(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XIV. La comédie considérée dans ses Spectateurs. » pp. 30-33
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(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XIV. La comédie considérée dans ses Spectateurs. » pp. 30-33

XIV.

La comédie considérée dans ses Spectateurs.

Le mal de la Comédie, qu’on ne s’y trompe pas, ne se renferme pas dans le cercle étroit des Acteurs & des Actrices. Il va bien au-de-là : il passe bientôt dans les Spectateurs. Et n’en est-ce pas déja un grand de leur part, que d’autoriser de tels hommes par leurs éloges à continuer une profession que les loix même payennes ont déclarée infâme, & de les enhardir dans leur révolte contre l’Eglise ? N’en est-ce pas un autre non moins digne d’être expié par la pénitence, que de contribuer à entretenir leur corruption, leur luxe & leur vanité par des sommes immenses, qui suffiroient & seroient nécessaires aux besoins des pauvres de toute une ville ? Dans quel siécle vivons-nous ? Les membres de Jesus-Christ mourront de faim ; des hommes réprouvés par son épouse vivront dans les délices, & on se croira innocent !

N’est-ce donc rien pour les Spectateurs que de former ces assemblées où se réunit tout ce qu’il y a de plus léger, de plus mondain, de plus oisif, de plus irrégulier dans l’un & l’autre séxe ; ces assemblées où dominent le luxe des modes, la vanité de la parure, le désir de voir & d’être vû ; ces assemblées enfin où le vice paroît à visage découvert, où la vertu n’entre pas sans scrupule & sans péril, & d’où elle ne sort point sans atteinte !

Les Spectateurs sont-ils innocens, lorsqu’ils ferment les oreilles au précepte du Sage qui leur prescrit de fuir les femmes dont la parure porte à la licence, qui enlévent les cœurs des jeunes gens, qui les engagent par la douceur de leurs lèvres, par leur chant, par leur habileté à peindre les passions, à se jetter dans leurs lacets , comme un oiseau dans les filets qu’on lui rend ?

Tels sont les péchés qui sont la suite inséparable de l’assistance au Spectacle. N’eût-on pris aucune part aux passions dangéreuses qui y sont réprésentées, on est coupable de ces péchés. La présence seule les fait commettre. Mais voyons si pour l’ordinaire on est inaccessible aux objets que la Comédie réprésente.

C’est un principe constant & puisé dans la nature du cœur, qu’on ne goûte de plaisir au Spectacle, qu’autant qu’il émeur, qu’il touche, & qu’il cause une espéce d’yvresse. Sans cela il devient insipide & ennuyeux. Or selon S. Augustin, il ne touche, il n’enchante que parce qu’on voit, qu’on sent dans la passion réprésenté l’image, l’attrait, la pâture de la sienne propre . On se voit dans ceux qui nous paroissent transportés par de semblables objets. Il y a donc dans le cœur des Spectateurs un Théâtre secret, où chacun est Acteur & joue sa propre passion ; & c’est ce qui donne le vif & le piquant au Spectacle ; c’est ce qui y porte avec tant d’ardeur.

Or quelles sont les passions qu’on réprésente à la Comédie ? On l’a déjà dit : Ce font les plus dangéreuses, les plus amies de la corruption du cœur de l’homme. Ce sont ces passions qu’il plaît au monde d’appeler délicates, mais qui dans le fond sont si grossiéres. Ainsi plus la Piéce sera travaillée, plus les Acteurs seront habiles dans leur art, & plus ces passions plairont, plus leur impression sera vive. On les jouera donc sur le Théâtre secret de son cœur ; on éprouvera donc les atteintes du feu impur ; & cela peut-il être autrement dans le sein de la volupté ? On en ressent quelquefois l’ardeur, au mileiu même des larmes de la pénitence.

Chercheroit-on à justifier des excès si visibles, si on connoissoit d’après M. Bossuet, « ce que c’est en l’homme qu’un certain fond de joie sensuelle, & on ne sait quelle disposition inquiéte & vague aux plaisirs des sens, qui ne tend à rien, & qui tend à tout. C’est, ajoute-t-il, ce que sentoit S. Augustin au commencement de sa jeunesse emportée, lorsqu’il disoit Je n’aimois pas encore, mais j’aimois à aimer . Il cherchoit, continue-t-il, quelque piége où il prît, & où il fût pris : & il trouvoit ennuyeuse & insuportable une vie où il n’y eût point de ces lacets ; VIAM SINE MUSCIPULA. Tout en est semé dans le monde. Il fut pris selon son souhait ; & c’est alors qu’il fut enyvré du plaisir de la Comédie, où il trouvoit l’image de ses miséres, l’amorce & la nourriture de son feu . Son exemple & sa doctrine nous apprennent à quoi est propre la Comédie : combien elle sert à entretenir ces secretes dispositions du cœur humain, soit qu’il ait déjà enfanté l’amour sensuel, soit que ce mauvais fruit ne soit point encore éclos. »