XIV.
La comédie considérée dans ses Spectateurs.
N’est-ce donc rien pour les Spectateurs que de former ces assemblées où se réunit tout ce qu’il y a de plus léger, de plus mondain, de plus oisif, de plus irrégulier dans l’un & l’autre séxe ; ces assemblées où dominent le luxe des modes, la vanité de la parure, le désir de voir & d’être vû ; ces assemblées enfin où le vice paroît à visage découvert, où la vertu n’entre pas sans scrupule & sans péril, & d’où elle ne sort point sans atteinte !
par leur chant, par leur habileté à peindre les passions▶, à se jetter dans leurs lacets, comme un oiseau dans les filets qu’on lui rend ?
Tels sont les péchés qui sont la suite inséparable de l’assistance au Spectacle. N’eût-on pris aucune part aux ◀passions▶ dangéreuses qui y sont réprésentées, on est coupable de ces péchés. La présence seule les fait commettre. Mais voyons si pour l’ordinaire on est inaccessible aux objets que la Comédie réprésente.
l’image, l’attrait, la pâture de la sienne propre. On se voit dans ceux qui nous paroissent transportés par de semblables objets. Il y a donc dans le cœur des Spectateurs un Théâtre secret, où chacun est Acteur & joue sa propre ◀passion▶ ; & c’est ce qui donne le vif & le piquant au Spectacle ; c’est ce qui y porte avec tant d’ardeur.
Or quelles sont les ◀passions▶ qu’on réprésente à la Comédie ? On l’a déjà dit : Ce font les plus dangéreuses, les plus amies de la corruption du cœur de l’homme. Ce sont ces ◀passions▶ qu’il plaît au monde d’appeler délicates, mais qui dans le fond sont si grossiéres. Ainsi plus la Piéce sera travaillée, plus les Acteurs seront habiles dans leur art, & plus ces ◀passions plairont, plus leur impression sera vive. On les jouera donc sur le Théâtre secret de son cœur ; on éprouvera donc les atteintes du feu impur ; & cela peut-il être autrement dans le sein de la volupté ? On en ressent quelquefois l’ardeur, au mileiu même des larmes de la pénitence.
ce que c’est en l’homme qu’un certain fond de joie sensuelle, & on ne sait quelle disposition inquiéte & vague aux plaisirs des sens, qui ne tend à rien, & qui tend à tout. C’est, ajoute-t-il, ce que sentoit S. Augustin au commencement de sa jeunesse emportée, lorsqu’il disoit»Je n’aimois pas encore, mais j’aimois à aimer. Il cherchoit, continue-t-il, quelque piége où il prît, & où il fût pris : & il trouvoit ennuyeuse & insuportable une vie où il n’y eût point de ces lacets ; VIAM SINE MUSCIPULA. Tout en est semé dans le monde. Il fut pris selon son souhait ; & c’est alors qu’il fut enyvré du plaisir de la Comédie, où il trouvoitl’image de ses miséres, l’amorce & la nourriture de son feu. Son exemple & sa doctrine nous apprennent à quoi est propre la Comédie : combien elle sert à entretenir ces secretes dispositions du cœur humain, soit qu’il ait déjà enfanté l’amour sensuel, soit que ce mauvais fruit ne soit point encore éclos.