(1778) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre vingtieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre II. Suite du Clergé Comédien, » pp. 52-67
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(1778) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre vingtieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre II. Suite du Clergé Comédien, » pp. 52-67

Chapitre II.

Suite du Clergé Comédien,

L E plus illustre ecclésiastique comédien a été Julien l’apostat : il aimoit le théatre à la fureur, son palais étoit plein de comédiens, il en avoit toujours des troupes à sa suite, dans ses voyages. Sa physionomie, ses allures, sa contenance, comme le remarque S. Grégoire de Nazianze, tout disoit que c’étoit un acteur sur la scène. On diroit aujourd’hui c’est un arlequin. Sa vie, sa mort, ses métamorphoses d’ecclésiastique en guerrier, de général d’armée en philosophe, de chrétien en païen, donnerent continuellement la comédie à tout l’empire. Par un évenement peut-être unique, son enterrement fut une farce de la foire. Les comédiens, pour marquer leur reconnoissance & leur regret par un trait de leur métier, formerent le convoi depuis le palais jusqu’au tombeau ; &, dans tout le chemin, ils jouerent réellement la comédie, en représentant toutes ses actions, en vrais pantomimes, contrefaisant sa voix, copiant ses manieres, imitant son style, couvert de l’habit impérial, comme Moliere joua Georges Dandin & Pourceaugnac avec leur habit. C’étoit dans leur idée faire son panégyrique, au jugement des gens sages c’étoit une satyre. Nous en parlons ailleurs. Peut-on disputer ce héros au théatre ? On peut aussi peu le disputer au clergé ; Julien y fut admis, reçut les ordres mineurs & en remplit les fonctions avec édification, & bâtit une église à frais communs avec son frere Gallus, qui ne se démentit jamais.

Ce prince avoit de l’esprit, des talens, de bonnes qualités ; il gagna des victoires & se fit une réputation. Malheureusement le mal en lui l’emporta sur le bien en tout genre. N’eût-il que son apostasie, jamais le vrai sage ne regardera comme un grand homme un parjure, un lâche, un rébelle à son Dieu, qui abandonne la vraie religion pour adorer des faux dieux, contre les lumieres les plus évidentes de la raison naturelle. Autant que j’admire le courage d’un martyr qui répand son sang pour son Dieu, autant je méprise la bassesse d’ame qui brûlé son encens devant le bois & la pierre, après avoir connu & professé la vérité. Qu’on ne dise pas que, toujours païen dans le cœur, il n’a fait semblant d’être chrétien que par crainte. Nouvelle lâcheté qui le fait passer tour à tour de l’erreur à la vérité & de la vérité à l’erreur, & le rend infiniment plus méprisable, par son hypocrisie, sa foiblesse & ses sacriléges. Il ne faut pas moins que toutes les idées qui ont introduit l’irréligion, pour combler d’éloges un païen qui a été l’horreur de tous les siecles.

Mais, eût-il le mérite qu’on lui prête, en eût-il encore davantage, je ne saurois comprendre comme l’irreligion a pu adopter ce prétendu philosophe qui la déshonore, qui la combat 1°.  Aucun de nos philosophes n’admet la pluralité des dieux. Le déiste, le matérialiste n’en connoissent qu’un l’athée n’en veut aucun, Julien les adoroit tous, étoit grand prêtre de Jupiter, en faisoit les fonctions, & fit tous ses efforts pour rétablir le paganisme. 2°.  Les philosophes n’aiment pas plus les juifs que les chrétiens ; ils ne veulent point de religion révélée, ils combattent les livres de Moïse, des prophetes, les cérémonies. Julien favorisoit le judaïsme pour combattre le christianisme ; il rappella les juifs dispersés, leur ordonna de rebâtir le temple de Jérusalem, & leur fournit de grandes sommes. Il fallut de grands miracles pour empêcher cette folle entreprise. Cet évenement, l’un des plus certain de l’antiquité, n’est aujourd’hui contesté que parce qu’il favorise la religion chrétienne. 3°.  Les philosophes sont ennemis de la superstition, &, sous ce nom, attaquent les cérémonies de l’église ; Julien étoit le plus superstitieux des hommes, & adonné à la magie On trouva après sa mort quantité de cadavres cachés qui avoient servi à ses opérations magiques. Il se fit laver avec le sang des victimes, pour effacer en sa personne le caractere du baptême 4°.  Les philosophes font profession d’être soumis aux souverains, quoique leur doctrine renverse également le trône & l’autel. Julien se révolta contre Confiance, prit le titre d’empereur, & alla avec son armée combattre son souverain 5°.  Les philosophes ne prêchent que la tolérance, & déclament sans cesse contre la persécution, afin d’être libres à répandre leur doctrine. L’apostat fut un persécuteur déclaré ; d’abord avec quelque réserve, & sans effusion de sang, se contentant d’exclure les chrétiens des charges, leur interdisant l’étude & l’enseignement des belles-lettres, dépouillant les églises, & affectant un air de justice & de modération : mais, bien-tôt levant le masque, il les livra à leurs plus grands ennemis, qui ne pouvoient mieux lui faire leur cour qu’en faisant couler le sang galiléen ; lui-même en fit mourir un grand nombre, & jura de les exterminer tous après la guerre de Perse. Mais sa mort mit fin à ses fureurs. C’est alors que, mortellement blessé dans un combat, il prit une poignée de son sang, le jetta de rage contre le ciel, & prononça de rage ce blasphême : Tu as vaincu, Galiléen, tu as vaincu, rassasie-toi donc de mon sang. 6°.  Les philosophes affectent la modération, l’impartialité, la douceur, le respect pour les souverain. Julien a composé trois ouvrages ; le premier, contre Jesus Christ, qu’il traite avec le dernier mépris, quoiqu’indépendamment de sa divinité Jesus-Christ, par ses vertus, sa doctrine, ses miracles, soit un homme respectable. Il reste de ce libello divers fragmens dans les apologistes de la religion, qui sont remplis de la plus noire & de la plus injuste malice. Les modernes Juliens ne rougissent pas de ramasser & de faire valoir ces infamies, comme ils ramassent celles de Celse, de Porphire Un autre ouvrage contre les Césars ses prédécesseurs, sur-tout contre le grand Constantin & toute sa famille, quoiqu’il fût son petit-neveu, & que Confiance son oncle eût été son bienfaiteur, lui eût confié ses armées & le gouvernement des Gaules : ce qui est de la plus grande & de la plus indécente ingratitude. Enfin contre la ville d’Antioche, confondant l’innocent avec le coupable, dans ses calomnies & ses sarcasmes : ce qui n’est gueres philosophique, & se fit détester de tous les gens de bien. 7°.  Les philosophes de nos jours sont communément des petits-maîtres élégans, livrés à la molesse, au luxe, à la bonne chere, à la galanterie. Julien le tartuffe, du paganisme le singe, le pantomime des philosophes, affectoit l’extérieur de l’austérité religieuse : longue barbe, vêtement grossier, abstinence, proposant pour modèle aux prêtres des idoles la régularité du clergé chrétien. Il faut avoir bien besoin de recruter son parti pour ambitionner de pareils prosélytes. Mais il a méprisé les saints livres, combattu, persécuté le christianisme, favorisé le judaïsme, professé le polythéïsme, toléré toutes les autres religions, agi & parlé en cynique, affecté les mœurs & le nom de philosophe. Que de titres à la moderne apothéose ! On ne veut pas même lui donner le nom d’apostat que S. Basile & S. Grégoire de Nazianze, tous les peres, tous les conciles, toute l’église lui donnent depuis 1500 ans. Témoignage bien supérieur à celui d’une poignée d’incrédules, plus partisans de ses sentimens qu’admirateurs de sa personne ; & que la philosophie lui devroit donner autant que la religion, puisqu’il a réellement apostasié de la philosophie même autant que du christianisme & du clergé. Nous ne parlons de cet impie ; aussi odieux que ridicule, que pour faire sentir, par un si grand exemple, combien l’amour du théatre dont ce prince fut enivré, pervertit jusqu’aux ecclésiastiques ; jusqu’aux souverains, & les précipite dans les plus grands désordres, malgré les bonnes qualités qu’ils peuvent avoir. Julien avoit été bien élevé, ses ouvrages supposent des connoissances, il aimoit les sciences & les savans ; son style étoit rapide & facile, son esprit vif, aisé, fécond, énergique. On a de lui des mots ingénieux, des traits de justice & de générosité ; mais encore plus de mauvais que de bons, de bouffonneries, de mauvaises pointes, de sarcasmes amers, qu’il se permettoit ou plutôt qu’il se plaisoit à lâcher contre tout le monde, sur-tout contre les chrétiens, qu’il n’appelloit que galiléens. Licence très-indécente dans un prince, dans un philosophe, cruelle dans un souverain, qui blesse jusqu’au vif des sujets à qui il n’est pas permis de se défendre. Le théatre l’avoit gâté, & monté sur le ton du tabarin ; l’acteur paroit par-tout, à travers l’éclat de la pourpre & la gravité empruntée d’un philosophe.

L’abbé de Rieupeiroux, chanoine de Forcalquier, dont nous parlons ailleurs, ayant quitté l’état ecclésiastique pour se livrer au théatre, il composa plusieurs drames qui ne réussirent pas, & quantité de pieces fugitives, dont la plupart roulent sur la galanterie, & dont on ne se souvient plus, n’a laissé qu’un souvenir fort médiocre de ses talens & de sa personne. On parla dans le temps d’un sonnet à la princesse de Conti, qui dut toute sa célébrité à ce grand nom ; parce que la princesse parut l’agréer, comme toutes les femmes ne manquent pas d’approuver ce qui flatte leur beauté. Ce n’est que la répétition d’une fadeur triviale que savent tous les enfans, & que l’on dit à tout moment à toutes les femmes, qu’elles ont un teint de lys & de roses, qu’elles fout pâlir la rose d’envie, & rougir le lys de honte. Ce qui peut avoir fait rire la premiere fois, mais qui n’a rien que de fade aujourd’hui après des milliers de répétitions. On se souvient d’un autre sonnet qui mérite d’être conservé, par la vérité qu’il présente & le ridicule sur le suïcide, si commun au théatre & dans le pastoral, où sans cesse on veut se tuer, on ne peut pas survivre à son amant, à sa maitresse ; on va se jetter dans l’eau, se donner un coup d’épée, &c. qui heureusement ne passe ne passe pas le bout des levres. Ce sonnet est dans le goût de celui de Scarron, où après les plus grands mots sur les monumens de la grandeur romaine, qui ont été mutilés par le temps, on s’écrie d’une façon douloureuse :

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Faut-il être surpris qu’un méchant pourpoint noir ?
Qui m’a servi trois ans, soit percé par le coude ?

Voici le vers de Rieupeiroux :

La bergere Liris, sur les bords de la Seine,
Se plaignoit l’autre jour d’un volage berger :
Après tant de sermens, peux-tu rompre ta chaîne,
Perfide disoit-elle, oses-tu bien changer ?
Puisqu’aux mépris des dieux tu peux te dégager,
Que ta flamme est éteinte, & ma honte certaine,
Sur moi-même de toi je saurai me venger,
Et ces flots finiront mon amour & ma peine.
A ces mots, résolue à se précipiter,
Elle hâte ses pas, & sans plus consulter,
Elle alloit satisfaire une fatale envie.
Mais bientôt s’étonnant des horreurs de la mort ;
Je suis folle, dit-elle en s’éloignant du bord,
Il est tant de bergers, & je n’ai qu’une vie.

Le trop fameux Paul Scarron, l’homme le plus comique & le plus comédien qui fut jamais, a composé beaucoup de pieces de théatre & de livres burlesques, en vers & en prose, qui ne sont que des farces la plupart très-plates, jusqu’à sa traduction de l’Enéide de Virgile, où il travestit en bouffon de guinguette le poëte le plus élégant & le plus sage ; jusqu’à son Roman comique, qui n’est que la suite des aventures d’une troupe de comédiens, toutes dignes d’eux & de lui, & ne peuvent amuser que les treteaux de la foire. Il eut d’abord quelque succès : mais aujourd’hui, généralement méprisé & totalement oublié, ce burlesque écrivain n’a pour lecteur que des laquais.

Personne n’ignore sa fortune & sa chûte : mais tout le monde ne fait pas que cet arlequin, est d’une maison distinguée dans la robe, fut d’abord ecclésiastique & chanoine de la cathédrale du Mans ; & qu’après avoir été forcé de quitter son collet & son bénéfice, il osa solliciter des bénéfices simples, mais si simples , disoit-il, qu’il ne faille que croire en Dieu pour les posséder . Il n’en obtint point. Je ne sai s’il y croyoit : il eût fallu y croire bien peu pour lui en donner. Amateur du théatre, il en étoit épris, il en avoit le génie, & il passa sa vie sur la scène.

Une folie de carnaval le rendit perclus de tous ses membres. Il est dans toutes les villes des insensés qui courent les rues deguisés de mille manieres bizarres : cette mode étoit trop du goût du jeune chanoine pour ne pas la suivre. Etant au Mans, aulieu d’aller à l’office, il se masque en sauvage ; il s’enduit tout le corps de miel, ouvre un lit de plume & s’y roule jusqu’à ce qu’il en eût pris tout le duvet. Ainsi bien emplumé, il va faire des folies dans les rues, & attire toute l’attention de la populace. On s’attroupe autour de lui, on le déplume, on le hue, on lui jette de la boue, on le poursuit, il est reconnu, on crie au scandale, il se dégage de la foule, dégouttant de miel & de sueur, va se jetter dans la riviere & se cacher dans les roseaux ; ses feux s’amortissent, un froid glaçant le saisit, une lymphe âcre se jette sur ses nerfs, se joue de tout le savoir des médecins, & en fait le racourci de la misere humaine : il n’avoit de libre que les yeux, la langue & les mains ; il étoit si défiguré, si replié sur lui-même en cul-de-jatte, qu’il ressembloit à la lettre Z.

Un évenement le plus singulier peut-être qui soit dans l’histoire, c’est le double mariage de Mlle. d’Aubigné (Mad. de Maintenon), d’abord avec Scarron, ensuite avec Louis XIV C’est le comble de la bassesse & le comble de l’élévation : l’un fait ressortir l’autre. C’est se précipiter dans un abyme, pour gravir au haut des Alpes. Quoi de plus mal assorti que ce premier mariage ? Il faut toute l’effronterie d’un trivelin pour oser le proposer, & un besoin bien extrême pour accepter cette ressource. Je ne ferai point de sottise à ma femme , disoit-il, mais je lui en apprendrai beaucoup. Elle étoit en bonne école. C’étoit unir le vice à la vertu, la difformité aux graces, la modestie à la licence, le bon esprit & la bouffonnerie, le bon sens & la frivolité, une religion édifiante & la profanation du plus saint état, les dégoûts de la vieillesse la plus rebutante & tous les charmes de la plus brillante jeunesse, dans la personne d’un libertin scandaleux, que ses folies avoient rendu perclus de tous ses membres, incapable de remplir les devoirs du mariage, & réduit à vivre de quelques pensions viageres mal payées, & de quelques mauvais livres qu’il appelloit le marquisat de Quinet, du nom de Quinet son libraire. L’îndigence les rapprocha. Je reconnois à ma femme , porte le contrat de mariage, deux grands yeux fort malins, un très-beau corsage, une paire de belles mains, beaucoup d’esprit. Je lui assure pour douaire l’immortalité : le nom de femme devoit mourir avec elle, celui de ma femme vivra éternellement. Voilà jusqu’où s’abaisse la femme la plus aimable & la plus respectable.

Mais, du centre de la bassesse & de l’ignominie où elle s’est dégradée, qu’on leve les yeux vers le plus grand roi qui fût alors dans le monde, le plus rempli de sa grandeur, le plus jaloux de son rang, pour ne pas dire le plus fier des hommes, & qui pendant près de quatre vingts ans a le mieux soutenu la majesté du trône ; il vient terminer ses jours, déposer ses lauriers & son diadême aux pieds de la veuve Scarron, adorer & recevoir dans ses bras les restes d’un vil poëte, aussi burlesque dans sa personne que dans ses vers Qui peut mesurer cette distance & comprendre cet anéantissement de la majesté royale. Louis en rougissoit : il ne voulut jamais accorder le titre de reine à la veuve Scarron, ni même souffrir qu’elle en portât le nom, qu’il ne fut plus permis de prononcer : il lui donna celui de Maintenon, qui présente les idées les plus nobles de la raison & de la vertu, comme le disoit le duc du Maine, dont on lui avoit confié l’éducation. Vous êtes bien raisonnable , lui dit le Roi. Pourrois-je ne pas l’être ? Je suis à l’école de la raison.

Le théatre qui gâte tout ce qu’il touche, a répandu un nuage sur cette héroïne, la moins faite pour la frivolité & les tréteaux. L’auteur poissard de Dom Japhet d’Arménie lui en inspira si bien le goût, qu’elle l’introduisit dans la communauté de S. Louis, où, sous les loix & les auspices de la pieuse fondatrice, on donne à la noblesse françoise les plus belles leçons les plus beaux exemples de la piété chrétienne, si on en excepte les égaremens du spectacle. Elle fit revenir malgré lui sur la scène le pieux Racine, que la religion & la vertu en avoient arraché, & revivre les talens séduisans & les coupables écrits dont il avoit connu le danger & la gloire funeste qu’il arrosoit de ses larmes, & rallumer les feux demi-éteints de Louis XIV pour des jeux que, par un pareil motif, il avoit cru devoir s’interdire, & se reprochoit d’avoir trop aimé. Cette dame, d’ailleurs si vertueuse, eut le malheur d’affoiblir & de faire presque évanouir deux conversions les plus importantes en ce genre, d’un grand roi, l’amateur le plus déclaré, & du plus grand poëte dramatique, par l’air contagieux du théâtre qu’on leur fit respirer. La contagion gagna les communautés religieuses, qui se firent gloire de suivre un si grand exemple. Il est vrai que Racine ne fit depuis que deux tragédies, Esther & Athalie, pleines de sentimens de religion, où il n’entre point de galanterie : mais tout est lié au théatre, d’une piece sainte on passe aisément à une piece profane ; & dans la piece sainte même, le goût du spectacle que l’on prend, la décoration mondaine qu’on étale, ne sont gueres moins dangereuses dans Esther & Athalie, que dans Phedre & Bérénice : Clairon est Clairon par-tout.

Paul de Samosate, évêque d’Antioche dans le troisieme siecle, a été déclaré par un concile homme de théâtre. Qui peut lui disputer ce glorieux titre de noblesse & de vertu ? Ce prélat avoit des talens : il étoit éloquent, adroit, flatteur, courtisan. Il plut à Zénobie, Reine de Palmire ; &, pour la rapprocher, disoit-il, du christianisme, il adoucit tellement les dogmes qu’elle n’aimoit pas, qu’il combattit la trinité des personnes en Dieu, & la divinité de Jesus-Christ On tint un concile pour condamner ses hérésies : il fit semblant de les désavouer, & assura qu’il avoit toujours eu la même foi que l’Eglise : le concile se sépara sans rien prononcer. Il revint à ses erreurs, le concile se rassembla, le condamna, l’excommunia, le déposa & lui donna un successeur. Paul refusa de lui céder la maison épiscopale. L’empereur Aurélien, à qui on eut recours, décida que la maison appartiendroit à celui des deux évêques qui auroit l’approbation du Pape : tant il étoit reconnu, même parmi les païens, que l’union au S. Siége étoit la vraie marque, la marque visible & décisive de la catholicité.

Le concile écrivit une lettre circulaire au Pape & à tous les évêques, où, pour justifier sa conduite, il fait un portrait peu flatteur de leur confrere. C’est, dit-on, un homme ambitieux & avare, qui, né dans l’obscurité & la misere, a trouvé le moyen, par les intrigues, les extorsions & les sacriléges, en vendant les choses saintes, de se pousser à la cour & de devenir extrêmement riche. Il n’emploie ses biens qu’à sa vanité, son luxe, son incontinence Il est meublé & habillé magnifiquement, & se fait suivre comme un prince par un nombreux cortége, il porte son faste jusques dans l’église, où il se fait dresser un trône plus élevé que les siéges des prêtres, d’où il prononce des oracles & des sentences. Il veut que tout y applaudisse & batte des mains, comme au théatre. Quand il prèche, il se fait appeller un ange descendu du ciel ; il a des gens à ses gages dispersés dans l’auditoire, comme les acteurs en ont au parterre, qui font tout retentir de ses louanges. Il tient toujours auprès de lui des femmes dans la fleur de la jeunesse jusque dans sa voiture, quand il va quelque part. Il se donnoit à lui-même les plus grandes louanges, tandis qu’il déchiroit les docteurs de l’Eglise. Il changea une partie de l’office divin ; & au lieu des hymnes qu’on chantoit auparavant, il faisoit chanter des vers à sa louange, par des femmes, au milieu de l’église, les plus grandes fêtes. Voilà ce qu’un grand concile dit de lui à toute l’Eglise. Cette lettre rapportée par Eusebe se trouve par-tout.

A un Prélat qui assistoit à une comédie,
dans un couvent de religieuses.

LISETTE, SILVIE.

LISETTE.

        Je sai ce qu’il en faut penser.
Elles n’ont qu’à venir, nos révérendes meres ;
        De leurs sermons nous ennuyer.
Je connois le très-fonds de leurs petits mysteres.
        A la comédie au couvent,
        Même sous les yeux d’un évêque !

SILVIE.

        Vous n’y pensez pas. Doucement !

LISETTE.

Et, si vous me fâchez, c’est même un archévêque. !
Je prétends m’en donner de la bonne façon.

SILVIE.

        Pas si haut… un peu de prudence.

LISETTE.

C’est bien vraiment chez nous qu’on garde le silence.
Maman n’a qu’à venir me faire la leçon,
Qu’il faut fuir l’opéra, le bal, la comédie,
        Dans la chambre passer sa vie.
        En savez-vous plus qu’un prélat ?
        Lui dirai-je avec assurance,
        En lui faisant la révérence.
Ecoutons, respectons, suivons l’épiscopat ;
        Allons, sans craindre de méprise.

SILVIE.

Faut-il examiner après la sainte Eglise ?

LISETTE.

A l’Evangile, hélas ! voulez-vous ajouter ?
        Me voulez-vous religieuse ?

SILVIE.

        Ce seroit-là le pis-aller.

LISETTE.

        Je n’en serois pas moins heureuse ;
        A la comédie j’irois,
    Mon rôle même j’y jouerois.

SILVIE.

C’est par dévotion que je prétends m’y rendre.

LISETTE.

Mais sous les yeux de qui ? Si vous vouliez l’entendre,
Ah ! si vous le saviez, vous baisseriez le ton.
        Est-ce un évêque à la douzaine,
        Qui, content d’en porter le nom,
        S’embarrasse peu de la peine.
    C’est un prélat qui du matin au soir,
        Au grand comme au petit se livre,
Qui du bonheur de tous se fait un saint devoir,
Et, s’il ne fait du bien, penseroit ne pas vivre.

SILVIE.

        A la comédie pourtant,
        A la comédie au couvent.

LISETTE.

Un prélat estimé du public & du prince,
        Qui de la ville & de la cour,
        Fait les délices & l’amour
        De Paris & de la province.

SILVIE.

        A la comédie pourtant,
        A la comédie au couvent.

LISETTE.

Sage, zélé, savant, charitable, fidele.

SILVIE.

Jusqu’à la comédie un excellent modele.

LISETTE.

        Après-tout, pourquoi tant gronder ?
Il vient dans un couvent. N’est-ce pas sa famille ?
        Chacune d’un vrai cœur de fille
        Se pique de le régaler.

SILVIE.

Il faut bien même un peu jaboter à la grille ;
Une religieuse aime à prélatiser.

LISETTE.

Sans cela le couvent seroit-il supportable,
        Si quelquefois d’un air aimable
        On n’assaisonnoit ses rigueurs,
    En pourroit-on soutenir les horreurs ?
        Un petit grain de comique
        Y répand un goût exquis :
        Mais sans lui mélancolique
        C’est le regne des soucis.

SILVIE

Le comique après tout n’est pas ce qui nous manque,
Et, quand l’on en voudra, nous mettrons à la banque.

LISETTE.

        C’est un grand évêque, il est vrai.
        Un évêque n’est-il pas homme ?
A ne rire jamais seroit-il condamné ?
Le Pape quelquefois ne rit-il pas à Rome ?
        Plus qu’un autre il en a besoin.
        De mille affaires la victime,
        Qui peut jamais lui faire un crime,
        Quand il viendra tenir son coin
Dans un délassement modéré, légitime ?

SILVIE

        Sur-tout quand il a pour témoin
Du mystique Sénat l’air dévot & sublime.

LISETTE

        Mais enfin parlons savamment.

SILVIE.

Nous nous en piquons, oui.

LISETTE.

Mais non sans fondement.
Dieu n’a-t-il pas voulu se trouver à des noces ?
    Pourquoi bannir les mîtres & les crosses
        D’un petit divertissement ?

SILVIE.

        Les noces & la comédie
        Cousinent souvent d’assez près :
        Plus d’une fois qui se marie
        De la scène fait les apprêts.

LISETTE.

        Par-tout grand, par-tout admirable,
        Il me paroît ici mille fois plus aimable.
        Lorsqu’au milieu de son palais,
        A travers plus de vingt Laquais
        Entouré d’une cour nombreuse,
        Il faut aborder Monseigneur,
        Souvent le seul nom de Grandeur
        M’interdit & me rend honteuse :
Mais lorsque, dépouillé de l’air majestueux,
        Je le trouve auprès d’un théatre,
        Je suis contente comme quatre,
        Je ris & saute de mon mieux.
        Sous son dais, d’un respect extrême,
Il faut à pas comptés affubler gravement.
        Un fort ennuyeux compliment.
        Ici je lui dis rondement,
Dussiez-vous vous fâcher, Monseigneur, je vous aime,
        Et je vous le dis tout de bon.

SILVIE.

    C’est-là parler de la bonne façon.
        Je vois bien, ma chere Lisette,
        Que vous aimez les tête-à-tête.

LISETTE.

        J’aime à descendre du donjon,
        Voir mes gens en robe de chambre,
        Et sans tous ces airs de glaçon
        Qu’inspire le mois de décembre.
        Sous des dehors si sérieux
        De l’homme on ne voit que l’écorce.

SILVIE.

        C’est souvent une belle amorce :
Mais le dedans du fruit est amer & verreux.

LISETTE.

        Il faut de la plus belle pomme
        Oter le pepin & la peau :
Mais chez vous, Monseigneur, tout est bon, tout est beau ;
    On voit par-tout le pere & le grand homme.
        Le plus délicat, le plus fin,
        Veut vous manger jusqu’au pepin.