(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien quatrieme. Sur la vanité & le danger des Bals, & des Danses en particulier, Tiré de la Bibliotheque des Predicateurs, composé par le Reverend Pere Vincent Houdry de la Compagnie de Jesus. » pp. 57-66
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(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien quatrieme. Sur la vanité & le danger des Bals, & des Danses en particulier, Tiré de la Bibliotheque des Predicateurs, composé par le Reverend Pere Vincent Houdry de la Compagnie de Jesus. » pp. 57-66

Entretien quatrieme

Sur la vanité & le danger des Bals, & des Danses en particulier,
Tiré de la Bibliotheque des Predicateurs, composé par le Reverend Pere Vincent Houdry de la Compagnie de Jesus.

LEs Motifs, qui portent les Personnes du Monde a aller au Bal, a la Comedie, & a se trouver a des semblables divertissemens sont ordinairement mauvais ; c’est pour satisfaire leur curiosité, leur vanité ; c’est pour y voir, & pour être vû, & nul bon Motif ne peut justifier la coûtume, que l’on prend d’y assister. Ce qu’on y voit, & ce qu’on y attend porte au mal. Ce qu’on en rapporte est la perte de l’innocence, une mauvaise impression, que les passions, qu’on a naîvement representées, & les personnes, qu’on a vûës peuvent faire.

On croit que le Bal en particulier est un divertissement innocent dans la speculation, mais a le considerer dans la pratique. 1. Voyez les pechez qui se commettent avant que d’y aller, & seulement pour se disposer à paroître dans ces Assemblées. La vanité dans le desir de se montrer, de paroître, & de se faire remarquer par son addresse, par sa bonne mine, ou par quelque autre qualité. 2. Dans le Bal, quand on est dans l’Assemblée, les libertez messéantes, les caresses, les cajoleries, les têtes-a-têtes &c. 3. Après le Bal, un esprit mondain, mille pensées des objets, qui ont frappé les yeux, des attachemens le plus souvent criminels…

Le Bal & les Danses, tels qu’ils se pratiquent en ce tems sont criminels, parce qu’ils sont contraires à la profession du christianisme étant défendus par les Conciles, & par la Doctrine de l’Eglise, & une occasion de plusieurs pechez, & qu’il est rare, qu’on s’en retourne aussi pur, & aussi innocent qu’on y est allé…

On ne peut nier que les Saints de l’ancien Testament, n’ayent quelque-fois témoigné leur joye par une espece de danse, mais c’estoit pour rendre graces à Dieu de quelque heureux succés, ou de quelque signalée faveur, qu’ils en avoient reçuë, & ces marques de rejoüissance étoient accompagnées d’un culte religieux, qu’ils rendoient au Seigneur. Ainsi Marie Sœur de Moïse commença la Danse, ou plutôt le Triumphe de la délivrance de la servitude de l’Egypte, & de Pharaon submergé dans les flots de la mer.

David en fit autant devant l’Arche, lors qu’elle fut recouvrée des mains des Philistins ; mais ces danses, ces chants se faisoient, par des motifs, & pour des sujets bien differens de ceux des mondains, que l’Eglise a souvent condamnez avec juste raison : c’estoit alors chanter les Victoires que Dieu remportoit sur les ennemis ; c’estoit pour marquer la joye qu’ils avoient de voir le Seigneur exalté, & glorifié, au lieu que les mondains y cherchent leur plaisir, & leur divertissement, & que la vanité, l’immodestie, la licence, & l’impureté sont presque inseparables des bals, des danses, & des cercles de compagnies enjoüées. C’est pour pourquoi on ne peut authoriser, ni justifier les danses profanes de ce tems par l’exemple de celles que rapporte l’Ecriture…

Nous voyons dans l’Evangile de Saint Matthieu chap. 14. que la danse a fait perdre la vie au saint Précurseur du Fils de Dieu, & que la tête de saint Jean-Baptiste, qui pouvoit, dit saint Chrysostome, convertir tout le monde, a été le prix d’une baladine. Le demon ne trouve point de moyen plus puissant pour obtenir d’Herode la mort de ce grand Hommé, qui faisoit l’admiration de la Judée, que de faire danser devant le Roi une fille mondaine, bien parée, & fort adroite à cet exercice. Seroit-il possible qu’on n’eut pas en execration une chose qui a causé un tel malheur, & un si grand crime, quand il n’y auroit autre chose à objecter contre la danse ?

Le Fils de Dieu s’est assez ouvertement declaré contre les jeux, & les danses dans le Miracle, dont il est parlé dans l’Evangile, en resuscitant la fille du Prince de la Synagogue ; Miracle, qu’il ne voûlut pas operer tandis que les danseurs, & les joueurs d’instrumens seroient dans la maison ; c’est pourquoi il les fit chasser avant que d’y entrer…

Saint Jerome parlant des Danseurs, dit, que c’est le demon qui danse dans leurs personnes, & qu’il se sert de ses laches Ministres pour seduir, & tromper les hommes… En effet tout ce que la volupté, est capable d’employer d’artifice est attaché au bal, à la danse, & à la comedie. Si je demande à une Dame du monde quel dessein avez vous, quand vous vous preparez au bal ? vous faites tout ce que vous pouvez pour vous parer, vous employez tous les artifices imaginables, vous ajoutez autant que vous pouvez à la beauté, que la nature vous a donnée, mais quel est vôtre dessein ? c’est pour vous faire voir, c’est pour vous rendre agreable. Et qu’est-ce qu’il en arrive ? une fille chrétienne, qui aura vecu dans la modestie, croyant qu’il lui est permi de prendre quelque chose extraordinaire se met au hazard de se perdre. Voilà le premier pas du démon, c’est par l’ornement que vous apportez au bal, qu’il commence à vous gagner, & qu’il debauche vôtre cœur. Mais quand vous y êtes, qu’y faites vous ? tout ce qu’il vous est possible pour paroitre agreable, charmante, & pour être du nombre de celles, a qui on vient rendre des hommages, comme à des divinitez visibles, & n’est-ce pas la donner une étrange atteinte à la pudeur ?……

Qui sont ceux qui sont avides de ces plaisirs, qui y courent avec fureur ? ne sont-ce pas les jeunes petsonnes ? circonstance qui prouve ce que j’ai avancé : car outre qu’à cet âge l’imagination est vive, l’esprit dissipé, le cœur volage, les sens ouverts & subtils, dispositions fatales, & propres à donner entré au peché, c’est qu’on est sans experience, sans crainte, sans défiance, sans preservatifs ; faute d’experience tout plaît, tout touche, toute attache : faute de crainte on ne sçait ce que c’est que de se menager, que de s’arrêter a propos, que de reculer ; on envisage avec joye le precipice, où l’on va se perdre, on cherche même a se perdre : faute de défiance loin de tenir sur ses gardes, & de se mettre en disposition de repousser l’ennemi du salut, on se dépouille (si j’ose parler de la sorte) de ses armes, & sent-on la tentation, on est hors d’état de se defendre. Ce n’est que foiblesse, que misere, que lâcheté, qu’épaisses tenebres, qu’irresolutions, l’on n’est point fortifié par ces secours extraordinaires, par ces graces singulieres, & favorites, que l’on obtient du ciel, quand on s’en rend dignes. Que conclure de la, sinon que leur chute est inevitable dans ses sortes d’assemblées, & de divertissemens ?…

Mon âge, me répondez vous, mon rang, ma dignité m’obligent d’avoir une retenué, & une gravité qui me met à couvert de ces defauts ; oüi, mais le cœur est-il immobile, & insensible, & l’esprit est-il dans sa situation ordinaire ? quoi, vous avez trouvé le secret d’imposer silence à vos passions, & de joüir d’une paix profonde, lors même que vous êtes environné de ce qui peut le plus les irriter ?…

La danse, dit Petrarque, est une action indigne d’un honnête homme, & de laquelle on ne peut remporter que de la honte, c’est en effet un spectacle aussi honteux qu’inutile ; c’est une assemblée d’intemperance ; ces branlements des mains, & des pieds, cette évagation, & cette impudence des yeux ; tous ces gestes aussi indecens que risibles, montrent qu’il y a quelque chose dans l’interieur, qui répond au dereglement exterieur. Veritablement, si l’extravagance ne s’étoit naturalisée dans nos mœurs, nous nommerions folie ce qu’on appelle gentilesse. On a raison d’appeller des joueurs dans ces assemblées, afin que l’ame étant occupée par l’oreille, les yeux ne s’offensent pas de tant de mouvement irreguliers : cela veut dire, qu’une folie en couvre une autre. Mais ouvrez un peu les yeux, & ne regardez pas les choses selon la coutume, mais selon qu’elles sont en elles-mêmes. N’est-ce pas une folie, mais une folie du premier ordre, de sauter, de remuer le corps par bond, de se tourner, d’aller, de venir de côté, & d’autre ? en bonne foi, si vous n’aviez jamais vû cela, que diriez-vous la premiere fois que vous le verriez, ne diriez-vous pas, que ces personnes ont perdu l’esprit où n’en ont jamais eu ?…

Si c’est une chose si dangereuse que la danse, vous pouvez facilement inferer en qu’elle conscience sont ceux, qui donnent le bal, & ceux qui prêtent leur maison à un usage si pernicieux : & ainsi, comme vous voyez un même peché sera imputé à plusieurs, qui en repondront tous. Par exemple, un desir criminel conçû dans le bal, sera imputé à celui, qu’il a formé, à celle qui par son peu de modestie y aura donné occasion, au pere, & à la mere de cette fille, qui lui ont permis d’aller au bal ; à celui qui donne le bal, & qui est responsable de tous les pechez, qui s’y commettent… O mon Dieu, s’écrie saint Ambroise combien un seul peché fait-il des coupables !…

Si je demande à une personne du monde, qui n’a pas encore étouffé tous les sentimens de pieté, & de crainte des jugemens de Dieu, mais qui a peine a souffrir qu’on lui dise qu’il y a peché d’aller au bal, ou de se trouver dans ces assemblées de danses ; n’est-il pas vrai, que vous sentez un reproche interieur quand vous rentrez dans vous même, qui vous dit, que vous ne faites pas bien, que vous vous exposez au peché, & qu’il-y a à craindre, que cela ne soit la cause de vôtre perte ?

Et pour vous en convaincre encore davantage, n’est-il pas vrai que vous ne voudriez pas mourir au sortir du Bal, quand vous seriez assuré de n’avoir point d’autre peché, que celui d’y avoir assisté ? vous trouverez ce méme reproche dans toutes les ames un peu timorées : & si vous voulez le demander à toutes celles, qui ont autrefois été dans le monde, & qui s’en sont retirées ou d’effet, où d’affection seulement, elles vous diront, que dans les confessions generales, qu’elles ont faites, elles se sont accusées, & repenties d’avoir été autrefois au bal : demandez à ces danseurs, quand ils sont à l’article de la mort, où l’on voit alors clairement toutes choses, & non plus par le faux jour de nos passions, s’il ne se repentent pas, & s’il ne craignent pas d’en rendre compte au jugement de Dieu ; vous-mêmes ne vous en accusez vous pas au tribunal de penitence, ne pouvant étouffer le reproche de vôtre conscience, qui vous en reprend ? Vous voyez donc clairement par vous-mêmes, pourvû que vous vouliez ouvrir les yeux, que ce n’est pas une chose indifferente d’aller au bal, puisqu’on ne se confesse pas d’une chose indifferente, & qui l’on ne craint pas de paroître au jugement de Dieu après une action, qui n’est pas mauvaise, & que nous jugeons absolument n’être point contre la loi de Dieu. Nôtre conscience est donc nôtre juge en cette matiere, & nous ne pouvons recuser ce juge incorruptible, & ce fidele témoin, lorsqu’il y va de nôtre salut : … ceux qui aiment le jeux, le bal, la comedie, les spectacles, & qui suivent le luxe, & la vanité du siecle, ne veulent point eutendre chrétiennement ces matieres, afin de pecher plus librement, & sans inquietude. On a beau leur dire, qu’il y a des jeux defendus, des spectacles, & des assemblées ; ils s’en moquent, ferment les jeux, & se bouchent les oreilles pour ne point voir, ni entendre toutes ces choses, qui leur déplaisent. Je scai avec saint Gregoire, qu’il y a des divertissemens permis, & que l’on peut prendre comme on prend une medicine pour purger le corps de ses mauvaises humeurs, & le rendre plus propre au travail. Mais nous entendons parler ici des divertissemens defendus, comme sont les bals, les comedies, & autres spectacles de cette nature, qui sont dangereux, & corrompent les bonnes mœurs.

La danse chez les Romains n’étoit pas permise aux honnêtes gens : ce qui a fait dire au plus éloquent de leurs Orateurs, que c’estoit une espece d’yvresse defendûë aux personnes, qui font profession de vertu, & c’est peut-être dans cette pensée, qu’un savant Ecrivain de nôtre siécle l’appelle une folie, qui passe de la tête jusqu’au pied. Neanmoins on peut dire à la honte de plusieurs Meres chrétiennes, que leurs filles sçavent plûtôt un pas de danse, que les principes de leur religion, tant elles ont soin de les rendre agréables au monde. Qu’est-ce que les personnes du monde voyent dans le bal ? une assemblée de personnes agréables, bien parées, qui ne songent qu’à se divertir a prendre leurs plaisirs ; ils y voyent des femmes, & des filles, qui font tout ce qui peuvent pour se faire admirer & pour plaire ; & des hommes, qui font tout ce qu’ils peuvent pour leur temoigner qu’ils les admirent, & qu’ils les aiment. Ils voyent un spectacle, qui flate les sens, qui remplit leur esprit de vanité, qui amollit leur cœur par le son des instrumens. Ainsi l’amour du monde, & des creatures se glisse imperceptiblement dans le cœur de ceux qui se trouvent à un bal. Dites aux personnes mondaines, que le bal est defendu, parce qu’il est presque toûjours l’écueil de l’innocence, le tombeau de la pudeur, le theatre de toutes les vanitez mondaines, & le triomphe de toutes les passions : que c’est un assemblage de tous les dangers du salut : que tout y est écueil, que tout y est poison : danses, instrumens, objets, entretiens, assemblées ; que tout y concourt à étouffer les sentimens de pieté, à seduire & l’esprit, & le cœur : que rien n’est plus opposé que le bal à l’esprit du christianisme : avec quel mépris serez-vous écouté ? que de fades plaisanteries sur le prétendu reformateur ? que des gloses sur la morale outrée ? le tems viendra, que ces jeunes personnes, ces libertins, ces gens du monde condamneront avec indignation contre eux-mêmes avec une espece d’horreur de tous ces profanes divertissemens, mais en sera-t’il tems ?…

Ainsi je crois, que les directeurs feroient leur devoir, s’ils exigoient de ceux, dont il gouvernent les consciences, qu’ils n’y allassent jamais.

Permission.

JE soussigné Provincial de la Compagnie de Jesus dans la Province de France, suivant le pouvoir que j’ai reçû de nôtre Reverend Pere General, permets au Pere Vincent Houdry, de la même Compagnie, de faire imprimer l’ouvrage qu’il a composé, qui a pour Tître, la Bibliotheque des Predicateurs, lequel a été revü par trois Theologiens de nôtre Compagnie, en foi de quoi j’ai signé la presente Permission. A Paris le premier jour de l’an 1709.

Approbation.

J’Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier un Manuscrit qui a pour Tître La Bibliotheque des Predicateurs par le P. Vincent Houdry ; les Personnes qui s’appliquent au Sacrè Ministere de la parole y trouveront ce tresor du Pere de famille, dont il est parlé dans l’Evangile, d’où ils pourront tirer des richesses anciennes & nouvelles pour les repandre avec abondance, & avec fruits sur les fideles, en les instruisant pleinement des veritez du salut, & en les portant efficacement à la pratique des vertus necessaires pour acquerir les veritables biens de l’éternité. A Paris le 28. Janvier 1711.