O. — (8. Experientia.) Et si l’expérience qui est la maîtresse des fous, a quelque pouvoir sur l’esprit des sages, demandez, s’il vous plaît, à toutes les bonnes âmes qui se sont bien données à Dieu, demandez à tous les religieux qui ont été autrefois du monde, si en leur confession générale ils ne se sont pas repentis et accusés d’avoir été au bal. Quand quelqu’un de vos camarades est au lit de la mort, demandez-lui s’il ne se repent pas d’y avoir été, et s’il ne craint pas d’en être repris au jugement de Dieu. Et, sans aller si loin, vous savez bien que vous-même vous vous en confessez, parce que vous ne pouvez étouffer le remords de votre conscience qui vous en reprend ; mais vous vous en confessez en vous moquant de Dieu et de votre confesseur, puisque vous avez volonté d’y retourner une autre fois, quand l’occasion s’en présentera▶. Si vous êtes si téméraire de vous confesser sans vous en accuser, vous ne l’êtes pas jusqu’à ce point que vous voulussiez mourir sans vous en confesser. Dites la vérité, voudriez-vous mourir au sortir d’un bal, sans vous en repentir ou vous en confesser ? donc ce n’est pas un divertissement innocent, car on ne se repent pas de ce qui est innocent ; donc ce confesseur qui ne vous en fait pas repentir ne fait pas son devoir, car il ne vous doit pas laisser sortir du confessionnaire qu’au même état qu’il voudrait vous ◀présenter au jugement de Dieu.
En la vie de la bienheureuse Magdeleine de Pazy, écrite par le père Dominique de Jésus, carme déchaussé (cap. 20. vitæ B. Magdalenæ de Pazy.), il est dit qu’un jour Notre Seigneur lui fit voir, en extase, un bon nombre d’âmes religieuses qui brûlaient dans des flammes effroyables, et qui étaient tombées dans ce malheur infiniment déplorable, pour avoir mal usé des récréations que la religion donne. Ses yeux fondaient en deux torrents de larmes, et ses plaintes étaient si tristes et lamentables, qu’elle tirait les larmes de toute l’assistance. Dans ces plaintes elle disait d’une voix funeste : Ô âmes religieuses, misérables ! ô misère extrême ! que ce qui est permis aux religieux pour une sainte récréation, leur donne la mort de l’âme, et leur cause une peine épouvantable et d’une éternelle durée ! Que si cette histoire vous semble de trop fraîche date, lisez la vie de S. Dominique, et vous verrez que l’esprit malin montrant à ce saint patriarche le lieu où ses religieux parlaient ensemble après le repas, lui dit en se vantant qu’il gagnait beaucoup en ce lieu-là. C’étaient des religieux d’un ordre très saint et très austère, d’un ordre qui était encore en ses commencements et en sa première ferveur, des religieux qui avaient leur patriarche pour supérieur, qui étaient sous la conduite d’un Saint et d’un si grand Saint ! et la salle où se font les assemblées de garçons et de filles, où se lancent des œillades lascives, où se disent des paroles de gueule, où se forment des pensées de vanité, d’envie et de mépris du prochain, où s’engendrent des haines, des querelles et des duels ; cette salle, dis-je, ne sera pas la salle du diable, plus sale, plus impure et pleine d’immondices qu’une étable d’Augias ?
Laissons-là ces contentieux, ô ames choisies ! et disons avec Tertullien : Vicibus disposita res est : Chacun à son tour ; les gens du monde prennent leurs plaisirs, et vous vous affligez. C’est que Jésus-Christ a prédit à ses disciples : Le monde se réjouira, dit-il, et vous serez attristés ; attristez-vous donc en la solitude maintenant que les gens du monde se réjouissent, afin qu’à votre tour vous vous réjouissiez quand ils s’attristeront. Leurs joies sont vaines et frivoles, et les vôtres seront solides et véritables ; l’objet de leur joie n’est que quelque chétive créature, et l’objet des vôtres sera le Créateur, vrai océan et abîme de tout bien ; leurs joies sont détrempées de mille amertumes, d’envie, de jalousie, de crainte, de défiance ou d’autre passion, les vôtres seront pures et sans aucun mélange d’aigreur ; leurs joies ne sont que pour quelques heures, quelques jours ou quelques années, les vôtres seront sans fin, sans pause et sans aucune diminution en toute l’étendue des siècles. Amen.