XIII.
La Comédie considérée dans les Acteurs.
L’idée la plus juste qu’on puisse donner d’un Acteur, est celle d’un homme qui s’empoisonne lui-même & qui empoisonne les autres. Quel spectacle aux yeux de la foi ! qu’il est horrible ! Que faut-il qu’il fasse pour jouer naturellement une passion, & pour l’exciter dans les spectateurs ? Il faut qu’il rappelle, autant qu’il est en lui, celles qu’il a ressenties, & que, s’il étoit chrétien, il auroit tellement noyées dans les larmes de la pénitence, qu’elles ne reviendroient jamais à son esprit, ou qu’elles n’y reviendroient point sans horreur ; & il faut qu’elles lui reviennent avec leurs graces & leurs agrémens meurtriers.
Quel crime dans un enfant de Dieu de se tuer ainsi de ses propres mains, de se dégrader lui-même & de devenir entre les mains du démon un instrument dont il se sert pour perdre les ames ! Quels tourmens la justice inéxorable du Très-haut ne réserve t’elle pas à de tels hommes ? La Comédie n’est donc autre chose qu’une école, qu’un éxercice de vices, puisqu’elle oblige nécessairement ses Acteurs à réveiller sans cesse des passions vicieuses.
Quelle horreur cette raison seule ne devroit-elle pas inspirer du Théatre ? On y voit ses freres être le jouer du démon. Il les remue, il en dispose à son gré, ils sont ses esclaves. On les voit s’enfoncer eux-mêmes le poignard dans le sein. Ce n’est pas assez dire ; on le leur plonge soi-même ; on est homicide par sa présence ; on les anime par ses applaudissemens à braver les foudres du ciel ; & de la terre ; & on ne frémit pas ! Où est donc la foi ? Où est la charité ? Est-ce être enfant du Pere céleste ? Est-ce être celui de l’Eglise ? Est-ce connoître le prix du sang qui a été répandu pour nous ?
Le fils honore son pere, & le serviteur révére son seigneur. Si donc je suis votre pere, où est l’honneur que vous me rendez ? Et si je suis votre Seigneur, où est la crainte respectueuse que vous me devez ?»
ces fléches qui percent les cœurs, & qu’il «
immole, (selon M. Bossuet), à l’incontinence publique, d’une maniére plus dangereuse qu’on ne feroit dans des lieux qu’on n’ose nommer ? Qui ne les regarde pas, ajoûte-t’il, comme des Esclaves exposées, en qui la pudeur est éteinte, quand ce ne seroit que par tant de regards qu’elles attirent ? Elles, que leur sexe avoit consacrées à la modestie, & dont l’infirmité naturelle demandoit la sûre retraite d’une maison bien réglée. Et voilà qu’elles s’étalent elles-mêmes en plein Théâtre, avec tout l’attirail de la vanité, comme ces Syrénes dont parle Isaïe, qui font leur demeure dans les temples de la volupté, dont les regards sont mortels, & qui reçoivent de tous côtés par les applaudissemens qu’on leur renvoie, le poison qu’elles répandent par leur chant.»
Que dirai-je, s’écrie ce Pere, de ces réprésentations, de ces habits que le démon seul a inventés ?… On y voit des femmes qui ont essuyé toute honte ; qui paroissent hardiment sur un Théâtre devant tout un peuple ; qui ont fait une étude de l’impudence ; qui par leurs regards & par leurs paroles, répandent le poison de l’impudicité dans les yeux, dans les oreilles de tous ceux qui les voient, qui les entendent ; & qui semblent conspirer par tout cet appareil qui les environne, à détruire la chasteré, à deshonnorer la nature, & à se rendre les organes visibles du démon. Enfin tout ce qui se fait dans ces réprésentations malheureuses, ne porte qu’au mal. Les paroles, les habits, le marcher, la voix, le chant, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instrumens, les sujets mêmes & les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison, tout y respire l’impureté.»