Chapitre IX.
Suite de la Rosiere.
On a imité en Touraine la sage institution de saint Medard à Salenci. Mr. Fiot de la Marche de Neuilli, Comte de Druilefort, ancien Conseiller du Parlement de Bourgogne, Ministre plénipotentiaire du Roi auprès de la République de Genes. Après avoir servi l’Etat, goûté le repos dans sa terre, s’efforce de faire passer dans ses vassaux l’amour dont il est rempli pour la vertu. Il a fondé un prix dans ses terres a l’imitation de la Rosiere de Salenci, il est annuellement distribué à un garçon & à une fille alternativement une médaille, qui a pour inscription d’un côté A la vertu, & de l’autre Au travail. Ces deux légendes, Dieu aide les bons, Neuilli & Senecei. Ce sont les deux villages qui concourent au prix l’une surmontée d’une couronne d’étoiles, d’une palme & d’une branche de laurier. L’autre d’une couronne d’Epis & de deux cornes d’abondance, avec l’année de la fondation.
Tous les ans au mois de mai se tiennent les grands jours : les peres & les meres de familles, s’assemblent devant le Juge qui reçoit leur suffrage ; celui qui pendant l’année s’est attiré quelque reproche est exclus du droit de le donner. Les filles à quatorze ans & les garçons à quinze peuvent y concourir. Les Juges après avoir recueilli les voix en choisissent trois de ceux qui ont eu le plus de voix, le Seigneur choisit entre les trois, alors, devant tout le monde, on publie les noms de ceux qui ont eu plus de suffrages, & on exhorte les autres à les mériter une autre année. Si c’est l’année des filles, elle est couronnée de Roses, la Dame▶ du lieu lui attache la médaille qui pend à un ruban couleur de rose. Si c’est le tour des garçons, on donne au plus digne un chapeau neuf avec une ganse & un bouton d’argent, son ruban est verd, chacun un bouquet à la main.
Ensuite au son des instrumens on se rend à l’Eglise où le Seigneur conduit le vainqueur : il le place sur un espece de thrône avec un Prie-Dieu, on fait des prieres publiques pour le Roi, pour le Seigneur & sa famille, & par une priere en françois, on remercie Dieu des graces qu’il a faites aux deux Paroisses ; on le prie de continuer à les accorder. La Rosiere s’approche de la balustrade du Sanctuaire, dépose son bouquet à ses pieds pour marquer que l’amour de sa vertu & du travail vient de Dieu, qu’il faut lui en rendre toute la gloire. Le Curé lui fait une exhortation & lui donne sa bénédiction, après quoi le Seigneur la conduit chez ses parens où elle invite sa famille & ses amies. Le Seigneur fournit aux frais de la fête & se met à table avec eux & de même au Rosier.
Après dîné, un beau mouton bien blanc orné de rubans verds ou couleur de rose est le prix que la jeunesse s’efforce de remporter à des jeux champêtres. La distribution s’en fait au son des instrumens par le vainqueur. Tout cela est très-bien, pourvu que les Seigneurs soient toujours d’un aussi bon caractere ; du moins la Religion est ici respectée. Deux ou trois institutions pareilles faites ailleurs n’y pensent pas ; dans la premiere distribution, une mere donna sa voix à une êtrangere, disant qu’elle méritoit mieux le prix que sa fille. A la seconde, le garçon à qui la voix commune le destinoit, mourut avant de le recevoir. Les garçons couvrirent sa tombe de fleurs & planterent un beau Lilas fleuri & y attacherent des couronnes de fleurs. La Rosiere fut mariée dans l’an ; le Seigneur voulut être parrain de son premier enfant ; le Rosier fut marié aussi dans son année, on lui fit les mêmes honneurs. Ce Seigneur plein de religion fait une infinité de bien dans ces deux Paroisses.
Elles lui ont érigé à frais commun un monument bien glorieux, une colonne surmontée d’un globe doré, sur laquelle est une croix dorée, une base quarrée, ornée de quatre inscriptions, deux qui rapportent les faits à sa louange ; celles-ci ont blessé sa modestie ; il les a fait effacer, & substituer deux autres où tout est rapporté à la gloire de Dieu. On ne sauroit croire le bien que font ces prix, l’émulation qu’ils inspirent aux deux sexes pour le travail & la vertu. Voici les vers qu’il fit effacer :
Dans cet azile heureux, la vertu raménée… par les mains de Fiot, est de fleurs couronnée…. Ici regne la paix, le foible est protégé…. Des jeunes hommes au travail, les bras encouragés, des plus utiles dans la campagne est ornée…. Le malade guéri, le pauvre est soulagé…. Ce sage qui servoit la France en Italie, qu’honnora l’Etranger qui servoit sa patrie, contente l’orphelin, pleure avec l’affligé, & des siecles ainsi défiant l’inconstance… dans nos cœurs à l’abri des insultes du temps, il érige à jamais d’illustres monumens, il instruit nos enfans à la reconnoissance & les siens à la bienfaisance.
Il fit substituer ceux-ci :
De l’ouvrier actif qui cultive sa
terre, citoyen estimé, les soins industrieux, dont lui-même a créé cet
art nécessaire, dont s’occupent aux champs nos bras laborieux.
Non oderis laboriosa opera & rusticationem creatam ab
altissimo.
Eccl. VII.
Nous avons parlé ailleurs de la Fête êtablie depuis peu par le Comte & la Comtesse de Roule dans leur terre de Rouville en Beausse à l’instar de celle de Salenci, qui vient d’être honoré du témoignage public, d’approbation de Monsieur & de Madame (le Comte de Provence, frere du Roi ;) ils ont donné à un établissement aussi propre à inspirer l’amour de la vertu ; en conséquence la Marquis de Noailles, premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur, & la Duchesse de Lesparre, ◀Dame▶ d’atour de Madame, s’étant rendu le 22 septembre 1776 au Château de Rouville, remirent de la part de Monsieur un Cordon bleu qu’il avoit porté, & de la part de Madame une Couronne de rose pour la Rosiere de Rouville. La cérémonie fut faite le lendemain par l’Evêque de Senlis, premier Aumônier du Roi. En 1640 Louis XIII envoya de même son Cordon bleu à Salenci par le Marquis de Gourdes, son Capitaine de Garde. Cette Fête enchérit sur celle de 1640, ou la Reine n’envoya point de présens ; & ou aucun Evêque ne fit la cérémonie. Il est à souhaité que la pureté des mœurs enchérisse de même.
Les nouveaux Administrateurs de l’Opera ont fait la Parodie de la Fête de Salenci ; ils ont établis des récompenses pour les meilleurs Auteurs, Acteurs, Chanteurs & Danseurs qui auront le mieux réussi : sera-ce aussi une belle émulation de vertu qui la méritera ? Entrera-t-elle dans les vues des Aspirans & de la balance des Juges ? C’est elle du moins elle seule qui décidera des récompenses éternelles ; tous les succès dramatiques y ont peu de droit, en sont une exclusion.
Cet établissement a été occasionné par l’Opera d’Alceste. Ce Drame, parole de Quinaut, musique de Lulli, fut regardé comme un chef-d’œuvre, il eut le plus grand succès. Le Poëte & le Musicien remporterent le prix de leur art. Qu’il y a peu à compter sur les applaudissemens du monde. Le goût a tellement changé, qu’on n’a plus osé le faire paroître qu’après les plus grands changemens, & dans les chants, & dans les paroles. Ce changement sur-tout consiste à rendre les airs plus voluptueux & les paroles plus galantes, il n’en vaut pas mieux, l’ouvrage est très-foible, il vaut moins, il est plus indécent ; il faut par-tout de la galanterie aux François. Ce mauvais goût gâte les pieces, il fait gémir la vertu ; les prix dramatiques sont l’ouvrage de l’Académie françoise, qui, en couronnant l’éloge de Moliere, a prostitué ses lauriers, un siecle après sa mort, à celui qu’elle avoit méprisé pendant sa vie ; jugement qui porte atteinte aux bonnes mœurs en donnant lieu d’en estimer le corrupteur & tous ceux qui se piquent de l’imiter.
Le Village de St. Ferjeux aux portes de Besançon vient de célébrer une Fête pareille à celle de Salenci. Toute la ville de Besançon y a prit part, on s’y est rendu en foule ; un détachement de la garnison, a été commandé pour joindre les honneurs militaires, aux honneurs ecclésiastiques & civils. Anne Berger a été couronnée comme la plus vertueuse, & Agathe Rousselat a eu l’accessit. Voici la relation qui en a été faite, elle mérite d’être consacrée à la gloire de la vertu, même dans un livre sur le théatre pour être le contrepoison de tout ce que le théatre a fait contre cette pieuse cérémonie qui ne sauroit être de son goût, soit en la défigurant par la galanterie même licencieuse que le sieur Favard & le Marquis de Pesé y ont introduit, non-seulement contre les mœurs, mais encore contre la vérité, la coutume & l’esprit de la Fête, en la parodiant pour la rendre ridicule. C’est en effet un ridicule, une obscénité sur la Scène qu’une jeune fille sans vertu soit récompensée uniquement pour ses vertus. Ce prodige est impossible.
Une personne vertueuse d’autant plus estimable qu’elle ne veut pas être connue, a fondé un prix pour celle des jeunes filles de St. Ferjeux que les Habitans auront jugé la plus sage, qui aura donné les plus grandes preuves de respect pour notre sainte-religion, de fidélité à remplir les devoirs qu’elle impose, de piété filiale, de charité pour les pauvres, de douceur ; de modestie. Le prix consiste en une somme de 100 livres & une croix d’or sur laquelle sont gravés ces mots : A la plus sage, Fête des mœurs. On doit l’exemple de cet établissement à Madame la Marquise de Segur & à Monsieur Elie de Beaumond qui l’avoient imité à l’imitation de Salenci, instituée dans le sixieme siecle par saint Medard, Evêque de Noyon.
La Rosiere de saint Ferjeux fut couronnée pour la premiere fois le 25 août 1776. Huit jours avant la fête de saint Louis ; le Curé nomma au Prône onze juges, qui le 25 entendirent la Messe du Saint-Esprit avec l’Avocat du Roi & le Substitut du Procureur-Général. Le Supérieur des Bénédictins & le Curé, après la Messe, procéderent au scrutin : chacun mit son billet sur l’Autel dans une boëte, les deux nommées ci-dessus réunirent le plus grand nombre de suffrages, le Curé les proclama à l’issue de Vêpres & on commença la cérémonie.
Une circonstance remarquable par sa rareté, qui prouve combien est reconnue la vertu de ces deux filles, combien leur caractere est aimable, combien leur réputation est établie, c’est que toutes les filles de la paroisse, leurs compagnes dont plusieurs avoient concouru pour le prix, bien loin d’être jalouses, de former des plaintes, de lancer de traits malins, applaudirent à leur triomphe, les accompagnerent pendant tout le jour, vêtues de blanc, chantant leurs louanges, couronnées de myrthe, (ce qui soit dit en passant, est assez mal choisi, & peu à l’honneur du cortege, puisque le myrthe est l’arbre de Venus.) Chacune se proposant de faire de nouveaux efforts pour obtenir quelque jour la couronne de la vertu. La rivalité de ses applaudissemens est bien different du crédit arbitraire dont l’objet, est l’envie, la haine, la médisance y répandent leur fiel, & cette fête innocente, édifiante, est bien différente des Fêtes des Ballets, du théatre où la volupté, la licence des mœurs les défigurent & dirigent les pas, & singulierement des Fêtes de Favard & de Pesé, qui, dans leurs parodies de la Rosiere de Salenci sur l’Opera bouffon, péchent contre les regles & le costume aussi bien que contre les bonnes meurs.
Le Chef du Corps-Municipal vint de Besançon avec les Compagnies bourgeoises,
se rendit chez la Rosiere où se trouverent les Juges & le cortege tout
formé, la prit par la main & la mena à l’Eglise avec celle qui avoit
l’accessit : le Curé la reçut à la porte de l’Eglise
& lui fit ce petit discours :
Vous
avez grand sujet de vous réjouir, ma chere fille,
puisque ce jour est pour vous un jour de triomphe, mais votre joie doit
être sainte ; c’est moins à vous qu’à la vertu qu’on rend hommage, &
vous devez l’honorer en vous par une modestie soutenue. Vous allez
recevoir une couronne passagere & fragile, qu’elle vous en rappelle
une autre plus précieuse dont l’éclat sera éternel : voilà celle qu’il
faut mériter ainsi que vos Compagnes ; je les invite à prendre part à
votre bonheur, à marcher sur vos traces & à pratiquer constamment la
vertu dont le prix est bien au dessus des trésors de la terre.
Le
Curé introduisit la Rosiere dans l’Eglise & la plaça sur un Prie-Dieu
qu’on lui avoit préparé devant la Table de la Communion, au bruit de la
musique du Régiment & des boëtes qu’on tiroit dans la voisinage, &
les filles chanterent des couples composés par un Bénédictin à son
honneur.
On fit monter la Rosiere dans le Sanctuaire & Mr. le Maire de Besançon lui mit la couronne sur la tête & lui présenta prix & la croix d’or ; la foule & les acclamations étoient étonnantes. Enfin après avoir imposé silence, il lui fit ce compliment :
Mademoiselle, une main bienfaisante qui se dérobe à la gloire & se refuse à des justes éloges, a préparé, dans le secret, à la vertu, un prix dont jadis on avoit vu avec moins de justice honoré la beauté, (le jugement de Paris, allusion que la Rosiere & ses Compagnes n’entendirent pas.) Cette utile institution qu’un nom fameux & cher aux Comtois a rendu si respectable en Champagne. (La Marquise de Segur,) destinée au soutient des mœurs & à venger ce siecle du reproche qu’on lui fait de les corrompre, méritoit de paroître dans une Paroisse où des hommes pleins de sagesse & de zele donnent l’exemple & la leçon de toutes les vertus, qui illustre un Ordre aussi precieux à l’Eglise qu’à l’Etat, (les Bénédictins qui ont une maison à saint Ferjeux,) le suffrage éclaïré, impartial & libre de vos compatriotes, vous défère la couronne. Vos compagnes qui ont mérité d’être vos émules, & dont la conduite me fait regretter, de n’avoir qu’une récompense à donner, (compliment banal des Académies dans la distribution des prix,) rendent un hommage sincere & flatteur à leur choix, la voix publique le confirme, un peuple nombreux célébre avec moi votre triomphe, & la Religion se plait à le consacrer en recevant aux pieds des Autels les honneurs qu’on rend à la plus vertueuse. Vous avez contracté l’engagement solemnel à l’être toujours. La vertu est le plus solide & le plus brillant appanage de votre sexe ; elle seule peut donner du prix & du lustre à la beauté en continuant à être l’exemple des filles, vous mériterez bientôt une destiné aussi glorieuse & aussi utile, celle de faire le bonheur d’un époux, & d’etre le modele des mœurs.
On devoit chanter la priere pour le Roi, selon la fondation, mais la foule ne permit pas aux Bénédictins de prendre leur place au Chœur & d’en trouver même dans leur Eglise, il fallut se contenter de le dire à voix basse chacun en particulier ; mais le Curé benit quatre grands pains qu’on appelle Brioches & ailleurs Pain béni dont trois furent distribué au peuple, comme le Pain béni à la Grand’Messe, & une fut portée chez la Rosiere qui la distribua à ses compagnes, parens & amis. Le pain béni qui est une image & une espece de supplément de la divin Eucharistie, est-il bien placé hors de la Messe ?
Le Magistrat prit la Rosiere par la main & la conduisit dans sa maison à travers un foule immense, au bruit des fanfares & de l’artillerie. Elle y reçut une infinité de visites la maison ne désemplissoit pas, elle y trouva deux jeunes Princesses Polonoises, filles du Prince Podoski qui étoit à Besançon & que la fête attira a saint Ferjeux ; le Carosse de la Marquise de Ligneville, alla chercher la Rosiere, pour la mener au parloir des Benédictins, où plusieurs ◀Dames l’attendoient, lui firent mille caresses, & l’exhorterent à persévérer dans la vertu, & à mériter une plus prétieuse couronne de la main de Dieu même. De retour chez elle, l’Héroïne donna à soupé à ses compagnes & à sa famille. Ce repas qui ne se fait point à Salenci n’est-il pas de trop ? Pour une Rosiere en état faire cette dépense, il y en aura dix de pauvres qui consumeront mal-à-propos le prix à donner un régal qui peut si aisément dégénérer en excès entre païsans.
L’entousiasme étoit général, tout étoit en mouvement & chantoit les louanges de l’Heroïne ; le Théatre offre des fêtes plus brillantes, des actrices plus parées, des danses mieux combinées, des voix plus mélodieuses, une musique plus réguliere. Mais il ne fait jamais goûter une joie plus pure, plus sincere, plus innocente, plus glorieuse à la vertu. Ce spectacle champêtre vaut toutes les décorations de Servandoni & les danses de l’Opera. Un soldat alla avec son épée graver ces mots avec attendrissement sur la porte de la Rosiere : ci git la vertu, comme on en vit à Strasbourg aller aiguiser leur sabre sur le Tombeau de marbre du Maréchal de Saxe en s’écriant : ci git la valeur. Ce mot peut signifier : ci habite la vertu, est encore en style d’épitaphe où il est plus communément employé : ci repose, ci est enfermé la vertu. Ces deux sens sont glorieux à la Rosiere. Le dernier renferme un trait de satyre contre le siecle & semble dire la vertu, n’est plus qu’un nom dans les villes. C’est ici son tombeau ; elle s’est envolée comme Astrée dans les cieux. Cette satyre est outrée, il y a encore dans le monde plusieurs personnes vertueuses, plusieurs filles sages, quoique le nombre en soit petit ; mais dans un autre sens, on pourroit sans exagération écrire à l’entrée du Théatre : ci git la vertu, c’est-à-dire : c’est ici le tombeau de la vertu ; il n’y en substitue, il n’y en substituera jamais, toutes celles qui osent y entrer, y reçoivent le coup mortel, l’innocence n’y vient jamais impunément & ne s’en retourna toute entiere pour ceux qui l’aiment & le fréquentent, la vertu y est profondement enterrée.
Le Dimanche suivant les garçons de saint Ferjeux firent une seconde fête moins tumultueuse, mais aussi glorieuse pour eux-mêmes que pour la Rosiere. Ils avoient vu avec un plaisir singulier la cérémonie & applaudi au triomphe de la vertu, triomphe pour eux intéressant. Ils sentoient qu’en inspirant aux filles l’émulation de la vertu, on leur préparoient des épouses vertueuses & dans la suite des enfans vertueux & c’eut été combattre leurs propres vues & l’esprit de la fête, si, comme Favard & Pesé, ils avoient admis la galanterie à leurs jeux. Aussi y regna-t-il la plus grande modestie, vertu tout à fait étrangeres aux coulisses & inconnues aux Poëtes dramatiques. La Comédie Françoise en conserve une gaze légére. Les Boulevards les Italiens, la Foire, le Vauxhal, les ballets de Novere, les petites pieces n’en connoissent pas le nom.
Le début fut un concert champêtre qu’allerent donner à la Rosiere pendant son soupé où ils chanterent ses louanges. Dans ces grands repas les jeunes gens voltigent autour de la table, derriere les femmes qui sont assises, qu’ils croyent de la politesse de les servir, ce n’est qu’un exercice d’impureté, pour leur tenir des discours licencieux & prendre des libertés indécentes, jetter des regards criminels qu’elles favorisent, qu’elles attirent par l’immodestie de leurs habits, & la situation où elles s’offrent à leurs esclaves. Les filles & les garçons de saint Farjeux ne connoissent point cette grossiere politesse que le vice a seul intérêt de pratiquer. Les jeunes gens ne troublerent point cette vertueuse Agape, qui rappelloit le souvenir de celle des premiers chrétiens. Ils se contenterent de faire entendre leurs flageolets & leurs musettes, & de chanter, les couplets que les Benedictins avoient composé.
Le Dimanche suivant, au premier coup la Messe de Paroisse, ils s’assemblerent
dans la place publique, parés de rubans & de bouquets, & vont tous
ensemble deux à deux
chez la fille couronnée.
L’Orateur qui devoit la complimenter marchoit le dernier, après lui, les
musiciens qui resterent à la porte : les garçons entrerent, firent un cercle
autour de la Rosiere, un d’eux lui parla en ces termes :
Vertueuse Rosiere ! les vieillards vous ont choisie, les mœurs ont
applaudi à leur choix ; les filles ont orné votre triomphe, les grands
& le peuple de la Cité, (Besançon,) vous ont
comblé d’honneur, c’est à notre tour de rendre hommage à vos mœurs, à
votre sagesse ; recevez cette guirlande à laquelle chacun de nous se
fait un devoir d’attacher une fleur, & permettez-nous de vous offrir
une fête qui sera digne de la vertu puisque vous en faites le
sujet.
Tous les complimens des Romans, de l’Opera, de la Comédie,
malgré le cortege bannal de Venus, de Flore, des graces d’Hebé, de l’amour,
repeté jusqu’à la fadeur, n’ont jamais vallu le langage simple, modeste
& touchant de la vertu, & jamais aucune actrice, aucun amateur,
aucune beauté du Théatre ne l’a si bien imité.
Au dernier coup de la Messe, le cortége s’y rendit en cet ordre, la musique
précédoit, ensuite paroissoit la Rosière conduite par son frere, accompagnée
de son pere, de sa mere, de ses parens, enfin les garçons deux à deux. On
plaça la Rosiere sur un Prie-Dieu auprès de la Table de la Communion. Les
Musiciens jouerent pendant la Messe, les boëtes tirerent plusieurs fois.
Après la Messe, on conduisit la Rosiere dans le même ordre qu’on l’avoit
amenée. On fit de même avant & après Vêpres, qui furent suivies de la
Bénédiction du T. S.
Sacrement, après laquelle
les filles chanterent des couplets accompagnés de la musique. La fête finit
par un soupé que les garçons donnerent à la famille, le tout s’y passa dans
la plus grande decence, les garçons avoient pris un engagement entr’eux
de ne se rien permettre dans cette fête qui pût blesser la modestie, &
de se distinguer toute leur vie par la plus exacte régularité des mœurs. Freron, dans son année littéraire, faisant l’histoire de
la Rosiere de Salenci, ajoute,
que ne feroit-on pas des hommes
en attachant de la gloire & de l’honneur à la vertu, il ne manquoit
plus à notre corruption que de jetter du ridicule sur la fête de la
Rose, (comme l’ont fait Favard & Pesé,)
& sur
le plaisir pur qu’elle doit faire aux ames honnetes
.
Les Bénédictins qui ont donné la relation de cette fête, & dirigé les exercices pieux qu’on y a fait, peut-être fourni le prix sans vouloir être connu, ont aussi composé les couplets qu’on y a chanté & qui valent bien aux oreilles de la vertu, tous les Vaudevilles de Panard & les ariettes de Gluck & Gretri ; les voici :
Sur l’air : O ma tendre Musette !
1. Vous dont l’ame innocente,Loin des bruyans désirs,D’une vertu touchante,Cherche les vrais plaisirs ;Si du bonheur du sageVous prétendez jouir,C’est à notre VillageQu’il faut vous réunir.2. Ici de l’innocenceLe trésor est connu,Dès la plus tendre enfanceOn chérit la vertu ;D’une charmante ivresseElle échauffe les cœurs,Tout, jusqu’à l’allegresse,Y révere les mœurs.3. L’amour à la plus belleAilleurs offre le prix,Mais bien-tôt l’infideleCesse d’en être épris ;L’estime à la plus sageDonne des fleurs chez nous,Et ce flatteur hommageDu temps brave les coups.4. O saint Ferjeux ! ta gloireS’éternise aujourd’huiTu sera dans l’histoire,Rival de Salenci ;Puissent tes habitantes,Dignes d’un tel honneur,Par des vertus constantesMériter leur bonheur.5. Fruit de la bienfaisance,La fête de ce jour,De la reconnoissanceExige le retour ;Comble notre espérance,Comble les vœux d’un RoiDont l’exemple à la France,Des mœurs fait une loi.Au Fondateur.
Ami de la Patrie,Bienfaiteur trop discret,Notre Troupe attendrieTe revere en secret ;En vain dans un nuageTu veux t’envelopper,A l’estime du sage,Tu ne peux échapper.
Il seroit utile d’établir de pareilles fêtes parmi les garçons, du moins de
les célébres alternativement entre les garçons & les filles, les mœurs
des uns ne sont pas moins nécessaires que les mœurs des autres ; il est vrai
que dans plusieurs Colléges on leur distribue des prix à la fin de l’année ;
que l’on a des croix & des places distinguées dans les classes ; mais
toutes ces couronnes ne regardent que leurs progrès dans les lettres ; il
n’est point de récompense pour la vertu, elle demeure obscure, tandis que
souvent on a tous les honneurs pour avoir bien fait un thême. Les Jésuites
avoient dans leur Congrégation des charges où on n’arrivoit qu’à titre de
piété. Ces utiles établissemens sont tombé avec la Société. Dans les
nouveaux Colléges élevés sur leurs débris, on a fort peu de soin de la
Religion des enfans ; les livres innombrables sur l’éducation, la plupart
d’après l’Emile de Rousseau, à peine en disent un mot en passant, n’en
prescrivent aucun exercice. Les Maîtres & Maîtresses d’Ecoles dans le
mêmes principes n’en parlent guere, on ignore jusqu’au nom de Catéchisme
& on le méprise ; à peine, dit-on aux Eléves, qu’il y a un Dieu. S’il
reste quelqu’ombre de Religion, ce n’est guères que la Religion naturelle, on
en veut faire des Philosophes & non des Chrétiens, encore moins des
Catholiques : un tel enseignement vérifie déjà la prédiction de J. C.,
putas, inveniet
fidem
, quels
Citoyens, quels Peres de famille, quels Magistrats préparent à l’Etat cette
irreligion succée avec le lait.
L’Académie des Belles-Lettres de Montauban vient d’établir deux prix en
faveur de l’Agriculture, le plus utile, le plus nécessaire, le premier des
arts dont le Seigneur a fait une loi à l’homme dès le commencement du monde,
même dans le Paradis terrestre, avant le péché originel,
ut
operaretur & custodiret illum
. Le premier de ces prix est
destiné à deux pauvres filles de la Campagne des environs de Montauban,
recommandables par leur vertu, sur le certificat de leur Curé, des
principaux Habitans de la Paroisse, pour les aider à se marier. Le second
prix est destiné au meilleure ouvrage sur quelques sujets d’Agriculture qui
aura été présenté à l’Académie. On a choisi pour la distribution le
troisieme du mois de mai, Fête de l’Invention de la Ste. Croix, jour auquel
l’Eglise commence de faire des prieres publiques qu’elle continue jusqu’à la
Croix de septembre, pour demander à Dieu la conservation des fruits de la
terre :
ut fructus terræ dare & conservare digneris
.
Le matin l’Académie s’assemble dans l’Eglise paroissiale où l’on dit une
Messe à cette intention, suivie d’un sermon où l’on exhorte les fideles
d’avoir recours à Dieu pour obtenir la rosée du ciel & la graisse de la
terre, à reconnoitre ses bienfaits, à lui en rapporter la gloire & en
faire un saint usage, secours du ciel sans lequel tous nos travaux &
toute notre industrie seroit inutile. Exhortation d’autant plus nécessaire,
que dans la plupart des ouvrages qui ont paru sur l’agriculture, ou se
contenter d’enseigner différentes méthodes pour bien cultiver la terre,
& qui n’en est bien peu où l’on invite
l’Agriculteur à recourir à l’Auteur de tous les biens. L’après dîné,
l’Académie s’assemble dans la Salle de l’Hôtel de Ville. Les Académiciens y
lisent leurs ouvrages, après la semonce de Mr. le Directeur, ensuite on
distribue les prix ; savoir : à l’Auteur du meilleur ouvrage & aux deux
Curés des filles qui ont été jugé les plus vertueuses de la Paroisse, &
les plus digne de la couronne, lesquels doivent le leur livrer lorsqu’elles
se marieront & en faire mention dans le Contrat de mariage. On a fait
pour la premiere fois cette cérémonie le 3 mai 1777 : Messieurs les Curés en
le recevant ont bien voulu faire un petit remerciement à l’Académie qui a
été fort applaudi ; plusieurs Académiciens ont donné ; les uns des discours,
les autres des pieces de vers très-ingénieux, analogues au sujet de la Fête.
Il avoit été prononcé le matin après la Messe un très-beau sermon sur le
même sujet ; enfin tout est terminé par la lecture & la distribution
d’un programme où l’on assigne aux Auteurs la matieres des mémoires qu’ils
doivent fournir pour l’année suivante, & où l’on trouve le nom des
filles à qui le prix a été accordé. Ce prix très-honorable pour elle,
puisqu’il est un certificat authentique de leur vertu, leur procurera un
établissement avantageux, & excite entre les filles de la Paroisse une
émulation de vertu pour pouvoir s’en rendre dignes. On en a déjà vu
d’heureux effets, & depuis qu’il a été prononcé au Prône, on a remarqué
en plusieurs d’entr’elles plus de modestie & de vertu qu’auparavant. Mr.
de Breteuil, Evêque de Montauban, a bien voulu se rendre à l’assemblée,
autorisé & couronné par sa présence un établissement si utile.