(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — IX. La Comédie donne des leçons de toutes les passions. » pp. 18-21
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(1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — IX. La Comédie donne des leçons de toutes les passions. » pp. 18-21

IX.

La Comédie donne des leçons de toutes les passions.

Les assauts que livre la Comédie à la pudeur, ne sont pas le seul reproche qu’on ait à lui faire. Quand elle banniroit du Théâtre tout ce qui peut blesser cette précieuse vertu, elle n’en seroit pas plus innocente aux yeux de la vraie piété, elle n’en seroit pas moins son ennemie. La haine que la vertu a pour le vice ne se borne pas à un seul, elle s’étend à tous. Le Spectacle a d’autres torts, qui ne sont ni moins graves ni moins pernicieux. Il ne cesse de réprésenter des objets propres à révolter les sens, que pour en peindre d’autres aussi criminels & presque aussi contagieux.

Quelle idée des disciples d’un Dieu humilié, d’un Dieu anéanti se formeroient-ils de l’orgueil ? Si on en juge par les portraits qu’il en trace, rien de plus noble que ce vice, également réprouvé par la Raison & par la Religion. Il est la source, selon lui, du vrai courage ; c’est lui qui fait les vrais héros ; c’est à lui qu’ils doivent l’élévation de leurs sentimens. Le Théâtre exige qu’on lui donne des éloges, qui ne sont dûs qu’à la véritable grandeur. Il veut qu’on accorde son admiration à ceux en qui ce vice domine. Reconnoît-on sous ce masque ces hommes dont Dieu brisera les os, &c dans le sang desquels il lavera ses mains  ?

L’Orgueil ainsi travesti est si essentiel au Théâtre, que quand il introduit des Saints & des Saintes sur la scéne, il est forcé de les y faire paroître avec cette fierté, qu’il lui plaît d’appeler générosité & grandeur d’ame. Il leur met dans la bouche des discours indignes des héros du Christianisme, qui ne sont bien caractérisés que par l’humilité, & qui ne conviennent qu’à ces prétendus grands hommes de l’Antiquité payenne. Quels ravages de tels sentimens, s’ils sont reçus dans le cœur déja trop porté à l’enflure, ne doivent-ils pas produire ? Et peuvent-ils n’y point avoir accès, puisqu’ils sont écoutés avec plaisir ?

« Toutes ces piéces de Théâtre, dit un célébre Auteur, ne sont que de vives représentations de passions, d’orgueil, d’ambition, de jalousie, de vengeance, & principalement de cette vertu Romaine, qui n’est autre chose qu’un furieux amour de soi-même. Plus leurs Auteurs colorent ces vices d’une image de grandeur & de générosité, plus ils les rendent dangereux & capables d’entrer dans les ames les mieux nées ; & l’imitation de ces passions ne nous plaît que parce que le fond de notre corruption excite en même tems un mouvement tout semblable qui nous transforme en quelque sorte, & nous fait entrer dans la passion qui nous est représentée.

Quels reproches d’après les principes de ce grand homme, n’aurions-nous point encore à faire à la Comédie sur les couleurs brillantes qu’elle prête à la jalousie & à la vengeance ? Est-il permis de dissimuler aux yeux des Chrétiens la laideur, la difformité de ces vices ? Pourroient-ils les concilier avec les leçons de charité & de douceur que leur donne leur maître ? Quel crime n’est-ce donc pas d’embellir ces vices cruels qui portent par tout le fer & le feu, qui vont jusqu’à faire répandre le sang de ses concitoyens, & souvent celui de ses proches ? Quel crime n’est ce pas de changer en vertu, ce qui produit depuis si longtems une fureur brutale dans la Noblesse françoise ?

Qu’on ne dise point qu’on ne va au Spectacle que pour s’y divertir, & non pas pour prendre des leçons de morale, & que par conséquent celles qu’on y reçoit ne font aucune impression.

Auroit-on oublié combien sont profondes les racines que les passions ont jettées dans le cœur ? Ignoreroit-t-on que ces passions sont excitées par les maximes, ainsi que par les objets ; que les principes du Théâtre ne font que fortifier ceux qui sont si accrédités dans le monde ? Si on le sait, comment peut-on croire que les leçons qu’on y donne ne laissent aucune trace, & que la vue seule du divertissement étouffe tout autre sentiment ?

Un éxemple va éclaircir & rendre plus sensible ce raisonnement, qui frappe également sur toutes les autres passions représentées au Théâtre, & dans le détail desquelles les bornes étroites que nous nous sommes prescrites ne nous permettent pas d’entrer. Un homme assiste à la Comédie ; il est témoin de l’oprobre dont on couvre la patience qui supporte les injures. Il entend les applaudissement qu’on donne à la fausse bravoure qui ne les sait point pardonner. Il sort plein de ces images si conformes à ses penchans, & de l’yvresse qu’elles lui causent. A la porte il est insulté. Qui se persuadera qu’il ne sentira pas plus vivement dans cet instant, que dans tout autre, l’outrage qui lui est fait, & qu’il ne se portera pas plus aisément à s’en venger ?