(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien premier. Sentiment du reverend Pere Bourdaloue de la Compagnie de Jesus, touchant les Bals & les Comedies en general. » pp. 8-16
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(1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien premier. Sentiment du reverend Pere Bourdaloue de la Compagnie de Jesus, touchant les Bals & les Comedies en general. » pp. 8-16

Entretien premier.

Sentiment du reverend Pere Bourdaloue de la Compagnie de Jesus, touchant les Bals & les Comedies en general.

T Ertulien fait une reflexion bien vraye dans le Traité qu’il a composé des Spectacles. Il dit que l’ignorance de l’esprit de l’homme n’est jamais plus presomptueuse, il ne pretend jamais mieux philosopher, & raisonner, que quand on lui veut interdire l’usage de quelques divertissemens, & de quelque plaisir, dont elle est en possession, & qu’elle se croit legitimement permis. Car c’est alors qu’elle se met en defense, qu’elle devient subtile, & ingenieuse, qu’elle s’imagine mille pretextes pour appuyer son droit, & que dans la crainte d’être privée de ce qui la flate, elle vient enfin a bout de se persuader, que ce qu’elle desire est honnête & innocent, quoi qu’au fond il soit criminel, & contre la loi de Dieu. * Mirum quippe quam sapiens sibi videtur ignorantia humana, cum aliquid de hujusmodi gaudiis ac fructibus veretur omittere. Et en effet, c’est de ce principe que naissent tous les jours les relachemens dans la Morale chrétienne. Une chose est agreable, ou le paroit ; & parce qu’elle est agreable on l’aime, & parce qu’on l’aime, on se figure qu’elle est bonne, & a force de se le figurer, on s’en fait une espece de conviction, en vertu de la quelle on agit au prejudice de la conscience, & malgré les plus pures lumieres de la grace. Or appliquons cette maxime generale aux points particuliers, sur tout à celui que je traite. Je prétens qu’ils y a de divertissemens dans le monde qui passent pour legitimes, & que l’opinion commune des gens du siécle authorise ; mais que le Christianisme condamne, & qui ne peuvent s’accorder avec l’integrité, & la pureté des mœurs. Expliquons nous encore plus en détail ; car sans cela peut-être auriez vous de la peine à bien concevoir ma proposition, & peut-être dans la pratique, tout ce que je dirois ne produiroit-il aucun fruit. Raisonnons donc sur certains sujets plus ordinaires, plus connus, & qui sont a peu près les mêmes que ceux dont a parlé Tertulien. Ainsi, par exemple, ces representations profanes, ces spectacles ou assistent tant des mondains oisifs & voluptueux, ces assemblées publiques & de pur plaisir, ou sont reçûs tous ceux qui amene, soit l’envie de paroître, soit l’envie de voir, en deux mots, pour me faire toûjours mieux entendre, Comedies & Bals, sont-ce des Divertissemens permis ou défendus ? Les uns éclairez de la veritable sagesse, qui est la sagesse de l’Evangile, les reprouvent ; les autres trompez par les fausses lumieres d’une prudence charnelle les justifient, ou s’efforcent de les justifier. Chacun prononce selon ses vûës, & donne ses décisions. Pour moi, si je n’étois déja d’une profession, qui par elle même m’interdit de pareils amusemens, & que j’eusse comme vous à prendre parti la-dessus, & à me résoudre, il me semble d’abord que pour m’y faire renoncer, il ne faudroit rien davantage que cette diversité de sentimens. Car pourquoi, dirois-je, mettre ma conscience au hazard dans une chose aussi vaine que cella-la, & dont je puis si aisement me passer ? d’une part on m’assure que ces sortes de Divertissemens sont criminels : d’autre part on soûtient qu’ils sont exemts de peché. Ce qui doit résulter delà, c’est qu’ils sont au moins suspects, & puisque ceux qui soûtiennent, que l’innocence y est blessée sont du reste les plus réglez dans leur conduite, & plus attachez à leurs devoirs, les plus versez dans la science des voyes de Dieu, n’est-il pas plus sûr & plus sage que je m’en raporte à eux, & que je ne risque pas si legerement mon salut ? Voilà comment je concluërois ; & ce seroit sans doute la conclusion la plus raisonnable & la plus sensée.

Mais ce n’est pas la que je me voudrois arrêter, & il y a encore de plus fortes considerations qui me determineroient. Que ferois-je ? suivant le conseil du Saint Esprit, j’interrogerois ceux que Dieu m’a donnez pour Maîtres, ce sont les Peres de l’Eglise Interroga Patrem tuum, & annuntiabit tibi, majores tuos, & dicent tibi : & après les avoir consultez, il seroit difficile, s’il me restoit quelque delicatesse de conscience, que je ne fusse pas absolument convaincu sur cette matiere. Car ils m’aprendroient des veritez capables non seulement de me determiner, mais de m’inspirer pour ces sortes de divertissemens une espece d’horreur.

Ils m’aprendroient que les païens mêmes les ont proscrits comme préjudiciables & contagieux : il n’y a qu’à lire ce que saint Augustin en a remarqué dans les livres de la Cité de Dieu, & les belles Ordonnances qu’il raporte à la confusion de ceux qui pretendroient maintenir dans le Christianisme ce que le paganisme a rejetté. Ils m’aprendroient que d’abandonner ces Spectacles & ces Assemblées dans les premiers siécles de l’Eglise, c’estoit une marque de religion, mais une marque authentique ; & qu’en particulier ils ne blamoient pas seulement le Theatre parce que de leur temps il servoit à l’idolatrie & à la superstition, mais parce que c’estoit une école d’impureté. Or, vous savez s’il ne l’est pas encore aujourd’hui, & si la contagion de l’impureté n’y est pas autant plus à craindre, qu’elle y est plus deguisée, & plus raffinée. Il est vrai le langage en est plus pur, plus étudié, plus chatié ; mais vous savez si ce langage en ternit moins l’esprit, s’il en corrompt moins le cœur, & s’il peut-être il ne vaudroit pas mieux entendre les adultéres d’un Jupiter, & des autres divinitez, dont les excés exprimez ouvertement & sans reserve, blessant les oreilles feroient moins d’impression sur l’ame. Ils m’aprendroient que dans l’estime commune des fideles on ne croyoit pas pouvoir garder le serment & la promesse de son Baptême, tandis qu’on demeuroit attaché à ces frivoles passe-temps du siecle. Car c’est vous jouër de Dieu même, mon Frere, écrivoit saint Cyprien, d’avoir dit anathême au demon, comme vous l’avez fait en reçevant sur les Sacrez fonts la grace de Jesus-Christ, & de rechercher maintenant les fausses joïes qu’il vous presente dans une Assemblée ou dans un spectacle de vanité. Ils m’aprendroient que sur cela, l’Eglise usoit d’une severité extrême dans sa discipline, & que cette severité alla même à un tel point, que ce fut quelquefois un obstacle à la conversion des infideles. Jusques la, dit Tertulien, que l’on en voyoit presque plus s’éloigner de nôtre sainte Foi par la crainte d’être privez de ces divertissemens qu’elle condamnoit, que par la crainte du Martyre, & de la mort, dont les tyrans les menaçoient.

Voila ce que m’aprendroient ces saints Docteurs, & ce qu’ils vous aprennent. Voilà leur morale ; prenez garde, je ne dis que ç’a ésté la Morale d’un de ces grands Hommes, mais de tous : tellement que tous d’un consentement unanime sont convenus de ce point ; qu’ils n’ont eu tous les mêmes expressions. Je ne dit pas que ç’a été leur Morale dans un tems, & qu’elle a changé dans un autre : de siécle en siécle, ils se sont succédez ; & dans tous les siécles, ils ont renouvellé les mêmes defenses, debité les mêmes maximes, prononcé les mêmes arrêts. Je ne dis pas que ç’a été la Morale des gens foibles & peu instruits, bornez dans leurs vuës, & timides ou précipitez dans leurs decisions : outre leur sainteté qui nous les rend venerables, nous savons que c’étoient les premiers genies du monde ; nous avons en main leurs écrits, & nous y voyons la sublimité de leur sagesse, la penetration de leur esprit, la profondeur & l’étendüé de leur érudition. Je ne dis pas que ç’a été une Morale de perfection seulement & de pur conseil : il n’y a qu’a peser leurs termes & qu’a les prendre dans le sens le plus naturel & le plus commun : sur quel autre sujet se sont-ils expliquez avec plus de rigeur ? De quoi nous ont-ils plus fait craindre les funestes consequences, & à quoi ont-ils plus attribué les suites fatales, & plus donné la force du precepte ? Je ne dis pas que ç’a été une Morale fondé sur des raisons propres & particulieres : je vous l’ai déja fait remarquer, & je le répête, ils n’employoient point d’autres raisons que nous, ils n’en avoient point d’autres ; ce qu’ils disoient contre le Théatre & contre ces Assemblées mondaines d’ou nous tachons à vous retirer, c’est ce que nous vous disons ; & tout ce qu’ils disoient, c’est ce que nous avons le même droit qu’eux de vous dire. Enfin, je ne dis pas que ç’a été une Morale qu’ils n’ayent adressée qu’à certains états, qu’à certains caractéres, & à certains esprits. Ils n’ont distingué ni qualitéz, ni conditions, ni tempéramens, ni dispositions du cœur. Ils parloient à tous Chrétiens comme vous, & ils leur parloient a tous. Enfin tel ou tel leur répondoit ce qu’on nous répond encor tous les jours, & ce qu’a si bien remarqué Saint Chrysostome : tout ce que je vois, & tout ce que j’entend, me divertit & rien de plus ; du reste, je n’en ressens aucune impression, & je n’en suis nullement touché. Vaine excuse qu’ils traitoient, ou de déguisement & de mauvaise foi, ou d’erreur au moins & d’illusion : de déguisement & de mauvaise foi, parce qu’ils n’ignoroient pas que c’est un pretexte, dont veulent quelquefois se prevaloir les plus corrompus, cachant les desordres secrets de leur cœur, afin de justifier en apparence leur conduite, d’erreur au moins & d’illusion, parce qu’ils savoient combien on aime à s’aveugler soi-même, & combien la passion fait de progrès, qu’on n’aperçoit pas d’abord & qu’on ne veut pas apercevoir, mais qui ne diviennent ensuite que trop sensibles.

Que peuvent opposer à des témoignages si exprés, si averez, si respectables, les partisans du monde ? Qui en croiront-ils, s’ils ne se rendent pas à des semblables authoritez ? Et ne seroit-ce pas une temerité insoutenable, & ou nul Chrétien de bon sens ne tombera jamais, de prétendre que ces hommes de Dieu se soient tous égarez, qu’ils ayent tous porté trop loin les choses, & que dans le siécle ou nous vivons, nous soyons plus éclairez qu’ils ne l’étoïent ? Cependant vous en verrez, qui, sans hesiter, appellent de tout cela à leur propre jugement, & qui ne se feront pas le moindre scrupule de ce que tous les Peres de l’Eglise ont crû devoir hautement qualifier de peché. Car voilà jusqu’ou est allée la presumption de nôtre siecle. Comprenez la, s’il vous plait, toute entiere. Il s’agit de la conscience & du salut, & tout ce qu’il a eu jusqu’à present sur ces sortes de matieres, de juges competens, de juges reconnus, & autorisez, ont decidé : mais ce n’est point ainsi qu’en jugent quelques mondains, & ce n’est qu’à eux-mêmes qu’ils veulent s’en raporter. Observez bien ce que je dis, quelques mondains. Car du moins si c’étoient les Pasteurs des ames, si c’étoient les Maîtres de la Morale, si c’étoient les Ministres des Autels, les Directeurs, les Predicateurs de la Parole de Dieu, qui maintenant & parmi nous eussent sur la question, que je traite, des principes moins séveres que ceux de toute l’antiquité ; & si ces principes étoient generalement & constamment suivi par la plus saine partie des Chrétiens peut-être seroit-il plus supportable alors d’examiner, de déliberer, de disputer. Mais vous le savez : Predicateurs dans la chaire, Directeurs dans le tribunal de la penitence, Docteurs dans les Ecoles, Pasteurs des Ames, Ministres des Autels tiennent tous encore le même langage, & se trouvent apuyez de tout ce que l’Eglise a de vraïs Enfans, & de vraïs Fidéles. Que reste-t’il donc ? je l’ai dit : quelques mondains, c’est-a-dire, un certain nombre des gens libertins, amateurs d’eux-mêmes ; & idolátres de leurs plaisirs ; de gens sans étude, sans connoissance, sans attention à leur Salut, de femmes vaines, dont toute la science se reduit à une parure, dont tout le desir est de paroître, & de se faire remarquer, dont tout le soin est de charmer le tems, & de se tenir en garde contre l’ennemi qui les surprend, dès que l’amusement leur manque, & qu’elles sont hors de la bagatelle ; mais ce qu’il y a souvent de plus déplorable, dont la passion cherche a se nourir & a s’allumer, lorsqu’il faudroit tout mettre en œuvre pour l’amortir & pour l’éteindre. Voila les oracles qui veulent se faire écouter, & que l’on n’écoute en effet que trop ; voila les Docteurs & les Maîtres, dont les lumieres effacent toutes les autres, & dont les resolutions sont absoluës & sans replique ; voila les guides dont les voyes sont les plus droites, & les garants sur qui l’on peut se reposer de sa conscience, de son ame, de son éternité. Serm. 9. pour le troisième Dimanche aprés Pâques.

Approbation.

J’Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier, Les Sermons pour les Dimanches de l’Année prechez par le R. P. Bourdaloue de la Compagnie de Jesus, dans lesquelles je n’ai rien trouvé que de très conforme à la pureté de la Foi & de la Morale Chrétienne. A Paris ce 3. Avril 1716.

Permission du R. P. Provincial.

JE soussigné Provincial de la Compagnie de Jesus, dans la province de France, permet au Pere François Bretonneau de la même Compagnie, de faire imprimer un Livre qu’il revû, & qu’il a pour Tître Sermons du Pere Bourdaloue de la Compagnie de Jesus, pour les Dimanches, lequel Livre a été vû & approuvé par trois Theologiens de nôtre Compagnie, en foi de quoi j’ai signé la presente Permission. A Paris ce 16. Avril 1716.