Lettre à Monsieur ***
Il est difficile d’entreprendre la défense d’une bonne cause, qu’on ne trouve des Raisons solides pour la soutenir. Je ne suis donc pas surpris, MONSIEUR, que vous et d’autres personnes éclairées ayez cru voir dans les deux Discours sur la Comédie, quelque chose qui vous a paru digne de votre attention ; mais tout ce qu’on en a dit ne saurait me déterminer à les faire imprimer. Il me semble que quand on réfute des opinions qui plaisent aux gens du monde il faudrait étudier les tours et les manières qui peuvent les rendre attentifs et leur faire goûter les raisons qui ruinent des préjugés favorables à leurs passions. Cependant c’est à quoi je ne me suis guère attaché dans ces Discours. Vous savez que je les ai prononcés devant des personnes la plupart indignées contre la Lettre qui avait parlé en faveur de la Comédie. Ainsi s’ils étaient imprimés on pourrait y trouver des mouvements qu’un homme qui lit de sang froid n’approuverait peut-être pas. Si j’avais fait ces Discours pour le public, j’aurais donné au premier une autre forme et pour le second, je ne sais si cette enchaînure des sentiments des Docteurs de l’Eglise, avec l’Histoire du Théâtre qui n’a pas déplu à nos Savants, pourrait plaire aux gens du monde, eux qui voudraient que les questions les plus difficiles fussent terminées en quatre mots. Enfin pour déterminer quel tour il serait à propos de prendre, il faudrait y penser, et vous savez, MONSIEUR, que j’ai autre chose à faire. C’est assez pour moi d’avoir fait ces Discours, puisqu’il a plu à Monseigneur l’Archevêque que nous traitassions cette matière dans nos conférences. Apparemment on verra paraître plusieurs pièces sur ce sujet qui vaudront mieux sans comparaison que tout ce que je pourrais faire. S’il y avait pourtant quelques remarques dans mon écrit que pussent servir à ceux qui travaillent, ils me feraient bien de l’honneur de les employer. Je n’ai point fait difficulté de le communiquer à ceux qui l’ont souhaité. J’ai même mis par écrit, pour faire plaisir à quelques personnes, ce que je n’avais dit que de vive voix, et je vous laisse le maître de tout pour le montrer à qui vous jugerez à propos. Au reste, quand on ne ferait paraître aucun ouvrage sur ce sujet, la Lettre du R.P. Caffaro suffit ce me semble pour détruire celle qu’on lui attribuait. Je ne puis vous exprimer le plaisir que cette Lettre m’a donné : car outre que tout le monde doit être édifié des sentiments humbles et chrétiens dont elle est pleine, je vois avec joie que quelques mots un peu trop forts qui m’avaient échappé dans les Discours ne tombent que sur un Fantôme, et sur un Auteur inconnu, qui pour défendre la Comédie, s’est servi mal à propos du nom ou du moins des qualités d’un Prêtre et d’un Religieux tel que le R. P. Caffaro.
IL paraît par la Lettre précédente, que l’Auteur des deux Discours qui suivent ne les estime pas assez pour les faire imprimer. Plusieurs personnes éclairées ne sont pas en cela de son sentiment : Elles trouvent que ces Discours sont très solides, appuyés sur la Doctrine constante des Pères, et pleins de recherches également utiles et curieuses. Un jugement si avantageux a fait croire à ceux qui avaient cet ouvrage entre les mains qu’ils devaient le donner au Public : On le demandait de toutes parts, et l’on peut dire qu’il était attendu avec quelque sorte d’impatience. Ainsi l’on n’a pas cru que la modestie de l’Auteur dût en empêcher l’impression. S’il se plaint de ce que l’ouvrage paraît sans son consentement, on le prie de considérer que le manuscrit n’était plus à lui, puisqu’il l’avait donné à un de ses amis, qu’il s’en était fait plusieurs copies ; et qu’après tout sa répugnance à le faire imprimer, devait céder à l’utilité publique.