Chapitre IX.
Sentiments de S. Cyprien et de quelques autres Pères.
Ce grand homme, le plus éloquent des Pères Latins, d’une des premières familles de Carthage, qui connaissait bien les spectacles, où il avait souvent été avant sa conversion, et qu’il peint si parfaitement, a donné cette décision foudroyante dont nous avons parlé ailleurs, rapportée dans toutes les collections des Canons, et qui fait loi dans l’Eglise.
Un vieux Acteur qui avait quitté le théâtre gagnait sa vie à exercer et former des Comédiens. On demande au saint Evêque s’il est excommunié. Il répond, sans hésiter, qu’on ne peut communiquer avec lui ; mais que s’il est pauvre, et qu’il veuille renoncer à son métier, on peut lui faire la charité, comme aux autres pauvres. Les termes en sont remarquables. C’est un homme qui persévère dans l’infamie de son art, « in artis sua dedecore perseverat »
; un maître, un docteur pour perdre les jeunes gens, « magister doctor perdendorum puerorum »
; il enseigne ce qu’il a appris par des crimes, « quod maledidicit insinuat »
. La majesté
divine, la discipline évangélique, l’honneur de l’Eglise, ne permettent pas de la souiller par une communication si infâme, « tum turpis et infami contagione fœdari »
. Qu’il ne prétende pas abuser de notre charité jusqu’à vouloir nous vendre sa conversion, c’est son intérêt plus que le nôtre de quitter son péché : « Ut à peccatis cesset, non nobis, sed sibi præstat. »
Qu’il revienne sincèrement de ses désordres, et qu’il cesse d’engraisser des victimes pour l’enfer, « perniciose in sæculo saginatos ad æterna supplicia deducit ab hac pravitate et dedecore revoca »
. Epist. ad Meratium.
Dans son Epître à Donat, chef-d’œuvre d’éloquence, où le saint Martyr fait le tableau le plus vif de la corruption du siècle, il met la fréquentation du théâtre au nombre des plus grands désordres dont il fait le détail. « Vous en gémirez, dit-il, et vous en rougirez. »
La tragédie exprime en vers les crimes de l’antiquité, on y fait revivre par la représentation les parricides et les incestes. Il semble qu’on craigne de perdre la mémoire des forfaits. On apprend à tous les âges que ce qui s’est autrefois commis peut se commettre encore. Les crimes ne sont point ensevelis dans l’oubli, ne meurent point par le laps du temps, ils deviennent des exemples : « Scelus oblivione non sepelitur, exempla fiunt quæ facinora esse desierunt. »
On retrouve le péché qu’on a commis dans sa maison, ou on y apprend ceux qu’on y peut faire. On apprend l’adultère en le voyant jouer : « Adulterium discitur dum videtur. »
Le vice est moins redouté par le crédit de l’autorité publique, qui en tolère l’image. Telle femme qui était allé chaste à la comédie en revient impudique « Quæ casta processerat, revertitur impudica. »
Quelle plaie aux bonnes mœurs, quel aliment du vice, que les gestes des Acteurs ! « Morum quanta labes quæ alimenta vitiorum histrionicis gestibus ! »
Leur crime fait leur mérite, leur indécence fait leur habileté : « Laus crescit ex crimine peritior judicatur quo turpior »
, et on les regarde avec plaisir. Quelle horreur ! « Proh nefas ! »
Ils émeuvent les sens, flattent les passions, ébranlent la plus grande vertu. Les applaudissements qu’on leur donne font avaler plus agréablement le poison : « Blandientis autoritas auditu molliore pernicius obrepit. »
On y représente les amours de Vénus, les débauches de Jupiter, c’est toujours quelque Divinité, comme si on voulait faire du
crime un acte de religion : « Fiunt miseris religiosa delicta. »
Quel est le spectateur qui peut y conserver son innocence et sa pureté ? « An possit esse qui spectat integer vel pudicus ? »
Dans les fameux Traités de bono Pudicitio, de disciplina Virginum, de Opere et Elemosina, etc. non seulement il blâme en général le théâtre, mais il condamne en détail chacun des ressorts que les passions font jouer dans cette machine funeste, la danse, les chants efféminés, les masques, les parures excessives, les nudités des Actrices, l’appas, la facilité, les pièges offerts à la jeunesse et à tous les spectateurs.
Il est encore dans toutes les éditions des œuvres de S. Cyprien un Traité entier contre les spectacles, que toute l’antiquité a cru de lui, et qui n’en est pas indigne. Quelques critiques modernes en ont douté, ce que nous ne prétendons pas examiner ici. Il est du moins certain que c’est un ouvrage des premiers siècles, et d’une main très respectable. Il est adressé aux fidèles. En voici des extraits.
Quoique je sois assuré de votre piété, dit-il, cependant il se trouve bien des protecteurs indulgents et séduisants du vice, qui lui donnent du crédit et abusent des Ecritures pour l’autoriser, comme si les spectacles n’étaient qu’un amusement
innocent, car la vigueur de la discipline est si fort énervée, et le désordre si dominant, que non seulement on excuse, mais on autorise le vice : « Jam non vitiis excusatio, sed autoritas datur. »
J’ai cru devoir vous en avertir, car rien ne se corrige plus difficilement que ce qui est coloré par des excuses et suivi de la multitude. Des Chrétiens n’ont-ils pas honte de justifier par l’Ecriture, les superstitions et les spectacles des Gentils ? car toutes les aventures des Dieux deviennent une matière de drame. Je rougis de rapporter leurs profanes▶ applications. Elie, dit-on, a été élevé dans un char, David n’a-t-il pas dansé devant l’Arche ? Tous les instruments de musique n’ont-ils pas été employés au Temple ? L’Apôtre compare nos combats spirituels à ceux des Athlètes. Le Chrétien ne pourra-t-il pas regarder ce que l’Ecriture raconte ? Je réponds qu’il vaudrait mieux ne savoir pas lire que de lire si mal, comme si l’on avait voulu nous inviter au spectacle ; au lieu qu’on n’a voulu qu’animer notre zèle pour les biens utiles, par l’exemple de l’ardeur qu’ont les Païens pour les biens nuisibles. Elie qui a été enlevé dans un char, a-t-il couru dans le cirque ? David qui a dansé devant l’Arche, a-t-il paru au théâtre, pour y représenter les amours des Divinités Grecques par des mouvements indécents ? Les instruments de musique servaient à chanter les louanges de Dieu, et non celles des idoles. C’est par l’artifice du démon que des choses saintes sont devenues criminelles : « Diabolo artifice ex sanctis in illicita mutata sunt. »
La raison et la pudeur le défendraient, si l’Ecriture ne le défendait pas. Son silence, dicté par la sagesse, en dit plus que
les paroles : « Verecundiam passa plus dicit quia tacuit. »
S’avilir par ce détail, ce serait marquer une défiance injurieuse aux fidèles, et la sincérité de la vertu renferme
tous les préceptes. Qu’on consulte sa conscience et son état, on ne fera rien que de convenable. Quelles sont les défenses de l’Ecriture ? Elle défend de regarder ce qu’elle défend de faire : « Prohibet spectare quod prohibet geri. »
Elle a condamné tous les spectacles, en condamnant l’idolâtrie qui a été l’origine de tous ces monstres. Un Chrétien y est-il à sa place ? est-il bien saint, s’il prend plaisir à s’occuper des actions criminelles ? « De rebus criminosis voluptatem capit. »
C’est les aimer que de les regarder : « Has amat cum spectat. »
Ce sont des inventions du démon, non de Dieu : « Dæmoniorum inventa, non Dei. »
Il y a renoncé au baptême ; aller au spectacle c’est renoncer à Jésus-Christ pour revenir au démon : « Dum in spectaculum vadit, Christo renuntiat. »
Il parle ensuite des cruels spectacles des Gladiateurs et des bêtes féroces, qui furent abolis par Constantin, et revient au théâtre. Vous n’avez peut-être pas commis les crimes qu’on représente ; mais vous avez vu ce qu’il ne faut pas commettre, et c’est par la vue de la volupté qu’on vous conduit à l’idolâtrie et au vice : « Oculos per libidinem ducit. »
Vous venez de recevoir le Saint-Esprit ou l’Eucharistie, et vous le portez au théâtre parmi les femmes débauchées ! Je rougirais de rapporter les mots indécents, les bouffonneries dont la scène retentit, et les péchés qu’on y joue, « scenæ sales inverecundos pudet referre, et accusare quæ fiunt »
, les chansons des Acteurs, les intrigues des adultères, les jeux dissolus, « agentium strophas, adulterorum fallacias, scurriles jocos »
. On y voit jusqu’à des pères de famille, imbéciles ou libertins, et sans pudeur. Et tandis que la malignité n’épargne aucun état, tout le monde court à cette école de libertinage. Que sait là un Chrétien, à qui il n’est pas même permis
de penser au mal ? « Quid inter hæc Christianus facit, cui vitia non licet nec cogitare ? »
En voyant avec plaisir le tableau du crime, on perd la pudeur, on s’enhardit, on apprend à faire ce qu’on s’est accoutumé à regarder : « Qui oblectatur simulacris libidinis, deposita verecundia fit audacior ad crimina, discit facere quod consuescit videre. »
Là un Acteur dissolu, plus efféminé qu’une femme (un pantomime), parle avec les mains : « Vir ultra muliebrem mollitiem dissolutus. »
Toute une ville s’agite pour un personnage dont on ne sait s’il est homme ou femme ; on aime ce qui est défendu, et on rappelle les égaremens de la jeunesse que l’âge aurait dû faire oublier. N’est-ce pas assez de jouir du crime présent ? il faut, par le spectacle, faire revivre les crimes passés. Tout cela est-il donc permis au Chrétien ?
« Non licet omnino. »
Le saint Evêque fait ensuite le détail de l’orchestre des Grecs, qu’on avait imité à Carthage, qui n’est que celui de l’Opéra, et qu’il condamne aussi sévèrement. Puis revenant aux folies de la comédie et de la tragédie, comme il l’appelle, « tragicæ vocis insanias »
; tout cela, dit-il, ne fût-il pas même dédié aux idoles, ne serait pas d’ailleurs permis aux Chrétiens, à qui, à raison du vice, ils conviennent si peu : « Obeunda tamen non essent Christianis. »
N’y eût-il pas de crime, ce serait encore la plus répréhensible frivolité. C’est une folie de perdre son temps dans l’oisiveté et de le vendre au vice. Un Chrétien doit garder soigneusement ses yeux et ses oreilles ; nous nous accoutumons bientôt au crime que nous entendons : « Oculi et aures custodiendæ ; scito assuescimus in scelera quæ audimus. »
L’homme, trop porté au vice, est si facile à tomber ; que deviendra-t-il, s’il y est poussé par l’exemple ? « Mens quæ sponte corruit, quid faciet si fuerit impulsa ? »
Il finit par une description des beautés de
la nature, des ouvrages du Créateur : spectacle bien supérieur à toutes les comédies. Ne dirait-on pas que cet éloquent Docteur a vu ces frivoles et pernicieuses apologies du théâtre qu’on a fait de nos jours ? C’est que le vice a toujours eu les mêmes torts, employé les mêmes prétextes, et porté aux mœurs et à la religion les mêmes atteintes.
Théophile, Evêque d’Antioche.
Il ne nous reste d’un grand nombre d’ouvrages de ce savant et pieux Evêque du second siècle, qu’une apologie de la religion Chrétienne contre ses calomniateurs, entre autres un Philosophe habile nommé Aurolique. Il nous est défendu, dit-il (L. 3.), d’assister aux combats des Gladiateurs, de peur de nous rendre complices des meurtres qui s’y commettent. Nous n’osons pas même aller aux autres spectacles, pour ne pas souiller nos yeux et remplir nos oreilles des vers ◀profanes▶ qu’on y lit, « ne oculi nostri inquinentur, et aures hauriant prophana quæ ibi decantantur carmina »
, par exemple, quand on y raconte ou représente les actions tragiques de Thyeste ou de Thésée. Il ne nous est pas plus permis d’entendre parler des adultères des hommes et des Dieux, que les Comédiens pour gagner de l’argent chantent avec toutes les grâces dont ils sont capables (à l’Opéra) : « Nec fas est nobis audire Deorum hominumque adulteria, quæ suavi verborum modulamine prœmiis inducti celebrant. »
Les Chrétiens se font gloire de la modestie et de la continence, ils respectent le mariage, honorent la chasteté, et fuient l’injustice et le péché. Ils obéissent à la loi divine, professent la vraie religion. La vérité les dirige, la grâce les garde, la paix les protège, la sagesse les enseigne, la parole divine les conduit, Dieu seul les gouverne, Jésus-Christ,
la vraie vie, règne en eux. A Dieu ne plaise non seulement que nous commettions ces crimes, mais même que nous y pensions : « Absit, absit a Christianis ut talia facinora vel cogitemus nedum faciamus. »
Tatien.
L’autorité de ce célèbre Orateur et Philosophe, disciple de S. Justin, est sans doute affaiblie par son hérésie ; mais l’ouvrage contre les Grecs et les Gentils, qui nous reste de lui, parmi bien d’autres qui se sont perdus, avait été composé avant qu’il tombât dans l’erreur, et a toujours été estimé dans l’Eglise. A quoi me servent, dit-il dans cet ouvrage, un Oreste furieux, le héros d’Euripide, un Alcméon parricide, un Œdipe incestueux, un Pâris adultère ? Qu’ai-je à faire d’un Acteur masqué, qui jette des cris, fait des gestes, est paré comme une femme ? « Qui vultus sui formam non habet, labiis hiat, etc. »
Loin de moi les poèmes d’Hégifilaüs et de Ménandre (Molière) : « Voleant Hegisilai fabula et Menander. »
Irai-je perdre mon temps à admirer un joueur de flûte sur le théâtre ? Nous vous abandonnons toutes ces folies ; embrassez la vraie religion, et à notre exemple quittez des choses si frivoles : « Concedimus vobis hæc inutilia ; credite religioni, et similiter nobis à nugis discedite. »
Minucius Felix.
Cet habile et éloquent Avocat de Rome, a composé un Dialogue excellent, entre un Païen et un Chrétien, pour la défense de la religion Chrétienne, dont il explique les mystères et fait connaître la sainteté, et contre le paganisme, dont il découvre les absurdités et les vices. Il ne pouvait manquer de parler des spectacles : objet
constant de l’enthousiasme de l’un, et de l’horreur de l’autre. Voici ses paroles. Pour nous qui faisons profession d’avoir de bonnes mœurs et de la pudeur, nous nous abstenons de vos plaisirs, de vos pompes, de vos spectacles ; nous en connaissons l’origine ◀profane▶, et nous en condamnons les douceurs empoisonnées : « Abstinemus, a spectaculis quorum noxia blandimenta damnamus. »
Qui n’a horreur des folies et des querelles du peuple dans les combats des Gladiateurs, l’art de tuer les hommes ! La fureur n’est pas moindre au théâtre, mais l’infamie y est plus grande : « In scenicis non minor furor, sed prolixior turpitudo. »
Le Comédien raconte des adultères ou en représente, et en peignant les passions il les inspire : « Adulteria exponit vel monstrat enervis Histrio, dum amorem fingit infigit. »
S. Cyrille de Jérusalem.
Ce fameux Patriarche, trois fois déposé et rétabli, a laissé plusieurs Instructions en forme de Catéchisme aux Catéchumènes et aux nouveaux baptisés, remplies de piété et très utiles. Il leur adresse ces paroles sur les spectacles, comme un devoir des plus importants (1. Cath.). Vous dites au baptême : Je renonce à Satan, à ses œuvres et à ses pompes. Quelles sont les pompes du diable ? Ce sont les spectacles du théâtre, « pompæ diaboli spectacula theatri »
, et toutes les autres vanités semblables, dont le Roi David demande à Dieu d’être délivré : Détournez mes yeux, dit-il, afin qu’ils ne voient point la vanité. Gardez-vous donc de la folie du théâtre : « Ne secteris insaniam theatrorum. »
Vous y verriez, à votre grand malheur, l’impudence et l’impudicité des Comédiens : « Mimorum petulantias omni impudicitiâ refertas. »
Lactance.
L’éloquent Lactance, appelé le Cicéron Chrétien, connaissait le monde, il avait été Païen ; il connaissait la Cour, il y avait passé plusieurs années Précepteur de Crispe, fils de l’Empereur Constantin ; que pense-t-il des spectacles, dont le Prince nouveau Chrétien aurait si peu souffert la licence, qu’il en abolit une partie, et fit contre eux des lois sévères, et dans le portrait desquels nous voyons l’image des nôtres (L. 6. C. 20. Distinct. Divinat.) ? Après avoir traité au long des affections de l’âme et des plaisirs des sens, il se jette sur les spectacles. Il faut les abolir, dit-il, ce sont de très grandes amorces du vice, les plus propres à corrompre les cœurs ; non seulement ils sont inutiles pour conduire à la vie bienheureuse, mais ils y nuisent extrêmement : « Tollenda spectacula quoniam maxima sunt instrumenta vitiorum, ad corrumpendos animos potissime valent. »
Il parle d’abord des cruautés des Gladiateurs, qu’il condamne avec raison, comme le comble de l’inhumanité, qui se fait un jeu barbare de l’effusion du sang humain. Et peut-être contribua-t-il à faire porter par l’Empereur l’édit fameux de leur abolition. De là il passe au théâtre. Je ne sais, dit-il, s’il peut y avoir de plus grande corruption : « Nescio an sa corruptela vitiosior »
(école de corruption, il n’y a point de mot Français qui exprime corruptela). On ne parle sur la scène que de galanterie. La matière des comédies n’est que la séduction des jeunes filles, et les intrigues des coquettes. Plus les auteurs de ces fables ont de talents, plus ils sont dangereux ; ils s’insinuent par leurs grâces, se gravent plus profondément, et se font mieux retenir par l’harmonie et la beauté des vers : « Facilius intrant in memoriam versus numerosi et ornati. »
Des tragédies ne représentent
que les fureurs et les
amours des mauvais Rois ; ce ne sont que des forfaits montés sur le cothurne : « Regum malorum cothurnata scelera. »
Les gestes et les mouvements licencieux des Acteurs, la mollesse de leurs corps efféminés, leurs déguisements en femmes, à quoi servent-ils ? qu’à enseigner et inspirer la débauche : « Impudici motus enervata corpora muliebris incessus, fæminas mentientes, quod aliud ? nisi libidines docent et instigant. »
Ils ont fait un art de la séduction, « corruptelarum disciplinam »
. Ils donnent des leçons du crime en le jouant, et par l’image conduisent à la réalité : « Docent adulteria dum singerat et simulatis erudiunt ad vera. »
En voyant ces infamies représentées sans honte, et regardées avec plaisir, les jeunes gens apprennent ce qu’ils peuvent faire : « Cum hæc sine pudori fieri, et libenter spectari cernunt, admonentur virgines et juvenes quid facere possint. »
Le feu de l’impureté, qui s’allume surtout par les regards, les embrase : « Inflammantur libidine quæ aspectu maximè concitatur. »
Chacun, selon son sexe, se livre à tous les écarts de son imagination ; c’est l’approuver que d’en rire : « Probant dum rident. »
On revient corrompu dans sa maison, et non seulement les enfants auxquels il est si funeste de donner la connaissance et le goût prématuré du mal, mais même les vieillards, dont les vices, sont des ridicules : « Corruptiores ad cubicula sua revertuntur. »
Fuyez donc le théâtre pour vous garantir de l’impression du vice, pour conserver la paix de l’âme, pour éviter l’habitude de la volupté, qui vous éloigne de Dieu et de la pratique des bonnes œuvres : « Ne voluptatis consuetude deliniat et a Deo avertat. »
Il fait (C. 21.) une réflexion singulière, dont on ne peut dans notre siècle, que trop sentir la justesse. Ne regarderait-on pas, dit-il, comme
un homme de mauvaise vie celui qui ferait représenter la comédie chez lui ? comme s’il y avait une grande différence entre satisfaire sa passion en public au spectacle, ou en particulier dans sa maison ? Que sera-ce d’être Acteur soi-même, de former avec ses amis des troupes pour jouer la comédie ? Le Cardinal de Richelieu, qui le premier en France fit bâtir un théâtre chez lui, et y faisait représenter ses pièces, n’était pas allé à l’école de Lactance : « Quis non eum pudet luxuriosum et nequam qui scenicas artes domi habeat ? Nihil refert utrum luxuriam solus domi an cum populo exerceat in theatro. »
La volupté des oreilles par la douceur du chant n’est guère moins dangereuse que celle des yeux. Cependant s’il n’y avait point de paroles unies au chant, il y aurait moins de risque. Mais lorsque des vers galants accompagnent la musique (l’Opéra), la séduction est très grande, elle mène à tout : « Carmen compositum cum suavitate cantus deliniens, capit mentes ad quod voluerit impellit. »
Les gens de lettres, gâtés par la douceur et l’harmonie des vers, trouvent ensuite insipide la simplicité des saintes Ecritures et de la religion : « Assueti dulcibus et politis carminibus litterati divinarum Scripturarum sermonem simplicem aspernantur. »
On ne goûte que ce qui flatte ; et malheureusement tout ce qui flatte séduit : et n’est-ce pas une des sources de l’irréligion parmi les beaux esprits ? On ne trouve dans la piété, ni ce brillant du style, ni cette harmonie des vers, ni cette émotion de l’âme, ni cet amusement de l’esprit, ni cette légèreté de la danse, ni cette mélodie des airs vifs ou tendres qui enchantent sur le théâtre. La retenue, la sévérité, la simplicité de l’Evangile peut-elle plaire à des cœurs que la
scène a corrompus ? c’est un estomac affaibli qui ne peut digérer des aliments solides. Du dégoût on en vient au
mépris, à l’incrédulité : « Cum ad religionem accesserint litterati minus credunt. »
Si vous ne voulez pas vous tromper vous-même, fuyez donc ces voluptés pernicieuses dont l’âme se repaît et s’empoisonne, comme le corps des viandes délicieuses ; préférez la vérité à l’erreur, l’éternité au temps, l’utile au frivole : « Qui non vult se ipsum decipere, abjiciat noxias voluptates. »
Ne vous plaisez à voir que des actions justes et pieuses, à entendre que ce qui nourrit l’âme et nous rend meilleurs ; n’abusez pas de vos sens, qui ne vous ont été donnés que pour apprendre l’enseignement et la volonté de Dieu. Si vous aimez le chant, chantez, aimez à entendre chanter ses louanges. La vraie volupté est celle que fait goûter la vertu ; elle n’est ni périssable ni passagère. Si vous cherchez d’autres satisfactions, vous courez à la mort. La vie éternelle est dans la piété ; si vous préférez les plaisirs temporels, vous perdez les éternels. Dieu ne mène à la félicité que par le travail de la vertu : le démon mène à la réprobation par le chemin du vice. Craignons les voluptés, comme des filets et des pièges qui en nous rendant esclaves de notre corps, perdront avec lui nos âmes.
S. Clément d’Alexandrie.
Ce fameux Catéchiste d’Alexandrie, emploi qu’il exerça pendant trente ans avec le plus grand succès, a laissé plusieurs ouvrages remplis d’érudition, entre autres des instructions morales à la jeunesse, sous le nom de Pédagogue, mais qui sont utiles à tout le monde. Le vrai Précepteur, dit-il, c’est Jésus-Christ, ce Verbe-Dieu qui nous a instruit dans tous les temps par Moïse, par les Prophètes, par les Apôtres, et par lui-même quand il s’est fait homme.
Ne craignons pas, dit-il (L. 3.), qu’il nous
mène jamais aux spectacles. On peut justement appeler le théâtre une chaire de pestilence ; ces assemblées sont pleines de confusion et d’iniquité. Ce sont des occasions continuelles d’impureté, par le mélange des hommes et des femmes, qui deviennent un spectacle les uns pour les autres par leurs regards lascifs : « Occasio turpitudinis cum viri et fæminœ permixtim conveniunt alter ad alterius spectaculum. »
(Ces paroles peuvent même signifier qu’ils y viennent exprès pour se faire voir). On y forme de mauvais desseins, on s’y donne des rendez-vous ; la licence des regards fait naître de mauvais désirs : « Dum lasciviunt oculi, calescunt appetitiones. »
Les yeux, accoutumés à regarder avec impudence, satisfont la cupidité. Fuyez ces spectacles, que la licence et la frivolité des discours rendent si dangereux. Y a-t-il des forfaits qu’on ne représente sur la scène ? « Quod turpe factum non ostenditur in theatris ? quod verbum impudens non proferunt Histriones qui risum movent ? »
Ceux qui s’y plaisent en reviennent l’imagination pleine des plus vives images de ces folies : « Evidentes domi imagines imprimant. »
Ceux même qui en sont peu touchés perdent du moins leur temps à des plaisirs fort inutiles. Mais, direz-vous, ce ne sont là que des amusements que je prends pour me divertir. Je réponds qu’il y a peu de sagesse dans des villes où les amusements sont des affaires importantes : « Non sapiunt civitates quibus ludi pro re seria habentur. »
Après tout, la cupidité, la vaine gloire, les crimes ne sont pas des jeux. Mais, ajoutez-vous, nous ne sommes pas faits pour être tous de graves Philosophes. Non ; mais vous êtes tous faits pour être de bons Chrétiens : « Non omnes philosophamur ; sed cur omnes Christiani sumus ? »
Ce n’est point par des passions qu’il
faut s’amuser, et ce n’est pas être sage de préférer l’agréable à
l’honnête et à l’utile : « Neque qui sapit jurandum meliori prætulerit. »
Les deux SS. Isidore.
Le premier fut un saint Prêtre de Damiette, le plus savant et le plus célèbre des Disciples de S. Chrysostome. Il a laissé plus de deux mille Epîtres sur différents sujets, toutes très belles et très importantes, sur l’explication de l’Ecriture, les dogmes de la foi et les règles de la discipline. Le second, Archevêque de Séville, l’oracle de l’Espagne pendant trente-cinq ans, à la tête de toutes les affaires ecclésiastiques, fils du Gouverneur de Carthagène, élevé dans le grand monde, qu’il connaissait parfaitement, a laissé grand nombre d’ouvrages excellents qui l’ont fait mettre au rang des Pères de l’Eglise, et ses règlements au nombre des canons.
L. 1. Ep. 3. Il blâme un Religieux qui s’appliquait à la lecture des Poètes Païens. Qu’y trouvez-vous, lui dit-il, qui vaille mieux que les livres saints ? Ce ne sont que des fables ou des bouffonneries : « Mendaciis aut risu scutat. »
Ces Divinités, ces Héros, ces grands exploits, ne sont que l’ouvrage des passions criminelles : « Divinitates fortia facinora ex vitiosis affectionibus. »
Fuyez les lectures des livres licencieux, elles ne sont propres qu’à faire des plaies dans votre cœur, ou à rouvrir les anciennes ; les connaissances que vous y puisez sont pireae que l’ignorance : « Perniciosiores ignorantia cladem inferunt. »
On n’exceptera pas les Auteurs dramatiques de ces justes condamnations ?
Ibid. Ep. 90. Pourquoi a-t-on défendu aux femmes de chanter dans l’Eglise, ce qui d’abord leur était permis ? C’est que la mollesse de leur chant avait, des louanges de Dieu, fait des airs de théâtre ; ce qui dérangeait même à l’Eglise les
gens les plus pieux, par mille occasions de dissolution et de péché : « Cantus suavitate velut scenicis cantibus, ad extimulandas libidines, in dissolutionem et peccati occasionem cessit. »
Dira-t-on que ces airs tendres et efféminés sont moins dangereux au théâtre, où tout favorise, où rien n’arrête la passion ? On doit, tant qu’on peut, dit-il (Ep. 89.), éviter les entretiens et les compagnies des femmes ; leur beauté est la mort qui entre par les fenêtres de l’âme : le saint Prophète David lui-même a été vaincu par un regard. Qu’on juge par ces traits des saintes assemblées du théâtre.
L. 3. Ep. 100. Il se moque de ceux qui font l’éloge des talents des Comédiens ; ce qu’il appelle absurde et ridicule, comme tant d’autres faux jugements dont il fait le détail : « Histriones laudans quod absurdum. »
(L. 4. Ep. 91.). Il ne fait pas plus de grâce au style des Poètes dramatiques. Il montre que la justesse, la précision, la clarté, sont les plus belles qualités d’un ouvrage ; en quoi surtout excelle l’Ecriture sainte qui dit les plus belles vérités dans un mot ; au lieu que la tragédie par une gravité empesée, la comédie par les molles caresses, « gravite tragica, blanditiis et lenociniis comicis »
, sont absolument éloignées de cette perfection divine : « Quid sunt, si ad hanc perspicuitatem, virtutem, brevitatemque conferas ? »
L’Epître 336. (L. 3.) est adressée à un homme en place qui gouvernait un Etat et voulait excuser sa tolérance pour les spectacles, sous prétexte que la comédie corrigeait les hommes par ses bons mots, « salibus meliores reddit »
; ce que ses partisans ne cessent de répéter. Vous vous trompez vous-même, et vous trompez les autres, lui dit-il, les Comédiens ne se sont jamais étudié à rendre les hommes vertueux, leur unique dessein
est de les faire pécher (les Actrices sont-elles du complot ?) : « Scenicis hoc summum studium est, non ut meliores fiant, sed ut multi peccent. »
Toute leur fortune ne porte que sur la dépravation des spectateurs ; si l’on s’appliquait à la vertu, leur théâtre serait désert, et leur art anéanti, « si meliores fiant, ars peritura sit »
. Jamais ils n’ont pensé à corriger les mœurs de personne, et ne le pourraient pas, quand ils le voudraient, « nec si velint id possint »
, parce que la comédie par sa nature n’est faite que pour être pernicieuse : « Mimica ars, natura sua tantummodo ad nocendum comparata. »
L. 5. Ep. 186. Le jugement dernier approche ; préparez-vous-y par la pratique des vertus. Elles vous deviendront faciles, si vous fuyez le théâtre, qui est la perte générale du monde : « Si theatra communem universi pestem fugeritis. »
Fuyez même les gens qui les fréquentent, « etiam iis addictos »
. Fuyez, si vous le pouvez, jusqu’aux villes où on donne le spectacle « etiam urbium in quibus exhibentur spectacula
. »
Ibid. Ep. 463. Celui qui a une passion violente pour le théâtre, est un insensé et un débauché, « insanus ac perditus »
. Fuyez cette malheureuse passion, il est plus facile de la prévenir que de l’arracher quand elle a jeté de profondes racines, ce qui paraît quelquefois impossible, « etiam impossibile videtur »
.
S. Isidore de Séville s’étant proposé dans son livre des Origines ou Etymologies, de traiter de l’origine des choses, a du nécessairement parler des spectacles. Il le fait dans un grand détail (L. 18.) ; mais presque à chaque article il lance quelque trait contre le théâtre, et recommande vivement de s’en éloigner. Les spectacles sont des voluptés qui souillent l’âme par tout ce qui s’y fait : « Voluptates quæ inquinant per ea quæ his geruntur. »
Les tragiques ne s’occupent que des forfaits
des Rois, les comiques des amours et des intrigues des coquettes ; le théâtre n’est qu’un lieu de débauche, « theatrum prostibulum »
. Les vices des hommes et l’instigation du démon ont inventé le théâtre, les passions et l’idolâtrie se sont combinées pour y jouer les crimes : « Hominum vitiis et dæmonum jussis institutæ. »
L’une des deux suffirait pour le faire détester, toutes les deux réunies le rendent abominable au Chrétien. Ce qui vient d’un si mauvais principe peut-il être innocent ? « Spectaculum odisse debes cujus odisti auctores : num bonum est quod à malo incœpit ? »
L’esprit du démon s’est emparé de ces lieux infâmes, ils sont pleins du démon et de ses anges : pourriez-vous vous y plaire ? « Alienus tibi sit locus quem Satanæ spiritus occupavit : totum illud diabolus et angeli ejus repleverunt. »
Il prétend qu’il y avait des foyers ménagés derrière le théâtre, où après la pièce on allait se divertir avec les Actrices, qu’il compare à des louves qui dévorent le bien de leurs amants. (de ce mot focus, foyer, est venu le mot focaria, une maîtresse : elles ne sont pas rares aux foyers.) Enfin ce grand Saint conclut en ces termes la matière des spectacles : Un Chrétien ne doit avoir aucun commerce avec les folies du cirque, les impudicités du théâtre, « cum
impudicitia theatri »
. C’est renoncer à Dieu que de s’y livrer, « Deum negat »
. C’est être un apostat de la foi Chrétienne, que de chercher les pompes et les œuvres du démon, après y avoir renoncé au baptême : « Fidei Christianæ prævaricator qui id appetit quod in lavacro renuntiaverat diabolo et pompis ejus. »
S. Anastase Sinaïte.
Ce saint Patriarche d’Antioche, dont il reste encore plusieurs ouvrages utiles, dit en parlant du théâtre (L. de sacra Sinaxi). Quel est notre aveuglement ! point de componction, de pénitence, de crainte de Dieu, de changement de mœurs ; et souvent nous passons les jours entiers au théâtre ou dans la volupté et la pompe du diable, sans en être fatigués. Nous négligeons nos devoirs et nos affaires pour ces pernicieuses frivolités, tandis qu’à peine nous donnons un moment à la prière et à des lectures pieuses. Nous fuyons l’Eglise comme le feu. Si le sermon, si l’office, si la messe, sont un peu longs, nous nous ennuyons, nous nous endormons, nous nous irritons ; il semble que les exercices de piété soient un procès dont on veut être au plutôt débarrassé, afin de suivre l’impression du démon, qui nous entraîne vers l’amusement, la volupté, le spectacle : que notre misère est extrême ! Grandis miseria !
Olympiodore.
C’était un Père Grec qui a laissé de fort bons commentaires sur Job et sur l’Ecriture. Voici ce qu’il dit (C. 4. v. 17.) : Gardez vos pieds et votre corps ; n’abusez point, pour faire le mal, des membres que Dieu vous a donnés pour pratiquer de bonnes œuvres ; vos pieds vous ont conduit à l’Eglise, doivent-ils vous conduire au théâtre ? vos yeux, vos oreilles, tous vos sens, qui ont servi à votre sanctification, serviraient-ils à la volupté par un usage ◀profane ? « Ne pedibus quibus Templum frequentas, theatrales adito ludos et spectacula. »
S. Jean Damascène.
C’est un des Pères les plus distingués de l’Eglise par sa science, ses écrits, sa naissance, ses travaux contre les Iconoclastes, ses vertus, ses persécutions, les grandes charges où il fut élevé jusque dans le conseil du Prince des Sarrasins, dont il fut le chef, et duquel son mérite lui avait attiré la confiance. Ce Saint, entre autres ouvrages, a fait un grand Traité de morale sous le titre de Parallèles, où il compare les vertus et les vices, le bien et le mal, et s’appuie d’une multitude de passages choisis des Pères. Il parle (L. 3. C. 47.) de deux villes, dont l’une est bien, et l’autre mal réglée. Il dit de celle-ci, d’après S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, et Eusèbe :
Il y a des villes où sans jamais se lasser on ne s’occupe, du matin au soir, qu’à repaître ses yeux des spectacles des Comédiens, à entendre et à chanter des vers galants, des chansons licencieuses, qui portent à toute sorte d’impureté : « Quæ multam in animis libidinem pariunt. »
Bien des gens sont assez aveugles pour croire ces peuples heureux, parce que négligeant leurs affaires et les travaux nécessaires à la vie, ils passent leur temps dans le plaisir et l’oisiveté : « Per inertiam et voluptatem vitæ tempus traducunt. »
Peuvent-ils ignorer que le théâtre est une école publique de libertinage ? « Publicam libidinis scholam. »
Ces chants efféminés, ces concerts lascifs, n’excitent que des mouvements indécents : « Obscene se gerere persuadent. »
Ceux qui craignent Dieu, emploient les dimanches à la prière et à la réception des sacrements ; les autres les passent dans les jeux et la fainéantise. Le crieur (la cloche) appelle-t-il à l’Eglise, on n’est jamais prêt, on s’y traîne lentement, avec peine ; la trompette invite-t-elle à la comédie, on y vole, tout trouve des ailes : « Tuba personuit, et omnes alis instructi currunt. »
Celui qui vient à l’Eglise, entend la parole de Dieu et les cantiques des Anges ; que voit-il, qu’entend-il au théâtre ? des chants diaboliques, des femmes qui dansent, qui semblent agitées par le démon : « Diabolicos cantus, mulieres saltantes, a dæmone agitatas. »
Que fait cette danseuse ? elle découvre impudemment (elle pare, elle farde) un visage
que S. Paul ordonne de voiler ; elle étale avec art (elle boucle) ses cheveux, on dirait qu’elle est possédée du démon. Tel fut le festin d’Hérode, où la danse de la fille d’Hérodias fit couper la tête de Jean-Baptiste, et acquit à cette baladine l’enfer pour héritage : « Herodiadis filia tripudiavit ac Joannis-Baptistæ caput
amputavit. »
S. Valérien.
S. Valérien, Evêque de Comele, aujourd’hui Nice, suffragant d’Embrun, nous assure (Hom. 6.) qu’il est mal aisé d’expliquer combien sont dangereux les pièges que tend la volupté au théâtre : « Quam periculosos laqueos exhibeant mimicæ voluptates. »
Si l’on pouvait fouiller dans le fond des cœurs, on verrait le spectateur pousser des soupirs à chaque son des instruments (combien plus vivement à chaque accent des Actrices !) : « Ad singulos fistulæ sonos infelicium corda suspirare. »
Croira-t-on que le P. Bauni, Jésuite, célèbre par sa morale relâchée, et relâché en effet sur la matière des spectacles, cite ce passage, qui le condamne ? Tom. 1. Tract. 11. Q. 21.
S. Léon Pape.
Ce grand homme, qui a gouverné l’Eglise avec tant de sagesse et de gloire, dans une homélie sur l’Octave de S. Pierre, où l’on célébrait l’anniversaire de la délivrance de Rome, dont on était redevable aux vertus, au zèle, à l’éloquence de ce grand Pontife, l’un des plus illustres qui se soient assis sur le siège du Prince des Apôtres, se plaint de l’ingratitude du Peuple Romain, qui oubliait une si grande grâce. J’ai honte de le dire ; mais il est nécessaire de parler. On donne plus aux démons qu’aux Apôtres, les théâtres sont plus fréquentés que les Eglises. Qui a éclairé la ville de Rome et l’a rendue Chrétienne ? qui l’a
délivrée de la captivité ? Sont-ce les Comédiens par leurs jeux, ou les Saints par leurs prières, qui ont fléchi la divine miséricorde, et nous ont obtenu la grâce, quand nous ne méritions que des châtiments ? « Majorem obtinent insana spectacula frequentiam quam beata Martyria ; plus datur dæmoniis quam Apostolis. »
S. Salvien.
Ce saint Prêtre de Marseille, que quelques-uns ont cru Evêque, et que sa piété, ses talents, ses écrits, son zèle, ses travaux, et les services qu’il a rendu à l’épiscopat, ont fait appeler le maître des Evêques, S. Salvien a fait un grand traité de gubernat. Mundi, pour justifier la providence sur les maux innombrables qu’elle permet, qui sont pour les pécheurs une occasion de blasphème. Le sixième livre est presque tout employé à faire sentir les crimes qui se commettent aux spectacles, qui suffiraient seuls pour attirer sur nous les punitions les plus rigoureuses. Quel est, dit-il, le genre de crime et d’impureté que l’on n’y trouve ? « Nihil ferm ? vitiosum quod in spectaculis non sit ? »
Mais, direz-vous, ces forfaits ne se commettent pas tous les jours. Belle excuse ! comme s’il était jamais permis de faire ce que Dieu défend, et s’il cessait d’être mauvais pour n’être pas journalier ? Un assassin, un voleur, ne tue pas, ne vole pas chaque jour ; ils sont donc innocents ? vous n’avez pas même cette mauvaise excuse au théâtre ; quand vous n’y êtes pas, vous y voudriez être : « Etiam cum non spectant, innoxii non sunt. »
Voici la description qu’il en fait. Des légions de démons qui l’infestent, y répandent tant de plaisirs et si séduisants, que les âmes les plus chastes peuvent à peine s’en défendre : « Honestæ mentes superare non possunt. »
Comme à la guerre, on creuse des fosses, on plante des pieux,
on sème des chausses-trapes, on tend des embûches sur la route de l’armée ennemie, où toujours quelqu’un est pris : « Tam multæ illecebrarum insidias ut aliqua capiatur. »
Il serait impossible d’épuiser le détail de tous ces prodiges d’impureté, « portentis »
. Je n’en parle qu’avec peine, je voudrais ne pas même les connaître : « Piget malum illud, vel nosse. »
On ne peut en rappeler
le souvenir sans risque ; les autres péchés ne s’attachent qu’à une partie de l’homme : l’esprit est souillé par les pensées, les yeux par les regards, les oreilles par les mauvais discours ; tout se rend coupable à même temps au spectacle : « In theatre nisi reatu vacat. »
L’œil, l’oreille, l’esprit, le cœur, tout est attaqué, saisi, corrompu à la fois ; gestes, attitude, parure, danse, chant, discours, sentiments, tout se réunit pour perdre les cœurs : la pudeur souffrirait d’en tracer le tableau : « Quis integro verecundiæ statu eloqui valeat ? »
On peut sans rougir nommer par leur nom les plus grands crimes, l’idée du crime en est le préservatif ; mais on ne peut détailler ces jeux dangereux, même pour les condamner ; l’idée même d’amusement en est l’amorce et le voile : « Honeste non possunt vel accusari. »
On peut voir commettre la plupart des péchés, tuer, voler, blasphémer, sans devenir coupable ; on ne peut voir les jeux du théâtre sans tomber dans le désordre, le spectateur est complice de l’Acteur : « Unum est aspicientium et agentium scelus. »
Selon la parole de l’Apôtre, on se rend coupable, non seulement en faisant le péché, mais encore s’unissant à ceux qui le font : « Etiam qui consentiunt facientibus. »
Ceux qui étaient allés chastes à la comédie, en reviennent adultères ; ils s’en étaient déjà rendus, en y allant ; chercher le vice, c’est s’en servir : « Qui ad immunda properat, jam immundus est. »
Pensons-nous que Dieu ne voit pas nos désordres, ou nous
flattons-nous qu’il jettera sur nous un regard favorable, quand il nous voit dans un lieu qu’il déteste ? « Potest eos Deus respicere in theatris, qua odisse Deum certo sciunt ? »
Peut-être, comme les Païens qui croyaient honorer par là leurs Divinités, nous imaginons-nous que ces fêtes sont agréables à Dieu. Si la comédie est une œuvre de
piété, je ne m’y oppose plus ; mais s’il l’a en horreur, si le démon en fait ses délices, « Deus horret et execratur, in his partus diaboli et offensio Dei »
, pouvons-nous, contre nos lumières, nous jouer de la divine Majesté par les honneurs que nous rendons au démon ? quelle espérance pouvons-nous avoir dans les bontés de Dieu, tandis que nous l’insultons de concert ? « quæ spes apud Deum quem quasi consensu publico oppugnamus ? »
S’il nous arrive quelque bonheur, si nous remportons quelque victoire, si nous célébrons les noces, le sacre, l’entrée de quelque Prince, ou quelque autre fête, on ne manque pas de donner (le bal) et la comédie : o folie monstrueuse ! « o amentia monstruosa ! tunc Christo mimos offerimus. »
N’est-ce pas frapper celui qui nous comble de grâces, insulter celui qui nous honore de ses caresses, rendre le bien pour le mal, que d’offrir à Dieu des pièces de théâtre en reconnaissance ? « Christo pro beneficiis theatrorum hostias immolamus. »
Est-ce donc la comédie qu’il est venu nous enseigner par lui-même et par ses Apôtres ? est-ce pour elle qu’il s’est incarné, qu’il est né dans une étable, qu’il est mort sur une croix ? Voilà un digne retour pour sa passion et sa mort : « Præclaram passionis ejus vicissitudinem ! »
Il est venu, dit S. Paul, nous enseigner à renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, à vivre dans la tempérance, la piété, la justice, pour se former un peuple chaste, agréable à ses yeux par ses bonnes œuvres. Le trouverez-vous au théâtre ce peuple fidèle à l’imiter et
à lui obéir ? « Videlicet vestigia Salvatoris sequimur in theatris ? »
C’est faire à Dieu une très grande injure. La fréquentation des spectacles est une apostasie de la foi et des sacrements, et une prévarication mortelle : « Apostasia et fide et sacramentis lethalis prævaricatio. »
Vous avez renoncé
au démon, à ses pompes, à ses œuvres, à ses spectacles ; comment donc après le baptême revenez-vous à ce que vous avez solennellement abjuré, et abandonnez-vous la foi que vous avez authentiquement professée ? Vous vous en faites un amusement : que vous êtes aveugle ! vous y trouverez, non l’amusement, mais la mort : « Vide in spectaculis, non voluptatem, sed mortem. »
Rien de pareil chez les barbares ; ils n’ont point de théâtre, des écoles publiques de vice. Leur ignorance les rendrait excusables ; mais le sommes-nous, nous qui agissons contre nos engagements et nos lumières ? « Majoris prævaricationis labe peccamus. »
Nous préférons le théâtre à l’Eglise, et si le service divin et la comédie se font dans le même temps, je vous en prends tous à témoin, où est la foule ? qu’aime-t-on mieux, le sermon ou la pièce, les bouffonneries ou l’Evangile, la vie ou la mort ? « Dicta Evangelii an thimelicorum, verba vitæ an verba mortis. »
Et si pendant le service on voit que la comédie va commencer, on quitte l’Eglise pour le théâtre. Voilà la source des calamités dont nous gémissons : « Propter spurcitiam exterminati estis. »
Isai. 16. A Mayence, à Marseille, à Cologne, à Trèves, les spectacles n’ont cessé que depuis l’invasion des barbares, et ils n’ont cessé dans les autres villes que par la misère des peuples, qui les met hors d’état d’en faire les frais. Le goût de la volupté, les désirs sont les mêmes, et si on souhaite des biens, ce n’est que pour rétablir ces spectacles. En sommes-nous moins condamnables ? la volonté suffit pour
nous damner. Le théâtre a renversé l’Empire Romain ; et nous nous vantons d’avoir des mœurs, de la religion, de la décence, de la probité ! « Blandimur nobis de probitate morum. »
L’opulence a perdu Rome, en introduisant le luxe, les spectacles, l’impureté ; elle perd les Cours des Rois et les capitales des empires,
et par elle les provinces : connaît-elle quelque mesure ? « Vix poterit in tanta rerum exuberantia morum retinere mensuram. »
Dieu punit les moindres fautes ; rien ne peut passer pour léger quand il offense une Majesté infinie. Peut-on s’en faire un amusement ? peut-on se réjouir de sa perte éternelle ? Il s’en faut bien que ce ne soient que des fautes légères ; le théâtre fait commettre les plus grands péchés : « Quidquid immunditiarum est, exercetur in theatris ; ibi universa damonum monstra. »
C’est une espèce d’hydre, où les têtes de tous les vices sont toujours renaissantes : « Sicut anguinum monstrum quod multiplicabat occisio. »
C’est l’état où les spectacles ont réduit toutes les Gaules ; la frivolité, le luxe, l’impureté règnent partout ; vieillards et enfants, grands et petits, tout est confondu par le crime : « Consimilibus vitiis Gallia civitates conciderunt. »
Dieu, pour nous punir, ou plutôt pour nous corriger, nous fait subir en public et en particulier des châtiments rigoureux. Sans doute nous en profitons pour en devenir meilleurs, nous embrassons une vie austère, nous allons à l’Eglise offrir nos prières, nous renonçons à nos vices, nous en fuyons les occasions, nous en redoutons les images, nous en abhorrons les objets, nous détestons le théâtre, qui en est la source féconde. Bon, c’est alors que nous y courons. Nous volons au théâtre, nous nous repaissons de ses folies, le peuple en est enivré, il s’y répand en foule : « Ad ludos curritur, ad insanias convolatur, in theatris populus diffunditur. »
Puisque les plus
violents remèdes sont inutiles, et semblent même augmenter le mal, quelle espérance nous reste-t-il de notre salut, et à quel terme devons-nous nous attendre qu’à la réprobation éternelle ? « Qua in nobis spes bonæ frugis ? »
Jean de Salisbury.
Nous finirons cette suite d’autorités par celle de ce fameux Anglais, Evêque de Chartres, si distingué à la Cour du Comte de Champagne, à celle de Louis le Jeune, et à celle du Pape Adrien VI, son ami. Entre autres ouvrages, il en a fait un sur la Cour, qu’il connaissait bien, intitulé des Désordres ou des futilités des gens de Cour, de Nugis Curialium. Il parle (L. 1. C. 8.) de la comédie, bien éloignée sans doute de son temps (au douzième siècle) de l’élégance et de la pompe de la comédie Française, mais qui toujours semblable à elle-même par ses vices et ses dangers, qui en font le caractère, n’a pas mérité seule les anathèmes que la religion et la vertu ont lancés sur elle dans tous les temps. Il la croit funeste même à la Cour, d’où il prétend que le bon ordre doit la faire bannir. C’était le plus savant homme et le plus bel esprit de son siècle. Son ouvrage est excellent, très bien écrit, plein d’érudition et de bonne morale, de beaux endroits des Auteurs de toute espèce, des traits d’histoire bien choisis, etc.
Après avoir vivement condamné (C. 7.) la folie de Néron pour le théâtre, il ajoute (C. 8.). Personne sans doute ne voudrait imiter les cruautés et les débauches de ce Prince ; mais on n’imite que trop son goût et ses profusions pour les Comédiens : magnificence honteuse, qui prostitue son bien à des gens indignes : « Cœca et contemptibile magnificentia gratiam Histrionibus prostituunt. »
Nous avons vu quelquefois des Comédiens
plus honnêtes que les autres, si l’on peut appeler honnête un état qui toujours couvert d’infamie, est indigne d’un homme libre : « Hominis liberis indignum indubitanter turpe. »
On trouve de ces pièces comiques dans Ménandre, Plaute, Térence, etc. Cette engeance s’émancipe si fort, qu’il a fallu les chasser : « Cum omnia levitas occupaverit exterminati sunt. »
Est-il rien de plus dangereux que l’oisiveté ? c’est une sirène qui corrompt et qui mène à tous les vices : ne fissent-ils d’autre mal, ne l’entretiennent-ils pas ? « Desidiam prorogant Histriones. »
Ils prétendent nous désennuyer : ces amusements sont pires que l’oisiveté : « Spectaculis perniciosius occupantur.
» De là ces bateleurs, sauteurs, danseurs, tabarins, pantomimes, bouffons, et toute cette vermine malfaisante : « Hinc Mimi, salii, balatrones, palestræ, gignadi, etc. »
Ils se sont si bien accrédités que les honnêtes gens les souffrent chez eux : « Quorum adeo error invaluit, ut a præclaris domibus non arceantur. »
L’autorité des Pères de l’Eglise ne nous permet pas de douter qu’ils ne soient excommuniés, « communionis gratiam Histrionibus, auctoritate patrum non ambigis esse præclusam »
, et que ce ne soit un crime de les favoriser ou de leur donner, car c’est se rendre leur complice, puisque c’est les entretenir dans le vice : « Illis fovens in
quo nequissimi sunt. »
Dans les autres chapitres il parle de la danse, de la musique, des instruments, des masques ; il en fait voir le danger en détail : combien en est-il augmenté par leur union sur la scène ? Il revient (L. 8. C. 12.) à parler de tous ces dangers et de l’excès de la parure, si opposée à la modestie et à la décence, sur quoi le théâtre, par ses raffinements, porte tout au dernier excès.
Fin du Troisième Livre.