(1668) Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs bien loin de les réformer. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics en augmente le danger. On ne peut assister au spectacle sans péril « Chapitre X. Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs, bien loin de les réformer. » pp. 185-190
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(1668) Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs bien loin de les réformer. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics en augmente le danger. On ne peut assister au spectacle sans péril « Chapitre X. Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs, bien loin de les réformer. » pp. 185-190

Chapitre X.

Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs, bien loin de les réformer.

LExpérience a toujours fait connaître que le Théâtre est une très méchante école de la vertu ; et que les moyens que les Poètes semblent employer pour corriger les hommes de leurs vices, sont plus propres à les y entretenir, qu’à les en délivrera. « Assuefactio morbi, non liberatio. » Pour ce qui est de la Comédie, les Païens même ont reconnu combien elle était dangereuse, et que les jeunes gens ne devaient pas lire ces sortes d’Ouvrages, qu’après que leurs mœurs seraient tellement affermies, qu’elles ne pourraient plus en être blesséesb. « Cum res fuerint in tuto. » Il est bien vrai que l’on y rend l’avarice ridicule, et que l’on y condamne les débauches des jeunes gens et leurs folles amours ; mais ce n’est point par des railleries que l’on détruit le vice, particulièrement celui de l’impureté ; ce mal est trop grand pour être gueri par un remède si faible, et même souvent on prend plaisir à s’en voir railler.

La raison et la Religion ne nous permettent pas de regarder simplement l’impureté comme une chose ridicule ; elles veulent que nous en ayons horreur, et elles demandent que nous en ayons tant d’éloignement, que nous n’y pensions jamais. Ce n’est que par la fuite que l’on défait ce monstre ; quelque mépris qu’on conçoive pour une action impure dont on voit la représentation, cette vue est seule capable de porter à la commettre. « Discitur adulterium, dum videtur. » La pente que nous avons vers les plaisirs est trop forte pour être retenue par la seule honte, et on espère toujours la pouvoir éviter par le secret, dont on tâche de couvrir ses désordres aux yeux des hommes.

Outre cela, quoiqu’en disent les Poètes, leur dessein est plutôt de rendre le vice aimable que honteux. Ils ne condamnent effectivement et ne rendent ridicules que certains défauts moins considerables, comme l’humeur difficile des vieillards, leur avarice, leur sévérité envers la jeunesse, leur facilité à se laisser tromper. Mais l’impudicité règne dans leurs Ouvrages, quoi qu’elle y paraisse sous les habits de la vertu. Car enfin l’Idole de la Comédie est toujours un jeune homme qui est brûlé d’un feu criminel.

Par exemple, dans l’Andrienne de Terence, Pamphile entretient un très méchant commerce avec Glycérie, qui accouche avant le mariage. Cependant le Poète qui veut intéresser ses auditeurs dans la fortune de Pamphile et de Glycérie, fait paraître ces deux jeunes gens aimables ; il en fait à la fois un monstre de vertu et de vice, ou plutôt un composé de vices effectifs sous des vertus apparentes, pour le rendre aimable ; de sorte que bien loin que des jeunes gens conçoivent de la honte de ces sortes d’amours, ils souhaiteraient ressembler à ces deux amants, dont les amours réussissent.

Pour en donner de l’horreur, le Poète auroit dû, non pas feindre ces succès imaginaires qui n’arrivent jamais ; mais rapporter simplement les malheurs où s’engage infailliblement un jeune homme, qui se marie à l’insu ou contre la volonté de ses parents. Ajoutons que l’on apprend dans les Comédies mille mauvaises intrigues pour faire réussir ces mariages qui sont contre les Lois, soit pour gagner, ou pour tromper un père ; et que l’on y tourne toujours en ridicules ceux qui veulent corriger la jeunesse, et arrêter le cours de ses désordres.

La Tragédie n’est point si dangereuse que la Comédie ; mais elle l’est néanmoins beaucoup. Les vices dont elle donne de l’horreur, paraissent horribles d’eux-mêmes sans artifice. C’est un Œdipe qui tue son père, qui épouse sa mère. La seule crainte des supplices rigoureux ordonnés par les Lois retient assez de ce côté-là. Mais tous les autres vices, comme la haine, la vengeance, l’ambition, l’amour, y sont peints avec des couleurs qui les rendent aimables, comme nous avons remarqué.

Il est vrai que les Poètes ne louent pas ces vices, mais en louant les personnes en qui ils se trouvent, et les couvrant de tant d’excellentes qualités, ils font que non seulement on n’a pas de honte de leur ressembler, mais qu’on fait gloire d’avoir leurs defauts, C’est ainsi que faisaient les disciples de Platon, qui contrefaisaient ses hautes épaules ; et ceux d’Aristote, qui affectaient de bégayer comme lui. Nous nous imaginons facilement que ceux qui remarqueront en nous ces mêmes défauts qui sont dans les grands hommes, jugeront que nous leur sommes semblables en tout le reste.

Cicéron reprend les Grecs de ce qu’ils avaient consacré les amours impudiques des Dieux, en faisant une divinité de Cupidon : et il dit qu’ils ne devaient rendre ce culte qu’à leurs vertus. Lactance remarque fort bien que ce n’est point assez, et qu’ils devaient entièrement quitter des Dieux vicieux qui nuisaient plus par l’exemple de leurs désordres, qu’ils ne pouvaient être utiles par l’exemple de leur vertu. Le mal a plus de force que le bien sur l’esprit de l’homme, et s’il se trouve une personne qui imite quelqu’une des vertus des Héros des Poètes, il y en a mille qui sont les imitateurs de leurs vices.