(1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE VIII. Sentimens de S. Chrisostome. » pp. 180-195
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(1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE VIII. Sentimens de S. Chrisostome. » pp. 180-195

CHAPITRE VIII.
Sentimens de S. Chrisostome.

Cet homme célèbre, dont le nom seul annonce la haute idée qu’en a route l’Eglise, l’un des plus éloquens Orateurs, des plus saints Evêques, des plus illustres Pères qu’elle ait jamais eu, a été l’un des plus déclarés ennemis du théatre, & peut être en fut-il la victime. Son zèle à condamner les fêtes & les spectacles donnés pour l’inauguration de la statue de l’Impératrice Eudoxie, lui attira la haine implacable qui le pour-suivit, la basse injustice des Prélats courtisans qui le proscrivirent, & les horribles persécutions qui en firent un Martyr. L’exil & la mort de S. Chrisostome est un crime de plus pour le théatre. Les deux plus grandes villes du monde, Antioche & Constantiaople, où il sit successivement briller ses talens, & éclater son zèle, étoient aussi les deux villes les plus livrées à la fureur des spectacles, & quoique sous des Empereurs très-Chrétiens, après les règnes de Constantin & de Théodose, dont les loix sévères avoient épuré & réformé la scene, il se plaint avec raison des désordres, des excès, des dangers infinis qui en sont inséparables, & lui attribue la dépravation des mœurs qui déshonoroit le Christianisme dans ces deux capitales. On ne finiroit point, s’il falloit rapporter tous les traits répandus dans ses œuvres ; nous nous bornons aux principaux. La comédie de nos jours ne mérite pas plus de grace ; pour peu qu’on ait de bonne foi, on la reconnoîtra dans le portrait de celle de son temps. On n’a qu’à transporter l’Orateur de la Grèce en France, le faire monter dans les chaires de Paris, de Rouen, de Bordeaux, de Toulouse, de Lyon, de Marseille, &c. il ne faudra ni modérer son zèle, ni changer son langage ; c’est par-tout le même scandale.

Homil. 4. de fide Annæ. Quand on vous reproche votre négligence à approcher des sacremens, à entendre la parole de Dieu, à vous rendre à l’Eglise au moins une fois la semaine, vous vous excusez sur votre pauvreté, vos infirmités, vos affaires, comme s’il y avoit d’affaire plus pressante & plus importante que celle de votre salut. Mais dans trois jours vous allez voir la fausseté de ces prétextes, la ville entiere va courir au spectacle ; les rues, les maisons seront désertes ; on montera sur les toits, on se perchera sur les précipices pour les voir : pauvreté, affaires, infirmités, rien n’arrêtera cette folie, on vaincra tous les obstacles ; les gens casses de veillesse y courront avec plus d’avidité que les jeunes hommes les plus vigoureux, déshonoreront leurs cheveux blancs, & se couvriront de ridicule. A l’Eglise on n’écoute qu’avec dégoût, mollement couché, à demi endormi, se plaignant de toutes les saisons ; à l’amphithéatre (il n’étoit pas couvert) on expose la tête nue aux rayons du soleil, foulé, presse de toutes parts avec la plus grande incommodité ; on y trouve des délices, comme dans la plus riante prairie. Quelle dépravation jusque dans ceux qui devroient servir de guide à la jeunesse ! comment corrigerez-vous vos enfans, vos domestiques, vous qui dans un âge avancé vous comportez scandaleusement en jeune homme insensé ? Quoi ! après tant d’années vous n’êtes pas encore rassasie de spectacles ? Si un jeune homme vous manque de respect, vous lui rappelez les droits de votre vieillesse ; mais s’il faut le conduire à la vertu, que devient votre gravité, vous qui êtes fou du spectacle ? Quand je parle des vieillards, ce n’est pas pour excuser la jeunesse qui y court à sa perte ; car si cette passion est honteuse & ridicule pour les vieillards, elle est bien plus dangereuse pour la jeunesse. Le précipice est pour elle bien plus profond, car le feu des passions est plus vif, il n’y faut qu’une étincelle pour allumer l’incendie, le cœur plus facile à séduire ; elle a besoin de plus de précaution & de vigilance, & d’un frein plus sévère. Ne dites pas, bon homme, que le spectacle est agréable ; songez plutôt combien ce plaisir est pernicieux, & même peu satisfaisant. Quand vous revenez du théatre, comparez-vous à ceux qui reviennent de l’Eglise. Quel des deux est le plus satisfait ? Il a prié Dieu, entendu sa parole, reçu les sacremens, il est exempt de péché, en particulier de ceux qu’on commet au théatre ; plein de confiance & de joie, il parle avec plaisir & avec fruit de ce qu’il a entendu. Vous avez abandonné l’Eglise votre mère, méprisé les Prophètes, outragé votre Dieu, assisté aux danses du démon, écouté les plus mauvaises paroles, perdu un temps précieux, sans en rapporter aucun fruit spirituel ni temporel ; vous êtes déchiré de remords, couvert de honte, abattu de tristesse. Ne cherchassiez-vous que votre satisfaction, c’est à l’Eglise qu’il faudroit se rendre. Venez-y donc goûter la divine parole ; un moment de mortification vous assurera une volupté pure, un moment de plaisir vous causeroit plusieurs jours d’amertume. Ici, comme dans toutes les passions, un plaisir d’un moment, & un regret éternel du vice, une peine d’un moment, & une éternité de délices dans la vertu : Vitium momentaneum habet voluptatem dolorem perpetum, virtus laborem omnem fructum œternum.

Homil de David & Saul. Je crois que plusieurs de ceux qui allèrent hier aux spectacles d’iniquité sont ici présens. Je voudrois les connoître, afin de les chasser de l’Eglise, non pour toujours, mais pour les convertir, comme un bon père interdit quelquefois à ses enfans sa maison & sa table dans la vue de les corriger, comme un Pasteur sépare du troupeau les brebis malades, pour les guérir & préserver celles qui sont saines. Mais s’ils me sont inconnus, ils ne le sont pas au Fils de Dieu, qui les jugera, & qui j’espère les fera rentrer en eux-mêmes. Mais, dises-vous, quel est donc leur crime pour mériter d’être chassés de l’Eglise ? Quoi donc ! l’adultère n’est-il pas un assez grand crime ? Ils en sont coupables, & ils osent venir dans ce lieu saint. Ce mot vous étonne ? C’est celui du grand Juge qui doit juger de toutes vos actions : Regarder une femme avec un mauvais désir, c’est, dit-il, avoir commis l’adultère dans son cœur : Jam mœchatus est in corde. Si une femme négligemment parée, vue par hasard dans la rue, blesse mortellement ceux qui la regardent avec curiosité, que sera-ce de contempler les heures entieres au spectacle, de propos délibéré, & avec le plus grand goût, jusqu’à abandonner l’Eglise pour y courir, ces infames Actrices, communément belles, & toujours le plus dangereusement parées ? Aura-t-on l’impudence de dire qu’on n’a formé aucun mauvais désir ? Ces paroles dissolues, ces chants lascifs, ce son de voix séduisant, ce visage fardé, ces attitudes voluptueuses, ces instrumens de musique, cette harmonie, cette mélodie qui énerve l’ame, & par un goût de volupté prépare & livre les spectateurs aux pièges des Actrices, ne les perd-il pas tous (on diroit qu’il y avoit opéra à Constantinople) ? Si jusque dans le sanctuaire, en la présence de Dieu, pendant le chant des Pseaumes & la divine parole, la concupiscence, comme un voleur subtil, se glisse en secret dans nos ames, comment pourront la surmonter, s’exempter d’adultère & participer aux saints mystères, ceux qui fréquentent le théatre, où ils ne voient & n’entendent rien de bon, mais dont les yeux & les oreilles sont sans cesse assiégés par l’iniquité ? Je vous exhorte donc & vous conjure d’aller vous confesser & faire pénitence en particulier des péchés commis au théasre, qui ne sont pas médiocres ; vous puniriez un domestique qui mettroit des ordures dans un vase d’or destiné à renfermer des parfums ou des pierres précieuses, faites-vous moins de cas de votre ame ? Le Saint Esprit y a répandu les parfums de sa grace, les pierres précieuses de ses dons, & vous y renfermez les pompes, les fables du Démon, les chansons d’une Comédienne. De quel œil Dieu verra-t-il ce sacrilège mélange ? n’êtes vous pas saisi d’horreur & de crainte de regarder le Saint des Saints des mêmes yeux dont vous venez de voir le crime, d’entendre des mêmes oreilles les infamies de la scène & les divines Ecritures, & de recevoir l’hostie adorable dans le même cœur qui vient de boire à longs traits un poison mortel ? Le théatre ne cause-t-il pas encore tous les désordres de la société, l’infidélité dans les mariages, les troubles, les querelles des familles ? Lorsque devenu licencieux, efféminé, ennemi de toute pudeur, vous rentrez chez vous, votre femme fût-elle la plus accomplie, ne vous est plus agréable. Embrasé de la concupiscence que le théatre a allumé, épris des objets que vous y avez vu, vous méprisez, vous insultez, vous maltraitez cette épouse simple & modeste, non qu’elle l’ait mérité, mais parce que vous ne voyez votre maison qu’avec dégoût, que vous ne soupirez qu’après ces objets criminels ; le son de leur voix retentit encore à vos oreilles, leurs traits, leurs graces, leurs attitudes sont encore gravés dans votre cœur ; à plus forte raison avec quelle répugnance venez-vous à l’Eglise, avec quel ennui entendez-vous la parole de Dieu, sur-tout si on vous parle de modestie & de pureté ? tout cela vous accuse & vous jette dans le désespoir, Je vous conjure donc, & je ne cesserai de vous conjurer de fuir les spectacles, pour vous préserver ou pour vous guérir d’un si grand mal.

Commentar. in Isai. Je vous ai souvent exhortés de ne point aller au spectacle ; vous n’avez pas profité de mes exhortations. Ecoutez donc, & profitez-en mieux. En regardant ces impures représentations, vous avez commis un péché, vous vous rendrez les esclaves d’une Actrice. En revenant du théatre tout ce que vous y avez vu revient dans votre-mémoire ; vous en êtes affligé, vous en rougissez : Malheur à moi, dites-vous, de quel front oserai je entrer dans l’Eglise & écouter la divine parole ? Consultez-vous vous-même ; sentez la différence de l’état où vous êtes en revenant de l’Eglise, de celui où vous vous trouvez en revenant du spectacle ; vous n’aurez pas besoin de mes exhortations. Cette comparaison suffiroit pour connoître l’avantage de l’un & le malheur de l’autre. Revenez donc à Dieu, priez avec confiance, corrigez-vous. Si vous voulez guérir vos plaies, appliquez-y le remède, soyez votre Médecin. Ne vous lassez pas de faire des efforts ; la mauvaise habitude est un arbre qu’il faut abattre. Un coup de hache n’y suffit pas. Frappez vingt, trente, cent fois, jusqu’à ce qu’il soit abattu. Une Actrice est un chêne qui ne porte que du gland pour nourrir des pourceaux : son amour a poussé dans votre cœur de profondes racines ; il en coûte de les arracher. Couverte des feuilles de la parure & de ses agrémens, elle a aveuglé votre ame ; mon discours sera la hache qui coupera cet arbre infortuné. Qu’il est difficile de corriger une habitude invéterée ! Mais ne vous découragez pas, ne craignez pas de découvrir la profondeur de votre plaie, & d’y appliquer le baume nécessaire de la pénitence.

Homil. 1. in Matth. Je ne vous annoncerai pas la divine parole, si je vous vois sans goût, sans estime, sans respect pour elle, & la foulant aux pieds. Selon la parole de Dieu, ne donnez point les choses saintes aux chiens, ne jetez pas les pierres précieuses aux pourceaux, ils les fouleront aux pieds. Mais qui, direz-vous, est assez malheureux pour cela ? Qui ? celui qui a pour elle moins d’empressement que pour le théatre, ces théatres diaboliques & prostitués, diabolicis theatris, meretricibus (expression singuliere, difficile à rendre en françois ; le théatre n’est pas seulement plein de femmes prostituées, il est comme prostitué lui-même, vendu au crime, il vend le crime, theatris meretricibus). Grand nombre y passent les jours entiers, ce qui cause dans leurs maison de grands désordres ; ils apprennent avec grand soin ce qu’ils y entendent dire ; & pour le malheur de leur ame leur mémoire trop fidele ne le leur rappelle que trop : tandis qu’ils ne peuvent sans impatience être un moment à l’Eglise. On n’a point de religion, on n’en a qu’en paroles.

Homil. 15. ad Popul. Antioch. Bien des gens s’imaginent qu’il n’est pas certain que ce soit un péché d’aller à la comédie. Mais il est certain qu’elle cause une infinité de maux, l’immodestie, la fornication, toute sorte d’incontinence. Il ne suffit pas même d’éviter les péchés certains, nous sommes encore obligés d’éviter les choses indifférentes qui portent insensiblement au péché. Celui qui marche sur le bord d’un précipice, quoiqu’il n’y tombe pas, ne laisse pas de trembler, & souvent la crainte le trouble & le fait tombet. Ainsi celui qui ne s’éloigne pas du péché, mais vit avec lui, doit vivre dans la crainte, & souvent y tombe.

Homil 15. in Genesim. Ce saint Evêque interdisoit jusqu’au spectacle du Cirque, où on ne voyoit que des courses de chevaux. On sent bien qu’il ne faisoit pas grace à ceux où l’on étale des Actrices. Mais, dites-vous, quel mal y a-t-il à voir courir des chevaux ? Si vous examiniez avec attention tout ce qui s’y passe, vous verriez que tout est ici l’ouvrage du démon. Ce ne sont pas seulement des chevaux qui courent, ce sont des blasphêmes, des cris, des querelles, des discours licentieux, que de toutes parts on entend, des femmes de mauvaise vie, par-tout répandues & étalées, des libertins, des gens mous & efféminés. Autre préjudice à nos ames : l’inutilité de ces divertissemens, le temps qu’on y perd, les discours frivoles qui s’y tiennent. Rien de tout cela ne conduit au salut. N’est-ce pas un assez grand mal ? Aliud animæ damnum, inutilia quæ ad nihil conducunt, tempus dilapidatur, &c.

Hom. 7. in Matth. C. 2. Qui de vous, comblé des bienfaits de Jesus-Christ, imiteroit les travaux des Mages, qui viennent d’un pays éloigné l’adorer dans la crêche & lui offrit leurs présens ? Vos femmes ont une si grande mollesse, qu’elles ne peuvent faire deux pas, & venir à l’Eglise, sans se faire porter (& elles ont la force de danser les heures entieres). Combien d’entre vous préferent le théatre à nos assemblées ! Au lieu de courir, comme les Mages, pour voir Jesus-Christ, vous courez pour ne le voir pas, mais pour voir des femmes sur la scène, où il n’est sûrement pas. Ne méritez-vous pas que la foudre tombe sur vous ? Si quelque puissant protecteur vouloit vous introduire auprès du Roi, & vous obtenir des graces, n’y eût-il pas même des graces à obtenir, préféreriez-vous le théatre ? & vous quittez l’Eglise, la sainte Table pour le théatre ! vous vous éloignez de cette fontaine d’eau vive pour aller faire naufrage aux pieds d’une Actrice ! vous osez l’appeler une mer de délices ! C’est bien plutôt une mer de crimes & de malheurs. Il seroit mille fois moins dangereux de traverser la mer Ægée & la mer Tyrrheniene que d’affronter les horribles écueils du théatre : Tutius mare Ægeum vel Tyrrhenum transeat, quàm theatri horrenda discrimina. Le Démon remplit votre esprit toute la nuit de l’attente des plaisirs ; quand il vous montre ce que vous aviez tant désiré, il vous lie en esclave. N’eussiez-vous point de commerce avec les Actrices, ne vous croyez pas sans péché. Vous l’avez commis par vos désirs ; la flamme de la concupiscence embrase votre cœur. N’y eussiez-vous pas consenti, êtes-vous excusable de vous y être exposé, & d’avoir donné ce scandale, & engagé par votre exemple, peut-être par vos invitations, à aller à la comédie ? Je vous envoie à l’école de vos femmes, dont vous devriez plutôt être les maîtres que les disciples ; le péché vous met au-dessous d’elles, & vous livre à leurs justes reproches ; fuyez ce péché, & vous reprendrez l’autorité que Dieu vous a donnée. Le péché vous met même au-dessous des plus vils animaux, je vous renvoie à leurs leçons avec l’Ecriture ; les oiseaux, les poissons, les reptiles, sont plus chastes que vous. Fuyez donc cette mer de malheurs, ce fleuve de feu, cet air empesté du théatre, qui allume le feu de l’enfer. Vous voulez donc, dites-vous, que nous nous fassions tous Religieux ? comme s’il n’y avoit que les Religieux qui pussent mener une vie chrétienne, comme si la loi de l’Evangile n’étoit pas pour tout le monde. Dieu ne dit pas moins aux gens mariés qu’aux Religieux : Si vous regardez une femme avec un mauvais désir, vous avez commis adultère dans le cœur. Je n’interdis pas le mariage, ni les plaisirs honnêtes ; mais je veux qu’on y observe la modestie, & qu’on n’y commette point de péché. Je ne prétends pas qu’on habite les déserts & les montagnes, mais qu’on vive chrétiennement dans les villes, dans les familles. Ne maltraitez pas vos épouses, ne corrompez pas vos enfans, n’introduisez pas dans vos maisons la peste du théatre. Si votre épouse est pieuse, vous vous plaignez qu’elle passe trop de temps à l’Eglise ; & vous qui passez tout le vôtre au théatre, vous croyez-vous sans reproche ? Jaloux de vos femmes, vous censurez leurs moindres démarches, & vous vous croyez tout permis. Vous leur appartenez autant qu’elles vous appartiennent, & vous leur faites le sanglant affront de vous abandonner à des Actrices. Vous faites rougir votre fille par vos discours, & vous vous déshonorez vous-mêmes ; vous scandalisez vos domestiques en vous permettant ce que vous devriez châtier en eux. Faut-il en être surpris ? vous courez au théatre voir & entendre, & vous préférez aux actions & aux paroles honnêtes ce qu’il ne convient pas même de nommer. Je ne me tairai point jusqu’à ce que j’aie détruit ce théatre diabolique, & rendu à la pureté ceux qui composent nos assemblées.

Homil. 6. ibid. Nous ne sommes pas faits pour passer notre temps dans les ris, les divertissemens & les délices ; c’est la vie des Comédiens & des Comédiennes, des parasites & des adulateurs des Grands, non de ceux qui sont appelés à une vie céleste, & dont les noms sont écrits dans le livre des élus, mais de ceux qui sont livrés au Démon. C’est lui, n’en doutez pas, qui a fait un art des jeux de théatre, pour attirer les hommes, les séduire, les amollir, & détruire leur vertu ; c’est lui qui a fait dresser les théatres, a formé les Acteurs, afin que cette peste gagne & infecte toute une ville. S. Paul nous défend les discours frivoles, les paroles de bouffonnerie ; mais c’est ce qui fait la matiere des divertissemens dramatiques ; & ce qui est le plus intolérable, c’est que si un Acteur prononce quelque parole impie ou licencieuse, c’est alors qu’on rit aux éclats, & qu’on est le plus satisfait. On applaudit à des choses qui devroient faire jeter des pierres aux Acteurs, puisque par ces plaisirs criminels, ils allument le feu de l’enfer. En louant ces folies, on s’en tend complice, on en devient l’auteur, en engageant à les dire, & l’on mérite les plus grands supplices. S’il n’y avoit point de spectareur, il n’y auroit plus de Comédiens. Mais quand ils vous voient tout quitter, jusqu’à votre métier, vos affaires, vos profits, pour eux, ils en sont de plus en plus animés. Je ne prétends pas excuser les Acteurs, mais vous faire sentir que vous êtes le plus coupable, & la vraie source de tous les déréglemens. Celui qui représente est moins criminel que celui qui l’engage à représenter par son assiduité, ses applaudissemens, ses ris ; c’est favoriser, c’est achalander la boutique du Diable, foventes eas Diaboli officinas, sur-tout dans la profanation de la sainteté du mariage, qu’on y méprise & qu’on y décrie. De quel œil verrez-vous chez vous votre femme, après avoir vu au théatre outrager & rendre son sexe méprisable ? Vous avez honte, vous vous repentez de votre union avec elle, vous craignez de partager le ridicule. Tout cela, dites-vous, n’est qu’une fiction Mais il fait bien des adultères réels, & ruine bien des familles ; & pour comble d’affliction, un si grand mal ne passe pas même pour un mal ; on favorise l’adultère, on en rit, on y applaudit. Ceux qui feignent de pareilles horreurs sont dignes de mille morts, d’oser mettre sons les yeux ce que toutes les loix condamnent. Si l’adultère est un mal, la représentation est sans doute un mal aussi : Si adulterium est malum, malum est sine dubio ejus imitatio. Qui pourroit dire combien ces représentations font commettre de crimes, & inspirent aux spectateurs d’impudence & d’impureté ! Rien de plus lascif, de plus impudique, que l’œil qui peut soutenir ce spectacle. Quelle contradiction ! vous ne souffririez pas de pareilles licences dans les rues, encore moins chez vous, & vous y applaudissez au théatre ! La différence des lieux en change-t-elle la nature ? Vous y allez les admirer, les voir & les entendre ; c’est le comble de l’opprobre & de la folie. Il vaudroit mieux couvrir votre visage de boue que de voir avec plaisir l’image du crime : la boue ne nuit pas tant à vos veux, que la vue de ces objets nuit à votre ame. Tout cela vous afflige ? Cette affliction fait ma joie parce qu’elle est le commencement de votre conversion. Vous ne sauriez trop gémir de tous ces désordres ; je vous en parle vivement, afin qu’enfonçant le fer plus profondément, je puisse plus parfaitement arracher de votre amé la pourriture qui la perd, & lui rendre la santé.

Homil. 36. Matth. 11. De même que les ordures souillent & bouchent les oreilles du corps, les discours, les chansons, les vers licentieux souillent & bouchent celles de l’ame. Un barbare menaçoit les Juifs de leur faire manger des ordures. Vous le faites réellement, & même encore pis. Ces licences sont plus nuisibles que tout ce qu’il y a de plus dégoûtant ; & ce qui est le plus insupportable, non-seulement vous n’en avez pas horreur, quand vous les voyez au théatre, mais vous en riez, vous y applaudissez. Si cela n’est pas un mal, montez donc sur la scène, jouez votre rôle, liez-vous à la troupe des Comédiens, pratiquez ce que vous louez. Vous rougiriez d’être de cette société, les loix même payennes ont déclaré les Comédiens infames ; pourquoi donc les estimez-vous, les honorez-vous ? Vous courez en foule au théatre, comme vous iriez à l’entrée de quelque Ambassadeur ou de quelque Général d’armée, pour remplir vos cœurs & vos oreilles d’infamie. Vous reprendriez vos enfans, vous puniriez vos esclaves, s’ils se donnoient ces libertés, vous ne les souffririez pas dans votre maison, & lorsque les derniers, les plus vils, les plus méprisables des hommes (des Comédiens) Verberones, serviles abjecti homines, vous invitent à venir entendre ces infamies, vous vous en réjouissez, vous leur en rendez graces. Peut-on porter plus loin la folie ? Mais, dites-vous, je n’ai jamais ni dit ni chanté ces obscénités. Qu’importe ? vous les écoutez avec plaisir. Croira-t-on même que jamais vous ne répétiez ce que vous avez entendu avec tant d’ardeur ? Quand vous entendez des blasphemes, vous en frémissez, vous bouchez vos oreilles, parce que vous n’aimez pas le blasphème. Vous en feriez de même pour les obscénités, si vous ne les aimiez pas ; nous croirions que vous ne les répérez pas, si vous ne pouviez souffrir de les entendre. Comment conserverez-vous la vertu & serez-vous vainqueur dans les rudes combats de l’impureté, lorsque vous vous laissez gagner par le chant des Actrices ? Car si même vivant éloigné du danger, on a tant de peine à conserver cette vertu, comment la conservera-t-on quand on s’y livre ? Ignorez-vous notre malheureux penchant pour le vice ? comment éviterons-nous le feu de l’enfer, quand nous nous en faisons un art & une étude ? Réjouissez-vous dans le Seigneur, dit S. Paul. Oui dans le Seigneur, non pas dans le Démon. Comment sentirez-vous vos péchés, comment vous en repentirez-vous, toujours enivré des folies des spectacles ? Vous portez du théatre dans vos maisons ces ordures empestées dont par les yeux & les oreilles vous avez rempli vos ames, & qui s’y sont comme établies. Vous avez en aversion ce que vous devriez aimer, & vous aimez ce que vous devriez avoir en horreur. J’en vois qui au sortir d’un enterrement courent se laver dans le bain, & ne versent pas une larme au sortir du théatre. Mais le cadavre n’est pas immonde, & le péché imprime une tache que tous les fleuves du monde ne peuvent laver ; la contrition & la confession peuvent seules l’effacer. Mais quel est donc ce bruit & ce tumulte du théatre ? quels sont ces cris diaboliques & ces habits dont l’indécence est l’ouvrage de l’enfer ? Un jeune homme se pare & se frise comme une coquette, & par les regards, les habits, les airs efféminés, s’étudie à paroître une fille, & à démentir son sexe. Le vieillard rase sa pudeur avec ses cheveux, prêt à tout dire, à tout entendre, à tout faire ; des femmes sans voile & sans honte paroissent & par, lent hardiment sur la scène, elles semblent avoir fait une étude réfléchie de l’impudence, & répandent si bien le poison de l’impureté dans les y eux & les oreilles des spectateurs, qu’on diroit qu’elles ont conspiré d’attacher jusqu’aux racines de la modestie, de déshonorer la nature, & de rassasier leurs passions par la plus infame volupté. En un mot tout ce qui se passe au théatre est infame, turpissima sunt. Les paroles, les habits, la parure, la démarche, les gestes, les intrigues, le style des pieces, tout y est plein du poison de l’impureté. Comment rentrerez-vous en vous-même, après avoir été enivré de la coupe du Démon. Que de crimes s’y commettent ! que de mariages y sont profanés ! que de jeunes gens y font corrompus ! Tout y est un chef-d’œuvre d’iniquité, un prodige d’impudence, ce qui devroit nous faire verser des torrens de larmes. Quoi donc, direz-vous, nous proscrivons tous les jeux, & nous voulons tout renverser. Mais est-ce nous qui renversons ? C’est le théatre qui a tout renversé. D’où viennent les corrupteurs du mariage, que de la scène ? c’est elle qui dégoûte les hommes de leurs femmes, & de la pratique de toutes les vertus. C’est celui qui fréquente le théatre, qui renverse tout. Ce sont les tyrans, non le théatre, direz-vous, qui font ces désordres, puisque les spectacles sont approuvés par les loix, & n’ont jamais occasionné des crimes. Que ne puis-je nommer les coupables ! je vous montrerois que c’est là qu’ils se sont formés. Combien les Actrices n’en ont-elles pas mis dans l’esclavage ! combien n’en ont-elles pas arraché à leurs légitimes épouses, & fait souiller le lit nuptial ! Est ce nous qui renversons les loix qui ont condamné tous ces crimes ? Renverser le théatre n’est pas détruire les loix, mais le regne du vice & la peste des villes. Que cherchent les misérables qui font ce métier ? ils cherchent à vivre, ils vendent leurs talens pour avoir du pain, & se prêtent à tout ce que le libertinage leur demande. Une jeunesse mal élevée est plus furieuse qu’une bête féroce : plusieurs scélérats n’ont eu d’autre école que le théatre. Ces voluptés insensées animent les peuples, corrompent les honnêtes femmes, en les mêlant avec les Actrices, & ruinent une infinité de familles. C’est donc vous qui en favorisant le théatre, renversez tout l’ordre de la société, non pas moi qui le combats. Faut-il donc détruire tous les théatres ? Plût-à-Dieu fussent-ils tous détruits ! Ce n’est pourtant pas ce que je vous ordonne : laissez subsister tous ces beaux édifices, mais faites cesser toutes ces représentations. Prenez leçon des barbares, qui savent bien s’en passer. Quelle excuse aurez-vous, vous qui êtes citoyens des cieux & associés aux chœurs des Anges ? êtes-vous moins sages que des barbares ! S’il vous faut des divertissemens, n’en est-il pas d’honnêtes & à la ville & à la campagne ? la nature n’y offre-t-elle pas les plus beaux spectacles ? n’avez-vous pas une femme, des enfans, des amis, qui vous feront goûter des plaisirs & plus purs & plus doux ? Des barbares s’étant trouvés un jour au théatre, dirent une parole digne des plus grands Philosophes : Les Romains n’ont-ils point des femmes & des enfans, pour aller chercher ces frivoles & honteuses voluptés ? Ils nous faisoient sentir par là qu’il n’est rien de plus cher que la société d’une honnête femme & des enfans bien élevés. Mais il est, dites-vous, bien des gens pour qui le théatre n’est pas pernicieux. Il n’en est point à qui il ne nuise. Mais en fût-il, n’est-ce rien que le temps qu’on y perd, & le scandale qu’on y donne ? Eussiez-vous assez de force d’esprit pour n’y commettre aucun péché, ce que je crois impossible, ne vous chargez-vous pas des péchés de tous ceux que vous y attirez par votre exemple ? Tous ces désordres qui se commettent, retombent sur vous, & vous en serez puni, pour avoir occasionné la perte de toutes ces ames. Quelque chaste que vous sachiez vous maintenir en y allant, vous seriez bien plus pur en vous en abstenant. Ne cherchez pas de si vaines excuses. Fuyez cette fournaise de Babilone, arrachez vous (comme Joseph) des mains de cette impudique Egyptienne, fallût-il lui laisser votre manreau. Ainsi goûterez-vous une joie ineffable qui ne sera point troublée par les remords de la conscience, & vous vous assurerez dans l’autre vie des couronnes éternelles.