(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « MANDEMENT  du Chapitre d’Auxerre, Touchant la Comédie. » pp. 51-58
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(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « MANDEMENT  du Chapitre d’Auxerre, Touchant la Comédie. » pp. 51-58

MANDEMENT  du Chapitre d’Auxerre, Touchant la Comédie.

L es Chanoines & Chapitre de l’Eglise d’Auxerre, au Clergé Séculier & Régulier, & à tous les Fidéles de la Ville & Faux-bourgs d’Auxerre,  Salut.

Nous apprenons, N. T. C. F. avec la plus vive douleur, le scandale qui vient de paroître dans cette Ville, par le séjour d’une Troupe de Comédiens ; de ces hommes pervers, qui n’emploient leurs talens qu’à corrompre les cœurs, & à répandre le poison dont ils sont infectés. Ils n’ont pas même respecté les portes de nos Eglises. Ils ont osé y afficher le jour & l’heure de leurs criminels Spectacles.

L’Eglise qui les regarde comme la plus funeste yvraie, que l’homme ennemi ait jettée dans le champ du Pere de famille, n’attend pas le tems de la moisson, pour les séparer de sa Communion. Dans les instructions qu’elle vous adresse au milieu de la célébration des Saints Mystéres, elle les déclare exclus de tous ses biens spirituels, de ses priéres & de ses Sacremens. C’est ce que porte expressément le Rituel de ce Diocèse. Après avoir associé les Farceurs, Bateleurs & Comédiens, aux Magiciens, aux Devins, aux Usuriers publics, aux Simoniaques, aux Hérétiques dénoncés, & aux Schismatiques ; il ajoute : Toutes ces personnes demeureront excommuniées, jusqu’à ce qu’elles rentrent en elles-mêmes, & qu’elles reconnoissent l’énormité de leurs crimes, & qu’elles en demandent l’absolution à l’Eglise.

La fermeté avec laquelle feu M. de Caylus s’étoit opposé à leurs entreprises, les avoit constament banni de sa Ville épiscopale. Quelques tentatives qu’ils aient employées, l’autorité de son ministére sacré, & son crédit auprès des Puissances, furent toujours une barriére que tous leurs efforts ne pûrent franchir. Il semble aujourd’hui qu’ils veulent profiter de nos malheurs. Ils saisissent le tems où notre Eglise dans le deuil pleure la perte d’un pere également tendre & vigilant ; & la voyant encore dans la viduité, ils se hâtent de prévenir ce qu’ils auroient à craindre du zéle & de la piété de son Successeur.

Pour nous, N. T. C. F. dépositaires de la même autorité, nous ne devons point nous borner à gémir dans le secret. Nous devons élever notre voix, & faire tous nos efforts pour réprimer ces désordres. De quelle confusion ne ferions-nous pas couverts à la face de cette Eglise, & aux yeux de l’illustre Pontife que nous attendons, si l’on pouvoit reprocher à notre gouvernement un silence si criminel ? Nos prédécesseurs en pareille circonstance ont refusé de faire une Procession générale, jusqu’à ce que le théatre fut renversé & les Comédiens chassés.

Nous n’entrerons pas dans le détail de tous les motifs, qui doivent vous inspirer une sainte horreur des spectacles & en particulier de la Comédie. Ils ont été développés non-seulement par les Théologiens les plus sages & les plus éclairés ; mais encore par un Prince aussi grand par sa piété & ses vertus, que par son auguste naissance. Nous nous reposons avec une entiére confiance sur la vigilance de vos Pasteurs. Soyez assidus à vos paroisses, & vous y recevrez toutes les instructions, dont vous avez besoin sur une matiére, qui devient l’objet de leur zéle. Ils vous découvriront les piéges que l’on tend par les Spectacles aux chrétiens imprudens. Ils léveront le masque séducteur, sous lequel les vices prétendent cacher leur difformité. Ils prouveront que le but de cet art funeste est de faire naître & d’émouvoir les passions dans les ames innocentes ; & d’excuser le crime dans ceux qui y sont livrés : en un mot d’autoriser, & même de canoniser tout ce qui est condamné par l’Evangile. Ces dignes Pasteurs détruiront tous les prétextes, par lesquels on prétend justifier ces prophanes amusemens. Ils feront voir que les spectateurs ne s’y intéressent qu’autant qu’ils ressentent & qu’ils éprouvent en quelque sorte les passions criminelles qui leur sont représentées. Enfin joignant le poids de l’autorité à la solidité des raisonnemens, ils vous démontreront que ces sortes de représentations ont été regardées par tous les Saints Peres comme un reste de Paganisme, le levain d’un culte sacrilége, & une école d’impureté.
Souvenez-vous, N. T. C. F. des vœux solemnels, que vous avez faits à Dieu dans votre batême. Vous avez promis à la face des saints Autels de renoncer au démon & à ses pompes, & de vous attacher à J. C. C’est par-là que vous êtes Chrétiens. L’assistance aux spectacles n’est-elle pas un désaveu de vos engagemens ? Oseroit-on la rapporter à Dieu ? & si dans l’yvresse des amusemens & des plaisirs on étouffe tous les remords de la conscience, ne doit-on pas craindre qu’ils ne se réveillent & qu’ils ne deviennent plus cuisans, mais trop tard, à l’heure de la mort ? La Comédie est un des moyens que le Démon emploie avec plus de succès pour retenir ses esclaves & en former de nouveaux. Le théatre est une chaire pestilencielle que cet esprit superbe a toujours opposé à la chaire de vérité. Cest là qu’il a établi son empire. Il a été forcé d’en convenir lui-même au tems de Tertullien. Une femme chrétienne étant allée au théatre, en revint possedée du démon. L’Exorciste lui demanda comment il avoit osé attaquer une Fidélle. Il répondit hardiment : J’ai eu raison, je l’ai trouvée chez moi. In meo inveni. .
Nous vous dirons encore avec la liberté d’un saint Prophéte, & plaise au ciel que ce soit avec le même succès : Vous ne pouvez servir deux maîtres. Jusqu’à quand serez vous comme un homme qui boite des deux côtés  ; adorant tantôt le Seigneur, & tantôt l’idole de la volupté ? Choisissez auquel des deux vous voulez appartenir. Si c’est au démon, allez vous mêler dans la foule de ses adorateurs. Il a son temple ouvert : ce sont les théatres, où il a élevé son thrône. Mais si c’est Dieu que vous avez choisi pour votre partage : si vous vous écriez avec Israël touché, converti : C’est le Seigneur, qui est le seul vrai Dieu, fuyez les assemblées d’iniquité, dont sa sainteté est offensée. Allez répandre votre ame en la présence de J. C. par de nouvelles protestations de consécration & d’amour. Demandez-lui avec larmes qu’il ouvre les yeux de ces malheureuses victimes de Satan sur l’horreur de leur état. Forcez les, N. T. C. F. en défertant leurs spectacles impies, d’abandonner une profession, qui les met dans un état perpétuel de péché ; afin que frustrés des gains injustes, qu’ils se promettoient, ils travaillent pour subvenir à leurs besoins par des voies légitimes.

Enfin, N. T. C. F. ne prodiguez pas pour la perte de vos ames le superflu de vos biens, qui est le patrimoine des pauvres. Leurs besoins sont si pressans, leur nombre est si prodigieusement multiplié, qu’il devroit vous engager jusqu’au sacrifice d’une partie de votre nécessaire. Dans une année, où la main de Dieu vient de s’appesantir sur nous, en nous ôtant la récolte qui fait la principale ressource du païs : dans un tems de calamité, où nous ne devrions penser qu’à fléchir sa colére par des œuvres de pénitence, n’attirez pas par de nouveaux crimes, de nouveaux traits de vengeance.

 

A ces causes, en nous conformant au Rituel, & aux Ordonnaces Synodales de ce Diocèse, Nous ordonnons aux Curés, Confesseurs & Prédicateurs de la Ville & Faux-bourgs d’Auxerre, d’instruire en public & en particulier, tous les Fidéles de l’un & de l’autre sexe, de l’obligation où ils sont de s’abstenir de divertissemens si préjudiciables à leur salut ; & de n’avoir aucune société avec des gens, que les loix ecclésiastiques & civiles ont toujours regardés comme infâmes. Exhortons les ames pieuses de faire à Dieu, conjointement avec Nous, des priéres particuliéres, pour détourner sa colére, que ces sortes de scandales attirent ordinairement sur les villes. Et fera notre présent Mandement lû aux Prônes des Messes de Paroisses, & affiché par tout où besoin fera.

HUET, Président du Chapitre.

 

Par Ordonnance de mesdits sieurs,

Pelart Chan. Secret.