MANDEMENT du Chapitre d’Auxerre, Touchant la Comédie.
L es Chanoines & Chapitre de l’Eglise d’Auxerre, au Clergé Séculier & Régulier, & à tous les Fidéles de la Ville & Faux-bourgs d’Auxerre, Salut.
Nous apprenons, N. T. C. F. avec la plus vive douleur, le scandale qui vient de paroître dans cette Ville, par le séjour d’une Troupe de Comédiens ; de ces hommes pervers, qui n’emploient leurs talens qu’à corrompre les cœurs, & à répandre le poison dont ils sont infectés. Ils n’ont pas même respecté les portes de nos Eglises. Ils ont osé y afficher le jour & l’heure de leurs criminels Spectacles.
L’Eglise qui les regarde comme la plus funeste yvraie, que l’homme ennemi ait
jettée dans le champ du Pere de famille, n’attend pas le tems de la moisson,
pour les séparer de sa Communion. Dans les instructions qu’elle vous adresse au
milieu de la célébration des Saints Mystéres, elle les déclare
exclus de tous ses biens spirituels, de ses priéres & de
ses Sacremens. C’est ce que porte expressément le Rituel de ce Diocèse. Après
avoir associé les Farceurs, Bateleurs & Comédiens, aux Magiciens, aux
Devins, aux Usuriers publics, aux Simoniaques, aux Hérétiques dénoncés, &
aux Schismatiques ; il ajoute :
Toutes ces personnes
demeureront excommuniées, jusqu’à ce qu’elles rentrent en elles-mêmes,
& qu’elles reconnoissent l’énormité de leurs crimes, & qu’elles
en demandent l’absolution à l’Eglise.
La fermeté avec laquelle feu M. de Caylus s’étoit opposé à leurs entreprises, les avoit constament banni de sa Ville épiscopale. Quelques tentatives qu’ils aient employées, l’autorité de son ministére sacré, & son crédit auprès des Puissances, furent toujours une barriére que tous leurs efforts ne pûrent franchir. Il semble aujourd’hui qu’ils veulent profiter de nos malheurs. Ils saisissent le tems où notre Eglise dans le deuil pleure la perte d’un pere également tendre & vigilant ; & la voyant encore dans la viduité, ils se hâtent de prévenir ce qu’ils auroient à craindre du zéle & de la piété de son Successeur.
Pour nous, N. T. C. F. dépositaires de la même autorité, nous ne devons point nous borner à gémir dans le secret. Nous devons élever notre voix, & faire tous nos efforts pour réprimer ces désordres. De quelle confusion ne ferions-nous pas couverts à la face de cette Eglise, & aux yeux de l’illustre Pontife que nous attendons, si l’on pouvoit reprocher à notre gouvernement un silence si criminel ? Nos prédécesseurs en pareille circonstance ont refusé de faire une Procession générale, jusqu’à ce que le théatre fut renversé & les Comédiens chassés.
In meo inveni..
Jusqu’à quand serez vous comme un homme qui boite des deux côtés; adorant tantôt le Seigneur, & tantôt l’idole de la volupté ? Choisissez auquel des deux vous voulez appartenir. Si c’est au démon, allez vous mêler dans la foule de ses adorateurs. Il a son temple ouvert : ce sont les théatres, où il a élevé son thrône. Mais si c’est Dieu que vous avez choisi pour votre partage : si vous vous écriez avec Israël touché, converti : C’est le Seigneur, qui est le seul vrai Dieu, fuyez les assemblées d’iniquité, dont sa sainteté est offensée. Allez répandre votre ame en la présence de J. C. par de nouvelles protestations de consécration & d’amour. Demandez-lui avec larmes qu’il ouvre les yeux de ces malheureuses victimes de Satan sur l’horreur de leur état. Forcez les, N. T. C. F. en défertant leurs spectacles impies, d’abandonner une profession, qui les met dans un état perpétuel de péché ; afin que frustrés des gains injustes, qu’ils se promettoient, ils travaillent pour subvenir à leurs besoins par des voies légitimes.
Enfin, N. T. C. F. ne prodiguez pas pour la perte de vos ames le superflu de vos biens, qui est le patrimoine des pauvres. Leurs besoins sont si pressans, leur nombre est si prodigieusement multiplié, qu’il devroit vous engager jusqu’au sacrifice d’une partie de votre nécessaire. Dans une année, où la main de Dieu vient de s’appesantir sur nous, en nous ôtant la récolte qui fait la principale ressource du païs : dans un tems de calamité, où nous ne devrions penser qu’à fléchir sa colére par des œuvres de pénitence, n’attirez pas par de nouveaux crimes, de nouveaux traits de vengeance.
A ces causes, en nous conformant au Rituel, & aux Ordonnaces Synodales de ce Diocèse, Nous ordonnons aux Curés, Confesseurs & Prédicateurs de la Ville & Faux-bourgs d’Auxerre, d’instruire en public & en particulier, tous les Fidéles de l’un & de l’autre sexe, de l’obligation où ils sont de s’abstenir de divertissemens si préjudiciables à leur salut ; & de n’avoir aucune société avec des gens, que les loix ecclésiastiques & civiles ont toujours regardés comme infâmes. Exhortons les ames pieuses de faire à Dieu, conjointement avec Nous, des priéres particuliéres, pour détourner sa colére, que ces sortes de scandales attirent ordinairement sur les villes. Et fera notre présent Mandement lû aux Prônes des Messes de Paroisses, & affiché par tout où besoin fera.
Par Ordonnance de mesdits sieurs,