(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XVII. On y risque tout par une seule assistance. » pp. 40-44
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(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XVII. On y risque tout par une seule assistance. » pp. 40-44

XVII.

On y risque tout par une seule assistance.

Ces principes, commencent-ils à dire, condamnent avec justice ceux en qui l’assistance aux Spectacles a dégénéré en habitude ; mais ils n’ont point d’application à ceux qui n’y vont que rarement, une fois en passant, & par pure complaisance. Où est leur crime ?

Ce seroit indubitablement porter les choses à l’excès, que de les juger aussi coupables les uns que les autres. Il est évident qu’il n’y a pas le même degré de passion pour le Théatre. Mais les derniers sont-ils innocens ? C’est ce qu’il ne nous paroît pas raisonnable de demander.

Quoi ! des Chretiens autorisent par leur présence une profession réprouvée par l’Eglise ! Ils deviennent un sujet de chûte pour leurs freres encore foibles ! Ils étouffent des remords trop fondés par leur exemple, qui sera d’autant plus contagieux que leur vertu sera regardée dans le monde comme plus pure, contre l’ordre exprès de J. C. qui leur prescrit de couper une main, d’arracher un œil qui leur sont une occasion de scandale. Ils se trouvent dans celles qui sont les plus propres à leur porter les coups les plus mortels ; à rouvrir des plaies qui avoient été longtems à se fermer, & on demande froidement s’ils sont coupables !
Leur est-il donc permis de se jetter eux-mêmes dans un danger si évident ? Leur est-il permis d’ignorer qu’ on ne marche point sur des charbons ardens sans se brûler la plante des pieds  ; & que celui qui aime le péril y périra  ? L’exemple seul d’Alipe ne doit-il pas instruire & faire frémir ces chrétiens trop complaisans, s’ils ont quelqu’amour pour leur salut ?
« Entrainé par ses amis à l’amphitéatre Vous pouvez, leur dit Alipe, faire violence à mon corps & me placer parmi vous ; mais vous ne disposerez pas de mon esprit ni de mes yeux, qui ne prendront assurément aucune part au spectacle. Ainsi j’y serai comme n’y étant point, & par ce moyen je me mettrai tout à la fois au-dessus de la violence que vous me faites, & de la passion qui vous posséde.
Les dispositions de nos chrétiens si complaisans ne sont assurément ni si grandes ni si généreuses. Qu’arriva-t’il cependant ? On plaça Alipe à l’Amphithéâtre ; il défend à son cœur de prendre part à ces plaisirs criminels. Il se tient les yeux fermés. Un grand cri se fait entendre & frappe ses oreilles ; la curiosité l’emporte ; il ne veut que voir ce qui se passe ; il se persuade que, quoi que puisse être, il s’en détournera & le méprisera : « il ouvre donc les yeux, dit S. Augustin dont ce récit est tiré, & c’en fut assez pour faire à son cœur une plaie bien plus mortelle que celle qu’un des combattans venoit de recevoir…. Ce fut par-là que son cœur, où il y avoit bien plus de présomption que de force, & qui étoit d’autant plus foible, qu’il avoit compté sur lui-même, au lieu de ne rien attendre que de vous, ô mon Dieu, se trouva blessé tout d’un coup. La cruauté s’y glissa dans le même moment que le sang qu’on venoit de répandre frappa ses yeux. Bien loin de les détourner de ce qui se passoit, il les y tint attachés ; buvant la fureur à longs traits, sans s’en appercevoir, & se laissant emporter à ce plaisir barbare & criminel. Ce n’est plus le même homme, continue ce Pere, qu’on avoit traîné par la force : c’est un homme de même trempe que tous ceux qui faisoient la foule dans l’Amphitheâtre, & un digne compagnon de ceux qui l’y avoient mené. Le voila attaché au Spectacle comme les autres ; mêlant ses cris avec les leurs ; s’échauffant & s’intéressant comme eux à ce qui se passoit. Enfin il sortit de là avec une telle ardeur pour les Spectacles, qu’il ne respiroit plus autre chose ; & non seulement il étoit prêt d’y retourner avec ceux qui l’y avoient amené, mais qu’il en étoit plus entêté qu’aucun, & qu’il y menoit les autres. »

Que ne dit point un tel exemple à quiconque craint sérieusement d’offenser Dieu, & de donner la mort à son ame ? Regardera t-on désormais comme l’effet d’un zele outré les descriptions vives que nous avons faites de cette foule de dangers qu’on court aux Spectacles ? Nos allarmes étoient-elles vaines ? Le cœur est-il impénétrable aux attraits empoisonnés qui partent du Théâtre ? Qui s’y croira en sureté en voyant tomber sous ses yeux un homme que ses dispositions sembloient devoir garantir de toute chûte ? Eh ! qu’on ne dise point ici que les Spectacles anciens étoient bien différens des nôtres ; Que ceux-ci sont aussi humains & décens, que ceux-là étoient cruels & sanguinaires. Cela est vrai : mais l’exemple proposé n’en est que plus frappant. Quoi ! Alype tombe à la vue d’un Spectacle qui ne présente rien que d’affreux & de révoltant ; & on prétendroit ne pas même chanceler au milieu de Spectacles qui n’offrent rien que de séduisant, & ce qu’il y a de plus capable d’irriter les penchans d’une nature corrompue ?

L’argument est pressant. Nous en convenons, diront les partisans de la Comédie. Il faut cependant qu’il ne soit pas si décisif que vous le prétendez, puisque les loix autorisent les Spectacles. S’ils étoient si mauvais, elles ne les toléreroient pas. Nous ne répondrons pas nous-mêmes à cet objection. Il faut leur opposer une autorité universellement respectée. C’est celle du célébre Evêque de Meaux, dont nous avons déja fait tant d’usage contre eux.