CHAPITRE VII.
Sentimens des Prédicateurs.
J’avoue que tout ce que dit un Prédicateur ne doit pas toujours être pris à la lettre ; il n’a pas la précisions de l’école. Les figures, le style oratoire, le caractère, le besoin des auditeurs, le zèle ardent du salut des ames, sont employer des termes énergiques où il peut se glisser quelque légère exagération ; mais ce qui est unanimement condamné dans la chaire, ne peut se soustraire à l’anathème. La vérité seule peut faire penser unanimement tant de Ministres dans des siecles & des temps si différens. Cette tradition uniforme & constante est du plus grand poids. Or j’ose dire qu’on ne trouvera pas un seul Prédicateur dans l’Eglise qui ait approuvé, qui ait toléré la comédie, qui ne l’ait expressément & sévèrement condamnée. Ils se sont tous réunis pour en détourner les fidèles. Nous en citerons quelques-uns qu’on ne soupçonnera pas de s’être concertés, & dont rien ne peut affoiblir le suffrage.
Le P. Bourdaloue, le Roi des Prédicateurs, & Prédicateur des Rois, M. Massillon, ce grand Orateur, que l’insinuation, les graces, la douceur, la fermeté, ont rendu si célèbre ; que les amateurs du théatre croient beaucoup louer en les comparant à Corneille & à Racine, ont prononcé leur condamnation. Sur les Divertissemens du monde (Dim. tom. 2.). Ces représentations profanes▶, ces spectacles où assistent tant de mondains oisifs & voluptueux, ces assemblées publiques & de pur plaisir, comédies & bals, sont-ce des divertissemens permis ou défendus ? Les uns, éclairés de la véritable sagesse, qui est celle de l’Evangile, les réprouvent ; les autres, trompés par les fausses lumieres d’une sagesse charnelle, s’efforcent de les justifier. Il ne faudroit pour m’y faire renoncer que cette diversité de sentiment ; car, pourquoi mettre ma conscience au hasard dans une chose aussi vaine dont je puis si aisément me passer ? ils sont donc au moins suspects, & puisque ceux qui soutiennent que l’Evangile y est blesse, sont plus réglés dans leur conduite, plus versés dans la science des voies de Dieu, n’est-il pas plus sûr & plus sage de m’en rapporter à eux & de ne pas risquer mon salut ? Selon le conseil du Saint Esprit, j’interrogerai les Pères de l’Eglise, que Dieu m’a donnés pour maîtres. Ils m’apprendrons des vérités capables de m’inspirer pour ces sortes de divertissemens une sorte d’horreur, ils m’apprendront que les Payens même ont condamné les spectacles, à la honte des Chrétiens qui voudroient les maintenir ; que de les abandonner, c’est une marque de religion, mais une marque authentique ; qu’ils ne blâmoient pas le théatre seulement parce qu’il servoit à l’idolâtrie, mais parce qu’il étoit une école d’impureté. Or vous savez s’il ne l’est pas encore plus aujourd’hui, d’autant plus à craindre qu’elle y est plus rafinée & plus déguisée. Le langage y est plus châtié, mais il n’en ternit pas moins l’esprit, n’en corrompt pas moins le cœur. Il vaudroit mieux entendre les excès exprimés ouvertement ; en blessant les oreilles, ils seroient moins d’impression. Que c’est se jouer de Dieu d’avoir dit anatheme au démon dans le baptême, & de rechercher ces fausses joies ; que l’Eglise étoit sur ce point si sévère dans sa discipline, qu’elle mettoit quelquefois obstacle à la conversion des infidèles, qui aimoient mieux ne pas embrasser la foi que de renoncer au théatre, &c. Ce n’est pas un des Pères, mais tous d’un consentement unanime ; ce n’est pas pour un temps, mais de siecle en siecle ; ce ne sont pas des gens foibles, mal instruits, peu éclairés, mais les plus grands hommes ; ce n’est pas par voie de conseil & de perfection, mais comme un précepte rigoureux ; ce n’est pas pour certains états, mais pour tout le monde, non par des raisons particulieres, mais par les mêmes raisons que nous employons. On leur faisoit les mêmes objections, ils y faisoient les mêmes réponses, &c. Ajoutez à cela tous les Ministres de l’Eglise, Pasteurs, Confesseurs, Prédicateurs, Docteurs, &c. Et à ces témoignages si respectables vous préferez des libertins sans mœurs, sans étude, sans connoissance, des gens frivoles, des femmes mondaines ; voilà vos guides, vos oracles dans la grande affaire du salut, &c.
L’Evêque de Senez (Soanen) a fait un sermon entier contre les spectacles. En voici l’extrait. Ostendit illi omnia regna mundi & gloriam eorum. L’étalage que Satan ose mettre sous les yeux du Sauveur représente les illusions du théatre, dont l’Ange des ténèbres fascine l’esprit. Attentif à profiter du goût des hommes pour les vanités du monde, il les leur présente dans des spectacles les plus séduisans, & en triomphe lors même qu’ils se croient à l’abri de ses traits. En vain s’efforce-t-on de les excuser, c’est un attentat à la morale, un blaspheme contre la vérité, un crime énorme, & du plus grand scandale. Jesus-Christ, qui veut bien être tenté pour nous apprendre à résister à la tentation, permet que le Démon lui expose ce vain éclat, comme un exemple de ce que le père du mensonge doit faire par la séduction artificieuse du théatre. Il y rassemble tout ce que le monde a de plus éblouissant & de plus propre à inspirer le goût de la volupté. Cet assemblage ravit, étonne, corrompt ; c’est l’autel du vice, l’abomination de la désolation dans le sein du Christianisme, l’abjuration des promesses du baptême, le plus dangereux écueil de la vertu, les pompes même & les œuvres du démon. S’il ne l’est pas, il n’y en a point dans le monde, & au baptême nous renonçons à un phantôme. Luxe opposé à la pauvreté, mondanité à la simplicité, mollesse à l’austérité, amour ◀profane▶ à la pureté ; toutes les vertus s’y cachent, tous les vices s’y déploient. La vengeance y prend le nom de magnanimité, l’orgueil de dignité, l’ambition d’héroïsme, l’impureté de sentiment. L’art s’y épuise à rafiner les plaisirs, à favoriser les passions, à faire entrer la volupté par tous les sens. Ce tableau du monde est plus dangereux que le monde même. Dans le monde les passions sont séparées ; le théatre les rassemble, les combine, les diversifie toutes à la fois, pour mieux séduire ; objets, modes, vanités, erreurs, tout agit ; c’est un enchantement qui énerve, possede, corrompt toute l’ame. Ni cette musique qui amollit, ni cette déclamation qui séduit, ni ce luxe qui éblouit, ni ces décorations qui charment, rien n’y plairoit sans passion. Ce sont les mœurs du siecle, c’est le monde, dit S. Chrysostome, dont on aime les pompes & les plaisirs.
Le spectacle suit les mœurs, & les forme. L’Auteur & l’Acteur étudient le goût dominant pour s’y conformer, l’exprimer & le communiquer. Voilons ce tableau, ne réveillons pas des idées qu’on est trop heureux d’ignorer. Vous ne pouvez y assister sans violer l’alliance solemnelle contractée avec Dieu & les vœux du baptême, & déshonorer l’auguste qualité des membres de Jesus-Christ. Le spectacle continuel d’un Chrétien doit être la croix. Oseriez-vous l’arborer au théatre, y en supporter la vue ? Si tout à coup on y montroit l’image d’un Dieu mourant, percé de clous, déchiré de fouets, couronné d’épines, couvert de sang, Acteurs, spectateurs, devenus tout-à-coup désespérés, hors d’eux-mêmes, prendroient la fuite. Voilà pourtant l’objet de vos espérances, votre trésor, votre bonheur, votre modèle, que vous chercherez, que vous baiserez avec respect en mourant, qui seul mérite d’être aimé. Et l’on osera dire que le théatre s’allie avec le Christianisme ? La même chose peut s’appliquer au bal, au jeu, aux festins. En condamnant l’un, on ne prétend pas approuver l’autre. Ce n’est pas à nous, c’est à l’Evangile qu’il faut s’en prendre. Un Payen, un Mahométan, pourroient faire l’apologie du théatre ; un Chrétien le peut-il ? Qui ne seroit surpris, scandalisé d’y voir un Religieux ? Vous y êtes aussi déplacé, les vœux du baptême y sont aussi opposés que ceux de la religion. Malheureusement la coutume vous y familiarise ; mais Dieu est la vérité, non la coutume. Les tragédies, comédies, opéra, bal, sont les pompes de Satan. Les cirques, les amphithéatres, étoient des écoles, des exercices de futeur ; l’enchantement des Syrènes introduit la volupté dans les cœurs, la fait régner dans l’univers ; elle inspire les Poëtes dramatiques, & rend le métier de Comédien infame. Tous ces débauchés ne cherchent qu’à se donner des complices ; ils enseignent à tromper, à séduire la jeunesse, à mépriser les parens, &c. Le diable remue toutes les passions des Acteurs & des spectateurs, & en fait un monstrueux assemblage. L’amour y captive toujours les cœurs, y reparoît sous mille formes, parle, pleure, s’agite jusqu’à ce qu’il ait tout soumis. Satan y triomphe, arrache des pleurs sur des aventures criminelles, attache l’esprit & le cœur à des objets pernicieux, remplit la mémoire d’images impures, poison d’autant plus dangereux qu’il est mieux préparé. Espérez-vous qu’au jugement Dieu vous dira, Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume éternel, parce que vous avez fréquenté le théatre plus que mon temple, que vous y avez pris les manieres du monde que j’ai maudit, & enivré vos sens des plaisirs que je condamne ? Vous tremblez ! Mais pourquoi ? Si les spectacles sont bons, Dieu les récompensera ; fussent-ils indifférens, on rendra compte d’une parole inutile. Le démon vous joue, vos excuses même prouvent que vous êtes pris dans ses filets. S. Augustin s’accuse d’avoir pleuré sur Didon en lisant l’Enéide ; comment justifier les larmes qu’on verse au théatre ? Vous devriez les employer à pleurer vos péchés, vous les employez à en commettre d’autres. Si Dieu vous révéloit le sort des Acteurs & amateurs, vous les verriez au milieu des flammes. Que ne s’offre-t-il à vos veux, ce spectacle, au lieu de celui que vous allez voir ! vous craindriez ce que la justice de Dieu vous prépare. Le sort même des Rois & des Héros qui ne sont plus, vous avertit de votre derniere fin. Point d’examen de conscience on le spectacle ne soit compris, point de Confesseur qui en donne l’absolution ; c’est participer à l’excommunication des Comédiens, les entretenir dans leur révolte, payer leurs scandales, y entraîner par votre exemple, répondre des péchés qu’on y commet. Le seul souvenir de la volupté est dangereux, ne nominatur in vobis ; le théatre en fait un portrait agréable, en offre l’objet, en est l’école & l’empire. Combien de fois l’avez-vous éprouvé ? S. Jérôme ne put effacer les traces que les spectacles de Rome avoient faites sur lui. Si Satan veut vous tenter, quelle forme plus séduisante peut-il prendre ? on le voit, on l’entend, il se trouve à chaque instant dans chaque Actrice, & par-tout. C’est la source d’une infinité de désordres dans les familles. Au retour du spectacle, vous méprisez vos femmes modestes, pieuses, si différentes des airs lascifs, des gestes, des visages des Actrices. Les pères & mères vont chercher des causes éloignées du désordre des enfans ; c’est le théatre qui les perd, qui leur apprend à former des intrigues & faire agir les domestiques, à surprendre la vigilance & ménager des rendez-vous, à voler, à emprunter de l’argent, à regarder le crime comme une galanterie, le mensonge comme une adresse, le luxe comme bienséance, l’autorité comme tyrannie. Mais le théatre est châtié, dit-on. Gazer la licence, colorer les expressions, c’est exciter davantage les désirs. La grossiereté de l’indécence révolte ; c’est une inconséquence, de faire de la décence un assaisonnement & une excuse. N’y eût-il que la désobéissance à l’Eglise votre mère, qui l’a défendu, vous devriez trembler. Qui est plus en état de juger s’il y a du mal, les Peres, les Conciles, les Saints, vos Pasteurs, ou vous ? Mais vous êtes si corrompu que rien ne vous touche, si familiarisé que rien ne vous frappe, si rassasié que vous tombez dans l’endurcissement & la léthargie. Les Chrétiens sont-ils faits pour se repaître d’impuretés & de fables ? La tragédie, dit-on, rend compatissant, elle fait pleurer. Belle compassion, pour Iphigénie, pour Andromaque, tandis qu’on est insensible pour les pauvres ! De la corruption à l’irréligion le passage est facile, rapide, inévitable. La foi s’éteint des que les passions dominent. Les vrais incrédules sont les passions, & les passions sont les apologistes du théatre. Le théatre est à son tour leur défenseur. L’un a besoin, & se sert utilement de l’autre, leurs intérêts sont communs, & leurs goûts les mêmes. Le cœur séduit se fait un Dieu de ses passions, désire qu’il n’y ait point d’enfer, & enfin se le persuade. Ce n’est point une affaire de hasard ; le spectacle est une attaque du cœur réfléchie, combinée, soutenue. Comment résister ? on désire de douter, on doute ; on perd la foi, on devient ennemi de la vérité, on la combat ; on ne peut souffrir les Prédicateurs & les exercices de piété, on ne goûte que la dissolution ; on abandonne les sacremens, ou on les ◀profane▶ ; on se moque des choses saintes, &c. S’il vous faut des spectacles, le ciel & la terre, l’histoire, les cérémonies de la religion, les saintes Ecritures, l’Histoire ◀profane▶, les arts, les sciences, vous occuperont plus agréablement, plus utilement, plus innocemment, &c. S. Prosper, Carm. de Ingrat. dit : Tantùm nocet error, ut juvet errare, & veteris contagio morbi tunc blandè irrepat, & que languetur amatur.
Les spectacles ◀profanes rassemblent tout ce qui peut allumer le feu de la passion. Objets séduisans, scènes agréables, décorations pompeuses, habits magnifiques, mysteres d’amour ingénieusement expliqués, air languissans, faits pleins de tendresse, Acteurs poussant les plus doux traits de la passion, concerts harmonieux, voix pénétrantes, actions empoisonnées, enchantemens diaboliques, inventions funestes de l’enfer, examinez quelle impression tout cela fait sur votre cœur, en quelle disposition se trouvent alors vos sens, jugez-en par le présent, par le passé ; & si vous êtes de bonne foi, je m’assure que vous direz que sans avoir égard aux autres, tout cela est pour vous une occasion prochaine de péché. Massillon, Sermon de la fuite des occasions. Mêmes choses, Serm. du petit nombre des Elus. Il en fait une preuve de cette terrible vérité. Panégyriq. de S. Louis. Il le loue comme d’une des belles actions de sa vie, d’avoir chassé de son royaume tous les Histrions, moins dangereux alors, moins mauvais qu’ils ne le sont aujourd’hui, d’où naît un débordement de vices.
Bien des gens se croient en sûreté quand ils ont demandé s’il y a péché mortel d’aller au bal, à la comédie, & veulent une réponse précise. Ah ! Chrétiens, quand il s’agit de conserver les biens, la santé, faut-il montrer la perte assurée ? le moindre péril vous alarme. L’occasion de perdre la grace doit bien plus vous effrayer. Il suffit de courir volontairement le danger de la perdre, pour l’avoir déjà perdue. Or pouvez-vous douter du danger du spectacle, vous qui connoissez la corruption de votre cœur, & qui soutenez si mal au jugement de votre conscience le parti que vous défendez devant le monde ? Tout ce qui peut flatter la passion y est mis en œuvre, tout l’art y est employé pour exciter une passion que nul art ne peut amortir, & vous présumez assez de vous-même pour croire que vous ne risquez rien ? Oui, il y a péché de vous exposer sans nécessité au danger de perdre la grace ; péché d’autoriser par votre présence des assemblées où toute la morale de l’Evangile est renversée ; péché dans la complaisance que vous y prenez, quand vous seriez exempt de passion ; péché dans les suites inévitables, pensées criminelles, désirs honteux, rendez-vous infames, mysteres d’iniquité ; péché dans la perte du temps, on n’en trouve point pour des exercices de piété, & on passe les heures entieres à des amusemens frivoles ; péché dans le mauvais usage de l’argent qu’on y dépense ; péché dans l’état où ils mettent notre ame, dissipation d’esprit, éloignement des choses de Dieu, froideur pour la priere, amour du monde, &c. Cheminais, Serm. de la Conception.
Le premier désir qui emporta S. Augustin avec le plus de violence, fut celui des spectacles : spectacles qui lui furent si pernicieux, & qu’on regarde aujourd’hui comme innocens. C’est là où le Démon forge les traits de feu qui enflamment la convoitise, & où la mort entre par tous les sens ; où l’on apprend le crime en le voyant ; où l’image des choses qu’on représente, fait de malheureuses impressions qui ne s’effacent presque jamais ; où une intrigue d’amour, de vengeance, ou de quelque autre passion, représentée avec adresse, est une amorce pour le même vice ; où les plaisirs qu’on goûte en voyant les ressorts que le péché met en œuvre, devient un appât pour le commettre. Fléchier, Panégyriq. de S. Augustin.
Le bal, les spectacles sont une académie publique pour apprendre l’impureté & donner des leçons d’une malheureuse science qui ne s’apprend que trop d’elle-même ; les jeunes gens s’y accoutument à prendre des libertés avec les femmes, & les filles auparavant sages & modestes à perdre la modestie & la pudeur ; où personne n’entre sans le plus grand danger de perdre l’innocence. Tous les Pères se sont hautement déclarés contre ces divertissemens, &c. Serm. du P. le Jeune, tout entier sur ce sujet.
On peut voir Giroût, Avent, Serm. sur le service de Dieu. Monmorel, vingtieme dimanche après la Pentecôte. Essais de Serm. vingt-cinquieme dimanche. Discours Chrétien, Panég. de S. Aug. la Colombiere, Sermon 48. Héliodore de Paris, Serm. entier sur la Comédie. Diction. moral sur les bacchanales. P. Croiset, les Réflexions, &c. En un mot tous les Prédicateurs, anciens & modernes, ont tenu le même langage. Il seroit inutile d’en citer davantage, personne n’en doute. Eh ! n’est-ce pas une autorité du plus grand poids ?
Les livres de piété ne sont pas plus indulgens pour le théatre ; on les accuse même quelquefois d’enchérir sur les Sermonaires. Ceux-ci, parlant à tous les états, se renferment plus exactement dans les bornes rigoureuses de la loi, pour être à portée de tout le monde. Ceux là, pour conduire à la perfection les ames pieuses, prennent un plus grand essor dans la pratique des conseils. Nous croyons inutile d’en citer aucun ; mais nous invitons tout le monde d’en faire la lecture, on y gagnera toujours beaucoup pour le salut. Elle vaut bien la lecture de Moliere & de Racine, & de toute la bibliothèque du théatre. Or j’ose dire qu’on n’en trouvera point qui ne condamne les spectacles. Tous les examens de conscience, toutes les préparations à la pénitence, à l’Eucharistie, tous les détails de vices, les tableaux du monde & de ses pompes, du démon & de ses tentations, de la chair & de de ses penchans, mettent la fréquentation du théatre au nombre des péchés & des obstacles à la réception des sacremens. Tous les recueils de méditations, de réflexions chrétiennes, d’actes de vertu à former, de résolutions à prendre, renferment parmi les devoirs essentiels celui d’éviter la comédie. Toutes les méthodes, les règles, les conduites de la vie chrétienne qui enseignent les pratiques de dévotions, les exercices spirituels, les moyens de faire des progrès, les facilités & les obstacles à la vertu, n’oublient point la fidélité à fuit tous ces objets dangereux. Quelle est la vertu qui n’y ait le plus grand intérêt ? la charité s’y éteint, l’humilité s’y perd, la foi y est ébranlée, la modestie s’évanouit, la pureté y fait naufrage. La mortification, la simplicité, la pauvreté, y sont des ridicules ; le goût des choses saintes, le recueillement, la présence de Dieu, le soin des petites choses, la vigilance sur soi-même, l’emploi du temps, l’exactitude à ses devoirs, le rapport de toutes les œuvres à Dieu, en un mot, le corps entier de la piété chrétienne, quelle chimère ! y en connoît-on le nom, y en a-t-on l’idée ? La piété & le théatre sont deux mondes tout différens, tout opposés. Le ciel n’est pas plus éloigné de la terre. Pour les livres qui traitent des mystères sublimes de la contemplation & de la vie intérieure, toléreroient-ils des divertissemens criminels, eux qui pour faire mourir l’homme à lui-même, interdisent les plaisirs innocens, & font de la croix le bonheur & les délices de l’ame fidèle ? Ce n’est pas dans les Vies des Saints qu’on trouvera des amateurs du théatre ; ils furent tous ses ennemis, non-seulement ceux que l’amour de la solitude ensevelit dans les déserts, ceux que le zèle transporte au-delà des mers, ceux que la charité dévoue au service des pauvres, mais ceux même que leur état, leur grandeur ou leur dépendance tiennent enchaînés au milieu du monde, & qui versent des larmes sur les fleuves de Babylonne. Tout d’une voix unanime déplore l’aveuglement des hommes qui servent ou qui boivent à longs traits ce funeste poison. Pour le Saint des Saints, dont la vie est notre modelle, la morale notre règle, les mérites notre espérance, trouvera-t-on rien dans son Evangile qui n’en soit la condamnation ? Bienheureux les pauvres d’esprit, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont le cœur pur, bienheureux ceux qui souffrent persécution. Ce n’est point dans les béatitudes qu’on verra l’éloge du théatre. L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, l’esprit de l’homme ne peut comprendre ce que Dieu prépare à ceux qui le servent. Il s’y donne lui-même, on le voit, on l’aime, on le possede à jamais. Ce n’est point dans le royaume du ciel qu’on voir l’image du théatre. La route qui y conduit est étroite ; que peu de gens y marchent ! il faut pour y arriver se faire bien des violences, haïr le monde & ce qu’on a de plus cher, se haïr soi-même. Qui aime son ame, la perdra ; qui la perd pour moi, la trouvera. Ce ne sont point là les leçons du théatre. La pauvreté de la crêche, la bassesse d’un métier méchanique, une soule de malades de toute espèce, le sang & les larmes du jardin des Olives, les douleurs de la flagellation, les horreurs du Calvaire, les ténèbres d’un tombeau, sont-ce là les décorations, les jeux ou théatre ? La gloire du Thabor, la multiplication des pains, les douceurs des repas Eucharistiques, la victoire de la résurrection, le triomphe de l’ascension, la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, la conversion du monde par leurs prédications, la mort héroïque de tant de Martyrs ; non, encore une fois, rien de tout cela n’est le théatre, rien qui l’approuve, qui ne l’anathématise. Vous êtes Chrétiens, dites-vous, voilà votre religion, votre amour, votre espérance, votre loi, votre modèle, votre bonheur, & vous fréquentez le théatre ?