A. — (Exordium. — Argumenta mundanorum.) Il faut que je vous avoue,
Messieurs, que j’ai longtemps considéré devant Dieu et balancé en mon esprit si je
pouvais traiter ce sujet, et que plusieurs raisons, très bonnes en apparence, se sont
présentées à mon imagination pour me dissuader de cette entreprise. Premièrement,
entreprendre de détourner les hommes des divertissements mondains qui sont en usage
depuis tant de siècles, et qui semblent avoir acquis un juste droit de prescription, c’est
me rendre désagréable, ennuyeux, importun et odieux à mes auditeurs ; c’est vouloir sevrer
les hommes des douceurs de la vie, douceurs auxquelles ils ont tant d’attachement, que,
comme dit Tertullien (de Spectaculis, c. 2.), plusieurs refusaient de se faire chrétiens,
plutôt par crainte d’être privés de ces passe-temps, que par crainte du martyre.
En second lieu, c’est entreprendre l’impossible, c’est perdre mon temps et ma peine,
c’est voguer contre vent et marée ; les gens du monde sont tous résolus, les prédicateurs
ont beau crier, on n’en fera ni plus ni moins : Cæperunt hæc facere, nec
desistent a cogitationibus suis donec
eas opere compleant. En troisième
lieu, non seulement il vous est impossible de les vaincre, mais même vous ne sauriez les
convaincre ; car, comme dit le même Tertullien, la sensualité des hommes est fort
ingénieuse à trouver des raisons, à forger des arguments pour se maintenir en ses droits,
et fort éloquente à plaider une cause qu’elle affectionne avec passion.
Quel péché y a-t-il, dit-elle, d’aller au bal ou de hanter les compagnies, de se masquer, de jouer aux cartes et aux dés, ou d’aller à la comédie ? Ce sont des divertissements innocents, où on ne fait tort à personne, il n’est pas défendu de se récréer.
Je ne suis pas religieuse, je n’ai jamais eu l’envie de l’être, mon dessein est d’être mariée, je ne dois pas être recluse comme une carmélite ; si je ne hante le bal, ni les danses, je ne trouverai point de parti, on me laissera là comme une mortepayea.
Je ne vois point que ces passe-temps soient défendus en la loi divine, les commandements
de Dieu, ni ceux de l’Eglise n’en parlent point ; mon confesseur ne m’en dit rien, il sait
bien que je les hante, il ne laisse pas de m’absoudre, il me permet la communion tous les
dimanches et encore plus souvent, encore que je donne le bal, encore que j’emploie cinq ou
six heures à jouer tous les jours. S. Augustin a été autrefois en même peine ; il disait à
ses auditeurs (homil. 25. ex 50. circa medium.) : Il n’y a rien qui me semble si doux que
d’être retiré en ma petite chambre, y lire l’Ecriture sainte, la méditer devant Dieu, en
rechercher l’intelligence, en goûter la douceur en repos et en silence
; j’y aurais bien
plus de plaisir qu’à vous être ici ennuyeux, à vous étourdir de mes corrections, et perdre
mon temps à reprendre des vices que plusieurs n’éviteront pas ; mais l’Ecriture
m’épouvante. S. Paul me dit : Pressez vos auditeurs, reprenez-les, priez-les, soyez-leur
importun, encore qu’ils aient de l’aversion pour la vérité.
Je lis en S. Matthieu, qu’un
serviteur qui n’avait point employé son talent de crainte de le perdre, fut condamné de
son maître▶ ; son ◀maître lui dit : Je ne vous avais pas commandé de tirer du profit de
votre talent, mais de le distribuer : Erogatorem te posueram, non exactorem ;
quare non dedisti pecuniam meam, et cum usuris exegissem eam ?
Je ne
rendrai pas compte du profit qu’on fera de ma prédication ; mais je rendrai compte si je
ne prêche la vérité. C’est une vérité orthodoxe et d’importance, que les chrétiens curieux
de faire leur salut se doivent abstenir de ces divertissements mondains ; ce que je montre
par toutes les voies par lesquelles on peut prouver une vérité catholique, à savoir par
l’Ecriture et par les Pères, par les conciles et la pratique de la primitive Église, par
les exemples, par les raisons et par l’expérience.