SECOND DISCOURS
Où on fait l’Histoire des Jeux de Théâtre et autres divertissements Comiques, et des sentiments des Docteurs de l’Eglise sur cette matière.
Est-il raisonnable qu’on vienne toujours demander à l’Eglise quel mal contiennent les Comédies ? Ne devrait-il pas suffire aux Chrétiens de connaître les souhaits de leur mère, pour se conformer à ses volontés ? et ne faut-il pas être aussi peu religieux et aussi méchant Théologien, que l’est le nouveau défenseur de la Comédie, pour oser dire d’un air moqueur à ceux qui croyant la Comédie défendue, se feraient un scrupule d’y aller: « Jusqu’à
présent, je l’avoue, je croyais qu’on défendait les choses parce qu’elles étaient mauvaises, et non pas qu’elles fussent mauvaises, parce qu’elles étaient défendues
», page 28. Est-ce que nous ne ferons point de scrupule de manger de la viande en Carême, ou faudra-t-il se persuader que durant quarante-six jours de l’année la viande devient mauvaise par elle-même ? Croirons-nous qu’il est mauvais par soi-même de manger avant la Communion ? et lorsque l’Eglise ordonna qu’on recevrait le Corps de Jésus-Christ à jeun, ne lui suffit-il pas d’avoir observé que les repas de Charité qui précédaient la Communion Eucharistique, étaient pour plusieurs un sujet de dissipation et d’ivrognerie ? Pourquoi donc les Pasteurs de l’Eglise, après avoir observé que la Comédie produit de mauvais effets sur plusieurs personnes, ne pourront-ils pas la condamner absolument ? L’Eglise avouera si l’on veut qu’on pourrait peut-être quelquefois n’y rien apprendre de mauvais ; mais ne pouvant examiner tout ce qui s’y passe, et sachant d’ailleurs que la Comédie est souvent nuisible, elle ne peut accorder à ses
Enfants de s’aller exposer au hasard d’offenser Dieu ; elle la défend donc généralement, et dès lors la voilà mauvaise parce qu’elle est défendue.
Mais nous allons aussi montrer qu’elle est défendue, parce qu’elle est mauvaise, et que presque toutes les mêmes raisons qui l’ont fait condamner autrefois par les Pères et par les ◀Conciles▶, doivent la faire condamner telle qu’elle est aujourd’hui. C’est, Messieurs, le sujet de ce Discours, où nous allons voir quel a été le Théâtre depuis le premier siècle de l’Eglise jusqu’à présent, et pour quelle raison les Pères ont toujours condamné la Comédie.
I. Division du discours
Pour donner quelque ordre à cet ouvrage, nous le diviserons en différentes parties. La première comprendra l’Histoire des Jeux de Théâtre depuis Auguste, jusqu’à la conversion de Constantin. La seconde, depuis Constantin jusqu’à Honorius. La troisième, depuis Honorius jusqu’à l’extinction de l’Idolâtrie au commencement du sixième siècle. Enfin la quatrième contiendra le jugement que les Auteurs tant sacrés que profanes ont porté sur les spectacles depuis Auguste jusqu’à Justinien. La cinquième contiendra l’Histoire des Jeux de Théâtre depuis l’extinction de l’Idolâtrie, jusqu’à la naissance des Scholastiques qui fait une époque assez considérable pour notre sujet ; et la dernière depuis les Scholastiques, c’est-à-dire depuis le milieu du XIIIe siècle jusqu’à nous. Donnons d’abord une idée des spectacles et de ceux qui les représentaient.
Pour n’être pas obligé d’expliquer souvent les termes dont on se sert dans ce traité, il est nécessaire de donner d’abord une idée des spectacles et des divers noms qu’on a donné à ceux qui en étaient les Acteurs.
II. Notion et distinction des spectacles et des Acteurs.
On entend par spectacles tout ce qui se fait en public pour réjouir le peuple ; il y en avait autrefois de deux sortes, les uns propres à exercer le corps, les autres destinés à l’exercice de l’esprit. Les premiers étaient ceux du Cirque, la course des Chevaux, les Combats des bêtes, des Gladiateurs, des Athlètes : ces Jeux n’ont nul rapport à ce que nous traitons. Les autres étaient ceux du Théâtre qui se faisaient à l’ombre, d’où est venu le mot de Scène. Là se représentaient les Comédies et les Tragédies, dont les Auteurs aussi bien que les Acteurs, qui sont souvent appelés Tragœdi et Comœdi, sont aussi nommés Cantores. Horace38 désigne de cette manière, les Acteurs Comiques.
« Donec Cantor39, vos plaudite, dicat. »
Qu’un Histrion , dit Cicéron45 sorte un peu de cadence, ou que dans la déclamation il fasse trop court ou trop long d’une syllabe, on le siffle.» C’est ainsi que les célèbres Comédiens, Roscius et Esope, sont nommés dans Cicéron, dans S. Augustin, et dans Macrobe.
«
Saltantes Satyros imitabitur Alphæsibæus.
»
III. Noms des Comédies ou Tragédies.
« Impune ergo mihi recitaverit ille togatas. »
On appelait Palliatæ celles qu’on jouait avec un habit à la Grecque Pallium ou le manteau. Les Attellanes étaient des Fables plaisantes, ainsi appelées d’Attella Ville de la Toscane où elles furent inventées.
IV. Notion du Théâtre Grec et Romain.
Le Théâtre des Anciens58 se divisait en trois principales parties qui formaient pour ainsi dire trois différents départements, celui des Acteurs qu’ils appelaient en général la Scène ; celui des Spectateurs qu’ils nommaient particulièrement le Théâtre et l’Orchestre qui était chez les Grecs le département des Mimes et des Danseurs, mais qui servait chez les Romains à placer les Sénateurs et les Vestales. L’Enceinte des Théâtres était circulaire : c’était le département des Spectateurs. Le côté carré était le lieu de la Scène, et l’Orchestre occupait le milieu. Cette enceinte était composée de deux ou trois rangs de portiques : on entrait de plein pied dans l’Orchestre par-dessus leurs arcades, et les femmes occupaient le plus élevé d’où elles pouvaient voir les spectacles à couvert des injures de l’air.
Pour les degrés où le peuple se plaçait, ils commençaient au bas de ce dernier portique et descendaient jusqu’au pied de l’Orchestre toujours en diminuant. Dans les grands Théâtres il y avait trois étages dont chacun était de neuf degrés en comptant les paliers qui en faisaient la séparation, et qui servaient à tourner autour : de sorte que comme ces paliers tenaient la place de deux degrés, il n’en restait que sept à chaque étage, où l’on put s’asseoir. Lors donc qu’on dit dans les Auteurs que les Chevaliers occupaient les quatorze premiers rangs du Théâtre, il faut entendre les deux premiers étages. Le troisième était abandonné au peuple. Ces degrés avaient quinze ou dix-huit pouces de hauteur et le double de largeur, afin qu’on y fût assis sans que les pieds incommodassent ceux qui étaient au-dessous, d’autant qu’on n’y avait point pratiqué de marchepieds. Tous ces degrés devaient être de manière qu’une corde tendue depuis le haut jusqu’au bas, en touchât toutes les extrémités. Outre les Paliers qui divisaient les degrés dans leur hauteur, et que les Latins nommaient Præcinctiones, il y avait des escaliers particuliers à chaque étage qui les coupaient en ligne droite, et qui tendant tous au centre du Théâtre, donnaient aux amas de degrés qui étaient entre eux, la forme de coin d’où ils étaient appelés Cunei. Les escaliers étaient au nombre de vingt-cinq, dont six montaient au premier étage de degrés, sept au second, et le reste aux Portiques. Ceux qui montaient aux degrés, avaient leurs entrées sous les Portiques extérieurs, et ceux qui montaient aux Portiques répondaient par le bas dans une galerie qui tournait sous les degrés et qui communiquait avec les sept passages qui conduisaient à l’Orchestre.
Voici ce que le Théâtre des Grecs avait de particulier dans ce premier département. Pour que les Acteurs pussent être entendus partout dans une étendue aussi vaste que l’était celle de leurs Théâtres, qui avaient jusqu’à trois et quatre cent pieds de diamètre ils s’avisèrent de placer dans des petites Chambres pratiquées sous les degrés, des vases d’airain de tous les tons de la voix humaine, et même de toute l’étendue de leurs instruments.
Par ce moyen tous les sons qui partaient de la Scène, venant à ébranler un de ces vases selon le rapport qui était entre eux, pouvaient frapper l’oreille d’une manière plus forte et plus distincte. Il y a apparence que ces vases avaient la forme d’une cloche ou d’un timbre de Pendule, comme la plus propre au retentissement dont il s’agit.
Pour les places des Spectateurs, voici comme elles étaient distribuées chez les Grecs : les Magistrats étaient séparés du peuple : les jeunes gens étaient aussi placés dans un endroit particulier ; et les femmes voyaient les spectacles du troisième portique de même qu’à Rome. Outre cela il y avait des places de distinction qui appartenaient en propre à certaines personnes, et qui étaient même héréditaires dans les familles, pour de grands services rendus à l’Etat. Ces places étaient les plus proches de l’Orchestre, qui était la partie la plus basse du Théâtre, où l’on entrait de plein pied par les passages qui étaient sous les degrés : comme elle était située entre les deux autres parties du Théâtre dont l’une était circulaire, et l’autre carrée, elle était de la force de l’une et de l’autre. Chez les Romains elle allait un peu en talus, parce que les Sénateurs et les Vestales s’y plaçaient pour voir les spectacles. Chez les Grecs elle était de niveau, et destinée aux Danseurs et aux Musiciens : c’est pourquoi elle était partagée en trois. Les Mimes, les Danseurs et tous les Acteurs subalternes qui jouaient dans les Entr’actes et à la fin des pièces, en occupaient la première partie. La seconde était le poste ordinaire des Chœurs qui venaient y exécuter les danses ; et la troisième était le lieu où les Grecs plaçaient leur symphonie : c’est ce qu’on appelait le Proscenium, parce qu’il était au bas du Théâtre principal qu’on nommait en général la Scène. Le Proscenium des Romains était plus large et plus bas que celui des Grecs, et il était séparé de l’Orchestre par un petit mur d’un pied et demi de haut qu’on appelait Podium, et qui était orné de petites colonnes de distance en distance. Entre ce mur et le premier rang de l’Orchestre, les Magistrats plaçaient leurs chaises curules et les autres marques de leur dignité. L’espace qui était de l’autre côté au pied du Proscenium pouvait être l’endroit où les Romains mettaient leur Symphonie.
La troisième partie du Théâtre qui était la Scène, se subdivisait en trois parties, dont les situations, les proportions, et les usages étaient précisément les mêmes chez les Grecs et les Romains. La première et la plus considérable qu’on nommait proprement Scène, était une grande face de bâtiment qui s’étendait d’un côté du Théâtre à l’autre et sur laquelle se plaçaient les décorations. Cette façade avait à ses extrémités deux petites ailes en retour, de l’une à l’autre desquelles se tendit une grande toile, qui tout au contraire de celle de nos Théâtres qu’on plie sur le cintre, s’abaissait au commencement de la pièce et se levait à la fin, parce qu’elle se pliait sous le Théâtre ; ainsi lever et plier la toile signifiait chez les Anciens, précisément le contraire de ce que nous entendons aujourd’hui par ces termes.
La seconde qu’on appelait le Proscenium ou Pulpitum était un grand espace libre au-devant de la Scène où les Acteurs venaient jouer la pièce et qui par le moyen des décorations représentait une place publique, un carrefour, ou quelque autre lieu découvert. Car jamais les pièces des Anciens ne se passaient dans l’intérieur des maisons, comme la plupart des nôtres.
Enfin la troisième était un espace ménagé derrière la Scène, qu’on nommait Postscenium, où s’habillaient les Acteurs, où l’on serrait les décorations, et où était placée une partie de leurs machines : car les Anciens en avaient de plusieurs sortes dans leurs Théâtres, qui revenaient en quelque façon aux nôtres ; mais dont les mouvements étaient fort différents, surtout pour ce qui regarde celles que nous pourrions comparer aux machines de nos cintres : car au lieu que les nôtres sont emportées par des châssis courant dans des charpentes en plafond, les leurs étaient guindées à une espèce de grue dont le col passait par-dessus la Scène, et qui tournait sur elle-même, pendant que les contrepoids faisaient monter et descendre les machines.
Pour ce qui est des décorations, les Anciens en avaient de trois sortes selon les trois sortes de pièces qui se jouaient sur le Théâtre, les Comiques, les Tragiques et les Satiriques. Le changement se faisait par des feuilles tournantes, ou par des châssis qui se tournaient de part et d’autre, comme ceux de nos Théâtres ; mais non pas si proprement, puisqu’à chaque changement il fallait lever la toile.
Comme excepté les portiques et les bâtiments de la Scène, tout le reste du Théâtre était découvert, on était obligé d’y tendre des voiles avec des mâts et des cordages pour défendre les Spectateurs, des ardeurs du Soleil. Ces voiles n’étaient faites d’abord que de grosse toile : dans la suite on y employa la soie, et Néron alla jusqu’à en donner de teintes en pourpre et semées d’étoiles d’or. De plus pour tempérer la chaleur causée par la transpiration et les haleines d’une si nombreuse assemblée, on avait mis en usage une espèce de pluie, dont l’eau montait jusqu’au-dessus des portiques et retombait en forme de rosée par une infinité de tuyaux cachés dans les statues qui régnaient autour du Théâtre, cette pluie était toujours d’eau de senteur, et portait partout avec une fraîcheur agréable, l’odeur des plus doux parfums. Que s’il venait quelque orage qui interrompit les spectacles, il y avait derrière le Théâtre, des portiques où le peuple se retirait, et qui dans d’autres temps servaient de promenades : car les Galeries qui en formaient l’enceinte, renfermaient au milieu un espace découvert qui était un jardin public.
Ces différentes Notions sont nécessaires pour entendre les Auteurs anciens qui ont parlé des jeux de Théâtre et donnent du jour pour en traiter.
PREMIERE PARTIE.
Histoire des jeux de Théâtre et des autres divertissements Comiques soufferts ou condamnés depuis l’Empereur Auguste jusqu’à la conversion de Constantin.
Avant Pompée les jeux de Théâtre étaient assez rares. Il n’y avait point à Rome de Théâtre fixe, et les Spectateurs ne s’asseyaient point59 de peur de prendre trop de plaisir à ces vains amusements.
Mais après qu’on eut élevé des Théâtres de pierre également commodes et magnifiques, les jeux furent très fréquents. Au temps d’Auguste par lequel nous commençons cette Histoire, on voit à Rome trois Théâtres fixes ainsi que le rapportent Suétone60, Strabon61, Ovide62, et Sénèque63.
Ces Théâtres étaient extrêmement grands. Celui de Pompée contenait commodément quarante mille personnes, et les deux autres de Marcellus et de Balbus étaient chacun de trente mille places. Ils étaient tous trois d’une magnificence étonnante. Des colonnes de belle pierre et de marbre soutenaient la Scène ; et lorsqu’on célébrait les jeux, on y voyait les plus belles peintures ; et l’or, l’argent, et les pierres précieuses y brillaient de toutes parts.
A l’égard des Comédiens, il leur prescrivit des règles, et leur laissa une liberté dont il ne souffrait pas qu’ils abusassent. Dès qu’il sut qu’un Acteur nommé Stephanion avait pour serviteur une femme déguisée en garçon, il le fit fouetter par les trois Théâtres de la Ville et le bannit. Il ne désapprouvait pas qu’on sifflât les Acteurs. Car il en bannit un de Rome et de toute l’Italie pour avoir osé montrer au doigt un des spectateurs qui le sifflait70. Et on sifflait71 souvent pour une seule faute contre la cadence, ou contre la quantité.
Peu de temps après un riche Sénateur d’Antioche nommé Sosibius étant à la suite d’Auguste, vint mourir à Rome, et laissa tout son bien à la Ville d Antioche, à condition que de cinq en cinq ans on donnerait dans cette Ville toutes sortes de jeux durant trente jours. On apprend ces particularités d’un Auteur d’Antioche nommé Jean Malela qui vivait au 9e siècle, et dont la Chronique a été traduite et imprimée pour la 1e fois en 1690, à Oxford. L’Auteur de la Chronique que M. Ducange appelle Paschale, a tiré ces mêmes faits de Malela, et les rapporte à l’an 723 de la Ville de Rome. Nous nous servirons de ces deux Auteurs pour expliquer divers endroits qu’on avait beaucoup de peine à entendre dans les Homélies que S. Chrysostome fit à Antioche contre les spectacles.
Tibère successeur d’Auguste n’aimait point les spectacles. Il ne s’y trouva jamais, et il les aurait entièrement abolis, s’il n’avait craint d’irriter le peuple, et de faire trop tôt regretter les douceurs du Règne d’Auguste. Par complaisance73 pour le peuple d’Antioche qui était fou des spectacles, il y fit bâtir un Théâtre74. Il ne changea rien dans ceux de Rome, et se contenta de faire dresser des règlements par le Senat touchant les Acteurs du Théâtre, dont les principaux que Tacite rapporte75, furent qu’un Sénateur ne les pourrait visiter chez eux, ni un Chevalier Romain les accompagner dans la rue ; et qu’ils ne pourraient représenter que sur le Théâtre public.
Son règne ne se passa point, que les Comédiens n’eussent été chassés de toute l’Italie76, et on ne les vit rappelés que par Caius Caligula. Ce Prince vicieux aima les jeux autant que Tibère les avait méprisé77. Jamais on ne vit plus de Spectacles et de Concerts de Musique que sous son Règne. Il obligea les Sénateurs à y assister toujours, et Dion rapporte que pour adoucir la peine qu’ils avaient d’être si longtemps aux spectacles, il fit mettre des coussins sur les bancs, qui jusqu’alors avaient été nus. Il voulut aussi que sans se mettre en peine si l’Empereur était présent, tout le monde pût se tenir couvert, et qu’on se servît de grands chapeaux de Thessalie pour se préserver des ardeurs du Soleil, lorsqu’on ne pouvait être à l’ombre. C’était bien de la complaisance dans un Prince qui voulait être adressé comme un Dieu, et qui avait fait créer Consul de Rome son cheval, si une prompte mort n’eût coupé le cours de ses extravagances et de ses impiétés. Il ne régna que deux ans.
Néron successeur de Claude, quoiqu’il ne s’appliquât presque jamais à mettre l’ordre en aucun endroit, se trouva pourtant obligé de chasser d’Italie tous les Histrions, après leur avoir donné trop de liberté80 ; mais il voulut aller lui-même faire le Comédien et le Chantre dans plusieurs Villes de Grèce pour faire paraître sa belle voix. Il commença par Naples, qui était une Ville Grecque81 ; et revenant à Rome, il voulut se montrer au Théâtre. Le Sénat pour éviter l’infamie dont il s’allait flétrir, s’il était vu sur la Scène, lui décerna le prix de Musique, et celui d’Eloquence avant le commencement des jeux82. Mais Néron prétendait l’emporter par son mérite, et non pas par la faveur du Sénat. Il monta donc sur la Scène, où il récita un poème, après quoi il joua de la Lyre, obéit à toutes les lois du Théâtre, comme de ne se reposer, de ne cracher, ni se moucher durant toute l’action, fléchir un genou, et salua l’assemblée en attendant la sentence des Juges. Le peuple et surtout les étrangers rougirent pour lui d’une telle infamie.
Tite était trop complaisant pour ôter au peuple ce qui le réjouissait. Après avoir ruiné Jérusalem, venant à Antioche, il y fit bâtir le Théâtre de Daphné, avec cette inscription. Du Butin de la Judée.
Domitien fut grand amateur des spectacles, cependant il défendit aux Histrions de monter sur le Théâtre, et ne leur permit d’exercer leur art que dans des maisons particulières85 : « Interdixit Histrionibus scenam, intra domos quidem exercendi artem jure concesso.
» Les Histrions suivant le style de Suétone86 signifiaient les Danseurs et les Acteurs qui ne faisaient que gesticuler ; et quoique Domitien eut ainsi ôté à la Scène ce qu’il y avait de moins sérieux, il ne laissa pas de juger qu’il était indigne des personnes graves d’assister aux jeux de Théâtre. Il défendit aux Chevaliers Romains de fréquenter ces jeux87 et il chassa du Senat un Questeur, à cause qu’il avait du penchant à danser et à contrefaire.
Elle en souffrit un terrible sous Trajan l’an 164 de l’Ere d’Antioche. Cela n’empêcha pas que ce Prince qui fit rétablir la Ville, ne fît en même temps rétablir les Théâtres90.
Adrien bâtit aussi un grand Théâtre auprès d’Antioche à la fontaine de Daphné. Il avait fait à cette fontaine un grand réservoir d’eau qu’on pouvait voir du Théâtre, et il mit plusieurs statues en l’honneur des Naïades, c’est-à-dire des Nymphes, ou Déesses de l’Eau. C’est à ce réservoir d’eau où l’on s’avisa de faire nager des femmes pour représenter les Naïades, ce que S. Chrysostome condamna avec tant de zèle et d’éloquence, comme nous verrons en son lieu.
Cependant Adrien méprisa tous les jeux du Cirque à la réserve de ceux qui se donnaient à son jour natal. « Ludos Circenses præter natalitios decretos sibi sprevit
»91.
Spartien qui rapporte cette circonstance ajoute plus bas, qu’Adrien fit abattre le Théâtre du Camp de Mars que Trajan avait fait bâtir : « Theatrum quod ille (Trajanus) in Campo Martio posuerat, contra omnium vota destruxit
, » ibid.
Après Adrien, Antonin le pieux qui aimait la Philosophie, n’aimait point les amusements qui rendent les hommes oiseux. De tous les jeux qu’on devait faire à son honneur, il ne permit que les jeux du Cirque92.
Il retrancha la pension qui avait été accordée à un Poète Lyrique93, et ne fit des dons qu’aux Orateurs et aux Philosophes. Il aima94 pourtant l’art des Histrions, dit encore Capitolin, qui sous des Fables et des noms empruntés tournaient en ridicule ceux qui formaient ou entretenaient des intrigues d’amour.
Marc-Aurèle qui lui succéda fut toujours philosophe. Il en prit l’habit à douze ans, et on le dépeint néanmoins d’une humeur assez complaisante pour s’être laissé entraîner quelquefois à l’Amphithéâtre, au Théâtre, et au Cirque95.
L’amour de la Philosophie le tint plus réservé lorsqu’il fut Empereur, et sans devenir rigide jusqu’à chasser les Comédiens, il régla qu’on leur donnerait cinq Ecus d’or, et défendit de leur en donner jamais plus de dix96. Il diminua aussi les jeux, et ne permit aux Pantomimes de jouer que le soir, de peur d’interrompre le travail et le commerce ; cela faisait dire au peuple que l’Empereur voulait rendre tout le monde Philosophe97.
On peut bien se persuader que sous un Prince toujours Philosophe il ne se passait rien dans les jeux publics qui fût indécent et déshonnête, rien qui pût choquer les belles maximes qu’il a composées, on les lit fort agréablement en notre langue par les soins de M. et de Madame Dacier, et il s’en est fait depuis quelques années une édition Latine en Hollande avec des commentaires.
Au temps de ce Prince Philosophe, Lucius Verus, qu’Antonin avait adopté, et que Marc-Aurèle par complaisance déclara Auguste, était bien opposé à sa régularité. En revenant de Syrie il amena des Histrions comme s’il avait amené des Rois en triomphe98.
Et à la fin de la guerre des Parthes qui dura 4 ans, il amena tant de joueuses de flûte, tant de Bouffons, de Baladins et de joueurs de Gobelets, qu’il paraissait plutôt victorieux des
Histrions que des Parthes ; « Ut videretur bellum non Parthicum sed Histrionicum confecisse.
»p. 430.
Mais toute cette troupe qui le rendit ridicule ne parut pas sur le Théâtre, et ne servit qu’à le divertir en particulier avec ses amis qui ne valaient pas mieux que lui.
Commode fils et successeur de Marc-Aurèle fut si déréglé, que le peuple ne pouvant le croire fils de ce sage Prince, disait hautement qu’il était fils d’un Gladiateur, et l’on croyait en avoir des preuves. En particulier c’était un monstre de débauche, et en public il se déshonorait par les spectacles des Gladiateurs. A l’égard des pièces de Théâtre, il n’osa pas les rendre lubriques comme il aurait pu le souhaiter. Les Comédiens loin de l’estimer le jouèrent, ou du moins se moquèrent de lui sur le Théâtre, et les Historiens lui reprochent seulement deux choses qui regardent le Théâtre, la première d’avoir caressé son Favori dans l’Orchestre, et la seconde d’y avoir paru un jour avec un habit de femme. Mais Dion parle d’un habit particulier, qui n’était pas un habit de femme.
C’en était trop pour ne pas mériter une belle statue au milieu d’Antioche. Malela ne manque pas de le remarquer. Mais il est beaucoup plus utile pour l’histoire de remarquer que les jeux Olympiques furent alors représentés pour la 1e fois dans un long Portique bâti par Commode, et que la Ville les avait acheté des Piséens pour trois cent soixante ans100.
Quoiqu’on voie dans Malela même un achat plus ancien des jeux Olympiques, ce n’est néanmoins que depuis Commode qu’il faut les compter à Antioche. Car il est clair par Lucien qu’avant ce temps ils se célébraient encore à Pise dans le Péloponnèse, au lieu qu’ils y furent interrompus depuis Commode, puisqu’on voit dans Malela que Julien l’Apostat voulut les y rétablir. Ces jeux furent continués à Antioche jusqu’à l’Empereur Justin, qui les abolit entièrement.
Huit ans après la mort de Commode on vit à Rome les jeux séculaires l’an de J. C. 204. Les Comédiens étaient alors fort communs, et cependant toujours déclarés infâmes, jusqu’au règne du dernier des Antonins l’impie Héliogabale. Ce Prince plus méchant, dit Lampridius, que ne l’avaient été Caligula et Néron, les imita dans toutes les brutalités que la licence peut inspirer. Il fit lui-même le Comédien, et ne craignit pas de représenter des fables avec des nudités et des peintures déshonnêtes, mais ce fut uniquement
devant les seuls témoins de ses débauches, toujours en particulier dans sa maison, comme Lampridius le dit plusieurs fois, « id totum domi agebat
». page 800. « id que totum domi exercuit
», page 868.
Il honora les Comédiens, leur donna des habits de soie, et sans se mettre en peine de l’infamie attachée à leur profession, il en choisit un pour être Préfet du Prétoire.
Alexandre Sévère répara sur ce point les fautes d’Héliogabale, il ôta aux Comédiens les robes précieuses et ne leur donna ni or, ni argent, mais tout au plus quelques pièces de monnaie de cuivre101. Ce Prince ne souffrit jamais les divertissements scéniques à sa table102.
Il aimait pourtant les spectacles mais sans y faire des largesses, voulait qu’on traitât toujours comme des valets ou des esclaves les Comédiens, et tous ceux qui servaient aux plaisirs publics103.
Si je ne rêve, voilà les Perses.» Les Assistants se tournèrent, et virent en effet les Perses qui pillèrent la Ville, la brûlèrent, et tuèrent un grand nombre d’habitants.
Gallien n’aurait pas aimé que cet accident eut fait demander la cessation des spectacles, il les aimait trop. Aussi était-il toujours environné de Mimes et d’Histrions. Tandis que Valérien son père était prisonnier ou plutôt esclave des Perses, et qu’Odenat se frayait le chemin à l’Empire, il se livrait tout entier à la volupté, et donnait au peuple toute sorte de divertissements.
Carinus homo omnium contaminatissimus, adulter, frequens corruptor juventutis.» Son règne se distingua par la pompe avec laquelle il célébra les jeux Romains. Il y avait cent joueurs de flûte qui s’accordaient, autant de sonneurs de cor, cent Chantres qui dansaient en même temps, autant de personnes qui frappaient sur des Cymbales, mille Pantomimes, et autant de Lutteurs. «
Memorabili maximè et Carini et Numerian hoc habuit imperium, quod ludos Romanos novis ornatos dederunt.... Centum Salpistas uno crepitu concinentes, et centum Camptaulas, Choraulas centum, etiam Pithaulas centum, Pantomimos et Gymnicos mille.» Le feu ayant pris à une voile qu’il avait fait tendre, consuma le Théâtre, que Dioclétien fit ensuite rebâtir avec plus de magnificence. Carin avait fait venir des Comédiens de tout côté. Ceux qui avaient travaillé aux décorations, les Lutteurs, les Histrions, et les Musiciens eurent en présent de l’or et de l’argent, et des habits de soie. Je ne sais, ajoute cet Historien, combien tous ces spectacles ont de charmes pour le peuple, mais je puis assurer que les bons Princes n’en font point de cas.
Aussi Dioclétien dépensa le moins qu’il put dans son triomphe après la guerre des Perses et dans les jeux qu’il donna ensuite à toutes les nations de la terre que cette solennité avait attirées à Rome. Il disait qu’il fallait que les jeux célébrés en présence du Censeur, se retentissent de sa modestie et de son amour pour la règle : « Castiores esse oportere ludos spectante Censore
» ; Car les Empereurs prenaient le pouvoir et quelquefois le titre de cette dignité. Avant la représentation de ces jeux, un de ses Officiers ayant fait l’éloge de la magnificence des jeux de Carin, en lui
donnant à entendre que ces sortes de divertissements faisaient aimer les Princes, il lui répondit que Carin avait donc bien aprêté à rire par cette manière de gouverner. « Ergo, inquit, bene risus est imperio suo Carinus.
» Quoique Vopiscus attribue ces jeux à Carus, il est certain que Carin seul y assista et qu’il les fit représenter.
L’Historien Vopiscus marque assez combien les gens sages méprisaient ces spectacles, puisqu’il blâme publiquement Junius Messala, qui avait privé ses héritiers de son patrimoine, pour le donner aux Comédiens. Il s’étend sur la folle prodigalité de ce Romain après quoi il ajoute : « J’ai pris soin d’écrire toutes ces choses, afin que ceux qui donneront des jeux à l’avenir, soient retenus par la honte, et qu’ils ne frustrent pas leurs légitimes héritiers, pour donner leur bien à des Comédiens et à des Danseurs.
» « Et hæc quidem idcirco ego in Litteras retuli, quo futuros editores pudor tangeret, ne patrimonia fua proscriptis legitimis heredibus, mimis et balatronibus deputarent.
»
Ce fut sous cet Empereur que Gélasin Comédien fut martyrisé à Héliopolis dans la Phénicie. Il s’était jeté dans un bain d’eau tiède pour tourner en ridicule le Baptême des Chrétiens ; au sortir du bain il parut habillé de blanc. Alors il refusa de faire le Comédien, et adressant la parole à tout le peuple, il s’écria, « qu’il était Chrétien, qu’il avait vu dans ce bain la redoutable Majesté de Dieu, et qu’il mourrait Chrétien
». Tous les Spectateurs saisis de fureur montèrent sur le Théâtre, et ayant pris Gélasin ils le lapidèrent.
Ainsi furent traités les Comédiens avec plus ou moins d’infamie durant les trois premiers siècles, et les jeux de Théâtre furent plus ou moins fréquents, plus ou moins honnêtes, selon que les Empereurs Idolâtres jusqu’à Constantin, furent ou plus dissolus ou plus sages.
Durant tout cet espace de temps l’art des Comédiens a été censé infâme : car ce que firent Néron et Héliogabale ne pouvait pas ôter cette infamie.
« Res haud mira tamen, Cytharœdo Principe, Mimus,Nobilis. »
Mais Juvénal ne peut soutenir la raillerie : l’infamie que l’exercice du Théâtre donnait, lui paraissait si grande, qu’il ne croit pas que Néron ait jamais rien fait de si horrible, que de paraître sur la Scène.
« Quid Nero tam sœva, crudaque tyrannide fecit,Hæc opera, atque hæ sunt generosi Principis artes,Gaudentis fœdo peregrina, ad pulpita saltu,Prostitui, Graïæque apium meruisse coronæ. »
Mais à l’égard de ce temps, où l’Idolâtrie dominait, nous devons faire deux observations essentielles, qui détruiront entièrement les fondements sur lesquels le prétendu Théologien s’appuyait.
A l’égard des premiers, les bouffons, dit-il, ne paraissaient pas sur le Théâtre, non pas même du temps de Néron, au lieu qu’il leur était permis d’y monter lorsqu’il n’était question que de divertir le peuple.
Lorsque les jeux se faisaient en mémoire de la fondation de Rome, ainsi qu’on en célébra l’an 800 sous Claude, et l’an 1000 sous Philippe, que plusieurs Auteurs ont cru Chrétien sans aucun fondement, alors les jeux étaient consacrés aux Dieux. Les jeux de même qu’on appelait séculaires qui se renouvelaient après cent dix ans, et qui ont été célébrés pour la dernière fois l’an 204 de N. S. sous Septime Sévère, ceux-là encore étaient sacrés. On en dédiait aussi extraordinairement aux Dieux ; et en ce cas les jours auxquels ils se faisaient, devenaient par là des jours de Fête et solennels.
Sacra enim celebritas est vel quum ludi in honorem aguntur Deorum.» Pline le Jeune appelle ces sortes de réjouissances, Ludos Sacerdotales, parce qu’il y avait toujours quelque Prêtre qui y assistait et y faisait des sacrifices. Or il est si peu vrai que tous les jeux fussent de cette nature, que Julien veut que les Prêtres ne se trouvent jamais aux jeux comiques.
La seconde observation est que pendant le règne du Paganisme, les Comédies et les Tragédies n’étaient ni si horribles, ni si infâmes, que quelques-uns se l’imaginent, qu’il s’en faisait même de plus honnêtes que celles d’à présent.
Je vous avoue, Messieurs, que je suis indigné, quand je vois que le prétendu Théologien, joignant l’ignorance à la témérité, s’applique uniquement à énerver les raisonnements des Pères, et que pour faire une horrible peinture de la Comédie d’autrefois, il s’avise de dire que « les Comédiens paraissaient nus sur le Théâtre
». Voici la cause de sa bévue.
Nous apprenons d’Ovide, de Martial, de Valère-Maxime, de Lactance, et de l’ancien Scholiaste de Juvénal, et si l’on veut d’un Auteur assez récent, Alexander ab Alexandro, nous apprenons, dis-je, de ces Auteurs qu’une femme prostituée nommée Flore, laissa en mourant de grands biens à la République de Rome, à condition qu’on ferait quelques réjouissances le jour de sa mort, que le peuple appela ce jour la Fête des prostituées ; que la canaille allait chercher les femmes de mauvaise vie, et les contraignait de se battre, de faire des postures ridicules, et même de se dépouiller.
S’il connaissait un peu mieux l’Antiquité, il saurait qu’il n’y avait que la canaille qui assistât à ces jeux de Flore ; d’où vient, comme le dit Valère-Maxime, que Caton se trouvant auprès du Théâtre, où l’on devait faire paraître ces femmes, personne n’osa demander qu’on les dépouillât qu’après qu’il se fut retiré. Ce qui donna occasion à cette Epigramme de Martial.
« Nosses Jocosæ dulce sacrum Floræ,Festosque lusus, et licentiam vulgi,Cur in Theatrum Cato severe venisti ?An ideo tantùm veneras ut exires ? »
Ad Theatrum accurris natantes mulieres spectaturus, ad fontem pergis diabolicum, ut natantem meretricem conspicias et naufragium animæ patiaris... illa natat nuda.»
Il n’en faudrait pas davantage pour montrer ce qu’on doit penser de tout ce qu’avance le prétendu Théologien. Voyons néanmoins par des preuves positives, que les pièces de Théâtre étaient souvent plus honnêtes et plus chastes que celles d’à présent. Nous en jugerons par les règles dressées et observées depuis Auguste, et par les pièces
qui nous restent de ce temps-là. Horace qui vivait sous Auguste, et qui était aimé de ce grand Empereur, donna ainsi les règles du Théâtre dans son Art Poétique : « La Tragédie, dit-il, est sérieuse d’elle-même. Elle a un certain air de majesté qui ne s’accommode point du tout du Burlesque. Semblable en cela à une Dame chaste et modeste qui serait contrainte de danser par religion à certains jours de Fête. Quand on l’engage malgré elle à paraître avec des satyres, elle rougit dès qu’on dit quelque chose de trop libre »
:
« Effutire leves indigna tragœdia versus,Ut festis matrona moveri jussa diebus,Intererit satiris paullùm pudibunda protervis. »
Et lorsque le même Poète marque ce que fera le Chœur, qui doit toujours être joint à la Comédie et à la Tragédie, il veut qu’il protège les gens de bien, qu’il soutienne les intérêts des vrais amis, qu’il tâche d’apaiser ceux qui sont irrités ; qu’il aime ceux qui ont en horreur le crime ; qu’il inspire de l’amour pour la tempérance ; qu’il vante les mets d’une table, où règne la frugalité ; qu’il loue la justice si salutaire aux hommes ; qu’il chante la tranquillité et la sûreté qui accompagnent toujours la paix ; qu’il garde inviolablement les secrets qu’on lui a confiés, et qu’il prie les Dieux que la fortune abandonne les méchants, et vienne remplir les désirs des gens de bien :
« Ille bonis faveatque et concilietur amicis :Et regat iratos, et amet pacare timentes :Ille dapes laudet mensæ brevis, ille salubremJustitiam, legesque et apertis otia portis :Ille tegat commissa : deosque precetur et oret,Ut redeat miseris, abeat fortuna superbis. »
que le Théâtre serait bien plus innocent, s’il était réglé selon l’idée de l’ancienne Tragédie, parce que la nouvelle est devenue trop efféminée, par la mollesse des derniers siècles, et que le Prince de Conti, qui a fait éclater son zèle contre la Tragédie moderne par le traité qu’il en a fait, aurait peut-être souffert l’ancienne, qui n’est pas si dangereuse.»
Mais voulez-vous, Messieurs, une preuve parlante, que les pièces de Théâtre d’autrefois étaient souvent plus chastes que celles d’à présent ? Jugeons-en par les Tragédies qui nous restent des premiers siècles, il ne s’est conservé que celles de Sénèque : soit que toutes celles qui passent sous son nom soient de lui, ou qu’il y en ait de quelque autre Poète : elles furent composées et représentées sous un Empereur aussi impie et aussi débauché que l’était Néron. Cependant, Messieurs, ne faut-il pas avouer que ces Tragédies sont plus chastes que celles qu’on représente aujourd’hui ?
« In tragicis junxere Choris hunc sæpe diserti,Annæus Seneca et Pomponium ante secundus. »
Cornutus illo tempore tragicus fuit Sectæ Stoicæ», dit l’Auteur de la vie de Perse tirée de Suétone. Il avait été Précepteur de Perse.
« Me tibi supposui : teneros tu suscipis annos,Socratico, Cornute, sinu. »
Casaubon ne doute point que ce ne soit ce Philosophe qu’Origène et Saint Jérôme ont loué.
Cela confirme assez que les Tragédies faites par de telles personnes, étaient très chastes. Mais qui est-ce parmi les connaisseurs qui n’ait reconnu, que les Tragédies des Anciens n’avaient point d’autre but que d’exciter des sentiments de terreur, ou de compassion, et qu’on a changé le vrai caractère de la Tragédie, en y faisant entrer l’Amour ?
Itaque potius est unde gratiæ debeantur histrionibus qui oculis hominum pepercerunt, nec omnia spectaculis nudaverunt, quæ sacrarum ædium parietibus occuluntur.»
Les Théâtres étaient donc moins dangereux que les Temples pour ceux qui étaient accoutumés à lire l’Histoire des Dieux, la pudeur y était plus ménagée ; et les Chrétiens devaient être ravis de voir les divinités tournées en ridicule, s’il avait été permis d’aller dans des assemblées de plaisir. Ces jeux étaient plus utiles pour le Christianisme, que ne peuvent l’être ceux de nos jours.
Mais examinons quelles pièces il se représentait depuis que les Chrétiens à Rome pouvaient parler contre les spectacles. Nous ne saurions monter plus haut qu’au temps de Caius : Ce Prince était haï de toutes les personnes qui aimaient la vertu, et n’était aimé que par le peuple et les personnes vicieuses, à cause des spectacles qu’il aimait et qu’il donnait.
Il est donc constant que les Tragédies des Anciens étaient plus chastes ; et si nous en venions à l’examen des Comédies, peut-être les trouverions nous aussi moins dangereuses. Horace nous a déjà dit que le Chœur doit être également réservé dans la Comédie et dans la Tragédie, et qu’il doit parfaitement convenir à toute la pièce. On voulait de son temps que les Auteurs Comiques qu’ils appelaient les Satires, sussent entremêler adroitement le sérieux avec le burlesque.
« Verùm ita risores, ita commendare dicaces,Conveniet Satyros ; ita vertere seria ludo, etc. »
Et nous voyons qu’on ne prenait pas les libertés que Plaute s’était données.
« At nostri proavi Plautinos et numeros etLaudavere sales, nimiùm patienter utrumque,Ne dicam stulte, mirati. »
qu’ils ne se repentiront point d’avoir écouté cette pièce, qu’elle n’est pas écrite d’un style lascif, comme la plupart des Comédies ; et qu’on n’y trouve point de Vers qui blessent la pudeur, et dont on n’ose charger sa mémoire».
« Profecto expediet, Fabulæ huic operam dare.Non pertractatè facta est, neque item ut cætera ;Neque spurcidici insunt versus immemorabiles. »
Plaute persuadé que la pièce la plus honnête était en même temps la plus estimée, s’applaudit si fort, qu’il fait dire par l’Acteur qui prononce l’Epilogue, que dans la Comédie des Captifs on ne s’est proposé pour modèle que des bonnes mœurs.
« Spectatores, ad pudicos mores facta hac Fabula est. »
Mais on a toujours fait plus de cas des Comédies de Térence ; et nous pouvons dire qu’elles étaient plus tolérables durant les premiers siècles, que ne le sont à présent celles de Molière. Car il faut, s’il vous plaît, considérer, qu’autrefois on s’énonçaient communément d’une manière assez libre et assez ouverte dans la conversation, dans les Ecrits et dans les Livres même de piété. Cela paraît par quelques endroits de Saint Augustin et de Saint Jérôme, de sorte que certaines expressions qui nous blessent, ne faisaient pas plus d’impression dans les esprits, qu’en font présentement ces mots à double sens, ces tours ingénieux et agréables, avec lesquels on expose à présent une intrigue d’amour dans un Roman, ou sur le Théâtre.
Non fuit autem Sodoma soror tua audita in ore tuo, in die superbiæ tuæ, antequam revelaretur malitia tua.»
Qu’on ne s’excuse donc pas sur ce qu’on n’entend point de mauvais mots dans les Tragédies ; on n’entendait rien dans les anciennes qui fit des impressions aussi fâcheuses. On était très réservé à la Comédie. Si on avait aimé ou souffert des impuretés sur le Théâtre, on en aurait eu une belle occasion au temps de Néron, de Commode, d’Héliogabale, qui étaient des Princes si débauchés. Cependant on ne saurait rien trouver qui prouve que le Théâtre eût été souillé par les indécences qu’on se représente.
appellatus est a Mimis quasi obstupratus». Et Lampridius dit que son impudence alla jusqu’à assister à l’Amphithéâtre ou au Théâtre avec des habits de femme : «
Tanta impudentia fuit, ut cum muliebri veste in Amphitheatro vel Theatro sedens turpissimè biberit.»
Le monde quelque déréglé qu’il fut, n’approuvait point ces actions ; on rougissait au contraire ; il y eut des Sénateurs qui aimaient mieux s’exposer à être condamnés à la mort, que de paraître aux spectacles où assistait Commode. Le peuple abhorrait le libertinage de ce Prince. Cependant il n’osa jamais faire représenter au Théâtre le libertinage qu’il plaît à des Auteurs de se figurer dans le Théâtre des Anciens ; et si l’on n’en trouve ni sous Néron, ni sous Commode, ni sous Héliogabale, quand voudrait-on en trouver ?
Mais pour finir ce qui regarde la Comédie depuis Auguste jusqu’à Constantin ; il est certain que Térence est l’Auteur qui a été le plus estimé, et on vient de voir qu’il est plus chaste pour le temps, que tout ce qu’on oserait à présent mettre sur le Théâtre. On regardait ce Poète comme un homme qui devait servir à régler les mœurs, à corriger le vice ; c’est ce qui est fort bien exprimé dans son Epitaphe.
« Natus in excelsis tectis Carthaginis altæ,Romanis Ducibus bellica præda fui.Descripsi mores hominum, juvenumque, senumque,Qualiter et servi decipiant dominos ;Quid meretrix, quid leno dolis confingat avarus,Hæc quicumque legit, sic puto, cautus erit. »
Quam multa Poetæ dicunt quæ à Philosophis aut dicta sunt aut dicenda ? non attingam tragicos aut togatas nostras : habent enim hæ quoque aliquid severitatis, et sunt inter Comœdias et Tragœdias mediæ : quantum disertissimorum versuum inter Mimos jacet ! Quàm multa Publii non excalceatis sed cothurnatis dicenda sunt !»
Noster Cæcilius, cum faceret eodem nomine et ejusdem argumenti comœdiam ac pleraque à Menandro sumeret, etc.»
Ce Poète a été généralement loué ; il évita les défaut d’Aristophane son Prédécesseur, qui attaquait ouvertement tout le monde avec une liberté qui allait à l’excès, celui-ci reprit les mœurs déréglées sous des noms empruntés. M. Despréaux a fort bien exprimé le caractère de Ménandre dans son Art Poétique, lorsque après avoir décrit la vieille Comédie, il décrit ainsi la nouvelle.
« Le Théâtre perdit son antique fureur,La Comédie apprit à rire sans aigreur,Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,Et plus innocemment dans les Vers de Ménandre. »
Voilà déjà, Messieurs, des idées de l’ancien Théâtre, bien différentes de celles qu’il a plu au Théologien de nous donner en confondant si mal à propos les jeux infâmes de Flore ou de Majuma avec les Comédies et les Tragédies.
Fin de la première partie.
SECONDE PARTIE
Histoire des jeux de Théâtre et des autres divertissements Comiques soufferts ou condamnés depuis la conversion de Constantin jusqu’à l’Empereur Honorius.
Exhibuit ludùm Sarmaticum quo dulcius nihil est.» Saumaise observe p. 504, que les Sarmates savaient parfaitement voltiger sur des chevaux, et qu’ils avaient donné le nom à cet exercice. «
Ita dictum a Sarmates qui optimi ac præstantissimi equorum desultores.»
Publica spectacula et quæcumque alia vitæ oblectamenta homines in otio degentes consectari solent, remota.» Ils régnaient encore dans quelques Provinces ; car Constance fit célébrer de magnifiques jeux à Arles.
Deinde Sacerdotem quemquam hortare ne accedet ad spectacula. »
Sequenti die dum spectacula fierent, retulit ad Imperaotrem Elpidius de Basilio.» Ce Prince était persuadé, du ridicule et de l’indécence des spectacles ; car dans son Misopogon, Satire piquante, mais ingénieuse, contre les habitants d’Antioche, il se moque d’eux à ce sujet, et leur reproche d’avoir une infinité de danseurs, de joueurs d’instruments, et il dit que dans leur Ville il y a plus d’Histrions que de Citoyens. «
In qua multi sunt Saltatores, multi Tibicines, Histriones plures quam Cives.» Et par un nouveau trait de Sarcasme, il leur fait dire qu’il a ruiné leur Ville en abattant leurs Théâtres et en chassant les Comédiens et les Danseurs. «
Dimissis vero Scenis, Histrionibus et Saltatoribus, urbem nostram perdidisti.» Il faudrait copier une grande partie de cet ouvrage, si l’on voulait rapporter tout ce qu’il dit contre la folle passion du peuple d’Antioche pour les spectacles.
Scænici et Scænicæ qui in ultimo vitæ, necessitate cogente interitus imminentis, ad Dei summi Sacramenta properarunt, si fortassis evaserint, nulla posthac in Theatralis spectaculi conventione revocentur. Ante omnia tamen diligenti observari ac teneri sanctione jubemus ut verè in extremo periculo constituti id pro salute poscentes (si tamen Antistites probant) beneficii consequantur.» On défendit la même année par une Loi donnée à Trèves de faire aucune insulte aux filles de Comédiens, qui vivent d’une manière irréprochable.
Mulieres quæ ex viliori sorte progenitæ, spectaculorum debentur obsequiis, si Scænica officia declinarint, ludicris ministeriis deputentur ; quas necdum tamen consideratio Sanctissimæ Religionis et Christianæ legis reverentia suæ fidei mancipavit : eas enim quas melior vivendi usus vinculo naturalis conditionis evolvit, retrahi vetamus.» Cette Loi est donnée à Milan, et l’on voit bien qu’elle fut obtenue par S. Ambroise, afin que si les jeux ne pouvaient être abolis, ils ne servissent pas néanmoins à profaner l’état d’un Chrétien, bien éloigné de porter le monde à perdre le temps, à exciter des passions dangereuses, et à nourrir dans le cœur des passions qu’il faudrait étouffer.
Si post turpibus volutata complexibus et Religionem quam expetierit, prodidisse et gerere quod officio desierat, animo tamen Scænica, detracta in pulpitum, sine spe absolutionis ullius ibi eo usque permaneat donec anus ridicula, senectute deformis. Nec tunc quidem absolutione potiatur, cum aliud quam casta esse non possit.» Cette Loi fut encore confirmée par une autre donnée cette même année à Carthage.
Fidicinam nulli liceat vel emere, vel docere, vel vendere, vel conviviis aut spectaculis adhibere. Nec cuiquam aut delectationis desiderio ; erudita fœminea musicæ artis studio liceat habere mancipia.»
Theodosius usque eo vinolentiam detestatus est ut prohibuerit lege Ministeria lasciva, psaltriasque commessationibus adhiberi.» Sur quoi Godefroy remarque fort savamment, qu’on est allé par degré pour détourner les hommes des amusements et des spectacles. D’abord l’Eglise dans le ◀Concile▶ de Laodicée, tenu environ l’an 330, a défendu simplement aux Ecclésiastiques de se trouver aux festins où il y avait des Musiciennes ou des Comédiennes, ce qui est la même chose. Ensuite les Pères ont écrit et prêché fortement contre l’usage de faire venir dans les maisons la troupe de Musiciennes ou de Comédiennes, pour en donner de l’horreur à tous les fidèles. Enfin Théodose défendit cet usage par une Loi.
Nullus omnino Judicum, aut Theatralibus ludis, aut Circensium certaminibus, aut ferarum vacet, nisi illis tantùm diebus quibis vel in lucem editi, vel Imperii sumus sceptra sortiti : hisque, ut ante meridiem tantùm solemnitati pareant, post epulas vero ad spectaculum redire desistant. In quæ tamen omnes judices, sive privati, nihil penitus auri præmio dandum esse cognoscent quod solis licet consulibus quibus erogandi moderationem vitæ meritis permisimus. Illud etiam praemonemus ne quis in Legem nostram quàm dudum tulimus committat.»
Valentinien I. avait déjà défendu en 364, aux Gouverneurs de Province d’employer aux spectacles le temps destiné à juger les procès et à décider les affaires sérieuses.
Nulla mima gemmis, nulla sigillatis sericis aut textis utatur auratis... Uti sane hisdem, scuclatis, et variis coloribus sericis, auroque sine gemmis collo, brachiis, cingulo non vetamus.»
Ce grand Empereur voulait faire distinguer ainsi les Dames de qualité : mais l’Eglise ne demandait point cette Loi ; elle voulait que les Dames Chrétiennes se distinguassent par la modestie : S. Chrysostome leur prêcha souvent qu’elles devaient laisser aux Comédiennes toutes les pompes du siècle.
Ut Mima publice habitu etiam Virginum quæ Deo dicatæ sunt, non utantur.»
Si qua in publicis Porticibus, vel in his Civitatum locis in quibus nostræ solent Imagines collocari pictura Pantominum veste humili et rugosis sinibus agitatorem aut vilem offerat Histrionem, illico revellatur. Neque unquam post hac liceat in loco honesto in honestas adnotare personas. In aditu vero Circi vel Theatri prosceniis ut conlocetur non vetamus.» Cependant Malela raconte que Théodose assista aux jeux du Cirque à Thessalonique ; mais cet Historien ne mérite en ce point aucune créance. Il dit que Théodose allant de Constantinople à Rome passa par Thessalonique ; que les Soldats ayant fait du bruit au sujet du logement, les Habitants se soulevèrent et accablèrent d’injures l’Empereur ; que Théodose qui alors assistait aux jeux du Cirque, où il y avait un grand concours de peuple, ordonna aux troupes de fondre sur cette multitude, et que quinze mille hommes restèrent sur la place. Malela est démenti par d’autres Historiens, qui donnent une origine différente à la sédition arrivée à Thessalonique, et qui d’ailleurs ne disent point que Théodose fut présent lorsqu’on massacra les séditieux.
Clementiæ nostræ placuit ut Majumæ provincialibus lætitia redderetur : Ita tamen ut servetur honestas et verecundia castis moribus perseveret.» Nous verrons qu’on apprit par une prompte expérience combien il est plus facile d’abolir entièrement un divertissement, que de le rendre innocent, en ôtant ce qui est visiblement mauvais.
Fin de la seconde partie.
TROISIEME PARTIE.
Histoire des jeux de Théâtre et des autres divertissements comiques soufferts ou condamnés, depuis la démolition des Temples au cinquième siècle, jusqu’au temps de Justinien.
IL est constant qu’en 399, les Edits d’Honorius et d’Arcadius firent raser ou fermer presque tous les Temples des faux Dieux. On commença par démolir ou condamner ceux des Villes, et Arcadius ordonna qu’on détruirait tous ceux de la campagne, croyant ôter ainsi tous les vestiges de l’Idolâtrie. « Si quæ in agris templa sunt sine turba ac tumultu diruantur. His enim dejectis atque sublatis, omnis superstitionis materia consumetur.
» C’est au 16e du Code Théodos. titre X. Loi 16e donné à Constantinople en 399.
En 416, le Paganisme tomba
beaucoup plus, car les Païens qu’on avait laissé dans les honneurs et dans les charges, depuis que sous l’Empereur Constantin on travaillait à la démolition des Temples, les Païens, dis-je, furent privés de toutes les charges par cette Loi de Théodose le jeune ; c’est la 21e du titre Xe. « Qui prophano pagani ritus errore seu crimine polluuntur, hoc est Gentiles, nec ad militiam admittantur, nec administratoris, vel judicis honore decorentur.
»
Le Christianisme se trouva ainsi la seule Religion dominante, elle seule ayant des lieux publics de dévotion, elle seule possédant toutes les charges de l’Empire, on avait tout lieu d’attendre l’abolition des jeux et spectacles établis par les Païens, décriés si souvent par les Chrétiens, et regardés généralement comme des pompes du monde auxquelles on renonçait au Baptême et dans les professions des Catéchumènes.
Mais tous ceux qui portaient le saint nom de Chrétien, n’en remplissaient pas les fonctions, ils ne faisaient point de scrupule de retenir quelque chose du Paganisme. Les Princes étaient contraints de s’accommoder au plus grand nombre, et ils laissèrent pour ce sujet les spectacles.
Ludicras artes concedimus agitari, ne ex nimia horum restrictione tristitia generetur.»
Ut prophano ritui jam salubri lege subrmovimus, ita festos conventus civium, et comunem omnium lætitiam non patimur submoveri. Unde absque ullo sacrificio, atque ullâ superstitione damnabili, exhibere populo voluptates, secundum veterem consuetudinem. Inire etiam festa convivia, si quando exigant publica vota, decernimus.»
Ces retranchements de toute superstition apparente, ne suffisaient pas pour satisfaire les Evêques et les Chrétiens fervents, aussi ne cessèrent-ils pas de travailler à priver les fidèles de tous les spectacles. S. Chrysostome continua à prêcher avec la même force qu’auparavant, et trois ans après ces Edits il n’épargna pas dans ses Discours l’Impératrice Eudoxie épouse d’Arcadius, à cause qu’elle avait souffert des jeux dans un lieu qu’on pouvait voir de l’Eglise, à l’occasion de la statue qu’on dressait à cette Impératrice.
Cantor pellatur ut nonius a fidicina et psaltriæ et istiusmodi chorum diaboli quasi mortifera sirenarum carmina, proturba ex ædibus tuis.» C’est ainsi qu’il s’exprime dans sa Lettre à une illustre Dame Romaine nommée Furia.
Les Evêques des Villes d’Afrique ne manquaient pas de prêcher contre les spectacles, mais ils avançaient peu par leurs sermons. C’est pourquoi dans un ◀Concile▶ que Godefroy place l’an 399. et Baronius l’an 401. il est peut-être impossible de marquer précisément l’année, ils résolurent de s’adresser aux Empereurs et de leur demander trois choses.
La 1e. de ne pas souffrir aux jours de Fêtes, les anciennes réjouissances venues du Paganisme, parce qu’on y sautait et dansait impudemment dans les places et dans les rues, et que les femmes pieuses ne pouvaient aller à l’Eglise sans souffrir des insultes et des railleries sur le chemin. « Maxime cum etiam in natalibus beatissimorum Martyrum per nonnullas Civitates et in ipsis locis sacris talia committere non reformident. Quibus diebus etiam quod pudoris est dicere, saltationes sceleratissimas per vicos atque plateas exerceant, ut matronalis honor, et innumerabilium fœminarum pudor devotè venientium ad sacratissimum diem
injuriis lascivientibus appetatur.
»
La 2e. qu’on ne souffrit pas non plus les spectacles du Théâtre les dimanches et les jours solennels : « Nec non et illud petendum, ut spectacula Theatrorum cæterorumque ludorum die Dominica, vel cætaris Religioni Christianæ diebus celeberrimis amoveantur.
»
La 3e. qu’on n’obligeât aucun Chrétien à ces spectacles. « Nec oportere etiam quemquam Christianorum cogi ad hæc spectacula.
»
de spectaculis (Dominico, qui septimanæ totius primus est dies) et natale atque Epiphaniorum Christi, Paschæ etiam et Quinquagesimæ diebus quandiu cælestis lumen lavacri, imitantia novam sancti Baptismatis lucem vestimenta testantur, quo tempore et commemoratio Apostlicæ Passionis, potius Christianitatis magistræ a cunctis jure celebratur, omni Theatrorum atque Circensium voluptate per universas Urbes eorumdem populis denegata, totæ Christianorum ac fidelium mentes Dei cultibus occupentur. Si qui etiam nunc vel Judæi impietatis amentia, vel stolidæ paganitatis errore atque insania detinentur, aliud esse supplicationum noverint tempus, aliud voluptatum.»
Hoc anno Pascha Domini IX. Cal. Maij celebratum est, quia indè XI. Kalendarum Maiarum dies Passionis fuit ob cujus reverentiam natalis Urbis Romæ sine Circensibus fuit.»
Mimas diversis adnotationibus liberatas ad proprium officium summa instantia revocari decernimus.» Carthagine post Conful. Honorii IX. et Theod. V.
Quis estimare hoc malum possit ? circum sonabant armis muros Cirthæ atque Carthaginis Populi barbarorum, et Ecclesia Carthaginensis insaniebat in circis, luxuriabat in Theatris. Fragor, ut ita dixerim, extra muros, et intra muros præliorum et ludioronum, confundebatur vox morientium, voxque baccantium, ac vix discerni forsitan poterat plebis ejulatio quæ cadebat in bello, et sonus populi qui clamabat in circo. Et cum hæc omnia fierent, quid aliud talis Populus agebat, nisi ut cùm eum Deus perdere adhuc fortassè nollet, tamen ipse exigeret ut periret.»
Tout ce peuple fastueux, superbe, insolent, et qui ne cédait à aucun,
après avoir tant aimé les spectacles, fut chassé de Carthage, et errant de tous côtés, donna à toute la terre un spectacle qui passe, dit Théodoret, tout ce que les Tragédies d’Eschyle et de Sophocle ont jamais représenté. Voici ce qu’il en dit, écrivant alors à un de ses amis. Epist. 29. « Quæ Carthaginensis passi sunt, Æschyli et Sophoclis Tragœdia egerent, atque horum quoque linguam fortasse vinceret malorum magnitudo. Illa enim a Romanis quondam vix capta, immò quæ cum maxima Roma de principatu sæpè certarat, eam que in summum discrimen adduxerat, ludibrium modo facta est Barbarorum. Et qui celeberrimam ejus curiam ornabant, orbe toto nunc errant, vitam ex hospitalium hominum manibus sustentantes, cientque spectantibus lacrymas, et rerum humanarum instabilitatem, volubilitatemque declarant. Alios equidem vidi complures indè profectos, et timui. Nescio enim, quod ait scriptura, quid super ventura pariat dies.
»
Voilà, Messieurs, de quelle manière les jeux de Théâtre furent abolis en Afrique. Ce sont des témoins oculaires qui nous les rapportent. Et Salvien qui écrivait deux ou trois ans après la désolation de Carthage, nous décrit aussi comment ils finirent dans les Gaules.
Videlicet responderi hoc potest, non in omnibus hæc Romanorum Urbibus agi. Verum est. Etiam plus ego addo, ne illic quidem nunc agi, ubi semper acta sunt antea. Non enim hoc agitur jam in Moguntiacensium civitate ; sed quia excisa atque deleta est. Non agitur Agrippinæ ; sed quia hostibus plena. Non agitur in Treverorum urbe excellentissimâ ; sed quia quadruplici est eversione prostrata.» Qui concevra la folie de ceux de Trèves lesquels après avoir été trois fois pillés, saccagés, brûlés par les Français, demandaient encore des spectacles, comme pour tout remède à leurs maux. «
Quis estimare hoc amentiæ genus possit ? Pauci nobiles qui excidio superfuerant, quasi pro summo deletæ urbis remedio circenses ab Imperatoribus postulabant.» Un Poète Chrétien de nos jours a peint avec beaucoup de force l’aveuglement de ce peuple.
« Telle que de rage enivrée,Victime du fer et du feu,Trèves, aux Barbares livréeOsait se raidir contre Dieu ;Captive, mais ambitieuse,Pauvre et toujours voluptueuse,Elle assouvissait ses désirs :Et cherchait sans craindre la foudre,Sur le sang, sur des os en poudreLe Théâtre de ses plaisirs. »
La Ville de Trèves fut véritablement rétablie lorsqu’elle était entièrement aux Français sous le Roi Childéric, mais les Français ni Childéric, ni Clovis ne rétablirent pas les jeux de Théâtre, et ils cessèrent dans toutes les Villes où il y en avait eu, à Cologne, à Mayence, à Lyon, à Vienne et autres.
Il en faut dire autant des Villes voisines d’Espagne, dont les Visigoths étaient en possession. Les jeux y furent abolis, et de toutes les Gaules il n’y eut au temps de Salvien, c’est-à-dire en 442, ou 443, que la Provence et Marseille où il y eut des jeux de Théâtre, parce que la Provence n’avait point été ravagée, et qu’elle payait simplement quelques contributions aux Visigoths. Salvien, Prêtre de Marseille, et qui écrivait dans la Province Viennoise, n’oublia rien pour faire cesser tous les spectacles. Mais ses exhortations furent inutiles.
Nous voyons dans la suite des théâtres à Narbonne, à Lyon et à Trèves.
In loco qui dicitur, les Areines, ante S. Victorem.»
Comme les Théâtres ont été longtemps fréquentés en Provence, et qu’on agitait la question dans divers ◀Conciles▶, faisons-en l’histoire en peu de mots.
Il y avait à Arles un fort beau Théâtre de pierre, dont on voit encore les restes.
Le ◀Concile▶ d’Arles en 314, ne put pas faire cesser les spectacles. Ammien Marcellien dit, que Constance en fit célébrer à Arles de très magnifiques. « Theatrales ludos atque Circenses ambitioso editos apparatu
. » M. de Valois les place en l’an 353.
Le ◀Concile▶ d’Arles tenu en 452, selon la supputation du P. Sirmond, fut obligé de renouveler l’excommunication lancée dans le premier ◀Concile▶ en 314, contre ceux qui montent sur le Théâtre. « De Theatricis, et ipsos placuit, quandiu agunt à communione separari.
» Can. 5.
Si l’on demande d’où vient que tant de SS. Papes, Innocent I. Zozime, Boniface, Célestin, Sixte III. Léon I. Hilaire, Simplicius, qui ont régi cette Eglise depuis que tous les Magistrats étaient Chrétiens, n’ont pas fait cesser les spectacles ; Gélase répond, qu’on ne lève pas tout à coup les obstacles et que la résistance qu’on trouve dans les Magistrats ne se surmonte pas facilement, parce qu’en effet il eut lui-même bien de la peine à faire cesser la superstition des Lupercales. « Ego negligentiam accusare non audeo prædecessorum ; cum magis credam fortasse tentasse eos ut hæc pravitas tollentur, et quosdam extitisse causas et contrarias voluntates quæ eorum intentiones præpedirent.
»
mentior nisi egena agmina, consulatus vestri in subsidio miseriarum præstolantur adventum. Etenim purpura vestra, qua anni vocabulum nobilitatis, subripientem miseris vestimentorum largitate pellit algorem prope jam iterum necessitatibus ferunt auxilium decora fastorum ; et veteri infidelitate deposita, in tali præparatione census dispendia efficiuntur lucra animarum.» Quoiqu’il en soit, si les jeux cessèrent, ce ne fut que pour peu d’années, on les voit recommencer bientôt après, c’est en 509. On fit des plaintes à Théodoric Roi d’Italie, du trouble qui était arrivé aux jeux Circenses.
Théodoric parla en cette occasion avec toute la dignité qu’on devait attendre d’un sage Prince ; il dit que ce n’est pas dans ces sortes de jeux où l’on doit attendre de la modestie et la retenue, que le lieu doit faire excuser bien des sottises ; que les Caton n’allaient pas en ces sortes de lieux. « Mores autem graves in spectaculis quis requirat ? ad Circum nesciunt convertire Catones. Quidquid illic
gaudenti Populo dicitur, injuria non putatur : Locus est qui defendit excessum.
» Apud Cassiod. L. 1. Ep. 27.
Ce principe admirable est bien poussé au L. 3. Ep. 51. Il fait voir les maux que peuvent produire les spectacles, qu’il regarde comme la ruine des bonnes mœurs, et de la pudeur et comme la source des querelles ; il ajoute que ces jeux après avoir été institués comme un acte de religion, ont été changés en un risible divertissement. « Spectaculum expellens gravissimos mores, invitans levissimas contentiones, evacuatio honestatis, fons irriguus jurgiorum, quod vetustas quidem habuit sacrum, sed contentiosa posteritas fecit esse ludibrium.
»
Pourquoi donc les souffrir ? il prévient cette objection, en disant qu’il faut quelquefois badiner avec le peuple, et ainsi faire quelque folie avec lui pour l’empêcher d’en faire de plus grandes. « Hæc nos fovemus necessitate populorum. Expedit interdum desipere, ut possimus Populi desiderata gaudia continere.
» Il laissa donc les jeux, et il nous fait entendre à la Lettre 31. du 1er livre combien tous ces jeux étaient
magnifiques : voici ce qu’il dit de l’accord musical des acclamations du Cirque. « Soletis enim aera ipsa mellifluis implere clamoribus, et uno sono dicere, quod ipsas quoque belluas delectet audire : profertis voces organo dulciores : et ita sub quadam harmoniam Citharæ, concavum Theatrum per vos resonat, ut per tonos possit quilibet credere quàm clamores.
»
Pour les Tragédies et les Comédies, ou autres pièces de Théâtre, on n’avait garde d’en voir. Car outre les raisons que nous avons marquées, les principaux Officiers étant tous Francs, n’apprenaient que le Tudesque et n’entendaient ni le Latin ni le Gaulois, ainsi ils n’auraient donc pu rien entendre aux pièces de Théâtre, et on ne se serait pas avisé d’en faire composer en langue Tudesque, laquelle ne fournissait ni Poètes ni Orateurs. Ajoutons que tous ces jeux étant fondés et devant se faire aux dépens du fisc, les Français n’auraient pu se résoudre à consumer en jeux, en divertissements, pour ne pas dire en folies, des sommes aussi considérables que celles qu’on y employait. Les plaisirs des Rois étaient plus naturels et de moindre dépense.
Clovis sur la fin de ses jours avait simplement un joueur d’instrument, que Théodoric lui envoya de Rome ; en cela semblable au plus saint de nos Rois, qui comme nous verrons, n’avait qu’un Page qui lui chantait quelquefois des airs de piété. Les Romains qui ne savaient plus se réjouir sans se ruiner, traitaient peut-être de Barbares, ceux qui n’avaient pas du goût pour leurs jeux ; mais les plus sensés avouaient que c’était une folie dans les Romains.
Tels furent les divertissements des Princes Français jusqu’au temps de Charlemagne, où les Lettres refleurissant, il y aurait eu des Poètes qui auraient pu faire des pièces de Théâtre.
Satiat præterea et inebriat Histriones, Mimos, turpissimosque et vanissimos joculares, cum pauperes Ecclesiæ fame discruciati intereant.» Philippe Mouskes suppose en Poète, qui dit le faux comme le vrai, que Charlemagne donna la Provence à ses Bouffons et à ses Mimes, qui produisirent dans le pays ce grand nombre de Poètes qui parurent dans la suite.
Tum per plateas, tum in Theatro contumeliose vociferari adversus Gregoriam cœpere, ne scenicis quidem ab ejusmodi petulantiâ abstinentibus.» L’Evêque fut justifié, et l’année suivante, c’est-à-dire en 589, soixante-et-un ans après le premier tremblement de terre, dans le temps qu’on ne pensait qu’à boire et à se divertir, la Ville s’écrasa. Le Comte Astérius et soixante mille habitants y périrent malheureusement par un tremblement de terre. L’Evêque Grégoire fut sauvé184.
Nous les avons souvent exhortés, poursuit cet Empereur, à l’observation de leurs devoirs ; mais les rapports qu’on nous a fait de leur conduite, nous obligent présentement à en faire une Loi expresse. Nous ordonnons donc que nul Diacre, nul Prêtre ; et bien plus expressément, que nul Evêque n’assistera jamais aux jeux publics de dés, ni aux Spectacles du Théâtre, s’il est croyable qu’il y en ait qui y assistent. Car, qui pourrait croire qu’on y voit ceux qui par leur ordination doivent entretenir un commerce perpétuel avec J. C. et attirer sur les fidèles l’Esprit Saint ; ceux dont la tête et les mains sont consacrées à Dieu par l’onction sainte, afin qu’ils conservent tous leurs organes exempts de toute souillure.
On voit bien par cette loi que les grands Empereurs qui ont toléré les spectacles, ont été bien éloignés d’y assister, ni d’approuver que les personnes de piété y assistassent. On les laissait donc seulement pour les gens oisifs, et pour les détourner de faire des actions plus criminelles187.
Fin de la troisième Partie.
QUATRIEME PARTIE.
Jugement qu’ont porté sur les spectacles les Auteurs tant profanes que sacrés depuis Auguste jusqu’à Justinien.
Après avait traité historiquement de ce qui regarde les spectacles depuis Auguste jusqu’à Justinien, il nous reste pour achever de confondre les défenseurs du Théâtre, à rapporter le jugement qu’ont porté sur les jeux de la Scène les Auteurs tant profanes que sacrés.
« Ut tamen hoc fatear : Ludi quoque semina præbantNequitiæ : tolli tota theatra jube. »
« Spectatum veniunt, veniunt spectentur ut ipsæ,Ille locus casti damna pudoris habet. »
« At tanti tibi sit non indulgere Theatris…Enervant animos, citharæ, cantusque lyræque,Et vox et numeris brachia mota suis. »
ne talia spectandi consuetudo, imitandi licentiam sumat.»
On va achever de ruiner, disaient-ils, ce qui nous reste encore des bonnes mœurs de nos ancêtres, qui se sont peu à peu si fort altérées. Et si
jusqu’ici nous avons eu tant de peine à conserver par des exercices honnêtes, un peu de pudeur, de retenue et de modestie, comment sera-t-il possible de résister à tant de pièges tendus à ces vertus ? « Vix artibus honestis pudor retinetur, nodum inter certamina vitiorum pudicitia, modestia, aut quidquam boni moris retinebitur.
»
Ce Peuple, dit-il , créait autrefois les Empereurs, les Consuls, les Gouverneurs de Province, les Généraux d’Armée, il faisait tout : aujourd’hui, il se tient en repos, pourvu qu’il ait de quoi vivre et aller aux spectacles, il est content.»
« Nam qui dabat olim Imperium, Fasces, Legiones, omnia, nunc seContinet, atque duas tantum res anxius optatPanem et Circensis. »
Si les Païens parlaient ainsi des spectacles, quelle idée pensez-vous, Messieurs, qu’en eussent alors les Chrétiens ! eux à qui Jésus-Christ avait dit si expressément, que les joies du monde n’étaient pas pour les disciples de la Croix ; eux à qui ce Divin Sauveur avait recommandé de se tenir sur leur garde, de veiller et de prier sans cesse ; eux qui brûlant du désir du Martyre, ne se trouvaient parmi les Païens que pour y prêcher l’Evangile ? un précepte formel de n’aller ni au Cirque, ni au Théâtre aurait été alors assez inutile. Mais ne croyons pas pour cela, Messieurs, que l’Ecriture ne nous ait point marqué ce que nous devons penser des spectacles, comme l’a osé dire le prétendu Théologien page 3.
qu’on n’entende jamais parmi vous des paroles déshonnêtes, ni de bouffonneries, ce qui ne convient pas à votre vocation ; mais plutôt des paroles d’actions de grâces.»
Qui ne sait que les Comédies d’aujourd’hui sont souillées par ces sortes de paroles que condamne l’Apôtre ; mais remarquez, je vous prie, ces derniers mots, gratiarum actio. Rien n’est permis aux Chrétiens, qui ne doive être joint aux actions de grâces, et qui oserait rendre à Dieu des actions de grâce de la Comédie après y avoir assisté.
Que dirons-nous encore, Messieurs, de tous ces endroits où Saint Paul recommande si fort la modestie aux femmes et aux filles ? Croirons-nous qu’elles peuvent être Comédiennes sans cesser d’être aussi modestes que le veut Saint Paul, et pourra-t-on se persuader qu’il n’est point contre la modestie Chrétienne, qu’une femme se pare avec tout l’art dont elle est capable, et qu’elle monte sur un Théâtre pour joindre à la parole les gestes, le ton et les manières les plus capables d’inspirer les passions, contre lesquelles les hommes doivent être toujours en garde.
Je ne parcourrai pas les autres endroits du nouveau Testament qui condamnent la Comédie. Toutes les maximes de l’Evangile y sont entièrement opposées, et l’exemple des premiers Chrétiens doit assez nous en convaincre.
Nec spectacula spectare audemus, ne oculi nostri inquinentur et aures nostræ hauriant prophana, quæ tibi decantantur carmina.»
Ce que dit ce saint Evêque, est si
général et si certain, qu’on en fait un reproche aux Chrétiens dans Minutius Felix. « Vous vous privez, dit Cécilius, des plaisirs honnêtes et légitimes. On ne vous voit point aux jeux publics ni aux pompes.
» « Honestis voluptatibus abstinetis ; non spectacula visitis, non pompis interestis, convivia publica absque vobis.
» Le Chrétien qui parle dans Minutius Felix, n’a garde de contester le fait. « C’est avec raison, répond-il, que les Chrétiens, qui ne tirent leurs louanges que de leurs mœurs, et de leur vie, méprisent vos spectacles, vos voluptés et vos pompes. Nous les fuyons comme des corrupteurs agréables ; nous en savons l’origine, et nous ne voulons pas nous trouver là où un Comédien lascif émeut les passions des autres, en feignant d’en avoir lui-même
: Enerius histrio amorem dum fingit, infligit.
»
Magna itaque confusione et iniquitate hi cœtus pleni sunt et occasio conventus causa est turpitudinis, cum viri et fœminæ mixtim conveniant alter alterias spectaculum.... Dum enim lasciviunt oculi, calescunt appetitiones et oculi proximus impudentius aspicere assuefacti, quod concessum sibi vident ocium, intendunt cupiditates.»
Sur la fin du second siècle, la longue paix où l’Eglise se trouva depuis Marc-Aurèle jusqu’à la dixième année de Sévère, en 202, ayant produit du relâchement dans la discipline Ecclésiastique, quelques Chrétiens s’imaginèrent qu’il n’était pas défendu d’aller aux spectacles et ce fut ce qui engagea Tertullien à en composer un Traité qu’on peut placer l’an 200 ; car il est cité dans le traité de Corona militis, fait encore dans le temps de paix. Comme ces Chrétiens relâchés prétendaient qu’il ne pouvait y avoir de mal d’aller à des spectacles, où tout ce qu’on y voyait était l’ouvrage de Dieu ; Tertullien dit d’abord que c’est par rapport à l’usage qu’on fait des choses, et non par rapport à l’Auteur qu’il faut juger, que l’assassinat, l’empoisonnement et l’art magique, ne laissent pas d’être des péchés énormes, quoique l’épée, le poison, et le mauvais Ange qui préside aux divinations, soient des créature de Dieu.
Tertullien a mis les Comédies parmi les actions indifférentes». On peut bien conclure que Tertullien a mis tout ce qui sert au Théâtre et à la Comédie parmi les œuvres de Dieu, car assurément il n’admet pas d’autre Auteur des créatures que Dieu seul. Mais pouvait-il dire d’une manière plus précise, et dans ce traité et dans celui de l’habit des femmes, que si cela suffisait pour justifier les pompes du monde, il ne faudrait pas même condamner l’Idolâtrie, puisque l’encens, le feu, les victimes qu’on immole et tout ce qu’on offre, sont des Créatures de Dieu.
Venons, dit-il, à d’autres preuves par rapport à ceux qui se flattent qu’on ne trouve pas expressément dans l’Ecriture la défense d’aller aux spectacles, comme si cette défense n’était pas renfermée dans la condamnation des concupiscences ; quasi parùm de spectaculis pronuntiatur cum concupiscentia damnantur.Car, poursuit-il, s’il y a une concupiscence dans l’avarice, dans l’ambition, dans la gourmandise, et dans la luxure, il y a aussi de la concupiscence dans le plaisir que vous recherchez dans les spectacles.»
« Ne m’allez pas dire, poursuit Tertullien, que vous êtes insensible à tous ces spectacles. On ne va pas chercher le plaisir sans l’aimer. Cet amour expose à des chutes ; et ces chutes même irritent le plaisir et la passion. Persistez-vous à dire que vous ne sentez rien ; c’est donc en vain que vous y allez ; et vous êtes par conséquent coupable d’une inutilité et d’une perte de temps considérable, condamnée parmi les Chrétiens aussi bien que la concupiscence.
»
Ne pourrions-nous pas aussi répliquer à ceux qui nous ont dit quelquefois qu’ils sont insensibles à la Comédie : Vous ne sentez rien. C’est peut-être que la Comédie trouve en vous des passions plus fortes que celles qu’elle représente. Vous ne sentez rien ; C’est peut-être que vous voudriez sentir davantage.
n’est-ce pas, dit-il, une marque visible que leur art est jugé indigne d’un honnête homme ? Quelle est cette corruption, poursuit-il, qui fait que l’on aime ceux que les lois publiques condamnent, qu’on approuve ceux qu’elles méprisent, qu’on relève un art, et un emploi en même temps, qu’on note d’infamie ceux qui l’exercent ? Quel est le Jugement par lequel on couvre de confusion des gens pour une profession qui les rend recommandables ? Ou plutôt quel aveu ne fait-on pas par ce jugement de la corruption qui est inséparable de ce divertissement, puisque quelque agréables que soient ceux qui les donnent, ils ne laissent pas néanmoins de demeurer dans l’infamie dont on les a notés.»
Nous montrerons, Messieurs, que l’infamie subsiste encore par rapport aux Comédiens d’aujourd’hui ; et que le Rituel de Paris en les déclarant excommuniés, suppose qu’ils sont infâmes. Mais achevons l’Analyse du Traité de Tertullien.
En cinquième lieu, le grand scandale qu’il trouve aux spectacles, c’est que les hommes et les femmes s’y rencontrent ensemble, qu’ils y vont avec tout l’ajustement qu’il leur est possible, qu’ils cherchent à voir et à être vus, et que les regards, les petits mots, l’approbation qu’ils donnent d’une commune voix aux Comédiens et la joie qu’ils ont de se rencontrer dans les mêmes sentiments font comme autant d’étincelles qui augmentent le feu secret dont ils brûlent.
Enfin, pour réduire en peu de mots toutes les autres raisons de Tertullien. Il condamne le Théâtre, parce qu’il est incompatible avec la prière toujours ordonnée aux Chrétiens, parce qu’on ne peut offrir à Dieu tout ce qui s’y fait ; parce que les Chrétiens ne doivent rechercher que des joies toutes spirituelles ; qu’ils doivent rougir de compter parmi les vrais plaisirs celui de la Comédie ; que si on aime la Poésie et l’Histoire, on en trouvera suffisamment dans l’Ecriture sainte ; que la Religion nous présente des spectacles bien différents de ceux du Théâtre, et qu’on doit s’occuper principalement de celui, qui précédé du son de la trompette, nous rendra nous-mêmes après la mort, un spectacle devant Dieu et ses Anges.
Après tant de solides raisons de Tertullien qui peuvent être si bien appliquées à notre temps, nous objectera-t-on encore qu’il n’a condamné les spectacles qu’à cause de l’idolâtrie, et que dirons-nous du prétendu Théologien qui n’a pris dans Tertullien que deux objections qu’il s’était proposées ?
Tertullien s’était proposé ces deux objections. L’une, que ce qui sert au Théâtre étant de soi-même indiffèrent, les jeux de Théâtre ne peuvent pas être mauvais : L’autre que l’Ecriture n’a pas expressément interdit aux Chrétiens le Théâtre. Tout le traité de Tertullien est employé à réfuter ces deux objections, et le prétendu Théologien est assez peu avisé, que de les prendre et de les proposer pour des preuves, comme s’il ne restait plus de Livres de Tertullien qu’on pût consulter.
Nihil est nobis dictu, visu, auditu cum insania Circi, cum impudicitia Theatri.»
Que dirai-je des vaines occupations de la Comédie ? Quand même ces choses ne seraient point consacrées aux Idoles, il ne serait pas néanmoins permis aux Fidèles d’en être les Auteurs, ni les spectateurs ; et quelques innocentes qu’elles fussent, elles emporteraient du moins avec elles une vanité, qui ne convient point aux Chrétiens.»
De S. Cyprien, l’Auteur passe à S. Bonaventure. Mais quel moyen de faire un si grand saut, qui n’est que de mille ans, sans remarquer en passant les Pères et les ◀Conciles▶ qui ont parlé de la Comédie.
quas homo sapiens rideat».
Après ce principe, Lactance parcourant tous les jeux du Cirque pour montrer le mal qu’ils inspirent, il descend dans le détail de tout ce qui paraît sur la Scène. Les pièces comiques lui paraissent dangereuses, parce qu’elles roulent ordinairement sur les fictions de quelque intrigue amoureuse et déréglée, lesquelles font d’autant plus d’impression dans l’esprit, qu’elles sont exposées avec plus de tour et d’élégance. Les Histoires Tragiques nuisent par le récit qu’on y fait des parricides ou autres vices des grands.
Pour les Histrions, qui s’appliquent à contrefaire toute sorte de gestes, rien ne lui paraît plus efféminé, plus ridicule et plus dangereux. Il croit enfin qu’un Chrétien doit fuir toute sorte de spectacles. « Vitanda ergo spectacula omnia, non solùm ne quid vitiorum pectoribus insideat, quæ sedata et pacifica esse debent, sed ne cujus nos voluptatis consuetudo delineet et a Deo atque à bonis operibus avertat.
»
Dans le temps qu’Arnobe et Lactance florissaient il se tint un ◀Concile▶ à Illibéris211 en Espagne, qui est en même temps et le plus ancien ◀Concile▶ qui se soit conservé, et le résultat de plusieurs autres qui s’étaient tenus auparavant dans l’Occident. Ce ◀Concile▶ qu’on appelle communément d’Elvire, ordonne au Canon 62212, que les Pantomimes qui voudront se convertir, renonceront pour toujours à leur profession, et que s’ils la reprennent après avoir été reçus dans l’Eglise, ils en seront chassés. Et au Canon 67213, le ◀Concile▶ défend sous peine d’excommunication aux femmes Chrétiennes ou Catéchumènes, d’avoir pour maris des Comédiens, ni aucun de ceux qui montent sur le Théâtre. Quoique le sens de ce Canon puisse se restreindre à la défense d’épouser des Comédiens, le célèbre Ferdinand de Mendoza ne laisse pas de croire qu’on doit encore entendre que le ◀Concile▶ veut que les femmes Chrétiennes n’habitent pas même avec leurs maris qui voudraient être Comédiens ; tant l’Eglise avait d’horreur pour cette profession.
Nous avons déjà vu que le premier ◀Concile▶ d’Arles en 314 confirmé par le saint Pape Sylvestre, rejette aussi de la Communion tous ceux qui montent sur le Théâtre214, et les Constitutions Apostoliques qui peuvent avoir été faites au même siècle, rapportent comme une discipline reçue depuis les Apôtres, qu’on ne doit point admettre à la Communion ces sortes de gens.
Eadem Anathema in librum quem ille contra pietatem compositum inscripserat, Thaleia quasi floridum et viridantem, cujus stilus et eloquuio, simplex et dissoluta Sotadisque Poetæ cantilenis persimilis fuit.»
S. Ephrem, Diacre d’Edesse, a composé un discours pour montrer que les Chrétiens ne doivent point employer le temps à des divertissements comiques, il se fonde principalement sur cette autorité de l’Evangile : « Væ vobis qui ridetis nunc quia lugebitis et flebitis.
»
vous ignorez sans doute, leur dit-il, que le Théâtre est une école publique d’impureté, que les sons des instruments et les chansons des Comédiennes, entraînent le cœur à la corruption exprimée par les airs et par les paroles.» «
Nescientes Orchestram quæ spectaculis impuris abundat, his qui illic consident communem ac publicam lasciviæ officinam. Quin et illic tibiarum modulationes per quàm concinnæ, ac meretriciæ cantiones, audientium animis insidentes, cunctis, utpote citharædorum aut tibicinum pulsum æmulantibus, nihil aliud quàm obscænitatem suadent.»
Schola fœdiatis omnis et lasciviæ; que les Vers qu’on y récite amollissent la vigueur de l’âme, et allument le feu des passions, et que tous ces divertissements sont dignes des larmes des Chrétiens.
Adverte oculos meos ne videant vanitatem.» Doutez-vous, disait-il à son peuple, que ces jeux ne doivent être mis au nombre des vanités ? et comment un Chrétien peut-il les rechercher, sachant que Jésus-Christ a crucifié dans sa chair tous les vains plaisirs du monde. Saint Cyrille de Jérusalem au même siècle, joignait à cet endroit de David la promesse que tous les Chrétiens ont fait de fuir les pompes du monde, dont les spectacles du Théâtre ne peuvent être exceptés.
Pour saint Chrysostome, il ne cessait de prêcher, à Antioche et à Constantinople pour détourner les Fidèles du Théâtre. Tantôt il leur dit qu’on devrait rougir, de voir que des femmes aient l’impudence de monter sur le Théâtre : Tantôt il leur fait considérer que puisque toutes les lois et des Païens, et des Princes Chrétiens et de l’Eglise déclarent les Comédiens infâmes, il faut bien que tout le monde soit convaincu que ce qu’ils font est condamnable.
Quelquefois il leur met devant les yeux combien on s’expose à avoir de méchantes pensées à la Comédie. « Quoi, dit-il (dans l’admirable Homélie de Saül et de David, dont Baronius a inséré une partie à la fin du IV. siècle) un regard jeté avec trop de curiosité sur une femme qu’on rencontre par hasard est quelquefois capable de blesser l’âme ; et vous ne craindrez pas de passer plusieurs heures à contempler fixement des femmes qui se parent avec tout le soin possible, qui se sont toute leur vie exercées à remuer les passions, et qui n’oublient rien pour plaire aux spectateurs ? Hélas ! poursuit-il, si dans l’Eglise même, où le chant des Psaumes,
l’explication de la parole de Dieu, et la présence de la Majesté Divine nous mettent en garde contre toutes les attaques, la concupiscence ne laisse pas quelquefois de se glisser dans le cœur, que doit-on se promettre dans un lieu, où les yeux par les objets, et les oreilles par les chants lascifs et efféminés, trouvent tant de pièges, et où l’âme séduite par le plaisir, n’entend presque jamais que des leçons d’une morale, ou païenne ou impudique.
»
Ne me dites point, reprend-il ailleurs,
que vous n’y faites aucun mal, comme si vous n’étiez pas coupable du mal que commettent ceux qui n’y vont qu’à votre exemple.»
Mais quel mal faisons-nous, direz-vous : je vous plains d’autant plus, répond-il, que vous ne sentez point votre maladie, et que vous n’avez point recours au médecin. Vous sortez du Théâtre le cœur plein d’adultère, et vous demandez quel mal vous faites ; êtes-vous de fer ou de pierre pour ne recevoir aucune impression de la vue, de la parure, des paroles, du chant et des gestes des Comédiennes ? Etes-vous plus sages que ces grands hommes, qui à la simple vue d’une femme ont été renversés ? Comment éviterez-vous cet écueil, vous qui n’êtes appliqués qu’à regarder ces objets dangereux ? II est vrai que vous n’avez point eu de commerce avec cette courtisane, mais par vos désirs vous avez commis le crime dans le cœur ; ce n’est pas précisément pendant le temps qu’elle est sur le Théâtre ; vous le continuez, la pièce finie ; son image, ses discours, ses habits, sa démarche, ses regards, son ajustement, demeurent gravés dans votre cœur et vous retournez chez vous atteint de mille blessures. Plein de cette créature, et devenu son esclave, vous trouvez votre femme insupportable, vos enfants, vos domestiques, tout vous déplaît. En voici la raison, c’est que vous ne revenez pas seul chez vous, vous menez cette femme débauchée, non pas ouvertement, ce qui serait un moindre mal, parce que votre épouse la chasserait bientôt, mais vous la portez dans votre cœur, ou elle allume et nourrit une pernicieuse flamme.»
Enfin souvenez-vous, dit-il dans la VI. Homélie sur le second chapitre de saint Matthieu, que saint Paul a défendu aux Chrétiens les paroles vaines et bouffonnes, qui ne tendent qu’à un vain divertissement.
dæmonum cibus».
Alii exultant in rebus hujus sæculi : alii in circo, alii in Theatro : sed tu, dicit Propheta, unicuique Sancto, in Domino exsulta.»
A spectaculis removeamus occulos, circi, Theatrum, et omnibus quæ animæ contaminant puritatem, et per sensus ingrediuntur, impleturque quod scriptum est : mors intravit per fenestras vostras».
Quid est nisi miserabilis insania.» Aussi, lorsqu’il enseignait la Rhétorique à Carthage, il ne laissait point échapper l’occasion de décrier les spectacles, qui ne cessaient presque jamais en cette Ville. Alipe les aimait avec ardeur, il s’attachait principalement aux jeux du Cirque, qui certainement étaient les moins dangereux. Cependant S. Augustin le plaignait, et il n’oublia rien pour le gagner ; enfin il vint à bout de les lui faire abhorrer. Peu de temps après Alipe étant venu à Rome, il se laissa entraîner au Théâtre par quelques amis. «
J’y assisterai, leur disait-il, sans y être et sans y rien voir, et ainsi je triompherai et des jeux et de vous» ; S. Augustin remarque qu’il tint d’abord les yeux fermés. Plût à Dieu, ajoute-t-il, qu’il eût bouché les oreilles. Alipe frappé des acclamations du peuple, ouvrit ses yeux et reprit sa première passion pour les spectacles. Cet exemple devrait bien détromper ceux qui se flattent qu’ils n’y feront aucun mal.
Il y a dans les hommes tant de corruption et d’opposition au bien, que la République leur paraît florissante, lorsqu’on bâtit des maisons magnifiques, qu’on laisse aller en ruine ce qui fait la beauté des âmes ; lorsqu’on élève des Théâtres et qu’on sape les fondements de tout bien et de toute vertu, lorsqu’on cherche de la gloire devant les hommes par des folles dépenses, et qu’on néglige les œuvres de miséricorde, lorsque les Comédiens et les bouffons sont dans l’abondance et dans les délices par les profusions des riches, et que les pauvres manquent du nécessaire. Enfin lorsque Dieu, dont la doctrine condamne à haute voix ces excès, est blasphémé par des peuples impies, et que l’on se fait des Dieux en l’honneur de qui on puisse faire paraître sur les Théâtres des infamies, qui déshonorent également l’âme et le corps.»
Deum enim negat qui talia præsumit, fidei Christianæ prævaricator effectus, qui id denuò appetit quod in lavacro jampridem renunciavit, id est, diabolo, pompis et operibus ejus.»
Christo ergo (ô amentia monstruosa !) Circenses offerimus et mimos ? Christo pro beneficiis suis theatrorum obscæna reddimus» L. 6. cap. 5.
« Est-ce là, leur dit-il, ce que Jésus-Christ nous est venu enseigner sur la terre lorsqu’il est dit, que la grâce de Dieu notre Seigneur a paru à tous les hommes, et qu’elle nous a appris que renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, avec justice, et avec piété, étant toujours dans l’attente de la béatitude et de l’avènement de notre Sauveur Jésus-Christ. Vous cherchez à rire, poursuit-il, et vous êtes les Disciples de Jésus-Christ, dont personne n’a jamais écrit qu’on l’ait vu rire, au lieu que nous savons qu’il a pleuré.
Enfin souvenez-vous, que vous avez dit au baptême, je renonce au démon, à ses pompes, à ses spectacles et à toutes ses œuvres.
»
c’est, dit-il, que ces crimes souillent à la vérité ceux qui les commettent, mais ils ne rendent pas coupables ceux qui en sont seulement les spectateurs, ou qui en entendent le récit ; au lieu que la Comédie, rend également criminels et ceux qui la représentent, et ceux qui la voient représenter ; car lorsque les spectateurs prennent plaisir à ce qui se passe sur le Théâtre, c’est comme s’ils la représentaient eux-mêmes.
« Au lieu que chaque crime, ajoute-t-il n’attaque qu’un de nos sens à la fois, la Comédie corrompt en même temps l’âme par les mauvaises pensées, le cœur par des désirs impurs, les oreilles par les paroles déshonnêtes et équivoques, et les yeux par les regards immodestes et licencieux.
»
C’est ainsi, Messieurs, que parlait Salvien dans un pays où l’Idolâtrie ne régnait plus. Elle fut dans le siècle suivant entièrement abolie en Orient par Justinien, lequel renouvelant dans le Digeste les lois de ses prédécesseurs qui avaient déclaré les Comédiens infâmes, montra assez ce que tous les Chrétiens devaient en penser.
Fin de la quatrième Partie
CINQUIEME PARTIE.
Contenant l’Histoire des Jeux de Théâtre, et autres Divertissements Comiques soufferts ou condamnés depuis l’extinction de l’Idolâtrie dans l’Empire, jusqu’à la naissance des Scholastiques.
On vit au milieu du huitième siècle un grand nombre de farceurs et de danseurs, que Léon l’lsaurien et les autres Princes Iconoclastes autorisaient, pour faire tourner les Catholiques en ridicule ; et ce qui affligeait extrêmement les Fidèles, et qui fut exposé avec douleur comme un fait atroce à la sixième séance du septième ◀Concile▶ général l’an 787, c est qu’on chassa les Moines de plusieurs Monastères, et qu’on ne rougit pas d’abandonner aux danseurs et aux farceurs ces habitations saintes, où l’on fit succéder aux Hymnes sacrées, des chansons lugubres, aux airs pieux, une musique d’enfer, et aux fréquentes génuflexions, des ballets et des danses.
Malheur à ceux qui boivent leur vin au son des instruments de musique, qui n’ont aucun égard à l’œuvre du Seigneur, et qui ne considèrent point l’ouvrage de ses mains ».
Ce Canon veut qu’on reprenne les Chrétiens qui tombent dans cette faute ; et que s’ils ne se corrigent point, ils encourent les peines qui ont été autrefois prescrites. La peine est principalement marquée au ◀Concile▶ de Laodicée, et c’est là sans doute où les Pères de ce ◀Concile▶ renvoient.
Je ne sais si le grand nombre de Comédiens et de Bouffons qu’on avait vu sous les Empereurs Iconoclastes diminuèrent beaucoup au neuvième siècle ; mais il semble qu’il ne s’en trouva pas assez lorsque l’an 862 on osa faire jouer par ces bouffons l’élection et l’injuste déposition du saint Patriarche Ignace, car outre les bouffons ordinaires, on engagea des personnes de la Cour à faire ces représentations détestables.
Jam vero si te Cham similem asserimus, nec sic erramus : ipse quippe adeo irrisionem et contumeliam Patris prorupisti, ut de Cathedra Sacerdotali eum projiceres, et ad illudendum mimis et scenicis inverecunde proderes.»
Cet irréligieux spectacle donna lieu au seizième Canon du huitième ◀Concile▶ général, qui expose la douleur sensible avec laquelle on avait appris que des laïques ayant plié leurs cheveux pour les faire paraître aussi courts que ceux des Ecclésiastiques, s’étaient revêtus d’habits Sacerdotaux, et avaient contrefait toutes les cérémonies de l’élection, de la consécration, et de la déposition des Evêques.
Ce Canon, qui renouvelle les anciennes classes de la pénitence, peu observées en Orient depuis le commencement du cinquième siècle, nous apprend trois ou quatre points de discipline fort importants. 1°. Que si l’Eglise tolère les Magistrats qui autorisent les spectacles, elle ne peut pas porter cette tolérance jusqu’à souffrir qu’ils autorisent des jeux où l’irréligion se montre sensiblement. Il faut alors que les Evêques en viennent jusqu’aux menaces de la privation des Sacrements et de la Communion Catholique.
2°. Que les Evêques qui manqueraient de zèle en ce point pour les répréhensions et les corrections nécessaires, méritent eux-mêmes et encourent la déposition, qui suppose un péché très grief.
Die Dominico spectacula Theatrorum et ludorum amovenda». Et le Pape Nicolas I. en 866, répondant aux demandes des Bulgares, dit qu’il faut s’abstenir de ses occupations ordinaires, pendant ces saints jours, afin de pouvoir aller à l’Eglise pour y chanter en l’honneur de Dieu des Psaumes, des Hymnes et des Cantiques spirituels, pour s’appliquer à la prière, célébrer la mémoire dés Saints, implorer leur secours, et enfin pour pouvoir obtenir du Seigneur la grâce de les imiter. Que si le Chrétien, négligeant de faire ces choses, demeure dans une oisiveté, ou bien ce qui est encore pire, si au lieu de s’occuper à quelque chose d’utile et d’honnête, il passe son temps dans les vanités et le folies du siècle, certainement il vaudrait mieux qu’il travaillât des mains.
Quanto enim jejunii tempore arctius est divinis cultibus insistendum est, tanto est in cunctis mundi nocivis oblectamentis longius recedendum.»
Dies festos Majestati divinæ dedicatos, nullis volumus voluptatibus occupari.... nihil itaque eadem die sibi vindicet scæna theatralis aut ferarum lacrymosa spectacula.» Et lorsque le jour de leur naissance y échéait, ils faisaient différer les réjouissances et les transféraient à un autre jour : «
Si in nostrum ortum, vel natalem celebranda solemnitas inciderit, differatur.»
Photius au neuvième siècle ramassa dans son Nomocanon les Lois Ecclésiastiques et Civiles qui condamnent les spectacles du Théâtre, et il montre en trois ou quatre endroits que l’Eglise ne les permet jamais les jours de Fête ; que les Fidèles doivent toujours fuir ces sortes de divertissements en quelque temps que ce soit, et que les Ecclésiastiques ne peuvent y assister sans encourir les censures de l’Eglise. Il ajoute même que les Clercs qui y ont assisté doivent être interdits de toute fonction durant quelque temps et renfermés dans un Monastère jusqu’à ce qu’ils aient donné des marques de pénitence.
La raison que Zonare, Ecrivain du même siècle, donnait de cette pratique, est que l’Eglise portant toujours les Chrétiens à l’exacte observation de l’Evangile, leur défend les plaisirs qui ne sont pas nécessaires à la vie, et qui peuvent quelquefois porter au mal. « C’est pourquoi, dit-il, elle ne veut point qu’on s’amuse aux badineries de ces sortes de bateleurs, qui à force de folâtrer sur le Théâtre, excitent les spectateurs à des ris immodérés, et qu’elle défend encore d’assister aux danses ou à tous autres jeux qui se font sur le Théâtre, parce que, soit qu’on y fasse paraître des hommes ou des femmes, les uns et les autres portent quelquefois dans le cœur des spectateurs, des sentiments contraires a la pureté.
»
Enfin Aristhène, autre savant Canoniste Grec du douzième siècle, dit en peu de mots sur le même Canon que l’Eglise condamne généralement les danses, les farces, les momeries, ou les Comédies des Farceurs, Bateleurs et Comédiens.
L’Eglise d’Occident a toujours observé la même discipline, et le Théâtre n’a pas été plus cultivé dans ce second temps parmi nous, qu’il l’a été chez les Grecs.
Le ◀Concile▶ de Paris, tenu en 829, en faisant la même défense aux Ecclésiastiques, établit d’abord que tous les Chrétiens sont obligés de ne point écouter les bouffonneries et les farces. A plus forte raison, ajoute-t-il, les Ministres du Seigneur doivent fuir les discours extravagants et déshonnêtes
des Histrions, n’étant pas bien séant que leurs yeux soient souillés par de semblables spectacles. « Non decet aut fas est oculos Sacerdotum Domini hujusmodi spectaculis fœdari.
»
Théganus dans sa Chronique depuis 813 jusqu’à la fin du règne de Louis le Débonnaire, dit qu’aux festins solennels il y avait des bouffons à la table de ce Prince, mais qu’il ne rit jamais de leurs plaisanteries.
En peu de temps on vit paraître un fort grand nombre de méchants Poètes, qui ne composaient que des petites pièces de galanterie. Les Seigneurs de la Cour se piquaient d’avoir chez eux de ces Poètes, et comme on ne cherchait qu’à folâtrer, on voulait avoir aussi des bouffons, des danseurs et des Chantres.
par l’expulsion des Comédiens, Jongleurs et Farceurs, qu’il chassa de sa Cour, comme des gens qui ne servant qu’à flatter et à nourrir les voluptés et la fainéantise, à remplir les esprits oiseux de vaines chimères qui les gâtent, et à causer dans les cœurs des mouvements déréglés que la Sagesse et la Religion nous commandent si fort d’étouffer. Les Princes avaient accoutumé de faire de beaux présents à ces gens-là et de leur donner leurs plus précieux habits : mais lui étant persuadé, comme le dit Rigord son Historien, que donner aux Histrions, c’était sacrifier au diable, aima mieux suivre l’exemple du saint et charitable Henri I. qui avait fait vœu de faire vendre les siens, pour en employer l’argent à nourrir et entretenir les pauvres.»
Voilà, Messieurs, comment ont été regardés jusqu’au xii.’ siècle tous ceux qui passaient pour Comédiens. Voyons comment on en a parlé depuis les Scholastiques jusqu’à présent.
Fin de la cinquième Partie.
DERNIERE PARTIE.
Du Jugement qu’on a porté des Jeux de Théâtre, ou des divertissements qui en approchaient, depuis les Scholastiques jusqu’à nos jours.
Nous voici arrivés à des siècles où les défenseurs de la Comédie se flattent d’avoir en leur faveur, les décisions des Théologiens Scholastiques qui en ont été l’ornement. Comme, selon la méthode de l’Ecole, les Théologiens ne se contentent pas de résoudre les cas par rapport aux circonstances qui les accompagnent ordinairement ; mais que pour aller au devant des objections que pourraient opposer ceux qui ont l’esprit tourné à la chicane, ils examinent quelquefois les difficultés par rapport à plusieurs suppositions abstraites et métaphysiques, il est visible qu’ils doivent approuver en certaines suppositions, ce qu’ils condamnent dans la pratique commune. Cette maxime, qui peut avoir son utilité, est cause que bien des gens s’y trompent ou veulent s’y tromper, ne se donnant pas la peine de discerner les décisions absolues des Scholastiques d’avec celles qui ne roulent que sur des suppositions métaphysiques. Pour peu néanmoins qu’on se rende attentif, on peut aisément faire ce discernement en toute rencontre, et vous allez voir au sujet de la Comédie, combien il est évident que les décisions des Scholastiques ne s’éloignent point des règles anciennes.
I. Sentiments des premiers Scholastiques, principalement de S. Thomas. Principes de ce saint Docteur touchant les divertissements comiques.
Alexandre d’Alès, sous qui saint Bonaventure étudiait environ l’an 1240. et qui a mérité le titre de Docteur irréfragable, traite la question sans entrer dans aucune supposition métaphysique. Il considère simplement que d’ordinaire les Jeux portent au mal, qu’ils ont toujours passé pour infâmes, et sur cela il les condamne généralement, comme ils ont été condamnés durant les douze premiers siècles.
Saint Thomas ensuite parlant des Jeux, examine si dans les mots pour rire ou dans quelque autre divertissement, il peut s’y rencontrer un excès qui aille au péché.
Jusques là, il s’en faut beaucoup que saint Thomas soit favorable aux Comédiens, ni à ceux qui vont à la Comédie. Il condamne au contraire bien précisément le prétendu Théologien, qui ne croit pas qu’une chose puisse être mauvaise, parce qu’elle est défendue ; car S. Thomas distingue deux circonstances qui rendent le jeu criminel ; l’une lorsqu’il s’y mêle quelque chose de mauvais, et l’autre lorsqu’il est défendu par l’Eglise. Donc sans qu’il fût nécessaire d’entrer dans l’examen des Comédies d’à présent, puisque l’Eglise de Paris les condamne, jusqu’à déclarer les Comédiens excommuniés, il s’ensuit, selon saint Thomas, qu’on ne peut assister à leurs spectacles sans offenser Dieu ; puisque le jeu devient mauvais, par cela seul qu’il est condamné par l’Eglise.
Si l’excès dans le jeu, dit-il, est un péché, les Histrions dont toute la vie se rapporte au jeu, seront donc toujours en état de péché. Et il faudra condamner de même ceux qui se servent de leur ministère, ou qui leur donnent quelque secours. Cependant, poursuit-il, S. Paphnuce eut révélation qu’un joueur de flûte jouerait avec lui dans le Ciel du même degré de gloire.»
Rien n’est plus sage que ces précautions et ces exceptions ; et je ne sais comment on s’avise de dire que saint Thomas approuve absolument les Histrions. Il est clair au contraire qu’il laisse le cas dans la supposition Métaphysique, dummodo, etc., qu’il n’examine pas ce qu’ils font ou ne font pas, qu’il se contente de dire que réciter quelque chose d’agréable, ou jouer de quelque instrument pour réjouir les hommes, n’est pas de soi une chose mauvaise ; et qu’il n’approuve les Histrions, qu’en cas qu’ils gardent des conditions qu’ils ne gardent point. Ce grand Saint savait si bien qu’ordinairement ils ne les observent pas, que lorsqu’il parle des biens acquis par une voie honteuse et criminelle, il met au même rang, sans aucune exception, le gain des Comédiens et celui des femmes prostituées257. Il était donc persuadé que si l’art des Histrions n’est pas mauvais de soi-même, considéré d’une manière métaphysique, il est criminel selon la pratique ordinaire, et par conséquent les exceptions qu’il met dans sa réponse, ne doivent servir qu’à nous faire connaître en quoi consiste le dérèglement de la plupart des Jeux, aussi bien que le péché des Histrions, et de ceux qui vont à la Comédie.
II. Suite des conditions qui, selon S. Thomas, rendent les divertissements permis ou condamnables. Application de ces conditions aux Comédiens de ce temps.
II développe encore mieux ces conditions dans le second article de la même question, où il en distingue trois, sans lesquelles le Jeu est un péché.
La première, qu’il ne s’y rencontre rien d’indécent ou de nuisible. La seconde, qu’il n’interrompe pas l’harmonie ou la suite des bonnes œuvres : et la troisième, qu’il convienne au lieu, au temps et aux personnes.
Premièrement, est-il de Comédie qui ne tende a exciter l’ambition, l’amour du monde, et la concupiscence de la chair ? En est-il où l’on ne trouve des mots à double sens, et où l’on ne propose comme un jeu et un divertissement, des galanteries qui devraient faire gémir ? Et faut-il beaucoup méditer pour y découvrir des paroles et des maximes illicites et nuisibles ? Oui, Messieurs, la plupart des Comédies sont illicites et nuisibles, parce qu’on y tourne perpétuellement en ridicule les parents qui tâchent d’empêcher les engagements amoureux et téméraires de leurs enfants.
Elles sont illicites et nuisibles, parce qu’elles apprennent aux femmes à tromper leurs maris, comme la Comédie de Georges Dandin :
Illicites et nuisibles, parce qu’elles louent le crime et le font commettre par des divinités, comme dans celle de l’Amphitryon.
Illicites et nuisibles, parce que des Auteurs Comiques qui n’ont point d’idée juste de la véritable piété, se mêlent de discerner la fausse dévotion d’avec la véritable, et que sous prétexte de s’en prendre aux hypocrites, ils tournent en ridicule tous les dehors de la piété comme dans le Tartuffe :
Illicites et nuisibles, parce que souvent on fait dire des impiétés d’une manière vive, éloquente et très propre à persuader, au lieu qu’on ne fait combattre ces sentiments que par quelque Acteur ridicule, ou par un valet comme dans le Festin de Pierre.
Si en parcourant ces pièces fort vite, j’y ai aperçu tant de maximes pernicieuses, tant de paroles illicites et nuisibles, que n’y doivent pas découvrir ceux qui les lisent attentivement, qui les goûtent, qui les aiment, qui ont des dispositions propres à entendre à demi-mot, et à aller peut-être bien au-delà du sens ou de l’intention du Poète comique ?
Rappelez, je vous prie, Messieurs, ce que nous disent dans le Discours précédent M. Despréaux, M. Racine le fils, et l’Auteur de la République des Lettres : ce que nous a appris l’exemple de M. Corneille et de M. Racine, et vous ne douterez plus qu’on ne regarde communément les Comédies, comme des pièces pleines de maximes et de paroles illicites et nuisibles, puisque les plus fameux Auteurs mieux instruits de leurs devoirs, gémissent de les avoir faites, et les mettent au nombre des péchés de leur Jeunesse.
O que la Poésie est une admirable réformatrice des mœurs, elle met dans l’assemblée des Dieux, l’amour, auteur du vice et de la légèreté. Je parle, poursuit-il, de la Comédie, qui cesserait bientôt, si elle n’était remplie des vices que les hommes aiment.»
Quoi que vous fassiez, dit saint Paul , faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père.» Soit que nous mangions, soit que nous buvions, ou que nous nous réjouissions, c’est dans le Seigneur qu’il faut le faire, et tout exercice qui ne peut être fait par J. C. et pour J. C. est indigne d’un Chrétien ; il tire l’âme de son centre et il interrompt le cours, la suite et l’harmonie des bonnes œuvres. Car cette harmonie dont parle saint Thomas après saint Ambroise, consiste dans une liaison de toutes les actions avec l’esprit de Jésus-Christ, en sorte qu’elles soient toutes faites par le même principe, pour la même fin, et toujours avec actions de grâces. «
Or, ne serait-ce pas se moquer de Dieu et des hommes, que de dire que l’on va à la Comédie pour l’amour de Jésus-Christ. Oserions-nous lui offrir cette action et lui dire, Seigneur, c’est pour vous obéir que je veux aller à la Comédie ; ce sera votre esprit qui m’y conduira ; ce sera vous, qui serez le principe de cette action.»
La troisième condition, est qu’on ne joue pas en certains temps marqués : et c’est ici où les Comédiens seront encore confondus.
Il paraît clairement de toutes ces preuves, dit ce Saint Cardinal , que les spectacles, les jeux et les danses sont illicites au moins en ces saints jours, et que l’opinion de ceux qui restreignent la prohibition de ces choses au temps des divins Offices, doit être rejetée comme une invention de l’esprit humain et particulier. Pour reprendre donc tout ce que nous avons dit dans ces deux derniers Chapitres, il est constant que le bal et les danses sont incompatibles avec la sanctification des Fêtes, et que toute sorte de jeux et de spectacles sont défendus en ces mêmes jours par les lois Ecclésiastiques et Civiles, d’où il s’ensuit sur le principe commun et reçu de tout le monde, que celui-là pèche mortellement, qui en ces jours emploie injustement le temps en cette sorte d’exercice, si ce n’est que l’ignorance, et le sentiment relâché de ceux que lui donnent conseil et qui le conduisent, puisse diminuer sa faute : ce que Dieu n’a jamais promis.»
III. Remarques sur les sentiments des anciens Scholastiques. Quels étaient les divertissements comiques de leur temps.
La seconde remarque est que quand même les Comédiens ne pècheraient pas toujours contre les conditions prescrites, et qu’ils représenteraient quelquefois des pièces honnêtes, il suffit qu’ils en représentent quelquefois d’indécentes, pour être jugés toujours criminels par les Scholastiques, et pour condamner ceux qui assisteraient à leurs jeux ; saint Antonin le dit expressément.
La troisième remarque est, qu’au temps de saint Thomas les Auteurs comiques ne montaient point sur des Théâtres publics, et qu’ils joignaient simplement quelques voix ou quelques instruments de Musique à la récitation de leurs Vers dans des maisons particulières, ce qui est bien différent d’avoir un Théâtre fixe pour y monter tous les jours, et y faire paraître des femmes avec les ajustements les plus recherchés, comme font les Comédiens d’aujourd’hui. Cette remarque pourrait paraître fausse à ceux qui ont lu en divers endroits que saint Louis chassa les Comédiens du Royaume ; ce serait une difficulté considérable que saint Thomas qui était en réputation de grande piété à Paris, eût approuvé avec certaines conditions ces mêmes Comédiens que S. Louis chassa absolument ; c’est pourquoi il est bon d’éclaircir ce point d’histoire, on le trouvera à la fin de ce second discours. Mais pour avoir une idée de la différence des pièces Comiques d’alors, d’avec celles d’à présent, faisons-en succinctement l’Histoire jusqu’à nos jours.
IV. Histoire des divertissements comiques au xiii. et xiv. siècle.
Au temps de saint Thomas il y en avait presque dans toutes les Cours et chez les plus grands Seigneurs. Saint Louis était peut-être le seul Prince qui regardait tous ces plaisirs comme de vains amusements. Ses délices étaient le chant des Psaumes, et la lecture des bonnes Ecritures, ainsi que parle Joinville.
Mais Alphonse Comte de Poitiers et de Toulouse, frère de Saint Louis, avait plusieurs de ces Poètes, et partout on les recherchait avec empressement, et on leur faisait des présents magnifiques. Ceux qui n’étaient pas fixes dans quelques Cours, composaient de petites bandes de trois ou quatre amis, Poètes, Chantres et Joueurs d’instruments, et allaient ainsi de Ville en Ville, ou plutôt de Château en Château, réciter leurs ouvrages, et c’étaient là ceux qu’on appelait communément les Auteurs de la Science gaie, les Troubadours, ou les Trouvères, c’est-à-dire, Inventeurs.
Ne tamen adhuc publico Theatro dehonestaretur, dit Tacite , instituit ludos Juvenalium vocabulo, in quos passim nomina data, non nobilitas cuiquam, non ætas aut aucti honores impedimento quominus Græci Latinive Histrionis artem exercerent. » Et la loi déclare, que ceux qui n’avaient représenté que dans des maisons particulières, ne seront pas déclarés infâmes.
Audisses comœdum, vel lectorem, vel lyristem, vel quæ mea liberalitas, omnes.»
Frequenter comœdis cæna distinguitur, ut voluptates quoqùe studiis condiantur.»
J’irai souper chez vous, écrit-il à un de ses amis , mais je veux faire mon marché. Je prétends que le repas soit court et frugal, seulement beaucoup de morale.» «
Socratis tantum sermonibus abundet.»
Ainsi ce que faisaient ces Poètes n’était pas condamnable, il fallait seulement exiger d’eux que leurs pièces fussent dans les règles de la bienséance et de la charité. D’où vient que saint Thomas, qui compte parmi les Histrions ceux qui font comme une espèce de métier de réciter quelques pièces agréables, met pour conditions qu’on n’usera point de paroles indécentes ou nuisibles. C’était le défaut de plusieurs qui composaient des Vers amoureux et des Satires piquantes, qu’ils appelaient des Sirventès, où les Princes n’étaient pas épargnés.
On trouve jusqu’au milieu du xiv. siècle environ cent Poètes Provençaux des plus distingués, dont les vies ont été écrites par le savant Cibo Moine de Lérins, par Hugues de Saint Césaire Moine de Montmajour, par Rostang de Brignolle, Moine de saint Victor de Marseille, et par Jean et César Nostradamus.
Ce dernier Historien en l’année 1344277 compte 90. Poètes dont le Roi Robert278 fit recueillir les ouvrages. Le Cardinal de Richelieu a fait aussi rechercher en Provence plusieurs pièces de cette nature, et ce sont peut-être celles qu’on conserve dans la Bibliothèque Royale.
Vers le milieu du quinzième siècle les Poètes Provençaux se négligèrent, et leur Langue ne fut plus cultivée comme elle l’avait été durant quelques siècles. Mais les Italiens, que le séjour des Papes à Avignon avait attiré en Provence, y étaient devenus Poètes. On en voyait déjà parmi eux un grand nombre tant bons que méchants, et comme en Italie on a toujours eu beaucoup de disposition à être Saltimbanque, il y eut bientôt plusieurs Poètes qui prirent le parti de monter sur des Théâtres. Les moins polis se distinguèrent par le choix de quelques sujets de piété, et tels furent ces Pèlerins que Monsieur Despréaux a dépeint dans le troisième chant de l’Art Poétique.
Chez nos dévots aïeux le Théâtre abhorréFut longtemps dans la France un plaisir ignoré,De Pèlerins, dit-on, une troupe grossière.En public à Paris y monta la première,Et sottement zélée en sa simplicité,Joua les Saints, la Vierge, et Dieu par piété.
Car dans un Arrêt du Parlement de Paris donné sous François I. en 1541. il est parlé de ces prétendues pièces de dévotion comme d’un usage qui ne s’était introduit que depuis
deux ou trois ans280, et que le Parlement
ne pouvait tolérer. Il l’interdit en effet sous de grièves peines par le même Arrêt dont quelques-uns des motifs, sont 1° que pour réjouir le peuple, « on mêle ordinairement à ces sortes de Jeux, des Farces ou Comédies dérisoires, qui sont choses défendues par les Saints Canons. 2°. Que les Auteurs de ces Pièces jouant pour le gain, ils devaient passer pour Histrions, Joculateurs, ou Bateleurs. 3° Que les
assemblées de ces Jeux donnaient lieu à des parties ou des
assignations d’adultère et de fornication. 4°. Que cela fait dépenser de l’argent mal-à-propos aux Bourgeois et aux Artisans de la Ville.
»
qu’ils les faisaient jouer de temps immémorial, et par des privilèges confirmés par les Rois de France, à l’édification du commun populaire sans offense générale ou particulière». Ce ne fut qu’en 1545. que leurs Jeux cessèrent, le Parlement ayant converti en logement pour les pauvres la Salle de la Passion. Trois ans après ils achetèrent une nouvelle Salle, et demandèrent que suivant lesdits privilèges, il leur fût permis de continuer la représentation desdits Mystères, «
du profit desquels, disent-ils, était entretenu le Service Divin en la Chapelle de ladite Confrérie, avec défenses à tous autres de jouer à l’avenir tant en la Ville que Faubourgs et Banlieue de cette Ville, sinon que ce fût sous le titre de ladite Confrérie». Voici les termes de l’Arrêt : «
La Cour a inhibé et défendu, inhibe et défend auxdits Suppliants de jouer le Mystère de la Passion de Notre Sauveur, ne autres Mystères sacrés, sur peine d’amende arbitraire, leur permettant néanmoins de pouvoir jouer autres Mystères profanes, honnêtes et licites, sans offenser et injurier aucunes personnes, et défend ladite Cour de jouer ou représenter dorénavant aucuns Jeux ou Mystères, tant en la Ville et Faubourgs que Banlieue de Paris, sinon que sous le nom de ladite Confrérie et au profit d’icelle.»
quatre, cinq et six sols, somme excessive et non accoutumée d’être levée en tel cas, qui est espèce d’exaction sur le pauvre peuple». La Cour leur défendit de jouer à l’avenir des Farces sans permission, sous peine de prison et punition corporelle, et à tous les manants et habitants de Paris et des Faubourgs de quelque état et qualité qu’ils fussent, d’assister à ces Jeux, sous peine de dix livres parisis, ladite amende applicable au Roi. Lesdits Joueurs et Farceurs furent condamnés à porter leur Registre de recette des deniers par eux exigés au Substitut du Procureur Général au Châtelet, pour être sur ses Conclusions, ordonné par la Cour ce qu’elle jugerait à propos. Le Prévôt de Paris, son Lieutenant Criminel, et le Substitut du Procureur Général au Châtelet furent mandés à ce sujet, et chargés de faire publier à son de trompe le présent Arrêt dans la huitaine, «
sur peine, dit l’Arrêt, de s’en prendre à eux, en cas de défaut».
qu’il ne pensait avoir failli ayant donné telle permission, suivant le Mandement du Roi, porté par ses Lettres Patentes et Lettres clauses signées de sa main et de l’un de ses secrétaires d’Etat, et encore que cesdites Lettres Patentes ne soient scellées ; ladite Chambre a fait et fait inhibitions et défenses audit Prévôt de Paris de donner plus telles permissions, ni faire ou ordonner autre acte en sa maison ni ailleurs pour le fait de la Justice et Police, sans au préalable en avoir communiqué au Lieutenant Civil ou Criminel, Conseillers, Magistrats, Avocats et Procureur du Roi audit Châtelet, et pris leur avis en Conseil, lui étant audit Châtelet.»
les portes de leurs jeux, sinon après les Vêpres dites». Ces Confrères représentèrent au Parlement, que cette ordonnance rendait leurs Privilèges illusoires et sans effet, «
parce que leur serait impossible, étant les jours courts vaquer à leursdits jeux, pour « les préparatifs desquels ils auraient fait une infinité de frais». Ils disent dans cette Requête, qu’ils payaient cent écus de rente à la recette du Roi pour le logis, et trois cents livres tournois de rente aux enfants de la Trinité, tant pour le Service divin, que pour l’entretien des Pauvres. Ils demandèrent qu’il leur fût permis «
d’ouvrir les portes de leurs Jeux pour les allants et venants en la manière accoutumée, à la charge toutefois qu’ils ne commenceront leurs jeux qu’à trois heures sonnées, à laquelle heure les Vêpres avaient accoutumé d’être dites». Le Parlement leur accorda ce qu’ils demandaient, mais à condition qu’ils répondraient des scandales qui pourraient arriver. Cet Arrêt fut confirmé par un autre rendu le 20 Septembre 1577.
V. Commencement des Tragédies et des Comédies réglées en France, et ce que l’Eglise et le Parlement firent à cette occasion.
Cependant dès l’an 1551. sous Henri II. les Poètes Français avaient commencé à faire des Tragédies et des Comédies, et Jodelle fut le premier qui en fit représenter, comme nous l’apprend Ronsard dans les Vers que Pasquier a cité au 7. Livre de ses Recherches. chap. 7.
« Après amour la France abandonna,Et lors Jodelle heureusement sonna,D’une voix humble et d’une voix hardie,La Comédie avec la Tragédie,Et d’un ton double ore bas, ore haut,Remplit premier le Français Echafaut. »
Garnier et quelques autres Poètes qui parurent au même temps que Jodelle, ne donnèrent presque que des Tragédies, la plupart tirées de Sophocle et d’Euripide, et c’est ce qu’a dit aussi le même Ronsard en des Vers un peu meilleurs que les précédents.
« Le vieil Cothurne d’EuripideEst en procès avec Garnier,Et Jodelle qui le premierSe vante d’en être le guide.Il faut que ce procès on vide,Et qu’on adjuge le Laurier,A qui mieux d’un docte GosierA bu de l’onde Aganippide.S’il faut éplucher de prèsLe vieil artifice des Grecs,Les vertus d’un œuvre et les vices,Le sujet et le parler haut,Et les mots bien choisis ; il fautQue Garnier paie les Epices. »
Le luxe, dit Mézeray , qui cherchait partout des divertissements, appela du fond de l’Italie, une bande de Comédiens dont les pièces toutes d’intrigues, d’amourettes et d’inventions agréables, pour exciter et chatouiller les plus douces passions, étaient de pernicieuses leçons d’impudicité. Ils obtinrent des Lettres Patentes pour leur établissement, comme si ç’eût été quelque célèbre Compagnie. Le Parlement les rebuta comme personnes que les bonnes mœurs, les saints Canons, les Pères de l’Eglise, et nos Rois mêmes avaient toujours réputés infâmes, et leur défendit de jouer, ni de plus obtenir de semblables Lettres ; et néanmoins dès que la Cour fut de retour de Poitiers, le Roi voulut qu’ils rouvrissent leur Théâtre.»
Cela n’empêcha pas que l’Eglise ne condamnât tous ces Comédiens, et que plusieurs ◀Conciles▶ ne fulminassent contre tous les Spectacles.
VI. Sentiment des ◀Conciles▶ et des Evêques, principalement des Evêques de France, sur les Spectacles.
Pour ne pas interrompre le fil de l’Histoire, nous avons réservé jusqu’à présent les monuments Ecclésiastiques concernant le Théâtre, depuis le douzième siècle jusqu’au dix-septième. Nous allons choisir les textes les plus décisifs, soit des ◀Conciles▶ généraux, Provinciaux et Diocésains, soit des Rituels. On verra par là combien l’Eglise a toujours été éloignée d’autoriser les Spectacles.
Personas turpes vel inhonestas, vel Histriones vel Joculatores.»
Il paraît qu’il y avait aussi en Angleterre des Bateleurs, puisqu’un Synode de Wigornie assemblé en 1240. défend aux Ecclésiastiques d’assister aux danses et aux autres jeux déshonnêtes. « Prohibemus Clericis ne intersint ludis inhonestis vel choreis.
»
Un ◀Concile▶ tenu à Bude en Hongrie l’an 1279. nous apprend qu’il y avoir des Comédiens en ce Pays. On y défend aux Clercs de fréquenter les Bouffons, les Histrions et les Jongleurs : « Mimis, Histrionibus et Joculatoribus non intendant.
» La même défense est répétée en mêmes termes
par les ◀Conciles▶ de Cologne assemblé en 1280. de Nîmes de l’an 1284. de Bayeux en 1300. et de Nicosie en 1353.
Il s’était introduit en Italie un désordre qui était devenu commun. Les nouveaux mariés envoyaient aux Clercs des troupes de Jongleurs et d’Histrions, et les obligeaient de leur faire des présents. Le premier ◀Concile▶ de Ravenne tenu en 1286. ordonne aux Clercs de ne pas recevoir à l’avenir ces Bateleurs, et de leur refuser de quoi manger, quoiqu’ils ne fassent que passer ; il condamne celui qui n’obéira pas à ce Décret, à restituer à l’Eglise dont il tient un Bénéfice, le double de ce qu’il aurait donné à un Jongleur, ou à un Histrion, et veut qu’on le distribue aux Pauvres.
Les Spectacles continuaient toujours en Angleterre. Le ◀Concile▶ d’Exeter tenu en 1287. ordonna aux Curés de ne point souffrir dans les Cimetières l’exercice de la Lutte, des danses ou autres jeux déshonnêtes, surtout les veilles ou les Fêtes des Saints. Voici la raison qu’il en donne ;
c’est que les Ministres du Seigneur détestent les jeux de Théâtre et les autres Spectacles comiques, qui profanent la sainteté des Eglises. « Cum hujusmodi ludos Theatrales et ludibriorum spectacula introductos per quos Ecclesiarum coinquinatur honestas, sacri ordines detestantur.
»
Les Clercs se mêlaient quelquefois de faire eux-mêmes les bouffons et les bateleurs. Un ◀Concile▶ tenu à Salzburg en 1310. leur défend de faire cet indigne métier. « Ne sint joculatores seu galiardi.
» Nous verrons la même Ordonnance renouvelée par plusieurs autres ◀Conciles▶.
Dans plusieurs Villes et Villages de la Province Ecclésiastique de Reims ; les Jongleurs et les Histrions faisaient des Processions, portant des cierges, que le peuple adorait, les regardant comme quelque chose de sacré. Un ◀Concile▶ de Noyon tenu en 1344. enjoint aux Ordinaires des lieux, de punir d’une manière exemplaire ces Histrions et leurs protecteurs, et de faire cesser cette idolâtrie. « Injungentes locorum Ordinariis, quatenùs dictos histriones et eorum
fautores taliter puniant et compellant, ut desistant ab idololatriis supradictis et eisdem similibus, quod cedat ceteris in exemplum
. »
Le Saint Concile de Bâle, dont l’autorité est si grande en France, dans la Sess. xx. en l’an 1435. se plaint que dans quelques Eglises, pendant certaines Fêtes, on voyait des gens en habits Pontificaux, avec une crosse et une mitre, donner la bénédiction comme les Evêques ; que d’autres s’habillaient en Rois ou en Ducs, ce qu’on appelle dans quelques endroits, la Fête des fous, des innocents ou des enfants, et que quelques-uns représentaient des jeux de Théâtres, faisaient des mascarades et des danses d’hommes et de femmes. Le ◀saint Concile▶ après avoir exprimé l’horreur qu’il a pour toutes ces extravagances, ordonne aux Evêques, aux Doyens et aux Curés, sous peine de suspense et de privation de leurs revenus Ecclésiastiques pendant trois mois, de ne pas permettre à l’avenir de semblables bouffonneries. « Hæc, sancta Synodus detestans statuit et jubet tam ordinariis quàm Ecclesiarum Decanis
et Rectoribus, sub pœna suspensionis, omnium proventuum Ecclesiasticorum trium mensium spatio, ne hæc aut similia ludibria exerceri amplius permittant.
» Le ◀Concile▶ de Tolède tenu en 1565. fait la même défense. Nous observerons en passant que c’était principalement le jour de la Fête des Saints Innocents qu’on créait ces faux Evêques. Un ◀Concile▶ de la Province de Bordeaux tenu dans un endroit nommé Copriniacum, en 1215. et non pas en 1260. comme le veut le P. Hardouin, avait défendu sous peine d’excommunication, les danses qui se faisaient ce jour-là, aussi bien que cette burlesque création d’Evêques. « Prædictas balleationes ulteriùs sub intimatione Anathematis fieri prohibemus : nec non et Episcopos in prædicto festo creari.
» Avec quelle force ces ◀Conciles▶ se seraient-ils élevés contre de comiques Processions semblables à celle qu’on fait tous les ans à Aix le jour de la Fête-Dieu ; où les Mystères de l’Ancien et du Nouveau Testament sont déshonorés par des farces et des représentations indécentes ?
Il paraît par un ◀Concile▶ de Sens
de l’an 1486. que ces danses et ces représentations comiques se faisaient dans les Eglises et autres lieux sacrés. Ce ◀Concile▶ en les défendant, renouvelle le Décret du ◀Concile▶ œcuménique de Bâle. Un Synode Diocésain de Sens assemblé en 1524. sous Etienne de Ponchier Archevêque de cette Ville, après avoir rappelé l’autorité de ce même ◀Concile▶ général, défend aux Clercs les Mascarades, les jeux de Théâtre, les danses et les autres bouffonneries ; il leur défend encore de se trouver aux Assemblées où l’on chante des chansons galantes et déshonnêtes, et où l’on fait des danses obscènes, de peur que les Clercs consacrés aux saints Mystères, ne soient souillés par ces infâmes discours, et par ces Spectacles. Ces mêmes Ordonnances Synodales furent publiées en 1554. par le Cardinal de Bourbon. Et pour réunir ici tout ce qui s’est fait à ce sujet dans la Province Ecclésiastique de Sens, un ◀Concile▶ de l’an 1528. ordonne de ne point laisser entrer dans l’Eglise les Histrions ou les bouffons pour y jouer des instruments, et d’empêcher qu’ils ne jouent
dans le voisinage. Il défend encore de célébrer la Fête des Fous ou des Innocents. Le même ◀Concile▶ ordonne aux Clercs de ne pas monter sur les Théâtres, de ne point jouer des Comédies, qui étaient alors en langue vulgaire. En un mot, il ne veut point qu’ils représentent des rôles ni en public ni en particulier. « Clerici non in scenam velut Histriones prodeant, non Comœdias vernaculas agant ; non spectaculum corporis sui faciant in publico privatove loco.
»
Ce goût pour les Spectacles se manifestait en différentes manières. C’est ainsi que nous voyons dès l’an 1448. l’établissement du Charivari. Le peuple ainsi qu’on le pratique encore en quelques Provinces, allait aux portes de ceux qui se mariaient pour la seconde ou troisième fois, et faisait des insultes et un grand vacarme. Un ◀Concile▶ de la Province de Tours tenu en 1448. défend ces Spectacles sous peine d’excommunication.
Un ◀Concile▶ de Paris assemblé en 1515. avait servi d’exemple à celui de Sens de l’an 1528. pour défendre aux Clercs d’assister aux jeux de
Théâtre, et de faire le métier de Comédien, de Bouffon, de Jongleur, etc. « Clerici, Mimi, Joculatores, Histriones, Galiardi et Bufones non existant.
» Je rapporte les expressions de ce ◀Concile▶, afin qu’on connaisse le caractère des spectacles usités dans ce siècle.
Dans un Manuel du Diocèse de Senlis imprimé à Paris en 1525. on trouve une espèce d’examen de conscience sur les sept péchés mortels. Le rire immodéré est compté parmi la première espèce de gourmandise, lorsqu’au sortir de table, on va aux spectacles qui portent à un rire insensé et illicite. « Risus immoderatus est prima species gulæ, quando saturati de mensa evadunt ad spectacula per quæ moventur ad stultas et illicitas risiones.
» La bouffonnerie est regardée comme la quatrième espèce de gourmandise. Lorsque, dit-on, un bouffon ou un jongleur récite des paroles folâtres ou obscènes. « Scurrilitas quarta species gulæ est, quando scurra vel joculator dicit verba jocosa aut immunda.
»
Quamobrem cupimus hisce diebus vitari.... choræas plenas insaniis, colloquia prava, cantilenas turpes.»
Dans un Synode Diocésain de Chartres de l’an 1538. il est défendu aux Prêtres, et surtout aux Curés, de faire le métier d’Histrion et de Jongleur, non histriones, non joculatores. Un ◀Concile▶ de Cambrai tenu en 1550. ordonne la même chose. Le Synode de Chartres défend encore les mascarades qui se faisaient le jour de saint Nicolas, des SS. Innocents, et en quelque autre jour que ce soit. Il ordonne aux Curés et à leurs Vicaires, de citer devant l’Evêque ou devant l’Official, ceux qui les jours des Fêtes représenteront des jeux ou y assisteront.
Les ◀Conciles▶ avaient beau s’élever contre l’usage de faire des danses et de représenter des jeux dans les Eglises, ce désordre régnait toujours. Pour l’abolir, on ordonne dans la Province Ecclésiastique de Tarragone, de faire cesser le Service Divin, lorsque ces folies se feraient. On trouve ces ordonnances en langue du Pays dans un Ordinaire ou Rituel de l’Eglise d’Urgel, imprimé en 1548. Voici l’endroit qui regarde les Spectacles. « Item amonestan que negun chrestia clegue ni lech noguos ballar, ne far nigun joch desonest dins la Eglesia ni en lloch sagrat sots pena de vet.
»
Dans les Statuts synodaux du Diocèse de Rennes, publiés en la même Ville l’an 1552. l’on diminue le nombre des Fêtes, parce que les Fidèles en profanaient la sainteté en assistant aux jeux de Théâtre. On y défend aux Prêtres et surtout aux Curés de se trouver aux danses, d’entendre des chansons obscènes et galantes.
On apprend par les Statuts Synodaux du Diocèse de Beauvais publiés en 1554. que lorsque les Prêtres disaient leur première Messe, on faisait venir des Bouffons, des Histrions, des joueurs d’instruments et différents autres Farceurs ; ce désordre est sévèrement défendu, aussi bien que les danses et les représentations des spectacles dans les Eglises et les Cimetières. La même défense se trouve dans les Statuts Synodaux du Diocèse de Soissons, imprimés en cette Ville en 1561. Les danses se faisaient quelquefois devant l’Eglise, et on ne s’élevait pas moins fortement dans ces temps contre cet usage, ainsi qu’on le voit dans un Sacerdotal de l’Eglise de Venise de l’an 1555. Cependant on le tolère honteusement dans quelques Paroisses de la Campagne.
Un autre abus aussi pernicieux, condamné dans un Synode de Paris tenu en 1557. par Eustache du Bellay ; c’est que les jours de Fêtes de certaines Confréries, on allait avec des images attachées sur des bâtons, aux maisons de Laïques ; ces burlesques Processions étaient composées de
Prêtres, de femmes et de bouffons ; le Synode les défend sous peine d’excommunication et d’une amende arbitraire, ordonnant aux Clercs de ne prendre aucune part à ces folies. « Insuper baculorum cum imaginibus conductum ad domos laïcorum, cum turba sacerdotum, mulierum et mimorum districtè sub pœnâ excommunicationis et emendæ arbitrariæ inhibemus et præcipuè Clericis, ne talibus sese immisceant, aut assensum quovis modo præstent.
» Il veut qu’on ne fasse pendant les Fêtes ni jeux, ni danses, ni rien de ce qui peut offenser la Majesté Divine. Les Statuts Synodaux du Diocèse de Soissons que nous venons de citer, défendent en particulier aux Ecclésiastiques de ne point se trouver aux spectacles des Mimes, des Jongleurs et des Histrions. « Ad spectacula Mimorum, Joculatorum et Histrionum non eant.
» Les chansons profanes leur sont aussi interdites, aussi bien que le métier de Farceur. « Cantilenas popularium more non canant, non agant facetias.
»
S. Charles de son côté travailla de tout son pouvoir à faire cesser les spectacles dans son Diocèse. Dès le premier ◀Concile▶ Provincial, il fit ordonner que les Ecclésiastiques n’assisteraient jamais aux Jeux de Théâtre290 ; qu’on ne les souffrirait point les jours de Fêtes291 ; et qu’on exhorterait les Princes et les Magistrats à chasser de leurs Etats toutes sortes de Bateleurs et de Comédiens292.
lorsqu’il ne se trouvait point dans l’action ni dans la conduite de la pièce chose qui pût nuire à l’innocence de la jeunesse, ni scandaliser les Spectateurs Chrétiens.» Ce fait ne s’accorde pas avec le récit de l’Auteur de sa vie qui assure que les Comédiens aimèrent mieux quitter Milan que d’observer les lois prescrites par le Saint Cardinal. Quoiqu’il en soit, il faudrait voir quelqu’un de ces Canevas signés de la main de Saint Charles, pour juger précisément jusqu’où il portait la tolérance ; mais l’Auteur n’en rapporte aucun. Il assure avoir vu dans sa jeunesse une vieille Comédienne appelée sur le Théâtre Lavinia, qui dans la succession de son père avait trouvé un grand nombre de ces canevas, signés de la main de Saint Charles. Il cite un autre témoin du même fait, c’est Agatha Calderoni sa belle-mère : enfin il nous apprend qu’on trouve cités deux de ces canevas dans le Catalogue des Livres du Chanoine Settala à Milan ; que les originaux ne se trouvent plus, et qu’il y a un Manuscrit dans la Bibliothèque Ambrosienne, où il est dit «
que Saint Charles Borromée avait obtenu du Gouvernement, que les canevas des Comédies avant d’être représentées, seraient examinés par le Prévôt de Saint Barnabé». Le fait est donc encore incertain ; mais l’Auteur intéressé par sa profession à trouver la Comédie innocente, prétend que des allégations vagues suffisent pour compter Saint Charles au nombre des Apologistes du Théâtre Italien.
Dans le temps que Saint Charles signalait son zèle contre les spectacles dans l’Eglise de Milan, Dominique Bollanus Evêque de Brescia en Lombardie, qu’on appelait aussi le second Ambroise, défendait aux Clercs de ne point se trouver dans les lieux où sont les Bateleurs, les danseurs, les Comédiens et les bouffons. Voici comme il s’exprime dans les Actes de l’Eglise de Brescia publiés en 1573. et imprimés à Venise en 1608. « Circulatorum atque id genus vilium hominum spectatores ne sint.... Loca ubi choreæ ducuntur, Comœdia aguntur, mimi, histriones, et id genus alia adhibentur, evitent omnino.
»
Réunissons ici les autorités de quelques ◀Conciles▶ modernes d’Italie touchant les spectacles, pour soulager l’attention des Lecteurs. Le Synode de Camerino dans l’Ombrie tenu en 1630. défend de laisser dresser des Théâtres aux Charlatans et à tous ces hommes qui par de vains et ridicules spectacles et par des Discours frivoles, détournent le peuple des
bonnes œuvres. Le Synode de Polycastro de l’an 1655. défend pendant les jours des Fêtes les Comédies, les farces des Histrions, et les sauts périlleux des Charlatans. « Comœdias, farsas, histrionum, vel circulatorum saltus omnino talibus diebus prohibemus.
»
Le Synode Diocésain de l’illustre Eglise de Sublac assemblé en 1674. par le Cardinal Charles Barberini, ordonne qu’on ne permette pas pendant les Fêtes les folies et les jeux des Charlatans, soit devant les Eglises, soit ailleurs. Un autre Synode Diocésain tenu à Boulogne en 1698. par le Cardinal Jacques de Boncompagno, fait à peu près la même défense.
Il faut cependant avouer qu’il y a eu des ◀Conciles▶ modernes en Italie, où sans vouloir abolir les Jeux de Théâtre, on a voulu seulement les purger de toute profanation. C’est ainsi que le Cardinal de Montalte Archevêque de Mont-Réal dans un Synode Diocésain tenu en 1652. ordonne qu’aucun bouffon, aucun histrion, même aucun Académicien, ne puissent déclamer en public ou en particulier aucune pièce, sans avoir été
auparavant revue et approuvée par lui ou par son Vicaire Général... mais il défend les représentations des Histoires pieuses ou tirées des Livres saints, parce qu’il avait reconnu par expérience, les maux que produisaient ces sortes de Pièces. « Nullus ex Mimis, Histrionibus, vel etiam Academicis fabulosam ullam scriptionem recitare audeat vel publicè, vel privatim nisi à nobis, vel nostro Vicario Generali priùs et revisa fuerit et approbata... representationes etiam spiritualium et sacrarum Historiarum, quia multa, vidimus inde exorta incommda ; fieri prohibemus.
» Un autre Synode Diocésain d’Albano tenu en 1687. défend seulement de représenter sans la permission de l’Evêque, les actions des Saints, sur les Théâtres publics ou dans les Places : mais le même Synode condamne les spectacles publics des Histrions, et les représentations ridicules, pendant l’Avent et le Carême. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le remède qu’on oppose à un si grand mal, est bien faible, et que les Poètes et les Comédiens ne consentiraient jamais à jouer les pièces de
Théâtre après que les Evêques les auraient examinées.
Les Evêques de France ne montraient pas moins de zèle contre les spectacles. M. Nicolas de Thou Evêque de Chartres dans son Livre intitulé Norma pie vivendi, et qui fut approuvé dans un Synode tenu à Chartres en 1575. ne veut point qu’on entende dans les Eglises des Airs lascifs, efféminés et tels qu’on chante sur le Théâtre ; il défend encore les chansons déshonnêtes et tout ce qui profane la sainteté du Dimanche. « Turpes cantilenæ et quæcumque Sabbathum indigne contaminant, districte prohibeantur
» ; il ordonne sous peine d’excommunication, qu’on ne danse, ni qu’on chante rien de déshonnête dans les Cimetières.
L’Assemblée du Clergé de France tenue à Melun en 1579. dans le Règlement qu’elle fit sur l’observance des Fêtes ; défendit toutes sortes de spectacles comiques, et renouvela l’ordonnance des anciens ◀Conciles▶, de ne point jouer des Comédies, ni de danser dans les Cimetières. Elle interdit encore aux Clercs la profession
du Théâtre ; ce qui fait voir que cette coutume durait encore. « Non Theatricam profiteantur Clerici, hoc est non histriones agant.
» Cette assemblée envoya dans les Provinces ses Règlements imprimés.
Un ◀Concile▶ de Bourges de l’an 1584. défend expressément au peuple de faire des mascarades, et de représenter des Jeux de Théâtre. « Prohibetur populus. . . . larvas et theatrales ludos diebus festis exercere.
» On voit le même Règlement fait par un ◀Concile▶ d’Avignon assemblé en 1594.
Nous avons cité dans le premier discours le texte du ◀Concile▶ Provincial de Reims de 1583. celui de Tours tenu en 1585. défend sous peine d’excommunication, les Comédies, les jeux scéniques et de Théâtre, et tous les autres spectacles irréligieux. Il ordonne à tous les Curés de déférer à l’Evêque, ceux qui n’obéiront pas à ce Décret, afin que par son ordre ils soient publiquement dénoncés excommuniés. « Comœdias, ludos, scœnicos vel Theatrales, sub anathematis pœna prohibet hæc Synodus. Præcipitque omnibus et singulis Parœciarum
Rectoribus qui huic decreto non paruerint, ut illius ordinatione nominatim excommunicati denuncientur et publicentur.
» Un ◀Concile▶ d’Aix tenu la même année, défend en particulier les Jeux comiques et les autres folies qui se faisaient le jour des SS. Innocents. « Cessent in die Sanctorum Innocentium, ludibria omnia et pueriles ac Theatrales lusus.
» La même défense avait été faite par un ◀Concile▶ de Rouen assemblé en 1581.
Dans les Statuts Synodaux d’Orléans publiés et recueillis en 1587. Par M. Germain Valens de la Guelle Evêque de cette Ville, il est défendu de laisser représenter des Comédies et des Spectacles dans les Cimetières. Dans le Chapitre de Confratriis, il veut qu’on ne souffre point d’Histrions, de Mimes et des Jeux : « In istis .... Histriones, Mimis, Ludi cessent.
» Ce Prélat ajoute qu’il avait résolu d’établir une certaine police sur l’usage de porter des bâtons. « Delationem autem baculorum temperare instituimus.
» Il s’agit apparemment ici de ces bâtons au bout desquels on attachait des Images qu’on portait aux
maisons des Laïques, abus déjà condamné par un Synode de Paris de l’an 1557. ainsi que nous l’avons déjà remarqué.
M. Siméon-Etienne de Popian, Evêque de Cahors, dans son Rituel imprimé à Cahors en 1604. sous ce titre : Ordo baptizandi et alia Sacramenta administrandi, signale son zèle contre les Comédiens ; voici comme il s’exprime dans l’article intitulé : Festa colenda : « C’est en imitant les Saints qu’ils célèbreront leurs Fêtes ; car les solennités des Saints et Martyrs, sont autant d’exhortations de leur sainte vie et martyre. Parquoi mandons et très expressément enjoignons à tous Prieurs, Recteurs, Curés, ou leurs Vicaires, chasser hors de l’Eglise (à laquelle comme maison de Dieu et d’oraison convient la sainteté) et des Porches et Cimetières, et autres lieux sacrés et circonvoisins, toutes sortes de tambours et joueurs d’instruments, farces et quelconques représentations par personnages masqués ou déguisés, danses, jeux, etc.
»
Le Rituel de l’Eglise de Metz imprimé en cette Ville en 1605 sous ce titre : Agenda Metensis. Défend de donner la Sépulture Ecclésiastique aux Histrions.
M. Godeau Evêque de Grasse et de Vence, Prélat comparable par son zèle et par son savoir aux Evêques des premiers siècles, défend sous peine d’excommunication dans ses Ordonnances et instructions synodales imprimées à Paris en 1644. d’élever devant la porte des Eglises des Théâtres pour des Charlatans et Bateleurs.
M. Félix de Vialard Evêque et Comte de Châlons-sur-Marne, dans le Rituel ou Manuel de son Eglise imprimé à Paris en 1649. ne veut pas qu’on admette pour Parrains les Bateleurs et les Comédiens ; c’est dans l’art. de Patrinis p. 12. « Ad hoc munus non admittat Circulatores, Comœdos.
» Et dans le chap. De Sacramento Eucharistiæ. p. 139. Après avoir dit qu’il faut admettre tous les Fidèles à la Sainte Communion, excepté ceux qui sont empêchés par une raison légitime, il ajoute qu’il faut repousser de la Sainte Table, ceux qui en sont publiquement indignes, tels que sont
les excommuniés, les interdits et les gens visiblement infâmes, comme les femmes publiques, les concubinaires et les Comédiens. « Arcendi sunt, publice indigni, quales sunt excommunicati, interdicti ; manifeste infames, ut meretrices, concubinarii, Comœdi.
»
M. François Malier Evêque de Troyes, dans le Rituel de son Eglise imprimé à Paris en 1660. dans l’article De Patrinis, défend d’admettre pour Parrains les Bateleurs et les Comédiens, « Porro ad hoc munus non admittat Circulatores, Comœdos.
» Ces termes sont copiés du Rituel de Chalons.
M. Pavillon Evêque d’Alet dans le Rituel Romain à l’usage du Diocèse d’Alet imprimé à Paris en 1677. ordonne de différer l’Absolution « à ceux qui fréquentent les Bals et les Comédies, où ils commettent ordinairement plusieurs péchés d’impureté, comme mauvais désirs, pensées sales, regards lascifs.
»
Dans le Rituel de Reims de M. Charles Maurice le Tellier Archevêque de cette Ville, imprimé à Paris en 1677. ordonne aux
Confesseurs « de d’accorder point l’absolution à ceux qui font une profession qu’on ne peut exercer sans péché, jusqu’à ce qu’ils aient renoncé à cette Profession : comme les Farceurs, et ceux qui servent à des plaisirs infâmes
». Le même Prélat veut qu’on refuse « d’enterrer en lieu saint les Pécheurs publics, les Farceurs, et généralement tous ceux qui font profession publique des choses défendues
».
M. le Cardinal le Camus Evêque de Grenoble, si célèbre par son éminente piété et par son rare savoir, recommande aux Prédicateurs dans ses Ordonnances Synodales, imprimées à Paris en 1690. de s’élever contre les Spectacles. Voici l’idée qu’il leur en donne. « Rien n’étant plus contraire, dit-il, p. 336. à l’esprit du Christianisme que les Bals et les Comédies, surtout dans les saints jours de Fêtes et de Dimanches et pendant le temps de l’Avent et du Carême ; et les Pères de l’Eglise ayant fait connaître dans leurs écrits, les périls et les suites funestes d’un divertissement si dangereux et si commun au siècle où nous
sommes ; les Prédicateurs et les Pasteurs n’oublieront rien pour détourner les Fidèles de ces sortes d’assemblées, que les Saints ont appelé autrefois les conventicules des démons et la source de toutes sortes de péchés.
»
M. de Clermont Tonnerre Evêque de Nyon, dans ses Statuts et Ordonnances Synodales de son Diocèse, imprimées en 1694. à S. Quentin, défend les spectacles à tous les Ecclésiastiques avec cette sorte d’éloquence qui lui était propre. Voici ses termes : « Tous les Chrétiens et principalement les Ecclésiastiques, étant obligés d’éviter les dangereuses représentations qui paraissent sur les Théâtres, puisqu’ils doivent être eux-mêmes, comme parle l’Apôtre, un spectacle d’étonnement au monde qu’ils condamnent, de joie aux Anges qu’ils imitent, et d’exemple aux hommes qu’ils instruisent ; Nous, dans l’esprit des ◀Conciles▶ de Laodicée, de Carthage, d’Afrique, d’Arles, de Constantinople troisième, de Sens, de Narbonne, de Bordeaux, de Trente et de Reims, avons fait et faisons très expresses inhibitions et
défenses à tous Chanoines, Curés, Vicaires et autres Ecclésiastiques de ce Diocèse, d’assister aux Comédies, Tragédies, spectacles publics, Mascarades et Jeux indécents, sous peine de suspense de leurs Ordres.
»
M. l’Evêque d’Arras (Guy de Sève de Rochechouart) s’est principalement distingué par son zèle à décrier la Comédie et les Comédiens. Il dit dans un Mandement publié le 4. Décembre 1695. « que l’Eglise a toujours regardé la Comédie avec abomination, qu’elle prive publiquement des Sacrements ceux qui exercent ce métier infâme et scandaleux, qu’elle n’oublie rien pour marquer en toutes rencontres son aversion pour cet état et pour l’inspirer à ses enfants, qu’il est impossible de justifier la Comédie sans vouloir condamner l’Eglise, les Saints Pères, les plus Saints Prélats.
» Il défend d’aller à la Comédie sous peine d’excommunication, et ordonne aux Confesseurs de traiter dans le Tribunal, conformément aux règles de l’Eglise, ceux qui contreviendront à cette ordonnance. En conséquence, il ordonne « aux
Pasteurs et aux Confesseurs de ne point recevoir aux Sacrements les Comédiens et les Comédiennes, si ce n’est qu’ils aient fait Pénitence de leur péché, donné des preuves d’amendement, renoncé à leur état et réparé par une satisfaction publique telle qu’il jugera à propos de leur donner, le scandale public qu’ils ont donné.
»
Trois ans après le même Prélat publia un Mandement au sujet des Tragédies qui se représentent dans les Collèges de son Diocèse. Il souhaite qu’on en abolisse la représentation. « Nous suivons avec plaisir, dit-il p. 5. sur le sujet de ces Tragédies, l’esprit et les sentiments d’une savante Compagnie, dont un des principaux emplois est l’instruction de la jeunesse ; qu’elles ne soient faites qu’en Latin, que l’usage en soit très rare ; que les intermèdes des Actes soient tous Latins et n’aient rien qui s’éloigne de la bienséance, et que l’on n’y introduise aucun personnage de femme, ni jamais l’habit de ce sexe.
» Cette savante Compagnie n’est autre que celle des Jésuites ; les Règles qu’on cite, sont
tirées de leurs Constitutions : Voici en quels termes elles sont conçues. « Tragœdiarum et Comœdiarum quas non nisi Latinas et rarissimas oportet, Argumentum sanctum sit ac pium, neque quicquam actibus interponatur quod non Latinum sit ac decorum, nec persona ulla muliebris vel habitus inducatur.
»
L’Université de Paris est surtout très jalouse de cette discipline, si digne des Maîtres Chrétiens. En 1647. M. Hermant Recteur de cette Université, de concert avec les Principaux des Collèges les plus célèbres, défendit de faire paraître des danses aux intermèdes des Tragédies, et ordonne de ne déclamer que des pièces honnêtes et conformes aux bonnes mœurs. « Visum est, dit ce Recteur dans son Mandement publié le 17. Janvier 1648. ab hoc ritu quem prava nonnullorum hominum imitatio invenit, prorsus abstinendum esse, et præter honestas ac morales fabulas, voce gestuque exhibendas, nihil omninò spectaculi permittere.
»
appuyé du crédit de quelques personnes pieuses à la Cour, mit tout en œuvre pour supprimer par degré tous les Théâtres publics, ou du moins pour les purger de toutes profanations.» C’est ce qu’on apprend dans un Imprimé publié la même année. Ses représentations ne furent pas inutiles. Les Gazettes de l’année 1697. portent que «
le Roi avait proscrit la Comédie Italienne ; parce que l’on n’y gardait plus les Règlements de Sa Majesté, que l’on y jouait encore des pièces trop licencieuses, et que l’on ne s’y était pas corrigé des obscénités et des gestes indécents.» Les mêmes Gazettes ajoutent que «
quelques personnes de la première qualité, Protecteurs de la Comédie Italienne, avaient agi auprès du Roi pour la révocation de son Arrêt contre elle ; mais que leurs démarches avaient été inutiles.»
Dans le Rituel d’Auch imprimé à Paris en 1701. il est ordonné de refuser la sépulture Ecclésiastique « à ceux qui connus pour pécheurs publics, meurent sans donner des preuves
d’une véritable pénitence, comme sont les Comédiens, Farceurs et autres de cette espèce.
»
M. de Chalucet Evêque de Toulon dans une Ordonnance publiée le 5. Mars 1702. représente l’Opéra comme « le Théâtre où le Démon étale avec plus de faste et le plus fin poison, ses pompes, ses vanités, ses plaisirs, les attraits de la concupiscence, en un mot les objets et les mouvements les plus propres et les plus puissants pour la corruption de l’âme et du cœur. Quelle part y doit donc prendre un Chrétien, dont toute l’étude ne doit être que de combattre ses passions et sa concupiscence, bien loin de chercher à les animer.
» Ce Prélat si recommandable par sa charité envers les Pauvres, et par son zèle pour la discipline de l’Eglise, défend aux Ecclésiastiques d’assister à l’Opéra et à la Comédie, sous peine de suspension de leurs Ordres et d’excommunication encourue par le seul fait. Il ordonne aux Confesseurs, sous peine de suspense, de différer l’absolution aux Fidèles, qui au mépris de son Mandement auront assisté à
ces spectacles, et de le consulter sur la Pénitence qu’il jugera propre pour la réparation du scandale qu’ils auront donné.
Mais rien n’est plus fort ni plus énergique, que ce que ce même Prélat dit à ce sujet dans ses Ordonnances Synodales imprimées à Toulon en 1704. « Tous les Chrétiens ensemble ne sont, dit-il, qu’un corps dont Jésus-Christ est le Chef et le S. Esprit l’âme; vouloir donc que les Comédies et les Opéra puissent être l’occupation des Chrétiens, c’est vouloir que Jésus-Christ s’y plaise, et que le S. Esprit les y conduise, ce qui est un blasphème dont personne ne peut être capable, quelque passion que l’on puisse avoir pour la Comédie et l’Opéra ? On ne sait que trop que ces lieux de spectacles sont les écoles du Démon, où il n’a pas moins de Sectateurs que de Spectateurs. Rien n’étant donc plus contraire, non seulement à l’esprit du Christianisme, mais à la profession et aux protestations solennelles que nous faisons au Baptême, de renoncer au Démon, à ses pompes, et à ses œuvres, Nous
exhortons tous les Fidèles que la Providence nous a confiés, de s’abstenir de ces faux et malheureux plaisirs du siècle, où quand on s’abuserait assez pour croire que l’on n’y fait aucun mal, on ne saurait se défendre de celui qu’y font les autres, et comme les complices des péchés, selon saint Paul, ceux qui consentent, et à plus forte raison, ceux qui y contribuent, ne méritent pas moins d’être punis, que les Auteurs. Nous enjoignons à tous Confesseurs de refuser l’absolution à ceux, qui après avoir été repris, ne voudraient pas cesser de fréquenter la Comédie et l’Opéra. Et nous défendons à tous Prêtres, Bénéficiers et Ecclésiastiques de ce Diocèse ou y résidant, d’assister aux Bals, Opéra ou Comédies à peine d’excommunication encourue ipso facto.
»
En 1708. M. Fléchier Evêque de Nîmes publia un Mandement contre les spectacles, où il déploya toute la force de son éloquence : comme cette pièce est courte et digne d’être conservée, nous avons cru devoir l’imprimer à la fin de cet ouvrage, pour ne pas trop interrompre le fil du Discours.
Les Momeries et Bateleries ne seront point souffertes, ni faire le Roi boit, ni le Mardi-gras : semblablement les joueurs de passe-passe, tours de Souplesse et Marionnettes. Et les Magistrats Chrétiens exhortés, ne les souffrir, d’autant que cela entretient la curiosité, et apporte de la dépense et perte de temps. Ne sera aussi loisible aux Fidèles d’assister aux Comédies, Tragédies, Farces, Moralités, et autres Jeux joués en public ou en particulier, vu que de tout temps cela a été défendu entre les Chrétiens, comme apportant corruption des bonnes mœurs.»
Le 6 Octobre 1584. ouï le Procureur Général en ses Conclusions et Remontrances, la matière mise en délibération, a été arrêté et ordonné, que présentement tous les Huissiers se transporteront au logis des Comédiens et du Concierge de l’Hôtel de Cluny près les Mathurins ; auxquels seront faites défenses par Ordonnance de la Chambre des Vacations de jouer leur Comédie, ne faire assemblée en quelque lieu que ce soit ; et audit Concierge de Cluny les y recevoir à peine de mille écus d’amende. Et à l’instant a été enjoint à l’Huissier de Paris aller faire ladite signification et défense.»
Quatre ans après, sous Henry III. il était venu en France des Comédiens de plusieurs endroits, le Parlement donna un Arrêt le 10. Décembre 1588. par lequel la Cour « fit inhibitions et défenses à tous Comédiens, tant Italiens que Français, de jouer Comédies, soit aux jours de fêtes ou ouvrables, et autres semblables, jouer et faire tours et subtilités à peine
d’amende arbitraire et punition corporelle, s’il y échet, quelques permissions qu’ils aient impétrées ou obtenues.
»
VII. Le Cardinal de Richelieu crut pouvoir purger le Théâtre, mais inutilement.
Il paraît que le Parlement a toujours gardé la même sévérité à l’égard des Comédiens, jusqu’à ce que le Cardinal de Richelieu, passionné pour la Poésie, eût fait espérer qu’on verrait des Comédies, où il n’y aurait rien qui ne fût dans la bienséance. Par son ordre, Desmarets, Corneille, et Colletet composèrent quelques pièces assez honnêtes, et en 1641. il fit enregistrer au Parlement une Déclaration du Roi par laquelle après avoir renouvelé les peines ordinaires contre les Comédiens, « qui usèrent d’aucunes paroles lascives ou a double entente, qui puisse blesser l’honnêteté publique
», il est dit, « qu’au cas qu’ils observent ces conditions, ils ne seront pas à l’avenir notés d’infamie
».
qu’ils étaient manifestement infâmes et qu’ils ne pouvaient être admis à la Communion.»
1°. La créance commune, que d’y assister, c’est pécher contre les règles du Christianisme. 2°. l’infamie dont les lois ont noté ceux qui font la profession de Comédiens publics. » Il voudrait que «
Sa Majesté levât la note d’infamie décernée contre eux par les Ordonnances et Arrêts, avec défenses néanmoins de rien dire ni faire sur le Théâtre contre les bonnes mœurs.»
« que la Comédie est retombée dans la vieille corruption, et que l’on y mêle bien des choses contraires au sentiment de la piété et aux bonnes mœurs.»
Molière montait alors sur le Théâtre, et on sait bien qu’il n’a pas travaillé à le purifier. Ses défenseurs diront tant qu’il leur plaira, qu’ils trouvent des règles d’une Morale exacte dans ses ouvrages. Je doute fort que ce soit là ce qu’ils y cherchent. Ce qui est constant, c’est que sa mort est une Morale terrible pour tous ses Confrères, et pour tous ceux qui ne cherchent qu’à rire. Un peu de terre obtenue par prière, c’est tout ce qu’il eut de l’Eglise, encore fallut-il bien protester qu’il avait donné des marques de repentir. Rosimond étant mort subitement en 1691. fut enterré sans Clergé, sans luminaire et sans aucune prière dans un endroit du Cimetière de S. Sulpice, où l’on met les enfants morts sans Baptême. Ajoutez à cela l’exactitude de Messieurs les Curés de Paris, qui ne donnent les Sacrements aux Comédiens malades qu’après une déclaration publique, qu’ils ne monteront plus sur le Théâtre. C’est ainsi qu’en usa autrefois M. Marlin Curé de S. Eustache envers Floridor fameux Comédien, qui fut fidèle à garder sa parole après avoir recouvré la Santé. Tout cela, nous fait voir de quelle manière on regarde en France les Comédiens304. On tolère les Comédies pour éviter pis, mais on note d’infamie ceux qui montent sur le Théâtre, et on ne cesse de prêcher et d’écrire pour détourner les Fidèles de ces sortes de divertissements.
VIII. Des Auteurs de ce siècle, qui ont traité la question des divertissements comiques, principalement de S. François de Sales.
Or c’est ce qu’a observé S. François de Sales dans la première et la troisième partie de l’Introduction à la vie dévote. « Les Jeux, dit-il, les Bals, les Festins, les Pompes, les Comédies en leur substance ne sont nullement choses mauvaises, ains indifférentes, pouvant être bien ou mal exercées, toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses, et de s’y affectionner cela est encore plus dangereux.
Les petits enfants affectionnent, et s’échauffent après les Papillons, nul ne le trouve mauvais, parce qu’ils sont enfants. Mais n’est-ce pas une chose ridicule, ains plutôt lamentable, de voir des hommes faits s’empresser et s’affectionner après des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j’ai nommées, lesquelles outre leur inutilité nous
mettent en péril de nous dérégler, et désordonner à leur poursuite ? »
« O Philothée,
reprend-il à la troisième partie
, ces impertinentes récréations sont ordinairement dangereuses ; elles dissipent l’esprit de dévotion, alanguissent les forces, refroidissent la charité, et réveillent en l’âme mille sortes de mauvaises affections.
»
Un Chrétien ne peut donc aimer ces récréations que le saint Prélat appelle impertinentes, et qui est-ce qui voudra les rechercher sans les aimer ? Il pourra pourtant arriver qu’une fille pour obéir à sa mère, et une femme pour complaire à son mari, sera contrainte d’aller au bal ou à la Comédie ; et voici pour lors ce que le saint Prélat leur prescrit : « Je dis des danses, ce que les Médecins disent des Potirons et des Champignons, les meilleurs n’en valent rien... Si néanmoins par quelque occasion, de laquelle vous ne puissiez vous bien excuser, il faut aller au bal, prenez garde que votre danse soit bien apprêtée, c’est à-dire, qu’elle soit accompagnée de modestie, de dignité, et de bonne intention... Mais surtout en sortant de ces lieux
pour empêcher les mauvais effets du vain plaisir qu’on aurait pu prendre, il faut considérer qu’en même temps que vous étiez au bal, plusieurs âmes brûlaient au feu d’enfer pour les péchés commis à la danse, que Notre Seigneur, Notre-Dame, les Anges, et les Saints vous ont vu au bal. Ah que vous leur avez fait grand pitié, voyant votre cœur amusé à une si grande niaiserie, et attentif à cette fadaise, etc.
»
Serait-il possible qu’on ne vît pas, que selon S. François de Sales, c’est un mal d’aimer les Bals et la Comédie, qu’il faut les éviter autant qu’il est possible, et que s’il arrivait qu’on ne pût se dispenser de s’y trouver, regardant ces lieux comme des endroits contagieux, il faudrait se précautionner par des contrepoisons avant que d’y entrer, et après en être sorti.
Plût à Dieu que tout le monde entrât dans les maximes de ce saint Evêque ; nous verrions bientôt cesser les Bals et la Comédie.
Concluons-donc, Messieurs, que S. François de Sales aussi bien que S. Thomas sont bien éloignés de les autoriser. Tant qu’on ne considérera les Comédies qu’en leur substance, personne ne peut douter qu’elles ne soient indifférentes. Certainement ni le Théâtre, ni des hommes, ni des femmes, ni des vers récités, ou déclamés ne sont point des choses mauvaises par elles-mêmes. Mais toutes ces choses jointes aux circonstances qui accompagnent les représentations des Comédiens, forment des spectacles défendus par l’Ecriture, par les Pères, les ◀Conciles▶, et les Scholastiques, comme nous venons de le voir ; et s’il était nécessaire d’y joindre les derniers Casuistes qui ne passent pas pour les plus sévères, on serait peut-être surpris de voir qu’Escobar porte l’horreur qu’il a des Comédies jusqu’à ne point approuver qu’on en souffre dans un Etat.
IX. Sentiments de Casuistes et Canonistes Espagnols.
Plural etiam congerunt, dit-il, de hac nefaria arte Mariana de spectac. cap. 12. cum seq. Bulenger. lib. 1. de circo cap. 52. Calatajuà. in Paradox. cap. 12. Amaya de lege unic. C. de venat. ferarum. P. Fab. L. 2. Sem. c. 12. Demster ad Rosin. L. 5. et 6. Lantmet. L. 2. de vet. monum. c. 82. Cabreros de met. L. 2. c. 8. Ossuald. Ad Donal. L. 18. c. 7. Lit. A. Mendoza quæst. 9. quodlibet.»
Combien de personnes fort chastes, dit-il, qui y sentent exciter des passions, dont elles ne s’apercevaient pas auparavant, et qui par là donnent insensiblement accès au dérèglement. Est-il quelqu’un des Spectateurs, qui ne revienne avec un cœur moins chaste de ces spectacles, où les expressions, les gestes, les tours, les fictions, les intrigues, tout porte au faux amour.» Sur quoi il dit de tous les spectacles ce que dit Tertullien : «
Firmos gravant, infirmos capiunt, medios cum scrupulo dimittunt».
J’accorde votre supposition ; mais la conséquence en est pernicieuse. Est-ce la coutume que des pères de famille envoient leurs enfants en de mauvais lieux pour y entendre quelque malheureuse qui gémit de son état déplorable ? Est-il un homme qui conseillât à son fils, pour exercer son courage, d’aller attaquer des Voyageurs sur le grand chemin ? A-t-on vu quelqu’un jusqu’ici s’embarquer dans un Navire qui fait eau de toutes parts, pour apprendre à se sauver dans un naufrage ? Je conclus de là, que qui que ce soit ne doit aller à la Comédie. C’est le rendez-vous que Dieu déteste davantage et où le Démon se plaît le plus : c’est l’assemblée où toutes les maximes de la Religion sont le plus ouvertement combattues. Je le répète, que qui que ce soit donc n’y aille sous prétexte de s’instruire : car tout n’y est que poison préparé.»
X. Réflexions sur tout ce qui a été dit.
Du moins ne dira-t-on pas que ces derniers Auteurs, non plus que le Rituel de Paris, imprimé en 1654. ne condamnent la Comédie qu’à cause de l’Idolâtrie ou des nudités scandaleuses qui paraissent sur le Théâtre. Mais l’Histoire des divertissements Comiques que nous avons joint à la Tradition ne doit plus permettre de recourir à ces faux-fuyants, ni de douter que les mêmes raisons qui ont interdit autrefois aux Chrétiens la fréquentation des spectacles, ne subsistent encore aujourd’hui. Qu’on y fasse une sérieuse réflexion, et on ne pourra manquer d’être convaincu sur ce point, et par tant de solides raisons que les Auteurs Ecclésiastiques nous ont fournies dans ce discours, et par cent autres qui se présenteront d’elles-mêmes à ceux qui seront attentifs.
Ne fréquentez, point, dit l’Ecclésiastique , des femmes qui dansent, ne les écoutez point, de peur que leurs attraits ne vous perdent. N’arrêtez point vos regards sur une fille, de peur que sa beauté ne vous devienne un sujet de chute. »
Détournez vos yeux d’une femme parée, et ne regardez point curieusement une beauté étrangère : plusieurs se sont perdus par de semblables regards et c’est ce qui allume le feu de la concupiscence. »
Que la passion de l’amour produisant tous les jours des désordres dans les personnes libres, et dans celles qui sont mariées, on fait mal d’aller dans un lieu, où cette passion est louée, excitée, nourrie ; et où les pièces ne plaisent, que lorsque l’amour y est conduit d’une manière tendre et passionnée :
Que l’âme s’y trouve exposée à des chutes presque inévitables, parce que enivrée du plaisir, elle n’est plus dans cet état de vigilance, qui est nécessaire pour résister aux tentations ; et que rien ne peut excuser des fautes, dont la cause a été volontairement recherchée : Que les passions criminelles, qu’on représente sur le Théâtre sont souvent d’autant plus dangereuses, qu’elles sont touchées avec plus d’honnêteté apparente, parce qu’on goûte ainsi sans répugnance et même avec plaisir, ce qui aurait fait quelque horreur, étant exposé trop à découvert : et qu’enfin rien n’est plus capable que la Comédie, d’étouffer insensiblement les sentiments de piété, l’esprit de prière, et d’exciter les trois concupiscences que saint Jean condamne.
XI. Conclusion de tout ce Traité
Il s’ensuit de tout ce que nous avons dit, 1°. Que l’Eglise a porté ses fidèles Ministres à prêcher contre les spectacles, aussi bien après l’extinction de l’Idolâtrie, comme dans le temps qu’elle était en vigueur.
2°. Que depuis l’an 400. que les Temples des Idoles étaient fermés ou rasés, et que tout l’Empire était Catholique ; l’Eglise Maîtresse des Princes et des Magistrats a toléré en gémissant les spectacles, excommuniant seulement ceux qui font métier de monter sur le Théâtre, sans lier par aucune censure les simples Fidèles, à qui elle exposait les dangers de ces divertissements, à la réserve des Ecclésiastiques, qui par leur état sont obligés à mener une vie de Pénitence, et qu’ainsi l’Eglise peut encore tolérer en gémissant, les spectacles.
3°. Que l’Eglise n’a jamais pu souffrir que les jeux se représentassent les jours destinés particulièrement à la Prière, comme les jours de Dimanche et les autres solennités.
4°. Que dans les lieux où la Comédie est tolérée, si un Comédien meurt, il doit être tenu excommunié, que c’est la pratique de l’Eglise.
5°. Que les Evêques sont en droit de censurer tous ceux qui écrivent en faveur de la Comédie et des divertissements comiques publics.
Fin du second Discours.
LETTRE
Où l’Auteur des Discours précédents répond à quelques difficultés qu’on lui avait proposées.
L’on m’a assuré que des Messieurs de Sorbonne consultés par Messieurs de Saint Sulpice, avaient donné leur sentiment par écrit, touchant ceux qui contribuent aux pièces de Théâtre, soit en les composant, en les imprimant, en jouant des Instruments ou de quelque autre manière que ce soit. Je vous prie donc, Monsieur, d’agréer que je vous renvoie à cet écrit. Vous devriez même trouver bon qu’à l’égard des difficultés que votre ami propose, je ne fisse que le prier de s’adresser à la Maison de Sorbonne, comme à une vive source de la bonne doctrine, et où cette matière a été tout récemment examinée. Mais de peur que vous ne m’accusiez de vouloir m’épargner la peine de vous répondre ; voici ce que je pense sur ces difficultés.
Première difficulté
Si l’emploi des Comédiens était infâme et par conséquent mauvais, les Magistrats n’interdiraient-ils pas leurs spectacles ? Les Evêques les toléreraient-ils, et souffrirait-on qu’ils s’autorisassent du nom du Roi ?
Réponse.
Seconde Difficulté.
Quelques personnes disent que l’excommunication lancée contre les Comédiens, n’a peut-être pas plus d’effet, que celle qu’on prononce contre les Paroissiens, qui ont manqué durant trois Dimanches d’assister à la Messe de Paroisse.
Réponse.
Troisième difficulté.
Mais pourquoi permettre qu’on invite à la Comédie par des Affiches, et que les Comédiens fassent paraître sur leur Hôtel, que le Roi trouve bon qu’ils donnent au peuple le plaisir de la Comédie ?
Réponse.
Comme il y a toujours, dit-il, dans un Etat une infinité de gens qui demeurent oisifs, ou parce qu’ils ne sont pas d’humeur assez laborieuse, ou parce que leur emploi n’est pas continuel, cette fainéantise les porte ordinairement, ou à s’abandonner à des débauches honteuses et criminelles, ou à consumer en peu d’heures ce qui pourrait suffire à l’entretien de leur famille durant plusieurs jours. Et ils se trouvent souvent contraints de faire de mauvaises actions pour soutenir leurs débauches, ou pour remédier à leur nécessité pressante. Or à mon avis, l’un des plus dignes soins de la bonté d’un Souverain envers ses sujets, est de les empêcher tant qu’il peut d’être oisifs. De sorte que comme il serait bien malaisé, et qu’il ne serait pas même raisonnable de leur imposer des travaux continuels, il leur faut donner les spectacles comme une occupation générale pour ceux qui n’en ont point. Le plaisir les y attire sans violence, les heures de leur repos s’y écoulent sans regret, et ils y perdent toutes les pensées de mal faire, et leur oisiveté même s’y trouve occupée.»
C’est un défenseur du Théâtre qui parle, il faut l’en croire et regarder ceux qui vont à la Comédie comme des gens qu’on veut amuser, de peur qu’ils n’aillent faire des actions plus criminelles. Leur mauvaise disposition doit exciter la pitié, et mérite à peu près la même indulgence qu’eut ce Prédicateur de Paris, qui dit en chaire qu’on cesserait à l’avenir de crier contre les femmes qui portaient des mouches, parce que plusieurs Dames l’avaient assuré que des taches, des pustules et autres difformités les obligeaient de couvrir ainsi la laideur de leur visage. On dit qu’après cette déclaration elles eurent honte de porter des mouches. Et peut-être les Chrétiens rougiront-ils à la fin d’aller à la Comédie.
Quatrième Difficulté.
Dans les Collèges des Jésuites et de l’Oratoire on représente des Comédies et des Tragédies dans toutes les règles du Théâtre. Pourquoi donc condamner ailleurs ce qu’on approuve dans ces Collèges ?
Réponse.
Quelle comparaison entre des Pièces faites par des Religieux ou des Ecclésiastiques tout occupés à inspirer aux Ecoliers les règles du Christianisme, et des pièces faites par des personnes qui n’étudient que les maximes du monde : Entre des pièces examinées et approuvées par des Supérieurs de Communauté, et des pièces où l’on n’a suivi que le goût du plus grand nombre de ceux qui vont à la Comédie, c’est-à-dire, où l’on recherche l’approbation des gens vicieux ; car on peut bien dire que la plupart de ceux qui fréquentent le Théâtre ne font pas profession de vertu : Enfin entre des pièces qui se font tout au plus une fois l’année, pour exercer les Ecoliers à parler en public, et des pièces qu’on représentent tous les jours, pour satisfaire un grand nombre de gens oisifs, qui se font un plaisir de voir bien exprimer les passions dont ils brûlent, l’ambition et le faux amour. On peut bien assurer que ce serait un plaisir assez mince pour ces sortes de personnes, d’aller tous les jours entendre des pièces de Collège, composées ordinairement en Latin et représentées par des Ecoliers.
D’ailleurs on a déjà fait assez entendre que les Comédies ou les Tragédies en soi, détachées de toutes les circonstances qui accompagnent le Théâtre public sont indifférentes. Car qui dira jamais que ce soit un mal, de réciter en public des Vers ou de la Prose ? Certainement tant qu’on suivra dans les Collèges les règles qui ont été prescrites pour les Poèmes dramatiques, on ne pourra point y trouver à redire, et on y remarquera toujours, que ces Poèmes diffèrent entièrement des pièces des Comédiens.
Au reste, quand aux Collèges des Jésuites ou des Pères de l’Oratoire il se serait passé dans des pièces de Théâtre quelque chose de contraire aux règles prescrites, ce seraient des fautes personnelles qui ne doivent pas tirer à conséquence.
Cinquième Difficulté.
Les Comédiens représentent quelquefois des pièces fort honnêtes ; Ne sera-t-il pas du moins permis d’aller à celles-là ?
Réponse.
En second lieu, les pièces du Théâtre public sont appelées honnêtes, lorsqu’on y déguise les passions qui feraient horreur si elles se montraient à découvert. Or vous savez ce que M. le Prince de Conti et M. Nicole ont dit de ces sortes de pièces. Le Père Senault quatrième Général de l’Oratoire en parle aussi d’une manière qui vous satisfera, si vous vous donnez la peine de lire le quatrième Traité du Monarque, Discours 7.
« Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne ; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n’y en a point qui soit plus à craindre que la Comédie. C’est une peinture si naturel, et si délicate des passions, qu’elle les anime et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l’amour, principalement lorsqu’on se représente qu’il est chaste et fort honnête : Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, et plus elles sont capables d’en être touchées. On se fait en même temps une conscience fondée sur l’honnêteté de ces sentiments ; et on s’imagine que ce n’est pas blesser la pureté, que d’aimer d’un amour si sage. Ainsi on sort de la Comédie le cœur si rempli de toutes les douceurs de l’amour, et l’esprit si persuadé de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître
dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien représentés sur le Théâtre.
»
Jugez, Monsieur des suites que peuvent avoir de pareilles dispositions.
Sixième Difficulté.
Les saints Pères et les ◀Conciles▶ ne sont pas moins sévères contre les jeux que contre les Comédies. Cependant on ne fait pas beaucoup de difficulté de se trouver aux assemblées de jeux, soit de dés ou de cartes ; pourquoi en ferait-on d’aller à la Comédie ?
Réponse.
Peut-être n’oseront-ils plus croire après cela que ces sortes d’assemblées peuvent leur servir à justifier ceux qui vont à la Comédie.
Septième difficulté.
Plusieurs personnes considérables approuvent la Comédie : Ne peut-on pas s’en tenir à leurs sentiments ?
Réponse.
Il est vrai, dit le Père Guzman Jésuite . Il y a des défenseurs et des Protecteurs des Théâtres et des Comédies ; et ils ne sont pas en petit nombre ni de petite autorité. C’est de ces personnes que le Prophète dit avec beaucoup de ressentiment. "»Malheur à vous qui appelez bon ce qui est mauvais, et mauvais ce qui est bon : qui donnez le nom de lumière aux ténèbres, et le nom de ténèbres à la lumière : qui dites que ce qui est amer est doux, et que ce qui est doux est amer." Ils confondent sans doute les choses, ils en changent les noms ; ils couvrent d’un voile d’honnêteté ce qui est mauvais et nuisible ; ils s’aveuglent eux-mêmes, et tâchent d’aveugler les autres afin qu’ils ne le voient pas.
la mauvaise coutume aveugle les esprits, et le silence trouve des protecteurs qui tâchent de défendre ce que nous voyons faire tous les jours. Il y a même de grands Théologiens qui faisant un mauvais usage de leur loisir et de leur science, osent soutenir que les représentations des Comédies sont conformes au droit et à l’équité. Il est fort aisé de les réfuter et de les convaincre par le témoignage et par l’autorité des Anciens Théologiens qui sont tous d’un même sentiment sur ce point ; et je ne crois pas que les Docteurs de notre siècle voulussent s’en éloigner.»Il n’est pas difficile de découvrir ces illusions qui déguisent la vérité, mais il est très difficile de détourner le peuple de ces folies, si les Magistrats qui doivent y pourvoir n’y emploient leur autorité.
Huitième Difficulté.
S’il est à propos de recevoir de l’argent des Comédiens pour les pauvres.
Réponse.
Il est essentiel de ne point communiquer aux œuvres des pécheurs et de ne donner aucune marque qu’on approuve le crime, tel que celui des Comédiens. Il n’y a donc qu’à examiner, si en prenant de l’argent de ces sortes de personnes, on peut croire qu’on approuve leurs œuvres et leur état : car si cela était, il serait essentiellement mauvais de recevoir leurs dons ; mais comme il se pourrait faire qu’on reçût de l’argent des pécheurs, comme on en reçoit des Juifs, sans qu’il paraisse qu’on approuve leurs actions ni leur état ; alors il ne serait pas essentiellement mauvais de recevoir leur argent, comme on pourrait en recevoir pour des œuvres profanes.
Cependant à moins que les circonstances particulières ne changent l’espèce du cas, il faut dire en général qu’on ne doit pas recevoir les dons des Comédiens, étant excommuniés par l’Eglise. L’Ecriture Sainte, les ◀Conciles▶ et les Pères le défendent.
Les victimes des impies, dit Salomon , sont en abomination, parce qu’elles sont l’offrande du crime. Hostiæ impiorum abominabiles, quia offeruntur ex scelere.» «
Le Très-Haut, dit l’Ecclesiastique , ne reçoit point les dons des méchants, et méprise leurs offrandes. Dona iniquorum non probat altissimus nec respicit in oblationes iniquorum.»
Episcopum placuit ab eo qui non communicat, munus accipere non debere.» Cette décision se trouve encore dans le quatrième ◀Concile▶ de Carthage ou plutôt dans le recueil des Canons de l’Eglise d’Afrique. «
Oblationes dessidentium fratrum neque in sacrario neque in gazophylacio recipiantur.»
Si l’on est forcé, disent-elles, de recevoir de l’argent de quelque impie, jetez-le dans le feu, de peur que la veuve et l’orphelin ne deviennent malgré eux assez injustes pour se servir de cet argent et en acheter de quoi vivre. Il faut que les présents des impies soient plutôt la proie des flammes, que la nourriture des gens de bien. »Dans un autre endroit :
« lorsque les Eglises se trouvent dans une extrême nécessité, il vaut mieux périr que de recevoir quelque chose de la main des ennemis de Dieu : « Quod si adeò egebunt Ecclesia præstat perire quàm ab inimicis Dei aliquid capere.»
que l’Eglise ne se soucie point de ses présents, parce qu’il en a comblé les Temples des Païens : L’Autel de Jésus-Christ rejette vos dons, parce que vous avez dressé un Autel aux Idoles.Munera tua non quærit Ecclesia, quia templa Gentilium muneribus adornasti : ara Christi dona tua respuit, quoniam aram simulachris fecisti.»
Saint Thomas, que bien des personnes croient indulgent aux Comédiens, défend distinctement de leur faire des impositions pour l’Eglise.
Neuvième Difficulté.
Si la condescendance que la Police a pour les Peuples, doit aller jusqu’à permettre les spectacles du Théâtre aux jours de Fête et les jours destinés par l’Eglise à la Pénitence, comme les Vendredis et le Carême.
Réponse.
Je réponds qu’il y a des conjonctures fâcheuses, pendant lesquelles on ne saurait faire tout ce que le bon ordre et une discipline exacte prescrivent. Quand des usages même abusifs se sont établis, si l’on devait causer du trouble en les détruisant, il faut se contenter de gémir, et parce qu’on ne peut jamais approuver ce qui est un désordre, on ne peut se dispenser de dire que c’est un mal et un abus que de souffrir les spectacles aux jours de Fête et aux jours destinés par l’Eglise à la Pénitence.
Dixième difficulté.
S’il est permis d’aider ou de travailler aux Théâtres pour les Comédiens.
Réponse.
Matronæ, vel earum mariti vestimenta sua, ad ornandam sæculariter pompam, non dent ; et si fecerint, triennii tempore abstineant.»
Saint Cyprien dans la Lettre soixante-unième, selon Pamelius, ou la douzième dans l’Edition d’Oxford, répondant à Eucratius qui lui avait demandé, si l’on pouvait souffrir dans la Communion de l’Eglise, un Comédien qui avait quitté le Théâtre, mais qui s’appliquait à former des Acteurs pour y monter, il décide nettement que c’est une chose indigne de l’Eglise de souffrir un exercice si infâme : car si la Loi maudit les hommes qui osent prendre des habits de femme, ne doit-on pas condamner davantage ceux qui deviennent pour ainsi dire tout efféminés pour apprendre à faire des gestes mous et lascifs. Ce n’est donc pas assez de quitter le Théâtre, si on ne cesse encore d’enseigner à d’autres ce qu’on y avait appris, et de peur qu’on n’opposât que ce Comédien n’avait pas d’autre moyen pour subsister, le Saint ajoute qu’en ce cas l’Eglise pourvoira à ses besoins, pourvu qu’il se contente de la frugalité, à quoi il veut qu’on l’exhorte.
Je pense, Monsieur que vous devez me savoir bon gré de ne vous avoir presque rien dit de moi-même. J’ai cru, au reste, devoir répondre succinctement à toutes ces difficultés qui tombent assez d’elles-mêmes, et je m’y suis d’autant moins arrêté, que la question principale me paraît suffisamment éclaircie. Je suis etc.
Il était chantre et joueur d’instruments, et il allait ainsi dans les Villes chanter ses Sirventès, ses Comédies, et ses autres pièces galantes ou satyriques.» M. d’Avranches a dit la même chose des Poètes Comiques Normands et Picards. Saint Louis ne les avait donc pas chassé du Royaume, et il ne leur défendit pas non plus de monter sur le Théâtre, puisqu’ils n’y étaient point montés, ni en Provence ni ailleurs, et que ce n’était point là des Comédiens tels que ceux d’aujourd’hui. On peut seulement les compter parmi les Histrions dans le sens que saint Thomas donne à ce mot, lorsqu’il traite des Jeux, puisqu’il l’étend aux joueurs de flûte, et généralement à tous ceux qui n’avaient d’autre emploi que de divertir quelquefois le monde.
Pour un mot que je voulais ajouter à ma Lettre, voilà déjà bien des lignes. Et il faut pourtant vous citer encore l’endroit qui m’a fait dire que saint Charles fit composer le Traité contre les Danses et la Comédie. C’est de la Vie de saint Charles qui est dans Surius, d’où l’on tire cette particularité, et beaucoup d’autres qu’on ne trouve pas dans Giuffano. On voit au 4. de Novembre page 115. que le Traité dont il s’agit fut composé par un des Domestiques de saint Charles, et que ce saint Cardinal présenta le Livre au Pape Grégoire XIII. en 1579. Monsieur Bosquet Evêque de Montpellier en apporta de Rome une copie en France. On en fit une Traduction Française ; et en 1662. on l’imprima à Toulouse chez Boude, et à Paris chez Soly.