire ? Triste preuve que le théâtre est illicite
en soi.
Car enfin seroit-il innocent
d’autoriser par sa présence des jeux tellement abhorrés ? Seroit-il innocent
d’entretenir dans un état tellement abhorré par l’Eglise des ames rachetées
du Sang de Jesus-Christ ? Vous dites cependant qu’on les tolere. Eh ! quoi,
répondoit saint Thomas en traitant ce sujet même, tout ce qu’on ne punit pas
le tolere-t-on, & permet-on tout ce qu’on tolere ? On les tolere,
dites-vous cependant : ô temps malheureux ! ô mœurs des Chrétiens ! que
n’est-on pas forcé de tolérer aujourd’hui ? Mais c’est à l’Eglise, à ses
Ministres, d’imiter dans ces circonstances, les Augustins, les Chrysostômes,
les Ambroises, de réclamer les droits de l’Evangile, de crier au
scandale.
Par où donc enfin prétend-t-on se
justifier ? C’est, dit-on, le motif qui décide toujours de la nature d’une
action morale. 1°. Il est certain, c’est un principe qui ne fut jamais
contesté, qu’aucun motif, tel qu’il puisse être, ne peut excuser une action
qui est mauvaise en soi ; mais j’abandonne tout l’avantage que je pourrois
tirer de ce principe, & je veux bien examiner en eux-mêmes les motifs
par où l’on prétend rendre le théâtre licite. Ces motifs sont de se former
l’esprit en le délassant des occupations sérieuses, & même de prendre,
dit-on, des leçons de vertus.
Le théâtre forme
donc, il délasse l’esprit d’abord j’en conviendrai, si c’est former l’esprit
de le repaître de vanités, de mensonges & de fables ; j’en conviendrai,
si c’est former l’esprit de le remplir de sentimens outrés, qui font de
l’héroïsme une chimere, qui enflent les passions jusqu’à rendre l’homme
méconnoissable à l’homme même, & qui défigurent jusqu’à travestir en
Romans toute l’Histoire ; & je défie personne de méconnoître le théâtre
le plus châtié à ces traits.
Il
forme cependant, il délasse l’esprit. Encore une fois, j’en conviendrai, si
c’est former & délasser l’esprit que de lui rendre insipide toute
lecture utile, de le distraire par je ne sais quel charme secret de toute
occupation grave & sérieuse, de le dégoûter de la simplicité, en ne lui
laissant du goût que pour le merveilleux, de plaisir que dans les
ébranlemens de l’ame les plus violens ; & je défie personne de
méconnoître le théâtre le plus châtié à ces effets.
Il forme cependant & il
délasse l’esprit. Oui enfin j’en conviendrai, si vous pouvez me citer, je ne
dis pas un seul Docteur de l’Eglise ; mais un seul Sage du Paganisme même
qui veuille en convenir avec moi. Mais ce ne sera pas certainement celui qui
formant le plan d’une République parfaite, commençoit à en bannir tout
acteur, & même tout auteur de théâtre : non pas dans un temps où le
spectacle fut une école de dissolution, comme vous voulez le supposer
toujours ; mais dans un temps où les Magistrats de la Grece punissoient un
auteur comme un empoisonneur public, pour avoir seulement altéré le
caractere d’un Héros en y mêlant une passion ; dans un temps où l’auteur le
plus célebre d’Athènes fut condamné par un jugement public, pour avoir mis
sur la scène un personnage impie qui parloit avec trop peu de respect de la
Religion. Je ne demande pas si on agit aussi sévérement : mais pense-t-on du
moins aussi chastement de nos jours ? Si quelqu’un approuve le théâtre, ce
ne sera pas ce grand Législateur qui regardoit la seule liberté de fictions
introduite dans les spectacles, comme une source intarissable de perfidie
& de mauvaise foi dans la société. Ce ne sera pas ce grand Orateur de
Rome, homme d’une prudence si profonde, d’un discernement si exquis, qui
citant nommément les
Auteurs les plus graves de
la Grece, & leurs pieces les plus sérieuses, attribue aussi-tôt après
aux plaisirs qu’on prenoit à les voir représenter & à les lire, tous les
déréglemens de l’esprit & tous les désordres du cœur.
Ainsi pensoient des
Idolâtres ; & les Ministres de l’Evangile, que diront-ils ? Car après
tout, former & délasser l’esprit : est-ce là précisément un motif qui
doive conduire des Chrétiens ; des Chrétiens qui savent qu’un Juge exact
& rigoureux doit un jour leur demander compte d’une action, d’un geste,
d’un seul mot inutile ; des Chrétiens qui savent qu’un instant peut décider,
doit même décider pour eux d’une éternité de supplices ou de gloire ; des
Chrétiens qui savent que toutes leurs actions, toutes leurs pensées, tous
les mouvemens de leurs cœurs sont achetés par tout le Sang d’un Dieu ?
Chrétiens, disoit à ce sujet le grand Evêque de Marseille, réjouissez-vous,
délassez-vous l’esprit, à la bonne heure : mais quoi ! le divertissement
innocent d’une joie pure & simple ne peut-il vous suffire ? Quelle
fureur ! L’excès seul a-t-il des charmes pour vous ? Oui, l’on ne trouve
plus de plaisir aujourd’hui nulle part, que là où le Seigneur est offensé,
que dans ce qui va jusqu’au crime.
Dites
donc, il faut le dire pour vous justifier, que si vous allez au théâtre,
c’est pour y prendre des leçons de vertus. Le théâtre une école de vertu !
ah ! le beau paradoxe ! véritablement il n’est pas nouveau ; depuis que le
théâtre est établi, on eut toujours grand soin de nous le dire : mais depuis
qu’on le dit, on a répondu, & je le réponds encore, que si le théâtre
purge les passions, forme les mœurs, c’est dans la spéculation, & non
pas certainement dans la pratique ; c’est dans les Livres de ceux qui nous
en ont donné les régles, non pas dans les Ouvrages de ceux qui les ont
prétendu
suivre. Depuis combien de temps en effet
le fréquentez-vous ? Et depuis ce temps, quel vice a-t-il corrigé dans vous,
quelle vertu y a-t-il formée, quelle passion réprimée ? Ce seroit en vérité
dans le Christianisme une chose bien nouvelle, qu’on nous montrât les
auteurs, les acteurs & les partisans du spectacle devenus les plus
vertueux & les plus Chrétiens d’entre nous. Renversons à présent,
détruisons nos Chaires, fermons nos Eglises ; Ministres du Seigneur
taisons-nous : on trouve aux spectacles plus de profit à faire pour la
vertu, que dans tous nos Discours. Hélas ! n’ai-je pas eu la douleur de
l’entendre dire ? J’en appelle à vous, ô mon Dieu, je vous en prend pour
juge. Quoi ! dans les sentimens, dans les pensées d’un auteur tout profane
que la passion seule inspire, on puise plus de sentimens de vertus que dans
cette parole que vous nous mettez à la bouche, que dans les sentimens &
les pensées des Peres, que dans votre Evangile ? Quoi ! l’action d’un pur
déclamateur peut davantage pour imprimer la vertu dans les cœurs, que le
zele saint qui nous enflamme ? On le prétend, on nous le dit : Seigneur,
décidez entre nous.
Mais enfin dites-moi donc, reprend un saint Docteur : sur
ce théâtre où vous n’allez que pour vous former à la vertu, voudriez-vous
être subitement frappé de mort ? Ah ! j’en suis sûr, quelque disposé que
vous soyez d’ailleurs, vous craindriez que la mort ne vous y surprît ; &
un Chrétien qui fait que le glaive suspendu sur sa tête, ne tient qu’à un
simple fil prêt à se rompre ; un Chrétien qui sait que son Juge l’épie comme
un voleur pour le surprendre, ce Chrétien s’expose sur un endroit où il
craint de mourir ? Seulement que quelqu’accident imprévu vous y surprenne,
disoit encore Tertullien, qu’un coup de foudre, par
exemple, vous y rappelle le souvenir des vengeances du
Seigneur : aussi-tôt on vous voit allarmés, vous portez la main sur votre
front pour y graver le signe du salut. Que faites-vous, continue
Tertullien ? ce signe de sainteté & de recueillement, ce signe de
pénitence & de mortification vous condamne. Ah ! vous ne seriez pas là,
si vous l’aviez dans votre cœur, ce signe que vous osez marquer sur votre
front : Gestant in fronte, undè discederent si haberent in
corde.
Mais quelle rigidité de Morale, me direz-vous sans
doute ! il faudra donc sur les mêmes régles condamner & proscrire tous
les amusemens, tous les plaisirs du monde. Hélas ! il n’est peut-être que
trop vrai de la plûpart. Oui, jugez-les sur les mêmes régles. Pour moi en
condamnant aujourd’hui vos spectacles, je ne prétends justifier ni la
mollesse & l’incrédulité de votre vie, ni la dissolution de vos cercles,
ni le libertinage caché de vos assemblées nocturnes, ni l’excès de vos jeux,
ni la somptuosité, pour ne pas dire la débauche de vos tables. Quelle
rigidité de Morale ! Oui, sans doute, elle est rigide : mais elle ne peut
paroître outrée, qu’à ceux qui ont oublié, qu’être Chrétien & crucifier
sa chair, mortifier tous ses sens ; être Chrétien & porter l’esprit de
recueillement & de retraite jusqu’au milieu du monde ; être Chrétien
& ne penser qu’à l’éternité, ne soupirer qu’après le Ciel ; être
Chrétien & conformer toute sa vie au modele d’un Dieu crucifié, c’est
essentiellement la même chose. Et c’est sur cette notion même du
Christianisme, que je décide après tous les saints Docteurs, que le théâtre
est criminel en soi. J’ajoûte que quand même on pourroit le regarder comme
indifférent en lui-même, encore ne pourroit-on sans crime y assister, à
raison seulement du risque où se trouve toujours l’innocence.
Vous aimez le péril ; malheureux, vous y périrez :
l’oracle est ancien, confirmé mille fois par une triste expérience, &
cependant personne n’en convient. Je me trompe, on en convient en général,
mais on ne croit plus trouver de danger nulle part ; & jusques sur le
sein de sa cruelle Philistine Samson repose, il dort, il croit dormir en
sûreté. Ah ! Samson, le Philistin va te saisir : tu as brisé déja trois fois
ses chaînes, tu compte sur ton ancienne force ; & c’est ta sécurité
présomptueuse qui va te perdre.
Voilà une image
fidele du mondain dans les spectacles ; il ne croit jamais y courir le
moindre danger. J’entasserois en vain pour le détromper autorité sur
autorité ; on prétexte toujours la modestie du théâtre de nos jours ; &
moi je dis en premier lieu, que ce spectacle si chaste, si honnête en
apparence, est le plus sûr écueil de l’innocence. On prétexte l’expérience
commune, sa propre expérience ; & moi je dis en second lieu, que
l’expérience commune & générale, c’est que le théâtre a perdu de tout
temps, & perd encore aujourd’hui toutes les mœurs.
Le théâtre est le plus sûr écueil
de l’innocence ; à moins que vous ne prétendiez que l’innocence peut
compatir avec la mollesse d’un cœur attendri, & les égaremens d’une
imagination corrompue. Mais si ce que nous nommons passion est un crime, il
faut avouer, selon la belle expression de Salvien, que sur le théâtre tout
est crime, parce que tout y tend à autoriser la passion, à l’insinuer
agréablement, & à l’imprimer fortement dans le cœur.
Que voit-on
maintenant sur le théâtre, qu’un héroïsme corrompu par les égaremens d’un
fol amour, l’amour devenu la passion des belles ames ? & plût à Dieu que
des plumes hardies & téméraires n’eussent pas même osé nous peindre la
sainteté
sous ces traits, faire languir,
soupirer, (Seigneur où étoit votre foudre ?) aux pieds d’une idole de chair
les destructeurs du Paganisme & les Martyrs de la Religion ! En vérité,
quelles impressions peuvent se faire dans les cœurs, quand ils verront les
inclinations les plus terrestres, les attaches les plus charnelles
autorisées par tout ce que l’Antiquité a jamais eu de plus fameux, & la
Religion même de plus saint ! Et ne sont-ce pas là cependant les mœurs de
tout théâtre ?
Sur-tout quand vous entendrez
les dures loix de l’Evangile, l’austérité du Christianisme combattues par
tout ce que les maximes du monde ont de plus séducteur ; vous entendrez ces
Héros de l’Antiquité, ces Héros même de la Religion traiter tout penchant de
nécessité, de destinée invincible ; nommer devoir, appeller vertu le
désordre des sens ; & l’yvresse d’une ame qui s’y livre, & ce que la
Morale traite de crime, l’ériger en bonheur : & ne sont-ce pas là les
sentimens & le langage de tout théâtre ?
Sur-tout encore quand on vous
sera remarquer la passion qui régle & conduit toutes les affaires. Vous
la verrez représentée comme le principe de toutes les vertus, l’ame de tous
les événemens, le ressort secret de toutes les actions, le mobile de toutes
les fortunes ; & n’est-ce pas là l’intrigue de tout théâtre ? Enfin,
quand par mille sentimens divers & mille mouvemens contraires qu’on aura
eu l’art d’exciter même malgré vous dans votre cœur on aura su vous
intéresser pour le Héros le plus passionné, sous prétexte de punir le vice
& de récompenser la vertu ; quand vous verrez enfin couronner à vos yeux
la passion la plus ardente & la plus vive, rien de puni que
l’insensibilité & le défaut d’ardeur : & n’est-ce pas là le
dénouement de tout théâtre ? Ah ! concluoit Lactance, n’est-ce
dont point aussi un avertissement trop persuasif de ce
que vous pouvez faire ? Admonentur quid facere
possint. Quand les exemples des Héros, leurs sentimens,
leurs actions, leur bonheur, jusqu’à leur infortune, tout autorise la
passion : Admonentur quid facere possint, &
inflammantur libidine.
Prétextez encore à présent la modestie & la
retenue du théâtre : qu’il seroit à souhaiter qu’il fût encore de nos jours
ce que vous pensez qu’il étoit autrefois ! Un siécle aussi délicat que le
nôtre sur les dehors en auroit de l’horreur, on n’y pourroit aller sans se
flétrir ; mais le malheur de notre siécle est d’avoir été trop habile à
déguiser le crime, en lui donnant un masque de vertu. Il est vrai, comme
vous le dites, que le théâtre aujourd’hui purifie l’amour profane & ne
forme que de légitimes nœuds : mais vous tournerez, vous dorerez en vain la
passion ; c’est toujours cette malheureuse concupiscence que saint Jean
défend de rendre aimable, puisqu’il défend de l’aimer ; c’est toujours cette
concupiscence qui enflammée une fois, ne souffre jamais ou presque jamais de
régle : le théâtre qui l’enflamme en la représentant réglée, la régle-t-il
en vous ? L’auteur, d’un trait de plume, modere, arrête un Héros à son gré ;
mais le cœur une fois ému, ne reconnoît pas si aisément des bornes. Un objet
grossier l’eût rebuté, l’eût arrêté d’abord : mais vous l’autorisez à
s’échapper, il en profite ; vous lui présentez une barriere, elle l’irrite ;
il est déja bien loin.
Hélas ! notre théâtre, supposez même qu’il soit
plus châtié, n’en est donc qu’un plus sûr écueil à l’innocence, & parce
qu’il autorise davantage, parce qu’il insinue plus agréablement, & qu’il
imprime plus fortement la passion. Oui je consens, disoit Tertullien, que
tout soit simple dans vos spectacles, que tout soit charmant & même
honnête : Sint dulcia,
libebit, & grata etiam honesta. Remarquez que les
saints Peres ne déclamoient pas contre des théâtres de dissolution &
d’infamie. Mais, poursuit Tertullien, celui qui veut préparer un breuvage ne
détrempe pas le poison dans le fiel & l’absynthe ; c’est sous la douceur
du miel qu’il a soin de cacher la mort. De-là tous ces agrémens que l’ennemi
de la pudeur a pris soin de répandre sur les spectacles ; de-la, comme
remarque l’ingénieux Lactance, cette beauté, cette noblesse de sentimens,
cette vivacité, cette diversité d’images pour faire trouver les crimes plus
charmans & plus aimables. De-là cette magnificence, cette pompe de
décorations pour leur donner plus d’appareil, un éclat frappant ; de-là
cette liberté de fiction pour en dégager la représentation de tout ce qu’ils
eurent dans la réalité de rebutant & d’hideux. De-là cette exactitude de
proportions, de vraisemblance pour exciter plus sûrement à l’imitation ;
de-là cette politesse de langage, ces vers nombreux composés avec art pour
aider à les retenir plus aisément.
Que dirai-je de ces
artifices étudiés d’un déclamateur, d’autant plus propres à porter dans le
cœur le trait de la ◀volupté, qu’il sait mieux s’en feindre blessé ; &
ces danses animées, & ces symphonies molles & séduisantes ?
His tripudiis diabolus saltat.
N’est-ce pas satan lui-même, dit saint Jerôme, qui vient danser à ces
accords ? Et quand il n’y auroit, ajoûte saint Augustin, que la rencontre de
l’un & de l’autre sexe ; sans parler de ces criminelles affeteries de
femmes sans pudeur, qui par leur air languissant, par le son de leurs voix,
par leurs actions empoisonnées, ne cherchent, selon l’expression de saint
Basile, qu’à vous déchirer, qu’à vous percer des traits des passions
qu’elles représentent ; sans tout cela même encore
quand il n’y auroit que la vue d’un sexe dangereux qui affecte de venir y
montrer une beauté relevée par tout ce que le faste & le luxe ont
imaginé de plus enchanteur : ah ! quelle vertu pourra se sauver de tant
d’écueils ? L’Eglise même, conclut saint Chrysostôme après une description
presque semblable à celle-ci, l’Eglise n’est pas toujours un asyle assuré
contre les surprises & les insultes de la concupiscence : que
deviendront des cœurs ainsi amollis & attendris, au milieu des assauts
violens qu’ils auront à essuyer de toutes parts ?
En effet, n’est-ce pas là que l’on
remue tous les plus grands ressorts de l’ame ? tantôt ces terreurs qui
préparent aux joies inopinées, tantôt ces suspensions dans l’attente des
grands événemens, tantôt ces tristesses que produisent les éclatans revers :
qu’est-ce que sensibilité, si tout cela ne rend pas sensible ? Et tout cela
sur-tout mis en usage pour intéresser le spectateur à l’intrigue d’une
passion, pour faire entrer dans l’ame du spectateur la folle passion du
Héros prétendu que l’on feint enflammé ; & tout cela mis sous les yeux,
celui de tous les sens qui fait toujours les plus fortes impressions dans
l’ame : assailli de tant de côtés, tantôt par adresse & tantôt par
force, je défie le cœur le plus dur de ne pas se rendre à l’impression de la
passion qui est représentée. C’est bien aussi ce qu’on prétend, & on n’y
réussit que trop bien. Ici la joie éclate, ailleurs les larmes coulent ;
& dans les piéces qu’on nomme saintes, dans ces piéces où on ne cherche
qu’à s’édifier & à s’instruire : Seigneur, vous le savez, si les pleurs
sont pour vous.
Allez donc maintenant, peres & meres,
allez conduire vos enfans à cette école prétendue de vertu ; mais ne soyez
pas surpris s’ils en rapportent dans le cœur un incendie qui n’éclatera
peut-être
qu’à votre désespoir, à votre honte,
& quand il ne sera plus temps de l’éteindre. Allez cependant leur faire
apprendre à cette école de vertu l’art de conduire habilement une intrigue,
de vous dérober les secrets de leur cœur, l’art de nourrir, d’entretenir une
passion que toutes les bienséances condamnent. C’est-là l’héroïsme du
théâtre de nos jours, c’est la grande science qu’on y enseigne, sous le beau
prétexte de purger les passions & de former les mœurs. Ils en
reviendront, dites-vous, plus propres à la société, pleins d’horreur pour
les vices qui défigurent l’honnête homme, pleins d’amour pour les vertus qui
font la douceur du commerce du monde. Je le souhaite ; je souhaite que tous
les saints Peres se soient trompés, car tous les saints Peres assurent tout
le contraire. Mais laissez-nous cependant déplorer la corruption de leurs
cœurs, le deshonneur de la Religion, & peut-être le deshonneur prochain
de l’Etat, & de vos propres familles. Mais c’est assez raisonner, le
monde ne se rend gueres à de pareils raisonnemens : sans rien répondre, il
se retranche sur son expérience ; j’y consens. Paroissons donc enfin au
tribunal où il nous cite.
J’ai dit en second lieu que l’expérience commune
& générale est que le théâtre a perdu de tout temps, & qu’il perd
encore aujourd’hui toutes les mœurs. Une preuve d’abord bien sensible, c’est
l’expérience de toutes les Nations dans tous les siécles & dans tous les
pays de l’Univers. C’est un fait constant dans les Histoires, un fait que
les Auteurs ont pris soin de remarquer, que l’époque de la debauche & du
luxe qui ont perdu les Empires, est l’établissement des spectacles.
Qu’est-ce qui
perdit les florissantes Républiques de la Grece ? Demandez-le à leurs Sages.
Voici ce qu’en dit le plus éloquent de leurs Orateurs : Les spectacles
firent naître l’amour du merveil
leux, &
dégoûterent de la modeste simplicité. On se plaignit alors que les
Magistrats & le peuple négligeoient le soin des affaires publiques ; la
jeunesse quitte ses anciens exercices pour courir aux théâtres. L’oisiveté
& la mollesse d’un sexe produisit la délicatesse & la sensibilité
dans l’autre ; & bien-tôt la débauche de la Grece passa en proverbe dans
les Histoires.
Rome
fut long-temps vertueuse. Ce fut tant qu’elle ignora les spectacles, selon
la belle remarque de saint Augustin : Theatricas artes
virtus Romana non noverat. Mais comme parle un Auteur
Romain même, dès que la Grece conquise lui eut fait présent de cet art
funeste, elle lui fit présent en même-temps de tous ses vices. Voulez-vous
donc soutenir maintenant que le théâtre n’est pas la cause nécessaire de la
corruption ? effacez toutes les Histoires, & traitez les Auteurs
profanes ainsi que les saints Peres, de gens austeres, ennemis des
divertissemens & des plaisirs.
Si je passe des exemples
généraux aux particuliers, parmi les Auteurs sacrés j’entends un Augustin
qui se cite lui-même en témoignage ; & avec cette noble franchise si
digne d’un vrai Pénitent, il avoue que c’est sur le théâtre qu’il respira
par les oreilles & par les yeux tout le venin qui corrompit son cœur.
Entre les Auteurs profanes même, j’entends un Philosophe payen qui avouant,
dit-il, sa foiblesse, reconnoît de bonne foi qu’il est allé plusieurs fois
au théâtre, & qu’il n’en est jamais revenu que moins homme de bien. Un
Auteur plus moderne, courtisan célébre, l’un des plus beaux génies de son
siécle, s’exprime à peu près dans les mêmes termes ; & que de mondains
nous le disent encore tous les jours au lit de la mort ! Mais voulez-vous
que je remonte jusqu’aux premiers siécles & dans l’Histoire Sainte ?
Ah ! dites-nous, infortunée Dina, combien les fêtes
de Sichem
couterent de regrets & de larmes à votre cœur, de honte & de crimes
à votre famille, de sang à Sichem même.
Consultez encore les derniers
Livres saints, & recherchez du temps des Macchabées la cause &
l’origine de la perversion presque générale du peuple Juif. Ce que toute la
fureur, toutes les persécutions des Rois de Syrie n’avoient pû faire, par
quel adresse un apostat fut-il y réussir ? En introduisant à Jerusalem les
jeux, les fêtes, les spectacles de la Grece. Et vous, avant que de prétendre
contrebalancer le poids de ces exemples par l’expérience de notre siécle,
commencez par me prouver que notre siécle est innocent. Brûlez donc
auparavant tous ces écrits licencieux, ces poësies libertines, tous ces
Ouvrages qui ne respirent que l’irréligion & l’athéïsme, opprobre,
hélas ! trop subsistant de notre patrie ; renversez ces lieux publiquement
voués à la prostitution, & alors je verrai si je vous recevrai en
témoignage.
Car n’est-il pas étonnant que pour nous prouver que le
théâtre n’est point dangereux, on ose se donner pour exemple : J’assiste à tous les spectacles, dit-on, & j’en
sors toujours innocent. Qui parle ainsi ? Est-ce un de ces
Chrétiens de l’un & de l’autre sexe, qui vertueux sans affectation,
pénétré de sa Foi, fait son unique affaire de se sanctifier par le
recueillement, par la réception fréquente des Sacremens, par l’ordre qu’il
établit dans sa famille ? On en voit encore quelques-uns de ce caractere :
mais ce ne sont point eux qui le diront sans doute, J’assiste
tous les jours aux spectacles, & j’en sors toujours innocent.
Non, non, ils n’y paroissent pas. Qui parle donc ainsi ? C’est quelquefois
un jeune dissolu plongé dans le désordre, un vieux mondain qui va y chercher
l’image de ses anciennes miseres, & tâcher d’y ranimer les étincelles du
feu qui l’a brûlé, une
femme livrée aux plaisirs,
esclave de ses sens, idolâtre d’elle-même. Qui parle ainsi ? Ce sont
sur-tout tous ces prétendus honnêtes gens du monde, bons peres, fideles
amis, Magistrats équitables, hommes de cœur & de parole ; mais qui du
reste dans les passions ne savent rien craindre que l’éclat, rien sauver que
les dehors, se rien reprocher que la consommation même du crime.
Je ne suis pas surpris qu’ils
nous le disent : J’assiste tous les jours aux spectacles, &
j’en sors toujours innocent. Hélas ! vous ne savez pas même ce que
c’est qu’innocence ; l’intrigue n’est pour vous qu’un amusement. Vous
regardez les rendez-vous les plus concertés, comme un délassement d’esprit ;
vous traitez la liberté, la licence des conversations, de gayeté, de sel
& d’enjouement aimable ; & tout ce que les saints Peres ont appellé
voies du péché, occasions de péchés, avant-coureurs du péché, tout cela
passe parmi vous pour politesses, pour belles manieres : voilà votre
innocence. On ne réfléchit pas même sur les pensées ; les soupirs se
comptent pour rien. Je conçois maintenant comment vous pouvez sortir
innocens du spectacle.
J’assiste tous
les jours aux spectacles, & j’en sors toujours innocent. Le
peuple d’Antioche le disoit de même autrefois à son sage Archevêque : Que
répondoit le divin Chrysostôme ? Mes chers Freres, rendez graces à Dieu. Que
vous êtes heureux ! la grande merveille ! vous marchez tous les jours sur le
feu sans vous brûler ; tandis que nous par une simple lecture de ce que vous
voyez représenter, malgré la pureté de nos intentions, nous nous trouvons
toujours coupables ; tandis qu’une simple lecture, encore plus innocente,
fit trouver au grand Jerôme dans le fonds de son cœur un sujet continuel de
regrets & de larmes : mes chers Freres, que vous êtes heureux !
Mais que vous
changerez bien un jour au Tribunal de Jesus-Christ de sentimens & de
langage ! & quand il seroit vrai ce que vous dites à présent, que vous
êtes toujours sorti innocens du spectacle, encore faudroit-il conclure avec
un grand Docteur : premierement, qu’à raison du scandale, autorisant par
votre exemple des personnes qui peut-être y périront, & dont Dieu vous
redemandera les ames : secondement, à raison du danger auquel vous vous
exposez, danger moindre si vous voulez pour vous que pour d’autres, mais
toujours vrai danger pour vous ; c’est donc toujours un crime pour vous, qui
que vous soyez, d’y assister.
Est-ce donc une perte si légere, que la perte de votre
innocence, pour que vous ne trembliez point au plus petit danger ? La grace,
dites-vous, & je veux le croire, vous l’a conservée jusqu’ici dans les
lieux mêmes où elle couroit plus de risque. Quelle reconnoissance
marquez-vous à Dieu de ses faveurs, quels motifs lui fournissez-vous pour
l’engager à les continuer, que de vous obstiner à la prodiguer toujours
ainsi ?
Ah ! Chrétiens, s’écrioit Tertullien en finissant le beau
Traité qu’il a écrit sur cette matiere, Chrétiens, si vous aimez les
spectacles, si vous ne pouvez vous en passer, nous en avons à vous donner.
Regardez le cours précipité des siécles, les temps qui s’écoulent ;
réveillez-vous à la pensée du Royaume de Dieu, il approche. Si le
merveilleux, l’extraordinaire vous plaît, les Mysteres de la Religion vous
en fournissent. Aimez-vous à être attendris, à voir des objets qui frappent,
des morts, du sang versé ? Ah ! voilà le Sang de Jesus-Christ qui coule :
quel spectacle plus touchant & plus beau pouvez-vous desirer ? quel
amour ! un Dieu en Croix : Quel amour a jamais fourni une si surprenante
scène ? retour inopiné ! dénouement admirable ! Le voilà triomphant dans
les Cieux, il vous y montre votre place, il vous
appelle. N’est-ce point assez de ce spectacle ? nous vous en montrerons
d’autres encore. Ce monde, tout cet Univers enflammé, réduit en poudre,
l’étonnement, l’effroi des Nations, un Juge rayonnant de gloire, porté sur
les nues, les Anges qui lui font cortége : dites-nous, quelle place alors
voulez-vous occuper ? Voilà le grand spectacle qui doit vous dégoûter de
tous les autres.
Le théâtre, poursuit Tertullien, est l’empire de
l’ennemi de J. C. & vous quittez, vous désertez l’Eglise où Jesus regne
pour courir au théâtre ! Savez-vous que celui qui quitte son Prince pour
s’attacher à son ennemi, doit se résoudre à périr avec lui ? Malheureux
voulez-vous donc périr avec l’ennemi de Jesus-Christ ? Mais je raisonne en
vain, je tâche en vain d’émouvoir : je suis presque certain que je n’ai
convaincu, changé personne ; du moins je vous prends à témoin que je ne vous
ai rien caché de tout ce qui pouvoit vous inspirer de l’horreur pour les
spectacles profanes. Allez donc à présent, si vous êtes obstinés à vous
perdre, courez encore au théâtre. Autel, Eglise, murs de ce Temple vous m’en
serez témoins ; & vous, innocente Victime qui reposez sur cet Autel, je
vous atteste : recevez les sermens & les protestations que je vous fais.
Je serai, je suis innocent de la perte de ces ames, vous ne m’en demanderez
pas compte. Le théâtre est criminel en soi, l’innocence y court toujours un
très-grand risque. Ames chrétiennes, qui vous souvenez que vous avez renoncé
au démon & à ses pompes, & qui remplissez fidellement la condition
de l’alliance que vous avez faite avec le Seigneur, vous du moins vous nous
consolerez ; que ces deux réflexions vous animent à persévérer dans le bien
que vous avez commencé. Rien de commun entre vous & le monde, si vous
voulez vivre en J. C. pour régner un jour avec J. C.