(1758) P.A. Laval comédien à M. Rousseau « AU LECTEUR. » pp. -
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(1758) P.A. Laval comédien à M. Rousseau « AU LECTEUR. » pp. -

AU LECTEUR.

Quand on parle raison et qu’on dit la vérité, on est persuadé d’être favorablement accueilli. En douter, c’est faire injure au Public. Aussi ne me mettrai-je point humblement à genoux dans une Préface pour réclamer l’indulgence du Lecteur. Le fonds de mes raisonnements est vrai, juste et solide ; en voilà assez pour mériter son approbation. Ai-je eu l’art d’y joindre la délicatesse et l’agrément du style ? ce n’est pas à moi à en juger. Si mon livre ennuye, j’aurai beau prier qu’on le lise, on n’en fera rien : s’il plaît, à quoi bon affecter une inutile modestie ? Dois-je cependant refuser à l’amour propre un tribut qui lui est dû, et; qu’on lui prodigue quelquefois avec d’autant plus de fatuité, qu’on paroît déterminé à ne le lui point accorder ? Je hais la dissimulation, et; je pense tout haut. C’est donc pour moi-même que je préviens du peu de tems que j’ai mis à composer ce petit volume. Pourquoi, me dira-t-on, vous être si fort précipité ? Le Public ne vaut-il pas bien la peine que vous limiez ce que vous osez lui présenter ? Qui en doute ? et; qui doit connoître mieux qu’un Comédien tout le respect qu’on doit à ce Public ? Si je n’ai pas mis la derniere main à mon ouvrage, ce n’est ni par négligence, ni par caprice, ni par défaut de respect ; il falloit arrêter promptement le poison dont j’appercevois les symptomes. Il eut été bien plus flateur pour moi de présenter l’antidote sous une forme agréable. J’ai sacrifié mon intérêt personnel à celui de tous mes camarades. Dix-sept jours m’ont suffi pour composer mon Manuscrit, et; pendant cet intervalle je n’ai pas laissé de remplir mes devoirs. Si l’on rencontre quelques fautes d’impression, c’est une suite de la promptitude avec laquelle les Ouvriers ont travaillé, je crois pourtant qu’elles y sont assez rares ; et; j’ai fait mettre à la fin du Volume un Errata pour corriger les plus grossieres.

Je n’ai point entrepris de refuter Mr. Rousseau en matiere de Religion ; j’ai peut-être assez d’étude de Théologie pour avoir pû hazarder la dispute. Si je ne l’ai pas osé, c’est moins par la crainte de succomber sous la force de ses Argumens, que par vénération pour ce qui en fait le sujet. Il n’auroit pas fallu d’ailleurs être fort savant pour le terrasser à cet égard. J’aurois eû pour moi la vérité. Que le mensonge est foible devant elle ! J’ai donc appréhendé de mêler des Dissertations de Dogme à l’examen des piéces de Théatre, je crois avoir eu raison.

Au surplus, quand je dis qu’il m’eût été facile de convaincre mon adversaire, qu’il raisonne plus mal sur la Théologie, ou du moins plus dangereusement qu’il ne fait sur la Comédie, je ne prétends point parler de Controverse, ni attaquer les Religions adoptées. Ce n’est point mon affaire. Content de la mienne, je ne déclame contre celle de personne ; mais je dis qu’il n’auroit pas été fort difficile de s’élever avec avantage contre un homme qui sappe les fondemens de toute espece de Religion Chrétienne en abolissant la Foi.

Quand un homme ne peut croire ce qu’il trouve absurde, ce n’est pas sa faute, c’est celle de sa raison ; et; comment concevrai-je que Dieu le punisse de ne s’être pas fait un entendement contraire à celui qu’il a reçu de lui ?

Si l’on ne voit pas là dedans l’anéantissement de la foi, et; le principe de l’incrédulité dans le refus de l’intelligence que le Créateur fait à sa créature, c’est qu’on ne voudra pas le voir. Quelles conséquences faudroit-il tirer de-là ?

Je ne suis pas plus scandalisé que ceux qui servent un Dieu clément rejettent l’Eternité des peines, s’ils la trouvent incompatible avec sa justice. Qu’en pareil cas ils interprétent de leur mieux les Passages contraires à leur opinion, plutôt que de l’abandonner, que peuvent-ils faire autre chose ?

Ainsi chacun va être le maître des articles de foi les plus importans, en interprétant à sa guise les Passages de l’Écriture. Cette morale n’est pas plus admise à Genève qu’à Paris, et; tout bon Protestant, comme tout bon Catholique, ne se permettra jamais des sentimens si contraires à la croyance qu’on doit aux Mysteres de Foi, quoiqu’ils paroissent incompatibles avec les lumieres de notre foible raison. Le Calviniste et; le Romain sont persuadés qu’ils doivent adorer un Dieu en trois Personnes, ils ne comprennent pourtant ni l’un ni l’autre comment trois ne font qu’un.

Mais je tombe dans l’inconvénient que je voulois éviter, je m’en répens, et; je me tais.