CHAPITRE VIII.
Sentimens de S.
Chrysostome.
Nous ne nous lassons point d’entendre le plus éloquent des Orateurs, & l’un des plus saints Evêques de l’Eglise. S. Chrysostome a plus fortement & plus souvent que les autres tonné contre le théatre, parce qu’il a été plus à portée d’en voir les désordres a Antioche & à Constantinople, les deux villes du monde où ils ont le plus régné depuis que le Christianisme est monté sur le trône des Césars, malgré la piété des Empereurs & leur zèle à le réformer. De cette nuée de témoins qui déposent contre le spectacle, c’est le mieux instruit & le plus croyable.
Dans son Sermon sur le mauvais riche & Lazare, pour faire sentir la vanité des richesses, il compare les gens riches aux Comédiens. Les Acteurs sur la scène, dit-il, jouent les rôles de Prince, de Général d’armée, de Philosophe, de Médecin, &c. quoiqu’ils ne soient que des misérables. Ainsi dans la vie les riches & les pauvres ne sont que des personnages de comédie. Vous ne les croyez pes plus grands, plus heureux pour avoir représenté l’Empereur, & vous ne voudriez pas leur ressembler. Un habit magnifique ne vous en impose pas, vous ne méprisez pas moins leur bassesse. Ainsi quand vous verrez des gens opulens, ne les croyez pas véritablement heureux & riches ; ils n’en ont que l’apparence. Comme ce Roi de théatre est dans le fonds un vil esclave, ce riche qui nage dans le luxe est dans le fonds véritablement pauvre. Arrachez-lui le masque, entrez dans sa conscience ; qu’il est pauvre en vertu ! qu’il est bas dans ses sentimens ! qu’il est méprisable dans ses passions ! tout est méprisable en lui, malgré son or & sa pourpre. Voyez la fin de la piece. Cette vile troupe d’Acteurs & d’Actrices rentre dans le néant ; dépouillés de leur fausse grandeur, ils n’en imposent plus par la décoration, ils se montrent ce qu’il sont. Ainsi quand la mort a terminé la piece & abattu la toile, il n’est plus question de titres & de parure, de petit & de grand ; il n’est de richesse que celle des œuvres, de grandeur que celle des vertus. Combien en voit-on qu’on croit riches, & qui sont dans la plus honteuse indigence ! combien, comme le mauvais riche, ne peuvent obtenir une goutte d’eau ! & combien de pauvres, comme Lazare, auront de trésors éternels !
Homil. 41. in C. 6. Joan. Donnez aux pauvres, & non pas aux Comédiens. Vous y perdriez votre argent, vous feriez perdre leur ame ; car si ceux qui montent sur le théatre n’y avoient rien à gagner, il y a long-temps qu’ils l’auroient abandonné. Mais quand ils entendent vos applaudissemens, qu’ils voient la foule des spectateurs, & l’argent qui leur en revient, n’eussent-ils aucun goût, ils y viendroient par intérêt. Entreprendroient-ils des travaux inutiles, si la louange & le profit ne les en récompensoit ? C’est donc vous qui les perdez en faisant pour eux ces folles dépenses. Apprenez donc à faire de vos biens un meilleur usage. Ce seroit offenser Dieu doublement d’acquérir des biens par des voies illégitimes, & de les prodiguer pour des objets défendus, favoriser, soutenir le spectacle, entretenir des Acteurs & des Actrices, payer & honorer le vice, & fournir les occasions de péché ? Quel châtiment ne méritez-vous pas ? vous refusez au pauvre, & vous prodiguez à l’Actrice ; vous dépouillez la veuve & l’orphelin, vous ne payez pas vos créanciers, & vous nourrissez des débauchés. S. Paul ne dit-il pas que non-seulement ceux qui commettent, mais encore ceux qui favorisent le péché, méritent la punition ? Vous louez, vous admirez cette danseuse ; vous êtes plus coupable qu’elle. Le besoin, la pauvreté semblent une sorte d’excuse. Mais vous, de quel prétexte vous couvrirez-vous ? Un Comédien à qui l’on représente l’infamie de son métier, en convient, & se retranche sur la nécessité de gagner sa vie. Mais qui vous oblige à entretenir un débauché & un infame ? Vous ne pouvez soutenir mes reproches, peut-être les trouvez-vous trop forts ; comment soutiendrez-vous ceux du souverain Juge, qui vous demandera compte de toutes vos actions au dernier jour ?
Homil. 24. in Act. Apost. Il se plaint des irrévérences dans les Eglises & du peu de fruit qu’on tire de la parole de Dieu. Il attribue tout au théatre. Nos mystères, dit-il, sont des comédies, & nos Eglises des théatres. C’est en effet au théatre que nous devons ces profanations & cette stérilité, c’est lui qui nous forme ces gens frivoles & sans religion ; il détruit tout ce que nous tâchons d’édifier. Ce n’est pas le seul mal qu’il cause ; combien d’autres désordres il fait dans ses amateurs ! Il y répand l’abomination de tous les vices. Semblable à un champ dans lequel coule un ruisseau bourbeux, on a beau le nettoyer ; le ruisseau qui coule toujours, y répand sans cesse de nouvelles ordures. Voilà le tgéatre. Nous avons beau vous instruire, vous exhorter, vous purifier de vos vices, vous laver de vos iniquités, pour peu que vous retourniez au spectacle, vous y contractez de nouvelles souillures, & plus grandes encore dans vos mœurs, vos paroles, vos ris, votre parure.
Homil. 42. ibid. Comparons le théatre à la prison. Qui des deux mérite la préférence ? L’un est un lieu de délices, l’autre le séjour de la douleur, mais aussi est-il l’école de la sagesse ; celui qui auparavant bouffi d’orgueil, affamé de richesses, daignoit à peine parler au peuple, devenu humble & traitable, comme si le feu pénétrant dans son ame en eût amolli la dureté, l’adversité l’a changé, il est devenu propre à tout. Tout au théatre est opposé à la sagesse, le ris dissolu, la pompe diabolique, la dissipation, la perte du temps, l’aliment de la concupiscence, les préparatifs du péché, les pensées d’adultère, le collège des vices, l’école du péché, l’aiguillon de l’intempérance, l’exhortation à l’impureté, l’exemple, l’occasion, la facilité de la dissolution. Voilà le théatre. Que la prison est différente ! là se trouve l’humilité de l’ame, l’exhortation à la sagesse, le mépris des vanités du monde ; la crainte, comme un précepteur qui instruit un enfant, nous forme à tous nos devoirs. Envisageons-la d’un autre côté. Comparez deux hommes dont l’un sort de prison, l’autre revient du spectacle ; vous verrez celui-ci flétri, troublé, plein de dégoût & de chagrin ; celui-là, libre, dégagé, prêt à tout, comme s’il avoit des aîles. Au sortir du théatre on est arrêté par les yeux de toutes les femmes, joug plus pesant que toutes les chaînes de fer ; au sortir de la prison on ne trouve plus rien de difficile & de rude ; quand on compare son état présent avec celui dont on vient d’être délivré, tout est aisé, tout est doux ; le prix de la liberté est au-dessus de tout. La prison l’a corrigé de ses défauts ; il en revient plus doux, plus patient, plus humain, plus équitable. La scène produit aussi des changemens, mais bien différens. On en revient méprisant pour sa femme, dur pour ses enfans, insupportable à ses domestiques. C’est un très-grand mal dans les villes que le théatre, & c’est parce qu’il est grand qu’on ne le sent pas : Magna mala theatra in civitatibus, magna neque hoc scimus quia magna.
Homil. 12. 1. Corint. 4. Pour faire sentir l’injustice & la vanité des jugemens des hommes, il examine les jugemens des plus sages dans les choses les plus graves, des Législateurs & des Juges dans la punition des crimes. Tandis qu’on punit un vol léger, on laisse impunis l’impureté, les jeux de hasard, l’ivrognerie, l’intempérance, le blasphême, crimes bien plus énormes que le larcin. Parmi ces désordres il met la tolérance du théatre, comme l’un des plus grands maux de la société. On donne, dit-il, des spectacles, on y fait paroître des chœurs de danseuses & d’hommes efféminés qui déshonorent la nature, on place le peuple dans un lieu élevé. Ainsi divertit-on les villes, & honore-t-on les Princes dans leurs victoires & leurs triomphes. Mais quelle gloire plus frivole, quel plaisir moins satisfaisant ! Voilà donc les panégyristes que vous ambitionnez, & c’est avec des Danseurs, des Comédiens, des femmes de mauvaise vie que vous partagez cette gloire. N’est-ce pas le comble de la folie ? ultimæ amentiæ. Si je demande, convient-il de renverser les loix de la nature & de porter les gens à l’impureté, tout le monde répondra que c’est un crime punissable. Pourquoi donc faites-vous monter sur le théatre, pourquoi honorez-vous, pourquoi comblez-vous de présens de misérables débauchés, coupables d’un scandale & d’une séduction que vous châtiez ailleurs ? Pourquoi les entretenez-vous aux dépens du public, & leur prodiguez-vous votre argent, comme s’ils rendoient de grands services à la république ? Mais ce sont des gens infames, dites-vous. Et vous employez des gens infames pour louer vos Princes, pour eux vous foulez le peuple, & vous vous ruinez. S’ils sont infames, il faut les chasser. Est-ce pour les louer ou pour les confondre que vous les déclarez infames ? Quoi ! vous les méprisez, vous les condamnez, & vous allez les voir, les admirer, leur applaudir ! Les spectacles du cirque & de l’amphithéatre ne sont pas moins des folies. On y apprend au peuple à devenir cruel, comme une bête féroce, à la vue de ces hommes massacrés, de ces membres déchirés, de ce sang répandu. Les Législateurs, les Magistrats peuvent permettre ces horreurs, & les villes y applaudir & s’en faire une fête ! On voit de pareilles extravagances dans les noces, qui sont une chose sainte ; les danses, les discours, &c. tout y est licencieux, &c.
Homil. 6. 1. Thess. 4. Vous vous défendez sur votre jeunesse, & vous vous flattez d’y trouver l’excuse de votre incontinence. Mais combien de jeunes gens de même nature que vous a-t-on vu & voit-on encore qui ont su vaincre les flammes de la concupiscence ? Et vous ne pourriez pas en repousser une seule fois les atteintes ! Mais non, ce n’est pas à la jeunesse qu’il faut imputer vos chutes ; autrement il faudroit que les jeunes gens fussent tous impudiques. C’est nous qui allumons le feu & nous y jetons. Quand vous allez au théatre vous repaître de la vue de ces femmes immodestes, & vous laissez prendre par vos yeux à l’hameçon, d’abord vous goûtez quelque plaisir ; mais vous allumez dans vos veines une fievre violente. Quand vous voyez ces spectacles, quand vous entendez ces airs lascifs, ces scènes amoureuses, quand vous voyez sous ce masque qui déguise les deux sexes, des hommes en femmes, ou des femmes en homme représenter leurs criminelles passions, qui est-ce qui au milieu de tant d’objets voluptueux peut demeurer chaste ? Vous en sortez plein de ces idées, elles vous reviennent pendant le sommeil, & souillent votre cœur par de mauvais songes. En voyant, en entendant des choses impures, vous recevez des blessures mortelles, & vous n’y appliquez aucun remède ! Quelle doit être la corruption de votre ame, bien plus grande que ne le seroit celle du corps, puisque l’esprit est d’autant plus facile à recevoir l’impression du mal, qu’il l’aime & le désire ! Il faut pour la maladie ou la guérison du corps un certain temps ; mais la volonté fait dans un instant le bien ou le mal. En multipliant ainsi les choses mauvaises, & négligeant les bonnes, quelle espérance y a-t-il pour vous de salut ? Il seroit facile de conserver la chasteté en s’éloignant des occasions ; en nous y exposant, nous nous rendrons presque impossible la vertu, & nous tomberons dans les plus grands crimes.
Homil. 8. de Pœnit. En parlant de la pénitence & du jeûne, il fait voir qu’on s’abstiendroit inutilement des viandes défendues, si on ne s’abstenoit du péché, si on continuoit à fréquentes les spectacles. Je sais, dit-il, que la plûpart de ceux qui composent cet auditoire vivent régulierement, & ne méritent pas ce reproche ; mais la douleur d’en savoir tant d’autres dans le désordre, m’arrache ces justes plaintes. Quel bien peut-il revenir, ou plutôt quel mal ne revient il pas d’aller à ce théatre d’iniquité, d’entrer dans cette école publique d’impudicité, de s’asseoir sur cette chaire de pestilence, d’entendre cet orchestre de luxure ? (expression singuliere, mais vive, qui marque que le vice à la faveur du plaisir s’insinue dans l’ame par l’oreille, comme l’harmonie des sons, & que le théatre est un accord de traits séduisans, comme l’orchestre fait un chœur de musique). Ai-je tort d’employer ces termes ? sont-ils donc trop forts pour peindre un lieu détestable, rempli de mille maux, la vraie fournaise de Babilone ? C’est une vrai fournaise en effet, dans laquelle le démon vous jette, c’est lui qui en allume les flammes ; ce n’est pas, comme les tyrans, du bitume, de la poix, des étoupes qu’il y emploie, mais des alimens plus combustibles & plus funestes, des ris dissolus, des discours obscènes, des airs lascifs, des objets indécens, des femmes immodestes, Les premiers feux étoient allumés par des mains barbares, & ceux-ci le sont par de mauvaises pensées, des désirs criminels. Le feu le plus dévorant n’est pas celui qui consume les corps, c’est celui qui détruit l’innocence & la vertu de nos ames ; & par le malheur le plus déplorable, ceux qui en sont consumés ne le sentent pas. S’ils le sentoient, se livreroient-ils à cette joie insensée ? Quel contraste ! vous privez votre corps de viandes, & vous nourrissez vos ames de poison ! vous passez les jours sans manger, & vous les employez à voir, à entendre des femmes débauchées ! vous vous privez de vin, & vous vous enivrez de volupté▶ ! Quelles suites funestes ! le jeûne doit vous rendre plus chaste, plus humble, plus modéré ; en revenant tout changé du spectacle, de quel œil regardez-vous votre épouse, vos enfans, vos amis, vos domestiques ? Vous ne sauriez sans rougir, vous ne pourriez sans crime, les entretenir de ce que vous avez vu & entendu, vous êtes obligé de garder honteusement le silence ; en revenant de l’Eglise au contraire, vous racontez avec confiance & avec fruit ce que vous ont appris, ce que vous ont inspiré de bon & d’utile la voix des Prophètes, l’enseignement des Apôtres, l’oracle de la loi divine, la réception des sacremens. Ainsi vous devenez meilleur, & vous sanctifiez-ce qui vous approche ; votre femme vous devient plus fidele, vos enfans vous sont plus soumis, vos domestiques plus attachés, vous pouvez gagner vos ennemis même. Quel regret pour nous ! nous vous instruisons, & on vous égare ; nous vous corrigeons, & on vous corrompt ; nous vous donnons des remèdes, & on vous fait des blessures ; nous tâchons d’éteindre le feu du vice, & on l’allume. C’est bâtir d’une main, & détruire de l’autre. Ces réflexions vous confondent ; ce n’est pas votre confusion, c’est votre correction & votre salut que je cherche. La loi du Seigneur est expresse ; le mal est grand, le châtiment est éternel & inévitable. Profitez donc de mes avertissemens, si vous voulez sauver votre ame.
L’un des plus grands inconvéniens du théatre, c’est la facilité, c’est le danger extrême de former de mauvais commerces avec les Actrices, toutes femmes de mauvaise vie, qui perdent en même temps la bourse, le corps & l’ame de leurs aveugles amans. S. Chrysostome en fait sentir les suites affreuses. Homil. 37. 1. Corint. Quelle passion, dit-il, infame & ridicule ! le voilà cet insensé à la porte de cette maison détestable, poussant des soupirs, versant des larmes, flétrissant son honneur. Que d’inquiétudes, de dangers, de dépenses, de combats avec ses rivaux ! que d’aventures funestes, souvent à sa vie ! On est bien plus heureux de ne pas les aimer ; il est bien plus doux de vaincre cette passion honteuse que de la satisfaire. On aura de la peine à me croire ; mais ce n’est que par défaut de vertu que cette vérité paroît nouvelle & peu croyable. De bonne foi, est-il plus agréable d’être foulé aux pieds d’une femme perdue, que d’être respecté de tout le monde ? Qui est-ce que cette femme elle-même respecte davantage, de celui qui s’est rendu son esclave, ou de celui qui sait échapper à ses pieges ? qui ménagera-t-elle, qui s’efforcera-t-elle davantage de surprendre & de gagner, de celui qu’elle a déjà vaincu, ou de celui qui aura su résister à ses coups & se jouer de ses artifices ? Jugez-en par vous-même : quelle femme vous plairoit davantage, ou celle qui se livre au premier mot, ou celle qui résiste & combat long-temps avant de se rendre, & par ses combats & ses résistances augmente l’amour, enflamme les désirs ? Ainsi les femmes honoreront toujours beaucoup plus ceux qui ne leur montrent que de l’indifférence. Un Général d’armée attaque-t-il une ville qui s’est soumise ? c’est contre celle qui se défend qu’il dirige ses batteries. Un chasseur qui a pris la bête, n’a plus d’efforts à faire ; c’est celle qui se sauve qu’il se fait un devoir de poursuivre. Ne cherchassiez-vous que votre satisfaction, il seroit de votre intérêt de ne pas courir après une proie dont la facilité affadit la conquête.
Mais, dites-vous, l’un jouit, il est heureux ; l’autre ne l’est pas, il ne jouit pas encore. Eh ! n’est-ce pas un plaisir supérieur à la jouissance que la liberté du cœur, n’être pas exposé aux reproches, aux insultes, au mépris, à la perfidie, à l’inconstance d’une femme perdue, n’être pas enchaîné dans ses fers, & accablé sous sa tyrannie, traité en esclave & foulé aux pieds comme le dernier des hommes ? Si l’on pouvoit bien se représenter les injures, les accusations, la jalousie, les bizarreries, les emportemens, la fureur de ces infames créatures, les chagrins, les remords, les alarmes, les pertes, les malheurs de ceux qui leur sont livrés, & qu’on ne peut bien comprendre que par l’expérience ; on avoueroit qu’il n’y a point de guerre plus affreuse, plus continuelle, où il y ait moins de trève, moins d’espérance & de succès. Où est donc ce plaisir que vous vantez tant ? qu’est-ce qu’un moment de ◀volupté qui passe si vîte, & qui est suivi de si amers repentirs ? Je vous parle comme on parleroit à un aveugle débauché, peu touché & peu capable de l’être des grands objets de la religion, du paradis, de l’enfer, & qu’il faut tâcher de prendre par les motifs humains d’un intérêt temporel. Entendroient-ils même ce qu’on leur diroit des plaisirs purs & innocens que goûtent les ames pieuses, des couronnes qu’elles se préparent, de leur société avec les Anges, de l’honneur même qu’elles se font sur la terre, de la liberté qui les fait par-tout marcher avec assurance, & de la juste confiance que leur donnent tant de titres sur l’éternité ? Mais, dites-vous, peut-on toujours résister à la tentation ? Sans doute, avec la grace de Dieu. Celui qui s’abandonne au crime, a plus d’efforts à faire, plus de travaux à soutenir, plus de combats à livrer ; il n’est point de mer plus orageuse : c’est un homme possédé du démon. L’homme sage au contraire, qui sait donner un frein à cette passion, & comme un athlète plein de courage sait la combattre & la vaincre, en ressent la plus pure joie. & trouve dans la pureté de sa conscience le plus doux repos & la plus consolante satisfaction. Ce sont deux hommes montés sur des chevaux fougueux, dont l’un sait le dompter, en fait ce qu’il veut, & s’en sert utilement dans ses voyages ; l’autre s’en laisse emporter à toute bride, en est renversé & brisé.
Il seroit aisé de rapporter beaucoup d’autres passages du même Père contre le théatre. Il y revient sans cesse, & bien plus que les autres Pères, dont les ouvrages sont la plûpart des traités théologiques, des commentaires sur l’Ecriture, où cette matiere vient rarement. S. Chrysostome n’a presque laissé que des sermons à un peuple livré au théatre & à la débauche, & tout ramène à cet objet, parce que le théatre influe sur tout par les passions de toute espèce qu’il représente & qu’il excite, & que tout à son tour influe sur le théatre par la nécessité où il est pour plaire de se conformer au goût dominant, & de flatter les vices du siecle, par conséquent d’en prendre les sentimens, les erreurs & les modes. On pourroit ajouter une foule d’autres passages sur les objets qui tiennent à celui-ci, sur les maximes de l’Evangile qu’ils proscrivent, sur les vertus qu’ils condamnent, sur les vices qu’ils favorisent, sur la chasteté qui y fait naufrage, sur l’humilité dont il méprise la bassesse, sur la charité dont il éteint les feux, sur la foi dont il affoiblit la soumission, la mortification dont il redoute les rigueurs, la pauvreté dont il abhorre les besoins, la piété dont il desseche l’onction, la patience dont il ne peut souffrir l’égalité, la fidélité conjugale dont il se fait un jeu, en un mot toute la religion dont il renverse jusqu’au fondement ; sur la vengeance dont il allume les fureurs, la vanité dont il exalte les délires, sur le luxe & le faste dont il étale les excès, sur la médisance dont il verse à grands flots le poison, sur l’immodestie des parures dont il présente le modelle, sur le mépris des parens dont il donne des leçons, la jalousie dont il répand le motif & le germe, l’oisiveté à laquelle il consacre tous les temps de la vie, la fourberie dont il enseigne les artifices, l’irréligion dont il seme le goût & les principes, en un mot le corps entier du péché dont il établit puissamment l’empire. S. Chrysostome traite au long toutes ces racines & toutes ces branches de la corruption de l’homme & de la scène, qui en est tour à tour l’effet & la cause. Mais c’en est assez pour connoître l’esprit de cet homme admirable, & d’après ses oracles porter sur le théatre le jugement que dictent la raison, la religion & la conscience.