CHAPITRE VI.
Euphemie.
Il y a dans le monde une conjuration formée contre l’état religieux. L’esprit d’irréligion, la corruption des mœurs, les idées philosophiques de population, l’envie de s’emparer de ses biens, la haine des censeurs du vice & les appuis de la vertu, ont mis dans les esprits une aversion infinie contre ce saint état, & allumé le flambeau de la guerre. Il n’est ni de mon objet ni de ma compétence d’examiner ce systême destructeur ; je me borne à la part qu’y prend le théatre : il y joue son rôle, jamais il n’aima une vie qui lui est si opposée. Je ne doute pas que le goût aujourd’hui dominant du théatre ne contribue à cette haine & à ce mépris, & je ne comprends pas comment les Communautés Religieuses ont pu s’aveugler sur leurs intérêts, jusqu’à le favoriser, à composer, à faire représenter des pieces dans leurs maisons, à donner des règles de l’art dramatique, dont une bonne politique devoit les rendre ennemis déclarés. On attaqua d’abord grossierement le froc & le voile, en les tournant en ridicule, faisant paroître sur le théatre des Moines, des Ecclésiastiques qui tenoient une conduite & des propos licencieux. On pouvoit avoir raison. Est-il d’état où quelques particuliers ne s’oublient ? est-il juste d’imputer à la profession des égarement qu’elle condamne ? Il a fallu des ordonnances très-sévères pour arrêter ces impiétés, & bannir de la scène tout vestige des habits sacrés. Cette loi a été long-temps observée, & il en devoit peu coûter de s’y conformer. Les aventures monastiques, petites, peu amusantes, n’ont ni sel ni variété ; l’habit sérieux, modeste, imposant, ne représentent point les attraits de l’immodestie & les graces de la parure. Tel est l’Opéra des Monnes ; ce n’est qu’un recueil de traits bachiques qu’on trouve dans mille chansons, & qui fait aussi peu d’honneur à l’esprit qu’à la profession de l’Auteur.
On le prend aujourd’hui sur un ton différent & tres-artificieux ; on fait l’éloge de ce saint état, on en porte la sainteté, les rigueurs à l’excès, pour faire entendre que cette perfection est impraticable ; que ceux qui s’y sont engagés, la plupart malgré eux, par force ou par désespoir, y gémissent sous la haire & le cilice, dans des combats perpétuels, sans pouvoir vaincre les passions qu’ils y ont apportées ; que l’impossibilité de les satisfaire les rend malheureux toute leur vie, & la sainteté de leurs vœux, toujours coupables ; que l’état, tout saint qu’il est, ne fournit pas des moyens suffisans pour éteindre ces feux criminels ; qu’au contraire il en augmente la vivacité par les obstacles. Les passions concentrées dans le silence de la retraite, dit la Préface, ont une véhémence, une force auxquelles sont incapables d’atteindre la langueur & la délicatesse d’un monde dissipé. Un cœur isolé, forcé de se replier sur lui-même, de se parler, de se répondre, de se nourrir, pour ainsi dire, de sa propre substance, en acquiert plus de ressort & d’énergie dans ses mouvemens. Les ames de cette espèce sont comme des volcans dont l’explosion est d’autant plus terrible, que la flamme a été plus comprimée. Tout cela n’est vrai que pour certains caractères extrêmement fougueux, & dans les momens d’une tentation violente. Dans presque tous les hommes l’absence de l’objet aimé, l’impossibilité de le posséder, rallentit les passions les plus vives ; le temps change tout. Le libertinage peut, il est vrai, durer toute la vie, parce que sans cesse on l’entretient. Mais ces passions romanesques que rien n’affoiblit, sont des chimères. Rien n’est plus commun que l’inconstance. Le cœur humain est incapable d’un attachement éternel, infructueux, sans espérance, & loin de son objet. Les Religieux, à l’exception des Chartreux, ne vivent pas dans le silence & la solitude, ils sont toujours occupés, toujours avec leurs Supérieurs, leurs frères, souvent avec le monde. Ne compte-t-on pour rien les secours spirituels, la priere, les lectures de piété, les exhortations du Confesseur, l’autorité des Supérieurs, le bon exemple, les exercices de pénitence, la fréquentation des sacremens, l’éloignement de occasions, l’habit que l’on porte, les vœux qu’on a faits, les graces abondantes que Dieu prodigue à ceux qui le servent ? C’est oublier la religion, & se trop borner aux sentimens de la nature, que d’exagéres si fort le mal, pour inspirer des terreurs paniques & éloigner de l’état religieux. On n’ose point en attaquer de front la sainteté, mais par un tour artificieux on se sert de cette sainteté même pour y mettre une barriere.
Voilà le poison de trois pieces qui ont paru depuis peu, le Comte de Comminges, Ericit, ou les Vestales, Euphemie, ou le Triomphe de la Religion, & apparemment des autres que le sieur Arnaud menace de nous donner dans le même goût. Il y a de beaux endroits dans ces trois drames, sur-tout dans Comminges. Ils sont pourtant au-dessous des éloges qu’on en a fait, & de la célébrité qu’on a voulu leur donner. Ces trois poëmes ne sont que la même piece déguisée sous les habits des Moines de la Trape, sous ceux d’une Religieuse d’un Couvent austère, & ceux des Religieuses Payennes. C’est par-tout des personnes sans vocation, entrées par force dans un Monastère avec une passion violente qu’elles conservent, retrouvées par leur amant, au moment d’être enlevées ; par-tout le coup de théatre trivial des reconnoissances par quelques lettres ou portrait qu’on gardoit dans son sein. L’Auteur convient de cette parfaite ressemblance entre les pieces qu’il appelle des Sœurs : il ne veut pas décider de la préférence. Je crois l’aînée meilleure ; c’est le premier fruit du génie. On voit dans la seconde un sujet, un esprit épuisé qui s’efforce, à la faveur de quelques circonstances, d’enfanter de nouvelles choses, mais dans le fonds ne fait que se répéter. Si Euphemie a moins de beautés, d’élévation & de force, elle n’a guère moins de choses répréhensibles sur la religion & les mœurs, qui doivent la faire proscrire d’un théatre chrétien. Les principes qui y sont répandus réveillent les idées les plus dangereuses. Elle n’auroit pas échappé à la réformation de Riccoboni ; je ne crois pas que l’Abbé de Besplas l’eût plus épargnée. Les papiers publics ont annoncé que le Marquis Algarotti avoit traduit & fait jouer à Veronne le Comte de Comminges, que les habits étoient exactement ceux de la Trape, & qu’il n’avoit rien épargné pour rendre le spectacle terrible & frappant. C’est sur un théatre de société ; on ne souffriroit en Italie ni cette piece ni ces habits sur le théatre public : je doute qu’on le souffrît en France.
La fable d’Euphemie est très-mal conçue, contre toutes les règles & les usages monastiques, dont l’Auteur n’a aucune idée. 1.° Un événement si intéressant ne peut se passer sans la Supérieure du Couvent, qui n’y paroît pas ; il n’y a que deux Religieuses particulieres, dont même l’une, réguliere & sévère, a dû le lui aller raconter. On se prive par là de plusieurs belles scènes où la Supérieure auroit pu jouer un rôle brillant. On n’a point fait cette faute dans Cominges ni dans Ericie ; mais l’Auteur épuisé n’a su que mettre dans la bouche de la Supérieure. 2.° Il fait un Couvent de filles sans clôture, tout y entre sans permission & sans difficulté. Tous les Couvents de filles sont cloîtrés ; les Communautés qui ne sont pas cloîtrées, ne font que des vœux simples pour un temps, ce qui détruit toute l’intrigue. 3.° On fait venir un Directeur extraordinaire, qu’on place au milieu de l’Eglise avec deux chaises, comme dans une chambre, & une conversation ordinaire. On représente pourtant les Religieuses prosternées devant l’Autel, où le saint Sacrement est en réserve, ce qui est très-indécent & contre les règles. On va trouver le Confesseur au parloir ou au confessional. 4.° C’est contré la vrai-semblance qu’une fille bien élevée, qui a été dix ans Religieuse, qu’on dit timide, modeste, fasse d’abord à sa mère, ensuite à un homme respectable qu’elle n’a jamais vu, une déclaration de sa passion aussi emportée, aussi impie, aussi déshonorante. Il faut qu’on l’air senti, on lui fait baisser le voile. Quel langage ! quelle leçon ! on ne le tiendroit pas dans le monde : Mon repos, mes devoirs lui sont sacrifiés. Dix ans de désespoir, de larmes, de combats, le temps, la mort, une haire, rien n’a pu n’arracher à se trait ; voilà l’unique Dieu que je sers, que j’adore, à qui je veux offrir mon encens sur l’Autel. Un cœur ne suffit pas, mes transports, mon bonheur. Je repousse l’Autel, je rejette mon voile en outrageant mon Dieu. Qui m’offroit l’hommage de son cœur, de la main du sort le plus flatteur, de l’amour le plus tendre & le plus enchanteur. Aimable, vertueux, digne d’être adoré, & de tous les humains le plus parfait peut-être. Il n’y a là ni vrai-semblance ni décence, contre le précepte d’Horace, Quid deceat, quid non. 5.° Une femme riche, de qualité, chassée par son fils, à qui elle donne tout son bien, réduite à se mettre domestique, n’est point dans nos mœurs. L’ingratitude feroit révoquer la donation ; elle a dû réserver quelque chose, on lui accorderoit des alimens, sa famille la soutiendroit. L’exemple d’une paysanne qui couche dans un étable, ne prouve rien. Cela est ordinaire à la campagne, sans ingratitude des enfans, qui y couchent eux-mêmes, & n’ont peut-être pas de pain. On a voulu faire un contraste entre le fils & la fille en faveur de l’amoureuse, & ménager deux ou trois évanouissemens. 6.° Le roman de la profession d’Euphemie est absurde. Une veuve veut forcer sa fille unique, âgée de vingt ans, de se faire Religieuse, pour assurer tous ses biens à son fils. Une veuve a peu d’autorité, la fille a sa légitime dans les biens de son père, avec quoi elle peut s’établir. Son frère n’entre point dans le complot, il est livré à ses plaisirs, il se marie. Elle est amoureuse & fort aimée d’un homme de son état qui la demande. Sa mère cependant l’enferme dans le Couvent, presse son tourment, son affreux lien (quel terme dans une bouche catholique & religieuse !), sans que ni la fille ni l’amant fasse la moindre résistance. La mère fait dire à la fille que l’amant est mort ; elle le croit bonnement sans faire aucune enquête. La mère va le lui confirmer pour décider son sort. Elle tombe évanouie. Une parente, qu’il faut supposer dans la chambre voisine, accourt au bruit, & l’emporte dans ses bras expirante. Elle logeoit sans doute fort près. La mère voit tout cela sans s’en embarrasser, ni s’informer que devient sa fille, quoique cela rompe toutes ses mesures ; elle l’abandonne si bien, que dix ans après elle ne sait encore où sa fille a porté ses pas, son désespoir, & la croit morte, sans faire aucune perquisition sur sa mort qui assuroit tous ses projets. La fille qui achève l’histoire, y ajoute d’autres absurdités. Cette parente si compatissante, qui la retire du Couvent, la remet dans un autre, & l’y fait faire profession, se rend ainsi complice des injustices de la mère, & contre les règles est seule témoin, qui seule dans ces murs me vit rendre à mes fers, & lui fait une petite pension, me laissa l’héritage d’un petit revenu. Tout cela ne se fait pas dans une minute ; il faut un an de noviciat avant la profession. Cette parente meurt. La mère ne s’en embarrasse pas davantage. Son amant n’est pas moins indifférent. Tout cela se passe dans la même ville sans qu’il en sache rien, qu’il se donne aucun mouvement. Le second Couvent où on la met, n’est pas plus instruit ; on reçoit sans s’informer, de la main d’une étrangère, une fille unique de condition, dans la même ville. Les Supérieures, l’Evêque, qui en examine les Novices, sont aussi nonchalans ; on la reçoit sans dot, personne ne lui en a fait une, elle n’a aucun bien. Cette historiette inutile à la piece, aussi ridicule que fausse, n’a été fabriquée que pour rendre les Couvents odieux, en représentant la profession comme un acte tyrannique d’une part, & imbécille de l’autre, quoiqu’il n’y en ait point où l’Eglise prenne de plus grandes précautions.
La décoration n’est pas moins mal entendue que les circonstances mal choisies. 1.° Il n’y a point de Communauté où chaque particuliere ait dans sa cellule une biere avec une lampe allumée nuit & jour, & y couche dedans, ce qui seroit d’une incommodité singuliere. C’est une imagination bizare de l’Auteur. Il n’y en a point où l’on ait des souterrains funéraires, voûtés à perte de vue, ornés de colonnes surmontées d’urnes, remplis de tombeaux, les murs chargés d’épitaphes. Tout cela doit avoir été pris de quelqu’une des nuits d’Yong, pour faire peur. Ce n’est point là un Couvent de filles, qui jamais ne se sont avisées de ces pompes payennes. 2.° Elle va se jeter aux pieds du prié-Dieu. On s’y met à genoux, on ne se jette point à ses pieds, il n’a point de pieds. Il y a un Crucifix que soutient une tête de mort. Est-elle donc percée, & le Crucifix planté ? Elle embrasse de ses deux mains la tête de mort. On n’embrasse pas des mains. Elle doit faire tomber le Crucifix qui est par-dessus. Elle se prosterne plus profondément. Une personne prosternée est couchée à terre tout de son long ; on ne peut être prosterné étant à genoux sur un prié-Dieu, ni le faire plus profondément, sans creuser la terre. 3.° Il y a je ne sais combien d’évanouissemens & d’embrassades de la mère, de la fille, de l’amant, de l’autel, de la tête de mort. A tout moment on tombe évanoui, on tombe dans les bras. C’est un mouvement naturel de la passion, qu’on peut employer quelquefois ; mais c’est une puérilité de l’employer si fréquemment : stérilité d’action, qu’on remplace par des lazzis. 4.° Par-tout on tutoie Dieu. Je sais que les Poëtes le font souvent ; mais je doute fort que cela convienne dans la bouche des Religieuses, & dans leurs prieres. On ne le fait jamais dans les Couvens ni dans les prieres : c’est un style protestant, contraire au costume. Je crois aussi qu’on devroit donner le titre de sœur aux trois Religieuses : c’est l’usage. 5.° Il y a une infinité de phrases commencées, de mots suivis de points de réticence. Cela est quelquefois bon dans le transport d’une passion, & dit beaucoup : il laisse entrevoir une pensée qu’on ne peut ou qu’on n’ose bien exprimer. Mais on doit en user sobrement : il y en a peu dans Racine & dans Corneille. Quand il revient si souvent, il fatigue, & marque la stérilité de l’Auteur, qui ne sachant pas finir, se donne un air mystérieux, pour se dispenser de rien dire. On le fait ici à tout moment ; il y a plus de cent réticences. Ces points, qui servent à guider la déclamation de l’Acteur, sont ordinairement inutiles au lecteur, & le fatiguent quand ils sont si multipliés : on n’en voit guère dans nos Auteurs ; il y en a ici une infinité. Si on vouloit noter la déclamation, comme la musique, les signes seroient utiles aux Acteurs, comme l’Abbé Dubos dit qu’on le faisoit autrefois. Je doute pourtant qu’ils voulussent être traités en écoliers. De même la répétition du même mot, dans mon cœur, dans mon cœur, & vous, vous son épouse, ces murs, ces murs sacrés, ce Dieu, ce Dieu jaloux, &c. cette répétition a de la grace, de la force ; mais si souvent, elle est fastidieuse. Ces quatre sont dans la même page, dans l’espace de 24 vers. Il y en a cent pareilles. 6.° On fait descendre cette Religieuse dans le caveau avec une lampe à la main. Pourquoi cet air antique de lampes sépulcrales ? une bougie feroit le même effet, seroit moins embarrassante & plus conforme à l’usage. Elle appuie une main & la tête sur le tombeau, elle tombe sans connoissance sur les marches en descendant, sans que la lampe tombe avec elle. On fait venir l’amant de très-loin dans le caveau, au lieu d’y aller par l’entrée de la maison, qui étoit libre. Il dit que ce caveau avoit une issue inconnue hors de l’enceinte du Monastere, par laquelle il est venu : autre absurdité : Sibi convenientia finge. 7.° On fait tenir au Moine son amant les discours les plus impies & les plus extravagans, on lui fait faire des sermens exécrables, ce qui non-seulement est scandaleux contre la religion & les mœurs, mais contre la vrai-semblante. Depuis dix ans Religieux & Prêtre estime pour ses lumieres & ses vertus, appelé pour diriger ces Religieuses, ayant parlé avec religion & avec zèle, cet homme tout-à-coup devient furieux, enragé, dans le plus violent délire, brave le ciel & la terre, blasphême, jure, &c. veut persuader à cette Religieuse d’apostasier & de s’enfuir, avec lui, de vivre comme mari & femme, & d’aller, je ne sais où, travailler la terre, pour gagner la vie, la nourrir avec sa famille de son travail. Est-on bien sage d’introduire de pareils insensés sur la scène ? Est-ce là l’école des mœurs pour la jeunesse ? 8.° Cette scene où l’Auteur a mis tout son art, est un enfantillage. Deux amans seuls pendant la nuit n’offrent rien d’édifiant. Ils vont, reviennent, avancent, reculent, se poursuivent, se fuyent, se tiraillent, se poussent, se repoussent, se tendent la main, se troublent, vont au caveau, s’en éloignent, tombent, se relevent, pleurent, se consolent, se mettent à genoux l’un devant l’autre, levent les mains, les yeux au ciel, se penchent vers la terre, marchent avec précipitation, se promenent lentement, se parlent avec emportement, s’adoucissent, avec fureur s’attendrissent. Enfin l’amant forcéné l’entraîne par deux fois ; elle lui échappe, & tombe. Il la soulève avec violence, son voile est en désordre, lorsque heureusement enfin arrivent des gens qui les arrêtent. Ce manège, ces grimacer dans un sujet aussi grave, est un ridicule pantomime d’Arlequin. 9.° Une des tombes s’ouvre sons les pieds d’Euphemie, la pierre se brise & roule avec bruit ; Euphemie est entraînée dans sa chûte, & se trouve à demi engloutie dans le sépulcre. On a cru trouver là un merveilleux coup de théatre, & c’est une absurdité. La tombe sous les pieds d’Euphemie est à niveau de terre, ou élevée. Si elle est à niveau, la pierre sépulcrale a dû s’enfoncer, & ne pas rouler. Si elle est élevée, & elle doit l’être considérablement, puisque cette fille y appuyoit la tête & la main, & y avoit posé la lampe, comment s’est-elle ouverte sous ses pieds, à moins qu’elle n’y soit montée dessus, on ne sait pourquoi ? Elle ne l’a pas même pu, car elle vient de tomber sur ses genoux, assurément à terre, & qu’elle a été aussi-tôt enlevée avec violence par son amant. Si son poids a fait briser la pierre & fait engloutir, la pierre en roulant ne l’a donc pas entraînée ; elle auroit plutôt entraîné la pierre en l’enfonçant, & son amant se seroit enfoncé aussi, puisqu’il étoit avec elle la soulevant, &c. 10.° Enfin le dénouement est aussi absurde que le reste. On veut faire voir une conversion parfaite des deux amans, ce qui seroit sans doute une bonne leçon à donner. Mais l’Auteur se connoît peu en conversions ; il défigure si sort celle-ci, qu’elle est très-douteuse, ou plutôt fausse, & un nouveau crime. D’abord il est impossible qu’elle soit si subite. Cet amant enragé enleve cette Religieuse, & dans l’instant le voilà un saint. D’où vient ce changement miraculeux ? C’est qu’il est pris sur le fait par la mère & deux Religieuses. Il faut bien qu’il lâche sa proie, qu’on l’empêcheroit bien d’enlever, & il fait le converti, comme un voleur qu’on surprend, qui laisse ce qu’il emportoit, proteste qu’il n’y reviendra plus, & s’enfuit. Lui-même il se trahit, ou plutôt la vérité le décelle. Ce n’est point Dieu qui l’a touché ; son amour, sa fureur, sont toujours les mêmes : il tient le langage affreux du pécheur, de l’impie le plus endurci, qui est absurde dans sa bouche. Voici sa confession publique : c’est un nouveau scandale. Eh bien, ce mot affreux, le puis-je prononcer ? Je vais à mon amour, Constance, renoncer, oui te quitter▶, & fuir tout ce que j’adore, finir loin de toi un destin que j’abhorre. Ah ! jamais la vertu ne fut plus près du crime. Connois, sens tous les maux que l’homme peut souffrir. Vois l’abyme effroyable où je me précipite. Je pars, je t’obéis encore plus qu’à Dieu. Constance, tu reçois mon éternel adieu. Mon ame, de regret, de douleur consumée pour toujours, quand jamais tu ne fus plus aimée. Est-ce là de la contrition, & n’est-ce pas se jouer du public, renverser toutes les idées de la pénitence, & donner la plus scandaleuse leçon, que de louer comme une conversion parfaite dans un Religieux, un Prêtre, ce tas d’impiétés & d’extravagances ?
Le rôle de Madeleine qu’on fait jouer à la fille, à travers une exhortation pathétique faite à son amant, ne présente qu’une conversion fort équivoque & fort incertaine. La voilà à demi ensevelie dans la tombe, dont elle a enfoncé & brisé la pierre, d’où, comme un Prédicateur en chaire, elle prêche son Moine. Il veut l’en retirer ; mais elle le repousse avec indignation, prétendant que Dieu qu’il y détruit la substance mortelle, qu’elle y attend la mort, &c. Elle y finit son sermon, disant qu’elle y veut mourir, se jette sur cette tombe, & l’embrasse avec emportement. Que l’emportement est déplacé dans une convertie, une Religieuse, une fille qui prêche pour convertir les autres ! Elle se relève avec fureur. Autre trait de conversion. Appercevant son amant, qui balance encore, elle lui dit des injures, lui fait un nouveau sermon, & le chasse absolument avec les plus grandes menaces. Qu’on se souvienne que la mère & deux Religieuses qu’elle n’attendoit pas là, sont présentes. Le Moine la voyant si résolue, prend son parti, fait des reproches à la mère, & un dernier compliment à la fille, à qui seule il attribue sa conversion : Je t’obéis bien plus encore qu’à Dieu. C’est-à-dire, je te ◀quitte▶, non parce Dieu me l’ordonne, mais parce que tu me chasses. Il s’enfuit précipitamment, bien loin de se tourner vers Dieu. Elle le suit des yeux jusqu’à ce qu’elle cesse de l’appercevoir, & se livrant au désespoir d’avoir perdu son amant, elle s’écrie, je n’ai plus qu’à mourir, & tombe évanouie, les bras étendus sur la pierre sépulcrale. On court lui donner du secours ; mais ne pouvant la faire revenir, on l’emporte mourante, & l’Auteur, aussi mourant qu’elle, dénoue la piece, en disant la toile se baisse. Ces fureurs, ces emportemens, ce désespoir, ce langage passionné, ces motifs vicieux, qu’on veut donner pour une conversion héroïque, une victoire complette, un chef-d’œuvre de la grace, & qui dans l’esprit de l’Evangile sont de nouveaux crimes, font un jeu scandaleux de la religion & de la vertu, enseignent à se contenter d’une fausse conversion, & rendent suspectes les véritables. La profanation des objets & du langage de la religion, qu’on a la témérité d’y mêler avec les objets & le langage du vice, ne sert qu’à pallier & augmenter le scandale & le sacrilège. On a jugé ce trait si beau, qu’on en a fait le sujet de l’estampe qui est à la tête, qui même n’est pas exacte. Il y manque la Sœur Cécile ; & le Moine, bien loin de fuir précipitamment, s’arrête & tourne la tête pour voir sa maîtresse. A-t-on remarqué que ces deux amans, dès l’instant qu’ils se reconnoissent, commencent & ne cessent plus de se tutoyer, même après leur conversion, même en présence de la Comtesse & des Religieuses, même en s’exhortant à la vertu ? grossiereté entre gens de condition, opposée aux principes d’une bonne éducation, contraire dans l’un & l’autre à la modestie religieuse & entre personnes qui se sont aimées & se ◀quittent▶, opposée à la sévérité de la pénitente & à la gravité de l’exhortation. Cela seul en trahiroit la fausseté, parce qu’il marque une basse familiarité, & suppose une intimité indécente que la piece n’exige pas, qu’elle exclud même, parce qu’elle représente les deux amans comme vertueux. Jamais Corneille, Racine, Voltaire, n’ont fait tenir ce langage à leurs amans ; Moliere même & les autres comiques ne le font tenir qu’à des valets ou des pay sans.
Cette piece est pleine de mauvais principes, ignorance ou irréligion ; la vérité y est fort peu respectée. Pénètre-toi des feux de la grâce invincible. La grace n’est point invincible, elle n’a point de feux, l’homme ne se pénètre pas lui même des feux. Le ton de la menace appartient à l’erreur. Dieu nous menace de l’enfer ; est-ce une erreur ? Sa tendresse, & non pas sa justice, le conduit au supplice. La mort de Jesus-Christ est un acte de justice aussi bien que de charité. A l’amour ne mêlons point la crainte. Elle est le commencement de la sagesse. Deux ames tour-à-tour m’emportent, me déchirent. Qui est donc ce tiers emporté, déchiré par deux ames ? l’ame est déchirée, ne déchire pas. Dieu ne peut changer mon ame ; pour me vaincre, il faut tout son pouvoir. Ces exagérations de la passion sont des blasphêmes. Le charme de l’amour, son pouvoir invincibles. Erreur, de quelque amour qu’on l’entende. Le trouble, cet orage (de remords), qui trompant ma foiblesse. Galimathias ou erreur. Dans mes larmes mourir. Ma raison impuissante ou vain la repoussoit dans mon ame expirante. Qu’est ce qu’une ame expirante, des larmes repoussées dans une ame expirante ? Dieu va vous accabler du céleste courroux. Qu’est-ce que ce courroux céleste, différend de Dieu ? Il ne peut vous absoudre. Quelle erreur grossiere ! Faisons du bien, nous prierons ensuite. Renversement : il faut commencer par Dieu & la priere pour obtenir la grace de faire du bien au prochain. Dans le système philosophique on fait parade d’humanité, le culte de Dieu n’est compté pour rien. On ne parle par-tout de la profession religieuse que sous des noms odieux, affreux liens, fers accablans, abyme, chaîne, cruelle prison, imposture, lien tissu par l’enfer, &c. Sont-ce des idées chrétiennes ?
Le long discours de ce Moine apostat est l’ouvrage de l’enfer. Il brave le ciel. Que le ciel s’en offense, dussai-je être frappé du céleste anathême, je ne te ◀quitte point. Sa maîtresse est son Dieu. Oui, c’est moi qui t’adore ; content de t’adorer, d’y consacrer ma vie. O ma religion ! je ne te connois plus. Il renonce à son état, il apostasie. Tous mes sermens, mes vœux, mes liens sont rompus. Je déteste mes vœux. Mon serment, mon vœu le plus sacré est de t’aimer. Il veut faire apostasier Euphemie. Excite ton courage à briser tes entraves, Et laisse dans ces murs gémir les cœurs esclaves. C’est un déiste qui ne connoît que la loi naturelle. Laissons ces humains dégradés par leurs loix. De l’homme naturel reprenons tous les droits. Il ne connoît rien de sacré que le mariage. L’hymen est une loi suprême, le premier vœu de la nature, le seul qui soit vainqueur de l’humaine imposture. Il n’y faut que la volonté des parties. Maître de mon sort, de mes goûts, à la face du ciel m’avouer ton époux. Nous serons unis par la vérité. Dieu, j’ose à ton autel attester ta grandeur. Voilà, j’en fais serment, l’épouse de mon cœur. Elle lui représente que si elle étoit mariée à un autre, il n’auroit aucun droit, à plus forte raison étant unie à Dieu. Il répond en forcéné : J’aurois les droits les mieux fondés d’une prompte vengeance : Tout devient légitime à l’amour qu’on offense. De cent coups de poignard, & jusque dans ton cœur Ma rage auroit percé celui du ravisseur. Il blasphême contre l’Eglise. Dieu que pour mon supplice De ses crimes la terre a rendu le complice, Ce Dieu que le mensonge & la crédulité Font servir de prétexte à la férocité, Au gré de leur caprice indulgent ou sevère ; Tous ces humains grossiers lui prêtent leurs fureurs, Consacrent de son nom leurs stupides erreurs. Ce joug sous qui se baisse un vil peuple d’esclaves. Il répond aux exhortations qu’on lui fait, par des imprécations d’un damné, que l’honnêteté ne proscrit pas moins que la religion : Sur moi se réunisse une éternelle mort, les tourmens de l’enfer. Il décrit les prétendues cruautés des cachots des Religieux. Tu connois les transports de ces ames sacrées, & d’encens & de fiel à la fois enivrées. Je vais sécher dans des cachots inondés de mes pleurs, chaque jour y maudire une horrible existence, & mourir de douleur, de désespoir, de rage. De pareils sentimens méritent ces cachots. C’est un enragé qu’il faut lier. Est-ce là du sublime, du beau tragique ? C’est un goût infernal. Il peint son crime par des traits qui en justifieroient le châtiment : J’ai pris pendant dix ans pour la religion, pour de saints mouvemens, mon feu, ma passion : Lorsqu’à Dieu j’ai cru rendre hommage, c’étoit toi, c’étoit toi dont j’adorois l’image. J’ai voulte t’enlever. Un Religieux, un Prêtre, si scélérat, si hyppocrite, qui parle ainsi à des Religieuses, en présence du saint Sacrement, comme il dit lui-même, ce Tabernacle saint où Dieu même repose, seroit-il jamais trop puni ? Malgré la force & la beauté de l’expression, la religion, la vertu, la décence frémissent des innombrables blasphêmes répandus dans le Paradis perdu de Milton ; mais enfin ce font des démons qui parlent, c’est leur rôle. Ici tout ce qu’il y a de plus respectable tient un langage de damné, qu’il ne doit pas même connoître. Tout n’est donc qu’hypocrisie, jusque dans le sanctuaire ; la passion est invincible, dix ans de vertu ne la modèrent pas. L’amour est le souverain bien : le cri de la nature l’emporte, on lui doit tout sacrifier.
Euphemie est plus raisonnable ; elle fait une belle exhortation. C’est dommage qu’elle la défigure ; elle se plaint que Dieu condamne son amour : Hé quoi ! sans qu’il t’offense, le cœur ne peut jouir de sa foible existence, s’ouvrir au doux plaisir d’aimer & d’être aimé ? L’amour y fût, hélas ! par ton souffle allumé. Oui, tu créas l’amour pour essuyer nos larmes. Quelle morale ! Dans le moment de charmes. C’est du précieux. Cependant on donne à cette fille des visions, des foiblesses de femmelette : Des fantomes hideux, des spectres agités, errans dans ces lieux sombres ; sous le même linceul je vois un peuple d’ombres. Ce linceul, ce peuple de revenans, cette agitation de spectres, sont d’autant plus puériles, qu’ils sont plus éloignés de la façon philosophique de penser penser de l’Auteur & des Acteurs, à moins que ce ne soit un trait de malignité pour donner du ridicule aux Religieuses. On fait mentir cette fille pour excuser son amant, je l’engageois à partager mon crime, je l’entraînois, tandis que c’est lui qui la vouloit forcer & l’enlever, & qu’elle lui résistoit de toutes ses forces. Aussi se dément-elle un moment après par les injures dont elle l’accable : Je te revois encor ! le ciel frappera-t-il sans ébranler ton cœur ? laisse-moi m’immoler, &c. ce qu’il confirme par une impiété : Tes larmes sur mon cœur produiront ce miracle. Ces petitesses, ces contradictions, ces impiétés font de cette conversion un désespoir qui en détruit le mérite & la réalité. On rit de voir la crédule Sœur Melanie l’admirer & l’en féliciter, mais bien-tôt en douter & en gémir : D’où vient que dans mes bras tremblante, inanimée, sur son front pâlissant la mort même imprimée, qu’il est difficile d’être vertueux ! A force de grossir les traits, on passe la nature : Qui variare cupit rem prodigialiter unam delphinum silvis appingit fluctibus agnum.
Ce Moine apostat parle fort mal de la mère de sa maîtresse : Auteur, dit-il, de tous nos maux, tu parle de parens à moi, qui n’adorai jamais, n’idolâtrai que toi (expressions dévotes). Il l’accuse d’avoir forcé sa fille à se faire Religieuse, quoiqu’elle l’ait laissée libre chez la parente qui l’emporta, tandis que lui veut la forcer de sortir du Couvent, qu’il la saisit, l’entraîne & l’enlève avec violence, & prononce les plus grandes horreurs & les plus exécrables sermens. La mère en a-t-elle jamais tant fait ? l’a-t-elle forcé aussi à se faire Moine ? a-t-elle fait rompre un engagement autorisé par la religion, comme il s’efforce de le faire ? Ces vœux eussent-ils été nuls d’abord, ils seroient ratifiés par dix ans de vertus : paroles qu’on répette comme un éloge, & qui font leur crime. S’ils ont été vertueux, ils n’ont donc pas été hypocrites ; ils se sont donnés entierement à Dieu, l’engagement au sacerdoce & à la religion est devenu légitime & indissoluble : ils n’en peuvent plus réclamer. S’ils ont conservé leur amour, c’est un crime qui n’annulle point les vœux, comme il n’annulleroit point le mariage. Si les protestations des amans & une folle tendresse étoient un titre valable, s’il falloit en croire leurs insensées déclarations, quel vœu, quel mariage, quel contrat subsisteroit ? sur quoi pourroit-on compter ? L’Auteur n’est que Poëte : un vers chez lui décide tout ; c’est sa Loi, ses Canons, son Evangile, sa probité. Quelle horreur que cette morale !
La partie littéraire fourniroit un vaste champ à la censure. A quoi mène l’idée triviale de la mort, qui revient à tout moment ? je vais mourir, je n’ai qu’à mourir, tu me donnes la mort : stérilité de faiseur de roman & de tragédies, qui ne sait que dire, & rappelle ce trait plaisant de Boileau : Et toujours bien mangeant, mourir par métaphore. On y voit une multitude de vers enjambés, vrai défaut dans la poësie noble, des rimes semblables très-voisines, de mauvaises constructions, des inversions forcées, des termes impropres, du précieux, du galimathias, des contresens, des idées fausses. En voici quelques exemples. Dieu m’a congédiée. On congédie un domestique ; Dieu réprouve, rejette, ne congédie pas. Je fermerai vos yeux, tu fermeras mes paupieres. C’est un thême en deux façons assez plat. Voici du précieux. Qu’ai-je dit à mon cœur ? Mon cœur l’a pu former. Qui prête à ses efforts les aîles de la foi. Il met tout son orgueil à se rendre insensible. Dans les larmes d’autrui essuyer ses pleurs. Victime du besoin, du besoin consumant. Il faut surmonter cette compassion qui pourroit nous flatter dans les bras, dans le sein d’une épouse. La foudre & l’enfer qui s’allument. Mon œil appesanti se fermoit dans mes larmes. Le cri m’est rapporté par des échos funèbres. Parmi le sang, la mort & ses affreux débris. L’amour déterminoit son ascendant sur moi. Dès ce moment ce monde à mes yeux se perdit, & la foudre en éclats nous frappe. La foudre ne se brise pas en éclats, comme une bombe. Le tendre sentiment qui m’imposoit la loi. Le bandeau des Rois tout trempé de leurs larmes. Le premier jour d’hymen, le lit d’hymenée. On ne dit ni l’un ni l’autre. Dieu s’applaudit de toi. La nature indignée & jalouse de Dieu. La terre gronde. La terre tremble, s’ouvre, ne gronde pas. Va, le suprême effort est de me pardonner. Ce va est du familier populaire. J’immolerai mes jours, tout. Que reste-t-il à immoler après la vie ? l’ame. Quel horrible sacrifice ! Au cloître, à mon état, à Dieu trop méconnu. Le pécheur méconnoît, n’est pas méconnu. Transport criminel qui soulève les sens. Ce sont les sens soulevés qui causent le transport criminel. L’amour qu’attend la foudre. La foudre n’attend pas. Répand sur la terre embrasée les flammes de la foudre. La foudre n’a point de flammes ; si tout est embrasé qu’a-t-elle à brûler ? D’un fardeau de douleurs impatiente & lasse. Je ne puis décider quel sentiment m’inspire. Dans ce torrent de pleurs exhaler mes ennuis, mes remords. Exhaler dans un torrent ! exhaler des ennuis, des remords !
Voici toute la piece. Mais en vain la raison opposoit son murmure au besoin d’aimer, au cri de la nature. C’est ce qu’on pense dans ce siecle, ce qu’on voudroit faire penser sur les Religieuses, ce qu’on enseigne au théatre, tout ce qu’on en rapporte, & on y va & on ose le défendre !
Fagan, Apolog. du théatre, pag. 31. fait une réflexion judicieuse. Il blâme le Tartuffe de Moliere comme dangereux à beaucoup d’égards, & assure que la police ne l’approuveroit pas. Or les Héros & les Héroïnes de Comminges & d’Euphémie sont de vrais hypocrites, des tartuffes très-dangereux, d’autant plus scandaleux, que c’est sous l’habit religieux & le caractère sacerdotal qu’ils sont des scélérats. Fagan ajoute : Tous les sujets des pieces qui conduisent à employer des termes sacrés ou mystiques, doivent être bannis du théatre. Les sujets tirés de l’Ecriture auroient dû ne jamais y paroître. Il y a dans les comédies de Moliere les plus morales des traits que la police n’approuveroit pas, comme dans l’Ecole des femmes : (Et qu’il est en enfer des chaudieres bouillantes où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes ; & ce que je vous dis ne sont pas des chansons).
Ainsi que cette maxime dans l’Œdipe de Voltaire (on pourroit en citer mille autres) : Les Prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ; notre crédulité fait toute leur science. Quoique le ridicule tombe sur l’hypocrite qui emploie les termes de la religion pour son intérêt, & que (dans l’Œdipe) les Prêtres de Jocaste soient reconnus pour des imposteurs, ces peintures, quoique naïves, sont trop sujettes à être mal interprêtées, & dans l’esprit des jeunes gens ces vices occasionnent une trop mauvaise application. Voltaire auroit dû imiter la docilité de Corneille à retrancher dans le Cid quatre vers fameux sur le duel, des qu’on lui eût fait entendre qu’ils étoient contre les bonnes mœurs.