Premiere lettre de Mr. *** à Madame *** sur les spectacles
E St-ce un mal d’aller aux spectacles ? C’est, Madame, le sujet de vôtre Lettre. Elle m’est un sûr garant des dispositions de votre Cœur. Elevée dans le sein de l’Eglise, vous vous faites gloire d’en écouter les Leçons. Attachée aux Maximes de l’Évangile, vous ne craignez rien tant que de vous en écarter ; & ayant porté le joug du Seigneur, dès la plus tendre jeunesse, vous ne voudriez pas pour tous les plaisirs du monde, risquer le salut de votre Ame. Rien de plus sensé & de plus Chrétien ; car enfin.
Heureux dans sa Jeunesse,Qui prévoit les remords de la sage vieillesse,Mais plus heureux encor, qui scait les prévenir,Et commence ses jours, comme il veut les finir.LOUIS RACINE.
C’est sans doute, Madame, pour les prévenir ces remords, que vous me faites l’honneur de me demander, si c’est un mal d’aller aux Spectacles ? Pour répondre à une question aussi importante, & dont l’examen n’intéresse pas moins les partisans du Théatre, que ceux qu’on invite à les fréquenter, je n’entreprendrai pas de vous donner du nouveau. Je le dis avec confiance, la matiere est épuisée, la verité est clairement démontrée. Qu’on veuille sincérement s’instuire, & qu’on soit de bonne Foi, les Spectacles n’auront plus de charmes, & les Théatres seront bientot déserts ; mais, dit Mr. de Fénélon, un des plus pieux, & des plus sçavans Prélats que la France ait vus naitre, Ceux qui aiment la Comédie, & qui suivent les vanités du siécle, ne veulent jamais entendre traiter chrétiennement ces matieres, afin de pécher plus librement & sans inquiétude… Ils ferment les yeux, & se bouchent les oreilles, pour ne point voir ni entendre toutes ces choses qui déplaisent. Voyez son instruction chrétienne pour l’éducation des filles. Chap. 13.
Je sçais, Madame, que vous n’êtes pas du nombre de ces aveugles & de ces sourds volontaires. Vous cherchez avec empressement la lumiere qu’ils fuient avec opiniâtreté. J’espere que bientôt éclairée sur le piége qu’on vous tendoit, vous gémirez sur la fausse sécurité de ceux qui veulent bien s’y laisser prendre : venons au fait.
Premiere vérité.
L’Eglise a toujours eu, & a encore les Spectacles en horreur :
Premiere preuve.
Tirée des Conciles Généraux &
particuliers.
LE Concile qui se tint en 305 a Illiberis, qui est aujourd’hui la Grenade en Espagne, est le plus ancien qui se soit conservé, & le résultat de plusieurs autres, qui s’étoient tenus auparavant en Occident.
Ce Concile défend de recevoir un comédien qui veut se faire chrétien, si auparavant il n’a pas renoncé à son métier ; & s’il y retourne après sa conversion, il ordonne de l’éxcommunier.1
Le Premier Concile d’Arles en 314, confirmé par le Pape St. Sylvestre, Excommunie tous les Comédiens.2
Les Constitutions Apostoliques, qui peuvent avoir été faites au même siécle, rapportent, comme une discipline reçue depuis les Apôtres, qu’on ne les doit point admettre à la participation des Sacremens de l’Eglise, avant qu’ils aient renoncé à leur profession.
Le Concile d’Arles, tenu en 452, renouvelle au Canon II. l’excommunication lancée dans le I., en 314.
Le troisieme & quatrieme Conciles de Carthage ne sont pas plus favorables aux Comédies & à ceux qui y assistoient.
Le Concile d’Afrique défend de forcer des chrétiens à fréquenter les Spectacles, d’autant, dit-il, qu’on ne peut authoriser à faire ce qui est contre les préceptes de Dieu, & qu’on doit beaucoup considérer le péril quil y a de coopérer à ces spectacles, même en y assistant par force 3
Le sixieme Concile Général tenu à Constantinople, en 680, condamne tous
les Comédiens & leurs spectacles.
Si
quelqu’un, dit ce Concile
universel,
en transgresse la défense en donnant ces fortes de
divertissemens, il sera déposé, s’il est clerc ; & s’il est
laïc, il sera excommunié.
4
Le septieme Concile Général (c’est le premier de Latran en 787) défend aux fidéles de fréquenter les Comédiens, & veut qu’on punisse les refractaires.5
Photius, au Neuvieme Siécle, ramassa dans son Nomocanon, les loix ecclésiastiques & civiles, qui condamnent les spectacles du Théatre. Il y fait voir que les fidéles doivent les fuir en tous tems, & que les ecclésiastiques ne peuvent y assister, sans encourir les centures de l’Eglise.
Les clercs, dit-il, qui y ont assisté, doivent etre enfermés pendant quelque tems dans un monastére, jusqu’a ce qu’ils aient donné des marques de pénitence.
Cette discipline s’est exactement conservée dans l’Orient, & Balsamon, Patriarche d’Antioche, écrivain du douxieme Siécle, dit, que tous convenoient, que l’Eglise défendoit aux Chrétiens les jeux & les danses des Comédiens sur le Théatre.
Zonare, autre écrivain du méme Siécle, assure la méme chose.
Enfin Aristhêne, autre sçavant canoniste Grec du douxieme Siécle, certifie que l’Eglise condamne toutes les danses, & les comédies des farceurs & Comédiens.
L’Eglise d’Occident n’a point eu une autre discipline. Les Gots & les Vandates avoient fait cesser presque partout les jeux de Théatre. Il n’y en avoit plus à Cologne, à Maïence, à Lyon, à Vienne &c.
Les Alains, les Suéves &c. Entrés dans les Gaules par le Rhin en 407, les y avoient abolis. De tout ce pays, il n’y avoit que la Provence, où il y en eût encore, dans les tems de Salvien, vers le milieu du cinquieme Siécle. Après 443, nous ne trouvons plus aucune mention des Théatres, que sous Charlemagne.
Le Concile de Châlons-sur-Saone, tenu en 813, sous Charlemagne, défend aux ecclésiastiques d’assister aux spectacles, sous peine de suspense, & leur ordonne d’en inspirer de l’horreur aux fidéles. Can. 9.
Le Concile de Paris, en 829, contient la même doctrine.
Le douzieme Concile Général, qui est le quatrieme de Latran, tenu en 1215, renouvelle les mêmes peines. 1
Un Concile de Bude en Hongrie tenu en 1279, 2
Les Conciles de Cologne en 1280, de Nimes en 1284, de Bayeux en 1300 & de Nicosée en 1353, font les mêmes défenses, en même termes▶.
Le Concile de Bourges en 1584, ne s’éxprime pas avec moins de force, dans son quatrieme canon, que les sixieme & douzieme généraux.
Le Concile de Tours en 1585, défend les Comedies &c. Sous peine d’excommunication. Comœdias, Ludos Theatrales sub Anathematis pœnâ prohibet hæc synodus.
D’autres Conciles tenus à Maïence, à Bourges, à Rheims, à Toléde, à Milan, à Anvers, à Aix-la-Chapelle &c. &c. Ne sélevent pas avec moins de force, contre les Comédies & Comédiens. On feroit un volume de tout ce qu’ils ont dit sur ce sujet.
Les loix civiles sont ici d’accord avec les loix ecclésiastiques.
L’Empereur Justinien déclare que les Comédiens sont infames.
La loi de Valentinien du onze fevrier 371, nous apprend non seulement que
la profession de Comédien étoit infame,
même parmi
les Païens
; mais encore qu’elle n’étoit pas libre.
Cet Empereur ordonna à la fin de septembre de la même année, que les
filles des Comédiens ne pourroient être désormais obligées de suivre la
condition de leur mere, quand elles auroient embrassé une vie plus
grave.
L’Empereur Gratien renouvelle cette loi, & ordonne que, si ces filles viennent à faire des actions plus dignes d’une Comédienne, que de la pureté du Christianisme, elles seront contraintes de servir au Théatre, pendant tout le reste de leur vie.
Ce seroit perdre le tems que d’entasser ici preuves sur preuves. Les Apologistes du Théatre, les partisans de la Comédie, les Comédiens eux-mêmes en conviennent.
M. Iraïl, zélé défenseur des spectacles, avoue dans le second tome de ses
querelles littéraires, que
La Réligion & la
Législation ont toujours réprouvé la profession de
Comédien
.
L’Encyclopédie ne s’explique pas moins clairement, tom. 3. Pag 671. Les
Comédiens le supposent dans leurs requêtes de 1696 & 1701. M. Huerne
de la Motte, Avocat au Parlement de Paris, & fameux partisan des
Comédiens, en fit de même en 1761. En un mot, la
doctrine de l’Eglise contre les spectacles étoit si claire & si
constante, même du tems des Luthériens & des Calvinistes, qu’ils ne
purent en disconvenir dans leur recueil intitulé, La
discipline des protestans de France au seizieme Siécle, Chap.
14. Artic, 28…
Ne sera loisible
, disent ils,
aux fidéles d’assister aux Comédies, vû que de tout
tems cela a été défendu entre les Chrétiens.
Le Gouvernement civil d’Angleterre ne leur étoit pas plus favorable, que
celui des autres nations. Un statut du chapitre 4. de la trenteneuvieme
année d’Elisabeth ordonne, que les Comédiens…
Seront
apprèhendés, réputés fripons… Et encourront toutes les peines
& punitions ordonnées à ce sujet, à moins qu’ils ne
renoncent à leur métier.
Et vers 1580, plusieurs pieux
bourgeois & autres personnes de Considération, bien
intentionnés pour la ville de Londres, Considérant que les
Comédies… étoient des piéges tendus à la jeune Noblesse &
autres… en ont averti quelques Réligieux Magistrats, les
suppliant de prendre les moyens de supprimer les Comédies de la
ville de Londres & de ses dépendances. Lesquels, Magristrats
ont sur cela… obtenu de sa Majesté la Reine Elisabeth, la
permission de chasser les Comédiens de la ville de Londres &
de ses dépendances. Ce qui a été conformément éxécuté & les
salles de la Comédie de la rue Gracechurch furent entiérement
détruites.
Voyez l’ouvrage de Jeremie Collier
Seconde preuve.
Tirée des SS. Peres & des Docteurs de
L’église.
L
A Doctrine des Peres sur les
Comédies, n’est pas équivoque
, disent
les conférences d’Angers sur les Péchés :
pag. 547. edit. de 1775. On peut même dire
qu’il n’y a peut-être rien dans la morale, où elle soit si
précise, si étendue, si développée ; plusieurs même en ont fait
des traités exprès, comme Tertullien & S. Cyprien ; d’autres
dans l’occasion en ont témoigné leur sentiment.
St. Basile (Hom. 4. â in heram) St. Grégoire de Nazianze (ad salene) St.
Chrisostome, homil : 62, au peuple d’Antioche &c. St. Jerome, sur le
vingtieme Chap. d’Ezech. & dans son livre second contre Jovin. St.
Augustin L. 2 de ses confessions C. 3. & dans son traité de la cité
de Dieu L. 6. C. 7. &c. &c. Nous disent unanimement, que les
Théatres sont
une école de débauche, des chaires de
pestilence, Theatra pestilentiæ, la peste des Ames, animarum
pestis, & une misérable folie, miserabilis
insania.
St. Augustin compare les Comédiens à des femmes publiques :
publicæ turpitudinis professores.
Aussi Salvien, auteur du cinquieme Siécle, (Salvien de Marseilles, qu’on nommoit le pere des Evêques) assure-t-il, que de son tems, personne n’étoit reçu au Baptême, s’il ne renonçoit auparavant aux spectacles, comme aux pompes du Démon.
Le Grand St. Charles, dans son prémier Concile de Milan, exhorte les
Princes & les Magistrats,
Principes &
Magistratus &c.
à chasser les Comédiens, &
à défendre aux hôtelliers & à tous autres, sous de grieves peines,
de les recevoir chez eux. Ce Saint composa un ouvrage contre la
Comédie : il y prouve qu’elle est mauvaise ;
Soit à
cause des circonstances qui l’accompagnent
, soit a
cause de leurs suites. Cet ouvrage fut imprimé en 1662.
St. François de Sales, après s’être expliqué sur les spectacles, dans son
Introduction à la vie dévote, dit dans sa troisieme partie, ce qui
suit :
O Philothée ! ces impertinentes récréations
dissipent l’esprit de dévotion… Refroidissent la charité, &
reveillent en l’ame mille sortes de mauvaises
affections.
Si c’est ainsi qu’on se déclare en faveur
des spectacles, comment faudra-t-il s’exprimer pour les condamner ?
St. Thomas, mort en 1274, n’avoit pas enseigné une autre doctrine.
Ceux
, dit ce
Saint,
qui assistent aux spectacles, se rendent coupables ;
parce qu’en étant les spectateurs, ils contractent un plus grand
penchant pour les choses lascives ou cruelles, qu’ils y voient
représenter.
1
Et à la quest. 167 art. 3. Il dit que les mots pour rire, ou tous autres
jeux
deviennent condamnables, prémierement
quand le jeu, quoique d’ailleurs indifférent, est joint à des
circonstances qui le rendent mauvais ; comme si l’on vouloit jouer
des jeux défendus par l’Église
.
Ces fautes, ajoute-t-il, sont mortelles de leur nature.
De se sunt peccata mortalia.
Enfin parlant des biens acquis par une voie criminelle, il met sans
exception, le gain des Comédiens au rang de celui des prostituées.
Quædam verò dicuntur malè acquisita, quià
acquiruntur ex turpi causa, sicut de meretricio &
histrionatu.
2. 2. Quæst. 87. 2. 2. ad 2.
Que n’auront donc pas à se reprocher ces écrivains,
qui interprètant mal quelque passage de ce Saint
,
dit le savant Cardinal d’Aguirre, voudroient en faire l’apologiste des
Théatres ? 2
C’est aussi la réflexion de Mr. Bossuet, dans ses maximes sur la
Comédie : c’est celle de Benoit XIV, de Synodo
Diœcesana. Tom. 3. L. XI. Pag. 136.
En un
mot, les autorités des Peres & des Conciles sont si
multipliées, qu’on en a fuit un ouvrage sous le titre de :
Tradition de l’Eglise sur la Comédie.
Les SS. Docteurs ne se contentent pas de condamner la
Comédie en général ; mais ils en donnent les raisons, & ces
raisons, pour la plupart, ont la même force contre les piéces de
notre Théatre. Elles sont tirées ces raisons, de la nature des
spectacles, qu’ils mettent
constamment
au nombre des Pompes du Démon ; du vice intrinséque des piéces
qu’on y représente, de leurs sujets, de la morale qu’on y
enseigne, de l’émotion des passions, des illusions de
l’imagination, des impressions mauvaises. &c. surtout
lorsque cela est soutenu de la déclamation, de la présence
d’objets séduisants, de la peinture vive & intéressante des
passions, qui portent à la tendresse & à la volupté ; Et
c’est-là précisément l’état actuel de notre Théâtre… N’en
peut-on pas dire ce que Tertullien disoit du Théatre païen ?
C. 10. Theatrum propriè facrarium veneris
est. Il faudroit être absolument étranger parmi nous, pour
l’ignorer : ceux qui l’ont étudié parmi nous, ne peuvent
s’empêcher d’en convenir.
Le concert des Peres si unanime, si précis, leur
décision soutenue de tant de preuves, l’importance qu’ils
donnent à ce point de morale… Ne permettent pas
d’hésiter…
La morale des Peres, dit Benoit XIV, est la
morale de l’Eglise, & la seule qu’elle avoue. Voyez les conférences
d’Angers depuis la pag. 547. déjà citée, jusqu’à 557.
Troisieme preuve.
Tirée des mandemens & des instructions des premiers
Pasteurs de l’Eglise.
C’Est dans ces mandemens, & dans ces
instructions, que les Princes de l’Eglise, & les Dépositaires de ses
loix en exposent publiquement toute la force & toute l’étendue. Or
qu’y lisons nous ?
Il faut ignorer sa
religion
, dit M. de
Rochechouart, dans son mandement de
1695,
pour ne pas connoitre l’horreur, qu’elle a marquée dans
tous les tems, contre la Comédie. L’Eglise l’a toujours regardée
avec Abomination.
Il n’y a point de fidéle, pour peu qu’il soit
instruit de sa Réligion, & des maximes de l’Evangile, qui ne
sache combien ces sortes de représentations sont opposées à
l’ésprit de Jesus-Christ. Combien ces spectacles d’iniquité sont
capables d’entretenir les passions, ou de les faire
revivre.
Dit M. l’Evéque de Montpellier, dans son
mandement de 1697.
Le célébre Fléchier n’est pas moins véhément dans celui qu’il a donné en
1708.
L’Eglise
,
dit-il,
condamne les spectacles, & nous les condamnons avec
l’Eglise.
Ensuite, il les declare
Contraires à l’esprit du Christianisme, pernicieux aux
bonnes mœurs, féconds en mauvais exemples.
&c.
Les spectacles… sont des œuvres de
Satan
, dit M Massillon Evêque de Clermont, dans ses
instructions sur le petit nombre des Elûs.
C’est-là,
où le poison entre par nous les sens dans l’ame, où tout l’art
se réduit à inspirer, à reveiller & à justifier les passions
que Jesus-Christ condamne &c.
Telle est la Doctrine contenue dans les mandemens des Archèvêques &
Evêques de Paris, de Lyon, d’Alby en 1719. De Lodéve en 1732. &c.
&c. Telle est celle du mandement du Cardinal Delçi, signé de 36 tant
Cardinaux, qu’Archévêques & Evêques de l’Etat ecclésiastique. Telle
est celle de M. l’Evêque du Puy,
à présent
Archevêque de Vienne. Nos Théatres, dit-il dans un de ses mandemens de
1763, sont
ces écoles de vices, tant de fois
proscrites par l’Eglise
.
Telle est enfin celle de l’Eglise Gallicane, dont les Evêques firent imprimer en leur nom, un traité contre les spectacles en 1581. Est-il un fait mieux établi ?
Quatrieme preuve.
Tirée des Rituels, & des Statuts Synodaux.
C’Est par ces monumens, que les prémiers Pasteurs de l’Eglise nous transmettent son esprit, sa discipline, & ses loix pour la conduite des fidéles, & pour l’administration des Sacremens. Ouvrons ces Rituels, & Lisons.
Ceux de Châlons-sur-Marne en 1649, & de Troyes en 1660 défendent
d’admettre les Comédiens pour parrains.
Ad hoc munus non admittat Comœdos.
A
l’article de Patrinis, Celui de Paris places les
Comédiens au nombre des
Excommuniés
dénoncés
.
Celui d’Auxerre, aprés avoir associé les Comédiens aux hérétiques
dénoncés &c. Ajoute que
toutes ces Personnes
demeureront Excommuniées, jusqu’à ce quelles reconnoissent
l’énormité de leurs crimes, & qu’elles en demandent
l’absolution à l’Eglise
.
Ceux de Rheims & d’Alet en 1677 défendent d’accorder
l’absolution à ceux qui fréquentent les Comédies, &
à ceux qui font une profession qu’on ne peut éxercer sans péché,
jusqu’à ce qu’ils aient renoncé à cette profession, comme
Comédiens
.
Celui d’Auch, imprimé à Paris en 1701, ordonne
de refuser la sépulture ecclésiastique
aux Comédiens
qui meurent, sans donner des preuves d’une véritable
Pénitence
.
Celui de Châlons déjà cité, veut qu’on les repousse de la Ste. Table.
Arcendi sunt publicè indigni, quales sunt
excommunicati ; manifestè infames, ut meretrices…
Comœdi.
Ceux de Sens, de Langres, de Coutance, de
Bayeux, de Marseilles &c, ne sont ni moins clairs, ni moins
décisifs.
L’Eglise, dit celui de Toulon en 1702,
a toujours
improuvé les spectacles, son intention a toujours été d’en
détourner les fidéles
.
Ce Rituel, publié de nouveau en 1748 le 15 Decembre, a été adopté, en
1778, par M. l’Evêque de Macon, & par plusieurs autres Prélats du
Royaume. Il est aujourdhui entre les mains de tous les Evêques
Catholiques, & estimé comme un des plus excellens ouvrages en ce
genre. Ce fameux Rituel, réimprimé en 1780, contient encore ce qui
suit :
L’Eglise condamne les Comédiens, & croit
par-là défendre assez la Comédie ; la Décision en est précise
dans les Rituels. La pratique en est constante.
Les ordonnances de Paris en 1674. Regardent les Comédiens comme des gens
manifestement infames, & ordonnent de leur
refuser publiquement la Communion
.
Celles de Grenoble en 1690, declarent, que
rien n’est
plus contraire à l’esprit du Christianisme, que les
Comédies
.
Les Peres
, y
ajoute-t-on,
ayant fait connoitre dans leurs écrits… Les suites
funestes d’un divertissement… Si commun au Siécle où nous
sommes ; les Prédicateurs & les Pasteurs n’oublieront rien,
pour détourner les fidéles, de ces sortes d’assemblées, que les
Saints ont appellées autrefois, les conventicules des Démons,
& la source de toutes sortes de péchés.
Mr. de Clermont Tonnerre, Evêque de Noyon, dans ses
Statuts & Ordonnances Synodales en 1694., défend les spectacles avec
la même vigueur, à tous les Fidéles, &c.
Tous
les Chrétiens
, dit-il, & principalement les Ecclésiastiques, étant obligés
d’éviter les dangereuses représentations, qui paroissent sur les
Théatres… Nous, dans l’esprit des Conciles de Laodicée, de
Carthage, d’Afrique, d’Arles, de Constantinople troisieme, de
Sens, de Narbonne, de Bordeaux, de Trente, de Rheims, avons
fait, & faisons expresse défense… D’assister aux comédies,
tragédies &c
On ne scait que trop
, disent
les ordonnances Synodales de Toulon, en 1704,
que ces lieux de spectacles sont les écoles des Démons…
Rien n’etant donc plus contraire, non seulement à l’esprit du
Christianisme &c. &c. Nous exhortons tous les fideles…
de s’abstenir de ces faux & malheureux plaisirs… nous
défendons à tous Prêtres & Ecclésiastiques de ce Diocése, ou
y résidant, d’assister aux bals, Comédies, à peine
d’excommunication encourue ipso facto.
Celles de
Noyon, dont nous avons parlé, les défendent aux Ecclésiastiques,
sous peine de suspense de leurs
ordres
. Se peut-il rien de moins équivoque ?
Cinquieme preuve.
Les Souverains Pontifes ne sont pas plus partisans des
spectacles, que les autres Pasteurs de l’Eglise.
LE Pape St. Clément, du prémier Siécle de l’Eglise (Il est mort l’an 100.) veut qu’on chasse de l’assemblée des fidéles, les Comédiens, qui ne voudroient pas renoncer à leur profession L. 8. constit cap. 32.
Le Pape St. Sylvestre, mort en 335. excommunie tous les Comédiens.
Le St. Pape Gelase ne negligea rien pour faire cesser les spectacles, qui recommencerent en 519.
Innocent XI. fit démolir à Rome le premier Théatre public.
Innocent XII. & Clement XI. rejetterent les requêtes des Comédiens François.
Benoit XIV, un des plus grands Papes que nous ayons vus sur la chaire de St. Pierre, donna le premier Janvier 1748. une déclaration authentique, pour certifier qu’il ne toléroit les spectacles, qu’à regret. Dans un de ses ouvrages, intitulé de Synodo Diœcesana, imprimé à Louvain, tom. 3. L. XI. chap. X pag. 136. observant qu’un Auteur avoit été assez hardi, pour dire qu’un Ecclésiastique pourroit assister aux spectacles, sans commettre un peché mortel, pourvû qu’il fût bien assuré 1°. qu’ils ne lui feroient aucune impression 2°. qu’il n’y auroit aucun scandale. Ce célebre Pontife, après avoir montré en peu de mots, la frivolité & la fausseté des raisons de cet Auteur, ajoute ce qui suit.
C’est pourquoi les partisans mêmes de la morale la plus relachée, condamnent les Comédies, & bien loin d’exempter de péché considérable, les Clercs qui y vont, ils décident d’une voix unanime, avec St Thomas, que les laïcs s’en rendent coupables, en y assistant.
Nimis porro laxa, ne dicam apertè erronea & scandalosa est doctrina, quam tradit Lucius Ferraris… Quòcircà etiam mollioris ethices sectatores ejusmodi comœdias damnant. &c &c &c. Cum divo Thronâ.
Il traite encore cette matiere d’une maniere plus étendue, dans son livre, des institutions Ecclésiastiques. institution XIV.
Ce sçavant homme ne se contente pas d’écrire contre les Théatres, il engage encore les plus célébres Auteurs, à les attaquer, & à en détourner les Fidéles. Il choisit en particulier le docte Concinna, pour publier les sentimens de l’Eglise sur ce sujet ; ce qui fut exécuté en 1752.
Ce seroit donc se faire illusion, que de s’authoriser des spectacles de Rome…
Quoique le Gouvernement civil y souffre, pour le repos & la
tranquilité publique, ces funestes amusemens, que les Constantin & les Thèodose n’ont pu
abolir,
minoribus id quod majus est, ementes quietem
& securitatem
. Ils n’y sont pas moins réprouvés
par le ministére ecclésiastique, comme on vient de le voir.
Ce n’est point par négligence, ni par
rélâchement
, dit le St. Pape
Gelase, que mes
prédécesseurs ont usé de Tolérance à l’égard de ce scandale…
Je suis persuadé, qu’ils ont fait les plus sinceres tentatives
pour le détruire.
Ce fut avec le même zéle, que Clement XIII renouvella, en 1759. la défense faite aux Ecclésiastiques, d’aller à la Comédie.
Sixieme preuve.
Tirée du concours de tous les Théologiens.
LEs François, les Italiens, les Espagnols &c. les Catholiques, les Hérétiques mêmes, tous conviennent unanimement, que l’Eglise a toujours condamné les spectacles, & c’est d’après ses décisions, qu’il sont tous d’accord, qu’on ne peut y assister sans péché.
Pour vous en convaincre, il suffiroit de vous remettre sous les yeux, le témoignage de Benoit XIV, que nous venons de citer, & la commission qu’il donna au célèbre Concinna en 1752.
Six autres Auteurs Italiens se joignirent à celui-ci, en trois ans de
tems, pour la même cause. En 1770 M. Casotti, Evêque Italien, Mr.
Bertonne Evêque de Novarre, Rulfo Docteur & Professeur du même lieu,
& plus de quatre cents Pasteurs du même Diocèse, consultés en 1769.,
ne furent pas plus favorables aux spectacles & aux spectateurs, que
ne l’avoit été François Delmonaco, dans son ouvrage
contre la Comèdie, en 1630. Cet écrivain, aussi Italien, nous parlera au
nom de tous
les autres.
Soutenir
, dit-il,
qu’on peut assister aux Comédies de nos jours, sans se
rendre coupable de péché mortel, ce seroit soutenir une
proposition indigne d’un simple Chrétien, à plus forte raison
d’un Théologien, & se rendre partisan d’une doctrine
directement opposée à celle de tous les Théologiens, &
s’éloigner d’une vérité établie par la décision des Souverains
Pontifes, par les Canons des Conciles généraux &
particuliers, par les écrits des Sts Peres, & par la
doctrine constante de tous les Théologiens.
1
Se peut-il rien de plus formel & de plus décisif ? Les Théologiens Espagnols ne sont pas moins décidés contre les spectacles. Pour abréger, je ne citerai que deux des plus fameux Théologiens de cette nation, Gonzales, & le Cardinal d’Aguirre.
Gonzales ne se contente pas de parler contre la Comédie, dans son
admirable commentaire sur les Décrétales ; mais dans ses notes sur le
canon 62 du Concile d’Elvire, il met sous les yeux du lecteur, les Loix
ecclésiastiques & civiles, qui déclarent les Comédiens infâmes,
& dèfendent aux fidéles d’assister à leurs
représentations, & cite les plus habiles Auteurs de sa nation, qui
ont écrit sur cette matiere.
Plura etiam
congerunt
, dit-il, de hac nefariâ arte, Mariana &c &c.
Le savant Cardinal d’Aguirre renvoie à tous ces Docteurs de sa nation,
dans la grande collection des Conciles d’Espagne, qu’il a fait imprimer
à Rome, vers la fin du siécle dernier. Il gémit sur les désordres des
piéces de théatre, & ne les croit par moins grands, que ceux que
produisoient les spectacles, contre lesquels les Peres de l’Eglise
s’élevoient avec tant de force. Les expressions, dit-il, tome I. page
674, les gestes, les tours, les intrigues, tout porte au faux amour. Il
ajoute avec Tertulien,
qu’ils nuisent aux sorts, aux
foibles, & à ceux qui tiennent le milieu : firmos gravant,
infirmos capiunt, medios cum scrupulo
dimittunt
.
Bossuet,
la gloire, l’ornement & la lumiere de
l’Eglise Gallicane
,1 en sera aussi l’organe, & parlera au nom
de ses Théologiens.
L’Eglise
, dit ce grand Prélat,
condamne les Comédiens, & les prive de la sépultûre
ecclésiastique. Si l’Eglise
,
ajoute-il,
ne prononce pas contre ceux qui fréquentent les
Théatres, les mêmes censûres, dont les Comédiens ont toujours
été frappés, c’est que, comme le dit S. Augustin, elle n’exerce
la sévérité de ses censûres, que sur les pécheurs, dont
le nombre n’est pas grand.
Severitas exercenda in peccata paucorum.
Fénélon,
cet homme sublime
,
dit le grand Vocabulaire François,
fut enlevé à l’Eglise, aux lettres, & à la patrie
en 1715
.
Cet
Académicien
, ajoute-t il,
est Auteur d’un excellent traité de l’Éducation des
filles.
tom. X pag 340. 341. 342. Or, que lit-on au
chapitre 13 de ce traité ? le voici :
Les Comédies
corrompent les bonnes mœurs.
Et dans sa lettre à
l’Académie Françoise, en parlant des spectacles, il dit, qu’on
n’y représente les passions corrompues, que
pour les allumer
;
qu’elle
devroit donc être
, ajoute-t-il,
la sévérité des nations Chrétiennes contre les
spectacles ? on n’y parle que de feux, de chaine, de tourmens.
On veut y mourir en se portant bien.
Permettez, Madame, qu’à ces authorités aussi respectables que décisives,
j’en ajoute une, qui, quoique moins frappante, n’en fera peut-être pas
moins d’impression sur votre esprit. Voici le fait. En 1779, je fus prié
de consulter le cas suivant : Un grand Seigneur, qui avoit souvent chez
lui une compagnie aussi nombreuse que respectable, faisoit représenter
dans son Château, (non par des Comédiens, mais par des personnes de
condition qui alloient lui tenir compagnie) les piéces de Moliere &
autres, qu’on débite sur nos Théatres. On avoit même soin de Gazer les endroits les plus libres. On demandoit si ce
Seigneur pouvoit en conscience, faire représenterces piéces, & l’on
désiroit là-dessus, non seulement la décision des Docteurs de Sorbonne,
mais encore celle de Messieurs les Curés de
Paris. La réponse fut aussi claire que précise. Tous les Curés de la
Capitale déclarerent, d’une voix unanime avec les Docteurs, qui
signerent avec eux, que le Seigneur susdit ne pouvoit en conscience,
faire représenter ces piéces, parce que,
quoique
gazées, elles n’en portoient pas moins au mal, de leur nature :
ex se.
Ce sont les ◀termes▶. Cela auroit-il besoin
d’interprête ? est il plus permis d’assister à ces piéces, que de les
représenter ? & si en conscience, on ne peut
assister aux piéces de nos Théatres, lorsqu’elles sont gazées, pourra-t-on en être Spectateur innocent, quand elles
ne seront pas corrigées ?
Seconde vérité.
Les Comédiens ont toujours été, & sont encore excommuniés.
C’est en vain, que Mrs. les Encyclopédistes se sont ralliés pour renforcer la troupe des partisans du Théatre, & donner un nouveau coloris à leurs redites cent fois pulvérisés. Toujours accablés sous les poids de la raison, de la Réligion & de l’autorité, souvent en contradiction avec leurs propres écrits, & rarement d’accord entr’eux, ils n’ont réussi qu’à m’anifester l’impossibilité de leur entreprise, aussi irréligieuse que téméraire.
C’est ce que sentit Hedélin D’aubignac. C’est le second
faiseur de piéces de Théatres, qui en ait entrepris la justification en
1657.
On a
, dit-il,
contre soi, 1° la croyance commune, que
c’est pécher contre les régles du Christianisme,
d’y assister. Et 2° l’infamie,
dont les Loix ont noté les Comédiens.
Double
difficulté, que d’Aubignac n’a point levée, elle a été, & sera toujours,
l’écueil où viendront nécessairement échouer tous les Apologistes des
Spectacles. C’est apparemment pour éviter le naufrage commun, que le
Rédacteur des articles, Comédie & Comédien, dans le
6me volume du Grand Vocabulaire François, en 1768, pag. 256, a jugé
expédient de la déguiser. Satisfait d’avoir copié mot pour mot, tout ce que
l’Encyclopédie
1 avoit hazardé 15 ans
auparavant, en faveur des Comédies & de leurs acteurs, il fait les
aveux, qu’il y trouve, & ne pouvant nier l’éxistence des foudres de
l’Eglise contre les Comédiens, que nous trouvons clairement consignées dans
les Conciles ci-devant cités, pag. 5,6,7,8. Dans les Rituels &c.
rapportés pag. 16. 17. &c, il feint d’être surpris du peu de
considération, qu’on a pour eux, & attribue ce prétendu préjugé, à certaines constitutions des tems reculés, dont il n’a
pas jugé à propos de fixer l’époque, il dissimule adroitement les
postérieures, ne dit rien des écrits des Peres, & passe l’éponge sur
tout ce qu’il voit être sans réponse. Ayant ainsi pris le large, il ose
avancer ce qui suit :
Ce n’est, sans doute, pas une des moindres contradictions de ce monde, que le peu
de considération que l’on a
parmi nous,
pour les Comédiens. Cela est, sans doute, fondé sur d’anciennes
constitutions, qui ont excommunié, ou déclaré infames les Histrions
des tems réculés ; mais qu’étoit-ce alors que le Théatre & les
Comédiens ? des Jongleurs, des Troubadours, qui donnoient au Public
des farces grossieres, dans lesquelles la Divinité, les Diables
mêmes avoient des rôles. C’étoit peu, sans doute, d’excommunier
pareilles gens.
Remarquez bien, je vous prie, Madame, que tout ceci est, sans doute ; mais, avec la permission du Vocabulaire, je prendrai la liberté de vous faire voir, qu’il est faux, que les loix, qui excommunient les Comédiens, n’aient eu pour objet, que les Histrions des tems reculés. Et d’abord ces Jongleurs, ces Troubadours, qui donnoient des farces grossieres &c, furent nos prémiers Comédiens, dans le quatorzieme Siécle, selon les mémoires de Mr. le Maire. Paris anc. & nouv. C. 2 pag. 503. C’est d’eux que par le Mr. Despreaux, dans le troisieme chant de l’Art Poëtique.
Chez nos dévots aïeux, le Théatre abhorré,Fut long tems dans la France, un plaisir ignoré ;De pélérins, dit on, une troupe grossiere,En Public, à Paris, y monta la premiere ;Et, sottement zélée en sa simplicité,Joua les Saints, la Vierge, & Dieu par piété.
Ces Pélerins avoient réussi à former une société, sous le nom de Confrérie de la Passion, dans le quinzieme siécle, sous Charles VI
& VII
Nos prémiers Comédiens furent des Troubadours,
des Jongleurs
, dit l’Encyclopédie tom 3 pag. 671.
Aux Jongleurs
succéderent les Confréres de la Passion
; le
Parlement de Paris les proscrivit sous François I par deux arrêts : l’un du
9 Decembre 1541, & l’autre du 19 Novembre 1548. Il n’y avoit point alors
à Paris d’autre jeux de Théatre. Ces Histrions, ces Jongleurs &, qui
jouoient des piéces, dans lesquelles la Divinité, & les Diables mêmes
avoient des rôles, éxistoient donc encore vers le milieu du seizieme siécle.
C’étoit donc encore peu, sans doute, d’excommunier pareilles
gens. Les Confréres de la Passion ne pouvant plus jouer leurs
piéces, céderent la place à d’autres Comédiens, qu’on nomma, enfans sans souci. Ils représenterent leurs farces à l’Hotel de
Cluny. l’Eglise & le Parlement de Paris ne leur furent pas plus
favorables. Celui-ci, fit défense à ces sans souci,
de jouer leurs comédies, ni faire assemblée en
quelque lieu que ce soit
. Ce sont les ◀termes▶ de
l’arrêt. Voici ceux de l’Encyclopédie pag. 671 tom. 3.
« Dès que Henri III. fut monté sur le Trône, il infecta le Royaume de farceurs, il fit venir les Comédiens Italiens, surnommés Gilosi, lesquels, au rapport de Mr. de l’Etoile, commencerent le Dimanche 29 mai 1577 ; ils prenoient quatre sols de salaire par tête, de tous les François ; il y avoit tel concours, que les quatre meilleurs Prédicateurs de Paris n’en avoient pas tous autant, quand ils prêchoient. Le Mercredi, 26 juin, la Cour assemblée, fit défense aux Gilosi, de plus jouer leurs Comédies, parce qu’elles n’enseignoient que Paillardises. Après avoir présenté à la Cour les Lettres patentes, par eux obtenues du Roi, afin qu’il fût permis de jouer leurs Comédies, ils furent renvoyés, & défenses à eux faites, de plus obtenir & présenter à la Cour, de telles Lettres, sous peine de dix mille livres d’amende. »
Ce fait, cité par Mrs. les Encyclopédistes, nous est confirmé par Mezeray « le luxe, dit cet Auteur, appella du fond
de l’Italie, une bande de Comédiens surnommés Li
Gilosi, dont les piéces toutes d’intrigues, d’amourettes &
d’inventions agréables, pour exciter & chatouiller les passions,
étoient de pernicieuses Leçons d’impudicité. Ils obtinrent des Lettres
patentes : le Parlement les rebutta comme personnes, que les bonnes
Mœurs, les Saints canons, & les Peres de l’Eglise avoient toujours réputées infames, & leur défendit de
jouer, ni de plus obtenir semblables lettres, sous peine de dix mille
livres d’amende. »
Il est donc constant, que les Comédiens
voisins du dix-septieme siécle, n’enseignoient que Paillardises, & que
leurs piéces, toutes d’intrigues, n’étoient que de pernicieuses
leçons d’impudicité. Il est donc incontestable, que tous les
Comédiens, sans distinction, avoient toujours été, & étoient encore
alors réputés infames ; n’étoit-ce pas encore peu d’excommunier de pareilles gens ? L’Auteur du grand
Vocabulaire ignoroit-il ces faits ? Ce ne fut qu’au commencement du
dix-septieme Siécle, sous Henri IV. & Louis XIII, que Hardi & Rotrou
tirerent des carrefours de
Paris, la Tragédie &
la Comédie ; mais, dit Mr. le Président Hénault, dans son abrégé de
l’histoire de France, les faiseurs de ces piéces
non
seulement se ressentoient de la corruption du Siécle ; mais encore
ils l’augmentoient. Ils gâtoient l’esprit & le
cœur
. Les Comédiens n’étoient donc pas moins dangéreux au
commencement du dix-septieme siécle, qu’à la fin du seizieme. Aussi étoit-ce
encore un principe certain alors, que tous les Comédiens étoient excommuniés..
Mr. Fagan, grand Apologiste du Théatre, en convient, disant, en 1752, que les piéces ont été pernicieuses aux mœurs, jusqu’à celles de Moliere. C’est à-dire, jusqu’après le milieu du dix-septieme siécle.
Mrs. les Encyclopédistes avouent eux-mêmes, en 1753,
que
le comique demeura dans une licence grossiére, jusqu’au commencement
du siécle de Louis XIV
, c’est-à-dire jusqu’au
commencement du dix-septieme siécle. Louis XIV, né le 5 Septembre 1638 à St.
Germain en Laye, est monté sur le Trône en 1643. C’est donc un fait certain,
de l’aveu même de Mrs. les Encyclopédistes, de Mr. Fagan, de M. le Président
Henault &, que les Comédies n’ont été que des leçons de Paillardises & d’impudicité, jusqu’au dix-septieme siécle.
Aussi ne pensoit-on pas encore, en 1630, à révoquer en doute les foudres de
l’Eglise contre les Comédiens sans distinction. François Delmonaco cité
pag. 21, les suppose comme un principe incontestable.
Ce
qui prouve encore
, dit-il,
que les Comédiens, même de nos jours, péchent mortellement,
c’est qu’ils sont excommuniés par les
Conciles, les Souverains Pontifes, &c. Personne, ajoute-t-il,
n’est excommunié qu’il ne soit coupable de péché mortel. Illa
neminem ligat, nisi mortali crimine illigatum ; verùm
excommunationis pœnà plectuntur Comici &c.
&c.
On ne pensoit pas différemment en 1649, 1660, 1674, 1677, comme nous l’avons
vu pag. 16. 17. Personne n’étoit plus intéressé à les nier, ces censures,
que les Comédiens eux-mêmes. Cependant bien loin d’en douter, ils présentent
deux requêtes, l’une, en 1696, à Inocent XII, & l’autre, en 1701, à
Clement XI. pour obtenir l’Absolution, & être relevés
de la rigueur des Canons à leur égard. Or, premiement, sollicite-t-on
l’absolution d’une censure, quand en n’en est pas l’objet ? Cependant les
Comédiens de France sollicitent, & se croient en droit d’espérer de
l’Eglise l’absolution &c. Ils se croyoient dons sous l’anathême. En
second lieu, leurs requêtes sont rejettées, l’absolution est réfusée. Ils
sont donc encore excommuniés. C’est une vérité, dont le grand Bossuet est
aussi garant, quand il dit, dans ses maximes &c.
que
les Comédiens ont toujours été frappés des censures
de
l’Eglise. Vérité, que suppose comme incontestable, Mr. Lefranc, Marquis de
Pompignan, ci-devant Prémier Président de la Cour des Aides, à Montauban.
Nos Spectacles
, dit ce
savant Magistrat, dans sa lettre à Louis Racine,
dans leur état actuel, ne sont pas, à beaucoup près, des
lieux surs pour la vertu ; & les Acteurs publics étant dans les
liens de
l’excommunication
&c.
Cette excommunication, si universelle dans ses
effets, est de la plus grande, & de la plus respectable antiquité…
Plusieurs Rituels, même modernes, mettent les Comédiens au nombre des excommuniés ; & dans les Diocéses, où les Rituels sont moins précis, on ne s’en conduit pas moins de la même maniere à leur égard, sans que les Magistrats aient jamais troublé l’Eglise, dans la possession constante, où elle est, de faire observer dans toute leur rigueur, les loix canoniques portées contre les Comédiens… sans distinction. Confer. d’Angers pag.551, 552.
Mr. Iraïl, déjà cité, Mr. Fagan, dans ses nouvelles
observations, au sujet des condamnations prononcées contre les
Comédiens, ne peuvent en disconvenir : enfin les Encyclopédistes
eux-mêmes en font l’aveu le plus formel, en 1753, tom. 3 pag. 671. Voici
comme ils s’expriment… « L’Eglise Romaine excommunie les Comédiens
& leur refuse la sépulture Ecclésiastique, s’ils n’ont point renoncé
au Théâtre, avant leur mort. »
Le copiste de l’Encyclopédie, a-t-il pu ne pas lire cet aveu ? Pourquoi donc n’en parle-t-il pas ? Pourquoi écrivant, en 1768, passe-t-il sous silence, l’arrêt du prémier Parlement de France du 22 Avril 1761 ?. Ce n’est pas une enigme. Voici le fait : Mr. Huerne de la Mothe, Avocat au Parlement de Paris, osa, en 1761, entreprendre, sous les yeux de la Cour, de se déclarer pour la profession de Comédien, & de la faire enfin relever, en partie, des flétrissures, dont elle a été tant de fois frappée. Pour réussir, ou plutôt pour en imposer, il ne s’avisa pas de nier l’infamie, dont elle est couverte, ni l’excommunication, dont les Comédiens de tous les tems ont toujours été l’objet ; mais, forcé d’en convenir, il soutient dans sa consultation, que les Comédiens étant déclarés infames par les loix civiles, l’Eglise ne pouvoit plus justement les punir de la peine de l’excommunication. Pour appuyer sa décision, il abuse d’une maxime, qui n’est vraie qu’en matiere criminelle, savoir, qu’on ne punit point un délit deux fois.
« Si, dit-il, l’Acteur est infame dans l’ordre des Loix, il résulte de cette peine d’infamie, que la peine de la Loi contre un délit, détruit tout autre peine, parce qu’on ne doit jamais punir deux fois pour le même délit. »
Voici la conséquence qu’il en tire…
« Ainsi l’infamie prononcée par la Loi contre les Comédiens, les mettroit à couvert de l’excommunication de la part de l’Eglise. »
Mrs. les Avocats au Parlement de Paris étant admis à l’audience, demanderent
d’une voix unanime, par M. Dains, qui portoit la
parole, que ledit Mr. Huerne fût retranché de leur corps,
& déférerent sa consultation, parce que, disoient-ils,
La question touchant l’excommunication encourue par le seul
fait d’acteur de la Comédie, y est audacieusement décidée en faveur
des Comédiens… En abusant des maximes sages, & confondant les
objets, on attaque l’autorité de l’Eglise sur la puissance
d’excommunier, … Et qu’enfin, on
tire une
fausse conséquence de cette maxime, vraie en matiere
criminelle, (non bis in idem)
En parlant du second mémoire de M. Huerne, le corps des Avocats dit, que
c’est une critique indécente de tout ce qui
condamne & frappe sur les Acteurs
…
Après cet exposé, & examen fait dudit Imprimé
, dit l’Arret du 22 Avril 1761… Le
vœu unanime des Avocats sur la personne qu’ils rejettent de leur
sein, fut confirmé par l’autorité de la Cour… Et le Livre en
question lacéré & brulé par l’exécuteur de la haute
justice.
Se peut-il rien de plus lumineux, & de
plus décisif ? En faut-il davantage, pour confondre les faiseurs d’Encyclopédie & de Grand Vocabulaire François ?
C’est donc avec raison, que Mr. Denisart, dans sa collection des décisions de
Jurisprudence, en 1768, au mot Comédien, dit, que
la
distinction, que quelques personnes font entre les Comédiens
François & les Italiens, est regardée avec dérision, parmi les
gens sensés & instruits, & qu’il faut au contraire, se
renfermer dans ce principe incontestable, qu’où les Loix du Royaume
& de l’Eglise ne distinguent point, il ne faut pas
distinguer
. Cette distinction est insoutenable, dit J.
J. Rousseau à Mr. d’Alembert.
La loi couvre
indistinctement du même opprobre tous ceux qui montent sur le
Théatre. Quisquis in scenam prodierit.
C’est donc une
chose insoutenable à plus forte raison, de dire, que l’Eglise n’a excommunié que les Comédiens des tems
reculés. L’Assurer, c’est ignorance, dit. Mr. Denisart, ou, si vous
aimez mieux,
c’est mauvaise foi
.
Ces Messieurs n’ont qu’à faire leur choix. Il faut avouer
qu’ils ne sont pas plus heureux en prophéties, qu’en époques, qu’en
mensonges, qu’en dissimulations.
L’état de
Comédien
, disent-ils pag. 671.
prendra nécessairement dans tout bon
esprit.
Le Grand Vocabulaire François ne fait qu’enchérir tom. 6. pag. 256. L’accomplissement de cet oracle Encyclopédiste n’étoit certainement pas fixé à l’époque de l’arrêt, que nous venons de citer.
« Nos Comédiens
, ajoutent-ils au
même endroit, sont les hommes, qui nous sont aujourd’hui
nécessaires, & à l’état desquels on refuse l’estime publique. Il y a
lieu de croire, qu’on reviendra de cet injuste
préjugé ; nous y sommes du moins invités par l’exemple d’une nation
sage & éclairée, qui n’a pas dédaigné d’inhumer à Westminster, la
célébre Comédienne Olfilos, à côté de ses Rois. »
C’est-à-dire,
selon le langage de ces Messieurs, que l’Eglise &c. &c. &c, la
Cour la plus auguste, un Corps entier d’Avocats les plus éclairés, enfin les
écrivains les plus célébres du monde Chrétien, font la guerre au bon esprit, & commettent une injustice criante, en
condamnant, en infamant, & en excommuniant les Comédiens.
C’est-à-dire en second lieu, qu’à l’exemple de la nation Angloise, au lieu de leur refuser la sépulture ecclésiastique, il faudra leur assigner une place dans l’Eglise de l’Abbaye de St. Denis en France, pour y faire reposer leurs cendres, auprès de celles de nos Rois. Ce sera apparemment en réparation des Scandales causés par l’injuste préjugé de l’Eglise, des Sts Peres &c. &c, de la Magistrature &c. Quelles rêveries ! Quelles indécences ! Quels blasphêmes ! je ne m’arrête pas à faire sentir ce que vaut cette marchandise. Elle ne coute rien à ceux, qui, ayant secoué le joug de la Religion, veulent entrainer les autres dans leurs voies ténébreuses, & les conduire au même précipice.
« Il est manifeste, par-tout ce que nous venons de dire, que la
profession de Comédien est incompatible avec le salut ; la preuve en est
sensible dans la pratique de l’Eglise, qui, durant la vie, ni même à la
mort, ne les admet point aux Sacremens, à moins qu’ils ne promettent de
renoncer à cette profession : elle ne leur accorde pas même les honneurs
de la sépulture Ecclesiastique, & elle leur réfuse ses suffrages
& ses Prieres : le refus des Sacremens annonce clairement, que la
profession est criminelle, que ceux qui l’embrassent, sont dans un état
habituel de péché mortel ; chaque représentation qu’ils font, en est un
nouveau. »
Ce sont les ◀termes▶ des conférences déjà citées,
pag 551. 552.
Troisieme vérité
LEs Spectacles ont toujours été regardés par les
Conciles, par les Sts Peres, par les Souverains Pontifes, par les prémiers
Pasteurs, & par ceux du second Ordre, & par tous les
Théologiens du monde Chrétien, comme des occasions
prochaines de péché. En voici la preuve. On appelle occasion
prochaine de péché, tout ce qui expose au danger moral, ou probable de
pécher. Or, les Spectacles, selon les Conciles, les Peres &c,
exposent au danger moral ou probable de pécher, ils sont donc une occasion prochaine de péché. Voyez les Conciles cités aux pag
5, 6, 7, & 8.
Le son des Instrumens
, dit St. Basile, (Hom. 4. in heram)
& les chansons des Comédiennes, entrainent les cœurs à
la corruption exprimée par les airs & par les
paroles.
« Quoi !
dit St. Chrysostome, dans
son Homélie de Saül & de David, un regard jetté avec trop
de curiosité, sur une femme, qu’on rencontre par hazard, est quelquefois
capable de blesser l’ame ; & vous ne craindrez pas de passer
plusieurs heures à contempler fixement des femmes, qui se parent avec
tout le soin possible, qui se sont toute leur vie, exercées à remuer les
passions, & qui n’oublient rien, pour plaire aux spectateurs !… Que
doit-on espérer dans un lieu, où les yeux, par les objets, & les
oreilles, par leurs chants lascifs & efféminés, trouvent tant de
piéges. Cela n’est-il pas aujourd’hui, plus vrai que jamais ? Etes-vous
de fer, ou de pierre, pour ne recevoir aucune impression de la vue, de
la parure, des paroles, du chant & des gestes des
Comédiennes ? »
C’est toujours St. Chrysostome dans son homélie
contre les spectacles, prononcée à Constantinople en 399. « Etes-vous
plus sages, que ces Grands Hommes, qui, à la simple vue d’une
femme, ont été renversés ? comment éviterez-vous cet
écueil, vous, qui n’êtes appliqués qu’a regarder ces objets dangéreux ?
&c. »
Tertullien, dans son traité contre les spectacles, au
chap. 22. 27. St. Cyprien, St. Clement d’Alexandrie, St. Grégoire de
Nazianze &c. &c. ne s’expliquent pas d’une autre maniere.
Saint Augustin avoit enfin obtenu d’Alipe, qu’il n’iroit plus aux Spectacles,
lorsqu’il enseignoit la Rhétorique à Carthage ; mais Alipe ayant été à Rome,
se laissa entrainer au Théatre par quelques amis.
J’y
assisterai
, leur disoit-il,
sans y être, & sans y voir, & ainsi je triompherai
& des yeux & de vous.
St. Augustin rémarque,
qu’il tint d’abord les yeux fermés :
plût à
Dieu
, ajoute-t-il,
qu’il eût bouché ses oreilles !
Alipe frappé
des acclamations du peuple, ouvrit les yeux & reprit sa prémiere passion
pour les Spectacles. Tant il est vrai, que celui qui s’expose au danger,
court à une perte certaine :
qui amat periculum, peribit
in illo.
C’est aussi la pensée de St. Isidore de Damiette.
Il
faut
, dit-il,
s’abstenir d’aller à la Comédie
: pourquoi ?
c’est qu’il est plus aisé d’éviter l’occasion,
& de s’opposer à l’origine du vice, que d’en arrêter le
cours
. Dupin tom. 3. 2 partie.
L’Art des Comédiens
, ajoute-t-il,
n’a d’autre fin, que de corrompre les
mœurs.
« Chaque crime, dit Salvien de Marseilles, n’attaque qu’un de nos sens à la fois ; mais la Comédie corrompt en même tems, l’ame par les pensées, le cœur par les désirs, les oreilles, par les équivoques &c, & les yeux par les regards. »
Ce fut pour ces raisons, que Philippe Auguste chassa les Comédiens de sa
Cour, en 1182,
il signala sa piété
, dit Mezeray,
par l’expulsion des Comédiens, Jongleurs & farceurs,
comme des gens qui ne servent qu’à flatter & nourrir les
voluptés.
Tout ce qui a été dit page 9, & suivantes, en est une preuve sans replique.
Le grand Bossuet nous en sera un nouveau garant. Voici ce qu’il dit, dans ses maximes & réfléxions sur la Comédie, en parlant des piéces de Corneille, de Quinault, de Racine, de Moliere, de Lully &c. &c. pag. 5 & suivantes…
« Chrétien, dit-il, qui avez appris de St. Paul, que ces infamies ne doivent pas être nommées parmi les fidéles… Songez, si vous oserez soutenir à la face du Ciel, des piéces où la vertu & la piété sont toujours en crainte d’être violées… par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces. Songez encore, si vous jugez digne du nom de Chrétien, de trouver honnête la corruption réduite en maximes dans les Opera de Quinault &c. Si vous dites, que la seule représentation des passions agréables dans les tragédies d’un Corneille, & d’un Racine, n’est pas dangéreuse à la pudeur, vous démentez ce dernier… Et à la pag. 9. Rien de plus direct, de plus essentiel, & de plus naturel à ces piéces, que d’exciter les passions les plus dangéreuses, non par hazard & par accident, mais directement. C’est , dit-il, ce qui fait le dessein formel de ceux qui les composent, de ceux qui les récitent, & de ceux qui les écoutent
Le prémier principe, sur lequel agissent les Poëtes tragiques & comiques, c’est qu’il faut intéresser le spectateur. Si l’Auteur, ou l’Acteur d’une tragédie, ne le sait pas émouvoir & le transporter par la passion qu’il veut exprimer, où tombe-t-il, si ce n’est dans le froid, dans l’ennuyeux, dans le ridicule, selon les régles des maîtres de l’art ? Aut dormitabo, aut ridebo, &c. Hor. de arte poet. versu 105. C’est donc combattre les régles de l’art, & les principes des maîtres, que de dire… Que le Théatre n’excite que par hazard & par accident, les passions qu’il entreprend de traiter. Si les nudités, si les peintures immodestes, causent naturellement ce qu’elles expriment, & que pour cette raison on en condamne l’usage… Combien plus sera-t-on touché des expressions du Théatre, où tout paroit effectif ? Où ce ne sont pas des traits morts & des couleurs séches, qui agissent ; mais des personnages vivans, devrais yeux, ou ardens, ou tendres & plongés dans la passion ; de vraies larmes dans les Acteurs, qui en attirent d’autres, dans ceux qui regardent ; enfin de vrais mouvemens, qui mettent en feu tout le parterre ?… Si tout cela n’est pas une occasion prochaine de péché, où pourra-t-on la trouver ? Dites, que la pudeur d’une jeune fille n’est offensée que par accident, par tous les discours, où une personne de son sexe parle de ses combats, où elle avoue sa défaite, l’avoue à son vainqueur, au public. Dites encore, que les discours, qui servent à allumer de telles flammes… Dites, que toutes ces choses, & cent autres de cette nature… n’excitent les passions, que par accident, pendant que tout crie, qu’elles sont faites pour les exciter, & que si elles manquent leur coup, les régles de l’art sont frustrées, & les Auteurs & les Acteurs travaillent en vain. Que fait un Acteur, lorsqu’il veut naturellement jouer une passion, que de rappeller, autant qu’il peut, celles qu’il a ressenties ? Dites, que le feu n’échauffe qu’indirectement, & que, pendant qu’on choisit les plus tendres expressions, pour représenter la passion, dont brule un amant insensé, ce n’est que par accident, que l’ardeur des mauvais désirs sort du milieu des flammes. »
Après le grand Bossuet, écoutons le savant Cardinal d’Aguirre tom. 1 pag. 674
de l’ouvrage cité pag. 23. « Combien, dit-il, de personnes fort
chastes, qui y sentent exciter des passions, dont elles ne
s’appercevoient pas auparavant, & qui par là, donnent insensiblement
accès au déréglement ? Est-il quelqu’un des spectateurs, qui ne revienne
avec un cœur moins chaste, de ces spectacles, où les expressions, les
gestes, les tours, les intrigues, tout porte au faux amour ? »
L’Eloquent Flechier, Evêque de Nismes, parlant des spectacles de ce siécle,
ne s’exprime pas autrement, que ces grands hommes. « C’est là, dit-il
où le Démon forge les traits de feu, qui
enflamment la convoitise, où la mort entre par les Sens. C’est-là, où
l’image des choses qu’on rèprésente, fait de malheureuses impressions,
qui ne s’effacent presque jamais &c &c. Où sous
prétexte de représentations innocentes par elles-mêmes, on
excite les passions les plus dangéreuses : on offense la vertu des uns,
& l’on corrompt celle des autres. »
Dans son Mandement cité
pag. 15. & dans son Panegyrique de St. Augustin.
Rappellez-vous, le sentiment du sublime Fénélon, cité
pag. 24. & permettez qu’à ces monumens aussi lumineux, que décisifs,
j’ajoute ici un petit fragment de la lettre de J. J. Rousseau
Citoyen de Généve, à Mr. Dalembert, en 1758. « Le mal qu’on
reproche au Théatre, dit-il, n’est pas seulement d’inspirer des passions
criminelles ; mais de disposer l’ame à des sentimens trop tendres, qu’on
satisfait ensuite aux dépens de la vertu ; je serois envieux de trouver
quelqu’un, qui osât se vanter d’être sorti d’une représentation de
Zaïre, bien prémuni contre l’amour. Qui peut disconvenir, que le Théatre
de ce même Moliere, dont je suis plus admirateur que personne, ne soit
une école de vice & de mauvaises mœurs, plus dangéreuse que les
livres mêmes, où l’on fait profession de les enseigner ? »
Ce
terrible cri contre les spectacles, ne vient pas de ce que nos adorateurs de
Théatres appellent Dévots enchousiastes, êtres superstitieux,
esprits qui ne pensent pas, & gens sans conséquence ; mais d’un
grand connoiffeur, d’un admirateur de Moliere, d’un faiseur de piéces
&c.
Comment Mr Dalembert lui répondra-t-il ? Le voici.
Il faut l’avouer, dit ce zélé défenseur du Théatre,
personne n’a combattu les spectacles avec autant de
force que vous. « On ne peut pas dire, que vous condamnez ce que vous
ne connoissez pas. Vous avez vous-même étudié, analysé, composé
vous-même, le poison dangéreux, dont vous cherchez à nous préserver ;
& vous décriez nos piéces de Théatre, avec l’avantage non seulement
d’en avoir vu ; mais encore d’en avoir fait ; & à ce dernier égard,
vous nous avez traités comme ces animaux expirans, qu’on acheve dans
leurs maladies, de crainte de les voir trop souffrir. »
Se peut-il rien, Madame, de plus formel ? « Je suis
témoin, dit Mr. Roustaut, Auteur
Protestant, dans un ouvrage imprimé en 1769 pag. 8.
que la lettre de Mr. Rousseau à éclairé sur les
mauvais effets du Théatre, une foule de gens à Genêve ; il a démontré,
que les charmes trompeurs des spectacles ravissent à la fois aux
Citoyens, leur substance, leur tems, leur santé, leurs mœurs… Ces
amusemens frivoles infectent l’état entier, & amollisent les
ames. »
C’est pourquoi les Rituels de Toulon, de Macon &c, pag. 418 disent, qu’on doit regarder comme occasions prochaines de péché mortel, l’assistance à la Comédie, à l’Opera, & à tous les spectacles, que représentent les Comédiens… & sans aucune distinction.
C’est ainsi qu’on pensé, & pensent encore Messieurs les Archevêques & Evêques de Paris, de Lion, de Beauvais, de Carcassonne, de Senez, d’Alais, de Limoges, de Marseille, de Dol, & plusieurs autres, qui, depuis 1756, ont écrit contre la Comédie, & l’ont regardée, avec feû M. le Cardinal de Laon, M. de Rochechouart, comme une mission établie en faveur du Démon, pour lui attirer des esclaves. C’est encore ainsi, que pense M. le Cardinal de Malines, dans sa lettre du 26 Juin 1772 à Mr Desprez de Boissy. Je gémis, dit ce respectable Prélat, je gémis devant Dieu, sur la corruption des mœurs, dont les Théatres sont la cause parmi la jeunesse, sans pouvoir l’en garantir, dans un siécle, où on a une espéce de fureur pour ces coupables amusemens.
Les Conférences d’Angers, dont on peut dire que la morale est celle de tous
les Diocèses, & de tous les Théologiens du monde Catholique, ne
s’expliquent pas d’une maniere moins décisive contre les spectacles.
« Il est de fait, y est-il dit pag. 550, que la morale du Théatre
sur les passions, sur les plaisirs, est en tout point,
opposée aux maximes du Christianisme, jusques dans les piéces étrangéres
à l’Idolatrie… Nous ignorons, y ajoute-t on, comment on peut justifier
cette opposition si marquée, si capable de corrompre les
bonnes mœurs, ou d’en augmenter la corruption. »
Or, direz-vous, que des spectacles, où il faut être de fer ou de pierre, pour ne recevoir aucune impression de la vue, de la parure… Que des Acteurs & des Actrices, qui se sont toute leur vie exercés à remuer les passions criminelles &c, ne soient point un poison dangéreux ?
Direz-vous encore, que des piéces si capables de corrompre les mœurs &c, qui portent plus directement au mal, que les nudités & les peintures immodestes… Qu’une école enfin d’impudicité, & plus dangéreuse que les livres-mêmes, où on fait profession d’enseigner les mauvaises mœurs, prétendrez-vous, dis-je, que de semblables spectacles ne soient point des occasions prochaines de péché ?
Quatrieme vérité
L’Église a toujours regardé, & regarde encore aujourd’hui comme coupables, non seulement les Acteurs de nos piéces Dramatiques, mais encore ceux qui en sont les Auteurs, ceux qui de plein gré, assistent à leurs réprésentations, en un mot, tous ceux qui coöperent aux spectacles du Théatre. En voici les preuves…
1°. Ceux, qui de plein gré, se mettent dans l’occasion prochaine de péché, ou
qui ne veulent pas la quitter, en sont coupables : « celui qui aime le péril
, dit l’Esprit St,
y
périra ; non seulement dans ce sens, qu’à force de s’y exposer,
on y succombe enfin ; mais encore, suivant l’interprétation de l’Eglise
& des Saints, en matiere de péché, s’exposer au danger prochain de
le commettre, c’est s’en rendre coupable. Aucune raison de complaisance,
de bienséance, d’utilité, ne peut excuser…La Doctrine de
l’Eglise veut qu’on arrache
l’œil, le pied,
la main, qui scandalisent. C’est-à-dire, qu’il
faut plutot s’exposer à tout perdre, que de s’exposer au danger de
pécher. »
Conférences d’Angers pag. 202. Aussi l’Eglise
a-t-elle condamné, comme contraire à la Doctrine de J. C, une proposition,
qui ne faisoit pas une obligation de quitter l’occasion prochaine de pécher,
lorsqu’il y avoit quelque raison d’utilité, ou quelque
motif honnête de ne le pas faire
1
Nous venons cependant de voir, que l’Eglise a toujours regardé, & regarde
encore nos spectacles, comme des occasions prochaines de péché. Ceux qui y
assistent, sont donc coupables de péché. C’est la conclusion des prémiers
Pasteurs de l’Eglise, & en particulier, du savant Souvérain Pontife
Benoit XIV. Selon tous les Théologiens, dit ce grand Pape,
« on s’expose au danger de commettre les fautes les plus graves,
en assistant aux spectacles. Il est donc palpable, qu’on ne peut y
aller, sans se rendre coupable. »
Ce sont ses propres ◀termes▶.
S’en peut-il de plus clairs ? Que peut-on y répondre ?
2°. Peut-on, sans péché, s’amuser à des œuvres de Satan ? Or, de quoi s’occupe-t-on aux Spectacles ? le célébre Massillon va vous l’apprendre au nom de l’Eglise.
« Vous me demandez sans cesse, si les Spectacles sont innocens pour des Chrétiens, dit ce grand Evêque, en parlant du petit nombre des Elus. Je n’ai à mon tour, qu’une demande à vous faire. Sont-ce des œuvres de Satan, où des œuvres de J.C. ? car dans la Réligion, il n’est point de milieu. Ce n’est pas qu’il n’y ait des délassemens & des plaisirs, qu’on peut appeiler indifférens ; mais les plaisirs les plus indifférens que la Réligion permette… Appartiennent en un sens à J.C… Tout ce que nous faisons, doit être d’une telle nature, que nous puissions du moins le rapporter à J. C., & le faire pour sa gloîre. Or, sur ce principe incontestable de la morale Chrétienne, vous n’avez qu’à décider. Pouvez-vous rapporter à la gloire de J. C. les plaisirs des Théatres ? J C. peut-il entrer pour quelque chose dans ces délassemens ? Et avant que d’y entrer, pourriez-vous lui dire, que vous ne vous proposez dans cette action, que sa gloire, & le désir de lui plaire ?
Quoi ! les spectacles, tels que nous les voyons aujourd’hui, plus criminels encore par la débauche… des créatures infortunées, qui montent sur le Théatre, que par les scénes passionées qu’elles débitent ; les spectacles seroient des œuvres de J. C. ! J. C. aimeroit une bouche, d’où sortent des airs lascifs ! J. C. formeroit lui-même les sons d’une voix qui corrompt les cœurs ! J. C. paroitroit sur les Théatres en la personne d’un Acteur ! d’une Actrice effrontée ! De gens infames, même selon les loix des hommes ! Mais ces blasphèmes me font horreur. Or, si ce ne sont pas des œuvres de J. C. dans le sens déjà expliqué, c’est-à-dire, des œuvres, qui puissent du moins être rapportées à J. C., ce sont donc des œuvres de Satan : donc tout Chrétien doit s’en obstenir… Donc de quelque innocence, dont il puisse se flatter, en rapportant de ces lieux son cœur exempt d’impression, il en sort souillé ; puisque par sa seule présence, il a participé aux œuvres de Satan. Ce ne sont pas ici des conseils… Ce sont nos obligations les plus essentielles… Il s’agit d’être Chrétien, ou de ne l’être pas. »
C’est ainsi, que les Evêques de Toulon, d’Arras, de Macon, & tous les Pasteurs de l’Eglise ont instruit leur peuple. C’est ainsi, que le grand Bossuet s’est expliqué sur cette matiere, dans ses maximes &c. pag. 50.
« Parmi les commotions, où consiste tout le plaisir de la Comédie, qui
peut élever son cœur à Dieu ? Qui ose lui dire, qu’il est là pour
l’amour de lui, & pour lui plaire ? dit Bossuet. »
Un
Consesseur donneroit-t-il une grande confiance à son malade, si en lui
présentant à l’article de la mort le Crucifix, il lui disoit,… Voilà ce
Jesus, cet aimable Sauveur, qui est mort pour vous, voilà ce divin Maître,
pour l’amour duquel vous avez été tant de fois à la Comédie ? Les plus
portés à justifier la Comédie, ont-ils jamais osé offrir cette action à
Dieu, ont-ils jamais pensé à lui rendre graces d’y avoir assisté ? Tout cela
n’est-il pas une preuve sensible, que leur conscience dément leurs fausses
lumieres, & qu’ils sont eux-mêmes convaincus au fond de leur cœur, du
mal qu’il y a d’aller à la Comédie ? Que diront à cela nos faiseurs
d’objections ?
3°. Puisque la Comédie est un si grand mal dans les Acteurs & les Actrices qui la représentent, on ne peut douter, que ceux qui y concourent… Ceux qui leur fournissent les moyens d’exercer leur profession, ne péchent aussi très-griévement, suivant cette maxime de St. Paul, que ceux qui font le mal, & ceux qui l’autorisent par leur consentement, sont devant Dieu, coupables du même péché. Conf. d’Angers pag. 552. 553.
« Les personnes qui fréquentent le Théatre, l’entretiennent par leur
assiduité, & sont bien dans le cas exprimé par St. Paul, de ceux qui
consentent au mal, & en portent le crime. »
Que penser de ceux, qui vont seulement quelquefois &
rarement à la Comédie ? Nous ne les excuserons certainement pas.
Pourquoi ? C’est qu’ils forment & augmentent l’assemblée des
spectateurs, & que, s’il n’y en avoit pas un certain nombre
le Théatre seroit bientôt abandonné. Voilà la morale de St. Chrysostome,
des Peres, nous n’en connoissons point d’autre, que la Réligion puisse
avouer. Ce sont toujours les Conf. d’Angers pag. 554 556. Ne savez-vous pas, dit le grand St. Chrysostome, que tout ce qui se fait dans ces représentations, ne porte
qu’au mal ? Que tout y est plein de poison & d’impureté… Mais,
dites-vous, il est des personnes, à qui ces représentations ne sont
aucun mal. Mais, continue St. Chrysostome, n’est-ce pas un assez
grand mal, que d’employer si inutilement un si long tems, & d’être aux
autres un sujet de scandale, & de les attirer à ces représentations par
son exemple ? «
Comment donc êtes-vous
innocent, puisque vous êtes coupable du crime des autres ? les désordres
qui s’y passent, retombent sur vous, s’il n’y avoit point
de spectateurs, il n’y auroit point des Comédiens & de
spectacles. »Hom. de David & de
Saül.
Ne dites donc pas que vous n’y faites pas de mal, comme si vous
n’étiez point coupable du mal, que commettent ceux, qui n’y vont qu’à
votre exemple ? Hom. 37 sur St. Math. « Mais quel mal
faisons-nous, dit encore ce Saint Docteur, dans son Homelie en 399 ? Je
vous plains d’autant plus, que vous ne sentez pas votre maladie. Vous
demandez quel mal vous faites ? êtes-vous donc de fer ou de pierre, pour
ne recevoir aucune impression de la vue, de la parure, des paroles, du
chant & des gestes des Comédiennes ? Etes-vous plus sages que ces
grands hommes, qui, à la simple vue d’une femme, ont été renversés ?
Eviterez-vous cet écueil, vous, qui n’êtes appliqués qu’à regarder ces
objets dangéreux ? »
Vous dites, que vous ne faites point de mal, dit Mr de Rochechouart, dans son Mandement… Comptez-vous pour rien le mauvais exemple que vous donnez ?… En assistant aux Spectacles, vous coöpérez à la perte d’un frere, d’un Chrétien, pour qui J. C. est mort, comme pour vous.
Quand, disent les Ordonnances de Toulon, on s’abuseroit assez, pour croire qu’on n’y feroit aucun mal, on ne peut se défendre de celui qu’y sont les autres, & comme complices des péchés, selon St. Paul, … ne méritent pas moins d’être punis que les Auteurs, &c. Voyez pag. 17, & 18.
En un mot, comme il est démontré pag. 34, les Comédiens péchent mortellement, chaque fois qu’ils jouent leur rôle. Or, on ne peut, sans être coupable de péché, autoriser librement par sa présence, un péché mortel. Il est donc manifeste, qu’on péche, en assistant à leurs représentations.
4°. Mais si les partisans des spectacles péchent, en les autorisant par leur présence, sont-ils moins coupables, en y coöpérant par argent, ou autrement, & contribuant par là, à entretenir des Chrétiens & Chrétiennes, dans un état habituel de damnation ?
C’est un péché, dit St. Antonin, d’assister à ces sortes de spectacles, & c’en est un autre de donner de l’argent pour cet effet.1
C’est le raisonnement du grand Bossuet, pag. 30 & 31 de ses maximes,
lesquelles, dit le savant Journaliste de l’année 1694, découvrent, avec une entiere évidence, le mal que sont ceux qui
assistent à la Comédie, & le scandale qu’ils donnent.
« Comptez-vous pour rien, dit Mr. l’Evêque d’Arras, l’argent même,
dont vous faites un si mauvais emploi ? croyez-vous être innocent, si
vous fournissez… à une créature impudique, les moyens d’entretenir son
mauvais commerce ?… Et vous croyez l’être en donnant lieu, solidairement
avec tous les
autres, qui assistent aux
spectacles, à entretenir les acteurs, dans un état, qui sûrement les
damne ? n’est-ce dont rien, dit le Rituel de Toulon &c,
d’autoriser & d’approuver par sa présence, l’infame métier
des Acteurs & des Actrices du Théatre ? de payer le luxe de
celles-ci, d’entretenir par la leur corruption, de les aider à exposer
leur cœur en proie, de s’exposer soi-même au danger de leur chants
&c ? »
Un Auteur élevé dans la morale Chrétienne, ne
sauroit, sous quelque prétexte que ce puisse être, concourir à
l’entretien du Théatre, sans se rendre lui-même responsable des
inconvéniens, & des abus, qui y sont attachés ; ni contribuer à
l’entretien des Acteurs, sans partager le mal qu’ils causent &
qu’ils sont. Dit Mr. le Marquis de Pompignan. Tout cela n’a sans
doute, pas besoin d’explication.
5°. On ne peut, sans une injustice scandaleuse, refuser l’absolution, pour
des actions indifférentes, & innocentes en toutes leurs circonstances.
Cette proposition ne peut être revoquée en doute. Il n’est pas moins
certain, qu’on doit refuser l’absolution, selon l’intention de l’Eglise, à
ceux qui ne veulent pas sincérement renoncer aux spectacles. l’Eglise croit
donc, que c’est un péché d’aller aux spectacles. Si après que
le pénitent a promis de ne plus aller aux spectacles…Il a manqué à sa
parole, le Confesseur doit lui différer l’absolution. Ce sont les
◀termes▶ du Rituel de Reims, 1677. Telle est la doctrine des Ordonnances
Synodales de Noyon en 1694. Telle est celle des Docteurs de Sorbonne,
consultés
sur cet article : « A l’égard de
ceux qui coöpérent à la Comédie… ou qui y assistent de leur plein gré,
on doit leur refuser l’absolution, s’ils ne veulent pas se corriger,
& changer de conduite, après avoir été suffisamment avertis. Cela
n’est-il pas clair ? »
Mr. l’Evêque d’Arras ne s’exprime pas d’une maniere moins décisive, dans le mandement cité… Nous ordonnons, y est-il dit, en parlant des spectacles, à tous nos Pasteurs, de s’appliquer avec soin, à empêcher ces désordres… Et à tous nos Confesseurs, d’y veiller… Ils suivront les régles, que l’Eglise leur donne, pour les péchés publics & de scandale… Ils se souviendront, que ces personnes ne peuvent être capables d’absolution, sans une véritable douleur de leur faute, & une résolution ferme & sincere de ne la plus commettre. Telle est la Doctrine consignée dans les Rituels & Ordonnances Synodales d’Auxerre, dans les Mandemens de Messieurs les Archevêque & Evêque d’Alby en 1719, de Lodêve en 1737.
Telle est celle du Cardinal Delci, & de 36, tant
Cardinaux, qu’Archevêque & Evêque en 1770. « Mes
très chers freres
, dit ce Cardinal,
ne vous
laissez pas séduire par ceux, qui, étant ignorans dans la science
des vertus Chrétiennes, osent vous permettre la fréquentation des
Théatres, & avancer que les écrits de Sts. Peres contre les
spectacles, & les condamnations, qu’ils ont prononcées contre
ces sortes de divertissemens, ne peuvent avoir pour objet, que ceux
de leur tems. Ne pensez pas, qu’il y ait une différence
dans les principes qui nous doivent actuellement diriger sur
cet objet. Pour vous en convaincre, il me suffira de vous mettre sous
les yeux, une décision, qu’ont donnée, il y a environ deux mois, contre
les spectacles, trente six Prélats, tant Cardinaux, qu’Archevêques &
Evêques, de l’état Ecclésiastique. Nous y avons nous-même, souscrit avec
plaisir. En voici la substance. Nous soussignés &c… pensons
unanimement que les Opéra, Tragédies & Comédies, telles qu’elles se
représentent actuellement sur les Théatres publics,
portent le plus grand préjudice aux mœurs ; & qu’on ne peut les
fréquenter sans s’exposer au très grand danger de s’y corrompre… ainsi…
nous sommes bien éloignés de croire, qu’on puisse regarder ces sortes de
représentation, comme des divertissement innocens &c. 1 »
Si le pénitent n’est pas disposé à fuir
entierement les spectacles, il doit lui refuser l’absolution
« jusqu’à ce que, par des preuves… non équivoques, il soit moralement
assûré de la sincérité de sa conversion ; & cela, conformément aux
Ordonnances Synodales… renouvellées à cet égard. »
Ce sont les
◀termes des Rituels de Toulon en 1702, de Macon &c en 1780. Qu’a-t-on a y
répondre ?
6° Tous les prémiers Pasteurs de l’Eglise, tous les Théologiens, & tous les Confesseurs consultés, ainsi que tous ceux qui défendent aux fidéles d’assister aux spectacles, donnent tous leurs décisions par écrit. Elles sont dans tous les livres de morale. Il n’est personne qui ne puisse les lire. On n’a point encore trouvé un Confesseur, qui ait osé décider, que ce n’est point un mal d’aller à la Comédie, & donner sa décision par écrit. Oui, j’aime à me persuader, qu’il n’y a pas ici de Confesseurs, assez peu éclairés sur l’article des spectacles, pour n’en pas faire un crime à leurs pénitens ; mais si l’on pouvoit en citer un : je lui donnerois hardiment le défi de signer sa décision, & je donne par avance la garantie, qu’il n’oseroit l’accepter. En faut-il davantage, pour vous prouver, que l’enseignement constant de l’Eglise, ne permet pas à de vrais Ministres de J.C. de regarder comme innocens, les partisans du Théatre ?
7° N’est-ce pas un péché, que de mépriser les leçons & les loix de ceux, que Dieu nous à donnés pour guide dans les voies du salut ? obedite prœpositis vestris &c… si quis Ecclesiam non audierit &c. Qui vos spernit, me spernit &c.
Or, direz-vous qu’on peut aller, de plein gré, aux spectacles, sans mépriser les leçons & les défenses des prémiers Pasteurs de l’Eglise, & de l’Eglise elle-même ? Donnons un peu plus d’étendue à ce raisonnement, pour en faire sentir toute la force. La foi, les mœurs, & tout ce qui y a un rapport essentiel, sont en partie l’objet de l’infaillibilité, que Jesus-Christ communiquera à son Eglise jusqu’à la consommation des siécles, pour fixer notre croyance, régler nos mœurs, & diriger notre conduite. Il est impossible qu’elle passe jamais les bornes de cette autorité divine. Elle seroit coupable d’injustice, si elle le faisoit, avec connoissance de cause ; elle cesseroit d’être infaillible, si elle ignoroit l’objet & l’étendue de son pouvoir. C’est toujours J.C. qui décide, c’est lui, qui commande, c’est lui, qui &c instruit par le Corps Episcopal. Quand il a parlé, il n’est plus question de disputer, c’est au fidéle à obéir. Douter de ces principes, ce seroit ignorer les prémiers élémens du Cathéchisme & du Christianisme. Or, n’est-il pas incontestable, que l’Eglise s’est expliquée sur les spectacles ?
Son enseignement consigné, 1°. Dans les Conciles Généraux & particuliers, 2°. Dans les Sts Peres, 3°. Dans les écrits des Souvérains Pontifes, 4°. Dans les Rituels, 5° Dans les Ordonnances Synodales, 6°. Dans les mandemens & instructions pastorales des plus savans & des plu-Célébres Prélats de toutes les nations Catholiques, 7°. Dans le concours unanime de tous les Théologiens François, Espagnols, Italiens &c, 8°. Enfin dans tous les livres de piété, destinés à édifier & à instruire les fidéles, & en particulier à éclairer l’esprit, & à former le cœur de la jeunesse ; en un mot, dans tous les monumens, que l’Eglise nous présente depuis sa naissance, jusqu’à nos jours : cet enseignement, dis-je, ne nous demontre-t-il pas, que l’Eglise a toujours condamné les spectacles, & qu’elle les a toujours interdits aux fidéles ? Ils ne peuvent donc y assister, sans trangresser ses loix, & sans fouler aux pieds ses décisions & ses défenses. Je suis curieux de voir une réponse à ce raisonnement.
8° S’il étoit vrai, qu’il n’y eût point de mal d’aller aux spectacles, s’ils pouvoient etre mis au nombre des divertissemens innocens ; ce seroit une injustice criante, d’excommunier ceux qui les représentent, & de condamner ceux qui y assistent ; ce seroit encore un scandale public, de les décrier, non seulement dans des compagnies particulieres ; mais même dans l’assemblée des fidéles, dans le lieu Saint, & dans les Chaires, où l’on ne doit paroitre, que pour enseigner les vérités éternelles, détourner du vice les fidéles, les exciter à la pratique des Vertus Chrétiennes, & leur faire respecter la morale de Jesus-Christ. Voilà un fait incontestable, le suivant ne l’est pas moins.
Les Ministres du Seigneur ne cessent de monter dans les Chaires de vérité, pour inspirer aux fidéles l’horreur des spectacles, c’est de la part de l’Eglise, qu’ils leur défendent d’y assister, c’est en son nom, qu’ils leur déclarent, qu’elle en réprouve les Acteurs, qu’elle les met au nombre des personnes infames, qu’elle leur refuse les Sacremens & la terre Sainte, s’ils meurent, avant d’avoir renoncé à leur profession. Les prémiers Pasteurs de l’Eglise bien loin de fermer la bouche à ces Prédicateurs, bien loin de les désavouer, leur ordonnent de prêcher cette Doctrine.
« Les Prédicateurs & les Confesseurs doivent absolument détourner les fidéles des Comédies & des spectacles, dit St. Charle Borromée, dans son second Concile de Milan ; employer pour cette effet, toute l’autorité de leur Ministére, leur représentant avec un zéle plein de force, combien les Comédies, qui sont la source de tous les maux & de toute espéce de crime, sont conformes aux déréglemens du paganisme, & une pure invention du Démon, pour perdre les ames.
Ce sont ces maximes, qu’il est particulierement ordonné aux Prédicateurs & aux Confesseurs de suivre, & d’enseigner dans leurs Sermons & dans leurs Instructions »
disent les Rituels de Toulon, Macon &c &c &c, voici ce qu’il faut
nécessairement en conclure : l’Eglise, aussi essentiellement Sainte,
qu’infaillible, ne peut garder le silence, quand on abuse de son nom &
de son autorité, pour accréditer publiquement des erreurs, des injustices
& des scandales :
quœ sunt contra fidem, vel bonos mores,
nec tacet, nec facit, nec approbat Ecclesia.
C’est un principe,
dont tout Théologien instruit ne peut douter. Or, l’Eglise ne réclame
point contre les Prédicateurs, qui déclament en son nom, contre
la Comédie, l’Eglise ne désaprouve pas le zéle des prémiers Pasteurs, qui ne
se contentent pas de faire prêcher contre les spectacles, montent eux-mêmes
en Chaire, & font des Mandemens pour les proscrire. Et non seulement les
Souvérains Pontifes, ne se contentent pas d’approuver les uns & les
autres, ils veulent encore les imiter ; par exemple, Bénoit XIV.
Ce n’est donc pas une injustice de condamner les spectacles, de les décrier dans les lieux Saints, & de déclarer coupables, les Acteurs & les Spectateurs. Les spectacles ne peuvent donc pas être mis au nombre des Divertissemens innocens.
9° Enfin, un vrai Chrétien peut-il innocemment, aimer des divertissement, & assister sans péché, à des piéces, que leurs Auteurs eux-mêmes ont abjurées & détestées, qui ont fait la matiere de leur pénitence, & de leurs justes régrêts, quand ils ont sérieusement songé à leur salut ? C’est la réfléxion du Grand Bossuet, pag. 6 & 7. de ses maximes. &c. Je l’abandonne aux vôtres, ainsi que les précedentes, & frappé en particulier de cette derniere, je finirai cette lettre par où je l’ai commencée.
On ne peut rien ajouter aux sentimens respectueux &c.