Chapitre IV.
Du Conquérant de Sans-souci.
Le Philosophe Sans-souci a joué trois rôles dans le monde ; celui d’écrivain n’a pas été heureux. Ce grand Roi ne régnera jamais sur le Parnasse. Celui de Législateur est pernicieux ; ses loix, quoique d’un chretien, détruisent les bonnes mœurs & la sainteté du mariage ; nous avons prouvé l’un & l’autre. Le rôle de Conquérant fut d’abord malheureux. Son pere qui n’aspira jamais à la qualité de grand homme, quoiqu’il aima passionnément les hommes grands, allarmé de ses entreprises le mit en prison & fit décapiter son complice, un grand Seigneur de la Cour, le 13 septembre 1730, monté sur le trône par la mort de son pere. Le nouveau Cesar déploya ses grandes vues ; à force de violence, de surprises, de traités faits & rompus, de paroles données & manquées, il a trouvé le moyen d’envahir la Silesie deux fois, la Saxe, la Boheme, une partie de la Pologne, le commerce de Dantzic ; il a fallu rendre la Saxe & la Boheme, le reste lui a été abandonné ; il s’est fait aider par Czarine Philosophe aussi bien que lui, qui, sous prétexte de religion, a ravagé la Pologne, lui a donné un Roi de sa main, & s’est emparé, comme lui, de plusieurs provinces. La Philosophie a présidé à tous, & a fait faire l’héroïque effort de tolérer toutes les religions, qui toutes leurs sont indifférentes. Ce Prince a pourtant peu gagné dans l’empire de la philosophie à ses courtisans près qui l’élevent au troisieme ciel ; son crédit est médiocre parmi les sages ses confreres ; la médiocrité de ses talens littéraires & de ses vertus morales feroient peu d’honneur au parti.
Voilà du tragique ; mais voici qui est très-comique pour préparer les voies à ses invasions, désarmes & endormir le monde par une réputation de modération & de justice. Il a composé & répandu par-tout un livre contre Machiavel & sa politique ; ouvrage très-médiocre, comme tous ceux qui sont sortis de sa plume ; mais ouvrage auquel sa conduite sert de réponse ; il est lui-même son accusateur. C’est bien là qu’on peut dire faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font.
Ces sentimens sont heréditaires dans la famille de Brandebourg ; sans remonter au siecle passé, où ce Marquis, le moindre des Electeurs, ne s’est aggrandi que par des usurpations Le pere du politique Sans souci après avoir acheté cherement le titre de Roi, signa un traité à Hanovre, le 3 septembre 1725, avec la France & l’Angleterre contre l’Espagne. Ces trois Princes se garantissent mutuellement leurs états, & le privilege de leur commerce & le maintien de la paix d’Utrech ; & l’année d’après, ce même Roi de Prusse abandonne ses alliés, & se ligue contr’eux avec leurs ennemis l’Empereur, la Czarine, le Roi d’Espagne ; mais il joue la comédie, il tient le traité caché, fait semblant de persister dans l’alliance pour mieux surprendre ceux qui comptoient sur sa bonne foi ; c’étoit le prologue des comédies que joua son fils dans la suite, qui penserent faite périr les armées françoises, mais qui ne réussirent ni à l’un ni a l’autre. Ce Machiavélisme est excusable. Le traité contre Machiavel n’avoit pas encore paru. Comme le goût du comique n’est pas moins héréditaire. Ce Prince d’une taille médiocre étoit environné des gardes de six à sept pieds qu’il achetoit cherement dans toute l’Europe. C’étoit un nain au milieu des géans qu’on pouvoit à peine appercevoir ; le contraire d’Arlequin Roi des Ogres.
A la mort de l’Empereur, Frederic envahit une partie des Etats de sa fille, en faveur de qui la succession étoit ouverte, & à qui la Pragmatique l’assuroit. Cette loi avoit été agréée & garantie par le Roi de Prusse, & par tout l’Empire. Ceux qui avoient quelques prétentions furent des protestations & des demandes, & enfin déclarerent la guerre. Sa Majesté Prussienne, non-plus que Machiavel, ne s’amuse point à des formalités : dès le lendemain il entre en Silésie avec une armée, & s’en empare ; de-là il envoie faire compliment à l’Archiduchesse, l’assure de son zele & lui offre ses services pour maintenir cette pragmatique qu’il vient de renverser. Compliment ou plutôt insulte aussi burlesque que contradictoire. Si c’est une loi, pourquoi la viole-t-il ? Si elle ne l’est pas, pourquoi veut-il obliger les autres à l’observer ? Cette Princesse connoissant le peu de fonds qu’on peut faire sur ses paroles, refuse ses offres insultantes, dont son invasion fait sentir le faux & démasque l’artifice ; elle voit qu’après lui avoir accordé tout ce qu’il demande, elle n’en sera que plus exposée aux entreprises d’un ennemi qu’elle aura rendu plus fort : ce qui occasionna une guerre où il a péri un million d’hommes, pour en revenir enfin à cette même Pragmatique, de toutes parts attaquée, à l’exception de l’usurpation du Philosophe, qu’on lui a abandonnée pour acheter son suffrage dans l’élection de l’Empereur Machiavel ou veut-il davantage ?
Cette guerre où parurent sur la scène les plus grands hommes & les plus lâches, où se firent les plus belles actions & les plus odieuses, est sur-tout remarquable par une foule de traités pour & contre de ce fameux adversaire du Machiavélisme. Sans-souci pour les intérêts de tout le monde, même pour les loix de l’honneur & de la probité ; mais fort en souci pour ses intérêts ; & par une foule de batailles & de siéges, où il a été tantôt vaincu, tantôt vainqueur, il y a peu de guerres aussi chargées, & peu d’acteurs sur le Théatre qui aient joué tant de rôles, En 1741 traité avec la Baviere, la France & la Pologne, contre la Reine de Hongrie. En 1742 traité avec la Reine de Hongrie, contre la Pologne, la France, la Baviere. Ce traité fût tenu caché comme celui de son pere. L’acteur derriere les coulisses laisse les armées françoises qui comptoient sur lui & agissoient avec lui, à la discrétion des troupes allemandes, qui les auroient taillées en pieces, si le Maréchal de Bellisle ne l’eut déviné, donné promptement avis à l’armée de sa défection, &, de concert avec le Maréchal de Broglie, n’eut sauvé, par un combat désespéré & une retraite honorable, la plus grande partie des troupes. Quelque-temps après il retourne au Roi d’Angleterre & au Roi de France, qu’il avoit si lâchement abandonné, & se lie avec eux contre la Reine son alliée ; enfin se raccommode avec elle, & lui vend son suffrage pour l’Empereur, & promet de favoriser l’élection. Malgré cette promesse & cette vente, il proteste contre le suffrage de Boheme, dû à cette Princesse comme Reine de Boheme. Le Collége des Electeurs se moque de la comédie & n’y a aucun égard. La Prusse est le Théatre de l’Opéra, où le coup de sifflet du Philosophe change la décoration à chaque acte. Je ne sai qui est le plus étonnant, un Prince si peu fidele à ses engagemens, ou des Princes assez crédules pour traiter avec un homme qui leur a tant de fois manqué de parole, & causé tant de préjudice.
En voici des traits. Lett. de Pomp. p. 15.
Tant
d’intérêts divisés ne pouvoient manquer d’allumer une guerre
générale ; mais elle commence par un endroit que la politique
n’auroit jamais soupçonné. Le Roi de Prusse, presque le seul qui
n’eut point de droit sur la succession de la Maison d’Autriche, en
forma : tandis que les autres écrivoient des manifestes il faisoit
des conquêtes ; ses troupes entrerent dans la Silésie & s’en
emparerent. La couronne étoit toute neuve dans sa Maison, Léopold
lui avoit conféré le titre de Majesté ; mais les honneurs ne
l’avoient pas agrandi : il ne tenoit presque point de place en
Europe. Ses prétentions n’étoient que celles d’un simple
particulier : il revendiquoit quelques terres que sa Maison avoit
achetées, & il s’empara de la plus belle province. Il offrit à
l’Impératrice de l’argent & des troupes, à condition qu’elle lui
en cédât la moitié. Sur son refus il envahit le tout ; il s’allia à
Louis XV. contre elle, & ensuite il s’unit à elle contre
Louis XV. Alors tout fut perdu pour la France ; les magasins firent
enlevés, les maladies détruisirent l’armée.
Les Généraux François découvrirent alors le génie de ce
Roi, M. de Bellisle m’a dit souvent qu’il n’en avoit pas été la
dupe : mais il comptoit que l’armée françoise le forceroit à être
fidele. Je le dis dès-lors à M. de Broglie, le Roi de Prusse va
tourner casaque : je ne me trompois pas ; nous fûmes
sacrifiés.
P. 29.
Il s’allia ensuite
avec l’Angleterre, & revint à l’alliance de la France contre
l’Impératrice, assiégea Prague, & tâcha de s’emparer de la
Boheme : il ne réussit pas, il leva le
siège, & fuit devant le Prince Charles. On se trompoit & on
ne cherchoit qu’à se tromper de part & d’autre. On espéroit de
grands avantages de tous les traités qui ne servoient qu’à montrer
la mauvaise foi.
Page 40.
Quelle
petitesse dans ce Prince ! faire semblant de vouloir ce qu’il ne
veut pas, & agir comme s’il le vouloit. Cette fourberie soi
périr des milliers d’hommes, & deshonore le
Prince.
Nous parlons ailleurs de cette Dame, que nous apprécions ce qu’elle vaut, ainsi que tous ses ouvrages qu’on a donnés au public. Elle n’est point suspecte, elle étoit à la tête des affaires, tout lui rendoit compte, elle se mêloit de tout ; elle n’avoit aucun intérêt à décrier le Roi de Prusse. Toutes les histoires du temps parlent comme elle ; la conduite, l’agrandissement du Roi de Prusse levent toute équivoque ; ses nouvelles manœuvres contre la Pologne & Dantzick mettent dans un nouveau jour le malheureux systême qui fait toute sa politique.
Ses Lettres, aussi véridiques que ses Mémoires, parlent sur le même ton : nous nous bornons à la Lettre 24.
Les nouvelles de Sages ont
affligé le Roi, la Cour de Vienne en est indignée, la Dauphine est
inconsolable
, (Princesse de Saxe).
Est-ce dont ainsi que les Princes chrétiens &
civilisés se sont la guerre ? Le Roi de Prusse, que notre Voltaire
appelle, je ne sai pourquoi, le Salomon du Nord, qui écrit d’une
maniere si humaine & fait des actions si cruelles, a forcé les
Archives de Dressés, malgré la Reine qui en défendoit l’entrée
elle-même ; il a entraîné cette Princesse à la Chapelle où il
faisoit chanter le Te Deum
(belle dévotion)
en action de grace de ce bel exploit. Est-ce donc là le
siecle de la politesse & de la philosophie ? Est-ce ce Roi qui
se fait passer pour sage, pour héros, pour grand homme ? A-t-il pu
faire un affront si insultant & si inutile à une femme, à une
Reine, à l’épouse de son ami, qui n’avoit que ses larmes pour toute
defense.
On dit qu’il aime les femmes ; c’est-à-dire
que c’est un libertin qui en veut jouir : les sentimens du cœur, les
délicatesses de la galanterie, les tendresses de l’amour ne flattent pas un
palais blasé de débauche.
La guerre suivante, pour l’élection du Roi de Pologne Stanislas, ne fut ni moins tragique par le sang qu’elle fit répandre, ni moins comique par les rôles qu’y joua lâ Prusse. Ce Prince toujours semblable à lui-même, d’abord lié avec Auguste contre Stanislas, ensuite avec Stanislas contre Auguste, avec la France contre l’Empereur contre la France : ce Prince étoit de tous les partis & n’étoit d’aucun ; il n’en a jamais eu d’autres que celui de son intérêt, & de l’intérêt du moment▶. Un vrai politique a de plus grandes vues, & n’a pas besoin de changer à tous ◀moment▶ d’opération & de dessein. Un ennemi du Machiavélisme ignore la perfidie & l’usurpation, ne marche pas dans des routes détournées contraires à la probité, & ne ménage point son intérêt aux dépens du droit naturel & du sang humain, qu’il fait ruisseller par des guerres cruelles, faisant pancher la balance, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, pour les éterniser jusqu’à ce qu’il ait dévoré sa proie. Telle fut la politique de Catherine de Médicis, tour à tour huguenote & catholique, liée au Prince de Condé & aux Guises, favorisant l’erreur & la vérité.
Il se lie avec le Roi d’Angleterre contre le Roi de France son allié, pour détrôner le Roi Stanislas son beau-pere, qu’il tâche de surprendre dans sa suite, & qui ne lui échappa que par des déguisemens multipliés. Il se tourne contre l’Impératrice, qui avoit acheté son alliance ; il tâche d’allumer contr’elle la guerre dans toute l’Allemagne, s’empare de la Boheme comme de la Silesie, & pour la seconde fois de la Saxe, malgré son alliance avec l’Electeur, Mais, comme il ne peut s’empêcher de mêler à tour du comique, tandis qu’il épuise le pays par ses contributions, qu’il perçoit tous les revenus du Prince, qu’il fait des levées de troupes, se sert des armes, des arsenaux, prend les munitions de guerre & de bouche, enleve jusqu’aux manufactures & aux archives, & commande par-tout en Souverain, il déclare par ses manifestes à l’Europe étonnée, qu’il n’est pas l’agresseur, mais le Protecteur de la Saxe, qu’il la tient comme un dépôt sacré ; qu’il n’a pour but que la manutention du Corps Germanique ; qu’il rendra le pays quand les affaires le lui permettront. Tel Cromvel se dit le Protecteur de l’Angleterre dont il s’empare & fait décapiter le Souverain. L’Electeur trop foible prend la fuite aux approches de son Protecteur, & lui abandonne sa capitale ; sa petite armée est assiégée dans son camp de Pyrna, & se rend prisonniere de guerre ; il entre triomphant dans Dresde, va de suite à la Comédie, & force les filles de l’Electeur d’y venir avec lui les yeux baignés de larmes.
Malgré tant de détours & d’artifices, la fortune ne lui fut pas toujours
favorable ; il perdit des batailles & des places, il leva des siéges,
abandonna des villes & des provinces
envahies ;
les Russes le déclarerent contre lui, le firent fuir à son tour de ses
propres Etats, s’emparerent de sa capitale, se logerent dans son palais de
Berlin, enleverent beaucoup de meubles, consumerent
les provisions, allerent à la Comédie, & en jouerent
une fort de leur goût, s’emparant de ses vins exquis. Toute l’Allemagne
s’arma contre lui, il fut mis au Ban de l’Empire, & réduit à une celle
extrémité qu’il en fit les plaintes les plus ameres au Roi d’Angleterre son
allié, &, dans l’ancienne de sa douleur, lui écrivit en ces termes :
Je viens d’apprendre qu’il est question d’un
traité de normalité pour l’Electorat d’Hanovre. Auriez-vous assez
peu de constance pour vous laisser abattre ? Les affaires font-elles
si délabrées qu’on ne puisse les rétablir ? Faites attention à la
demarche que V. M. m’a fait faire, qui est la cause des malheurs
prêts à fondre sur moi. Je n’auroit jamais remonté à l’alliance de
la France, sans toutes les belles promesses que V. M. m’a faites.
Qu’elle ne m’abandonne par lâchement à la merci de mes ennemis,
après avoir attiré sur moi toutes les forces de
l’Europe.
Il étoit perdu en effet, si la Czarine avoit
vécu. Sa mort changea tout ; Son successeur, qui pensoit fort différemment,
rappella ses troupes, se lia avec lui : d’ennemie la Russie devint son
alliée.
Cet aveu de sa foiblesse & de sa mauvaise foi, qu’on ne rougit pas de
répandre dans toute l’Europe, ne décele pas moins les principes d’honneur
& de probité de philosophie Angloise, aussi fidele à ses engagemens que
la Prussienne. Le Monarque Britannique, après avoir fait un traité fait avec
la France, corrompt ses alliés par des belles promesses, lui en fait des
ennemis, & se ligue contre elle
avec eux. Il
est vrai que l’allié Sans-souci n’étoit pas difficile, ou
plutôt n’avoit pas besoin d’être sollicité. Mais est-il moins vrai que deux
esprits forts de ce rang & de ce caractere font, avec leurs Cours &
leurs Ministres, peu d’honneur à la Philosophie ? C’est à ces vertus
héroïques que fait allusion le Monarque Prussien, dans les vers injurieux
qu’il composa contre les Princes Allemands, du nombre desquels il n’excepta
pas l’Electeur d’Hanovre. L’Apollon devroit se voir lui-même dans ce
tableau, qui rend si bien tous ses traits.
Cum tua per
videas oculis mala lippus in unctis, cur in amicorum vitiis tam
cernis acutum ?
Le démembrement de la Pologne a fait
voir sur un nouveau Théatre la bonne-foi de son Anti-Machiavélisme. Je n’examine point les prétentions de
l’Empereur & de la Czarine, qui veulent que les provinces conquises
soient une ancienne dépendance de leurs Royaumes, & que tous les traités
passés avec la Pologne n’ont pu détruire ; je me borne au grand Philosophe,
qui n’a pas même des titres apparens sur les terres usurpées, & qui,
vassal de la Pologne, & lui devant fidélité par le Duché de Prusse, n’a
pu la dépouiller sans se rendre coupable de félonnie. Machiavel n’en a
jamais tant dit.
Le Roi de Prusse a deux qualités : il est Marquis de Brandebourg & Duc de Prusse, en qualité de Grand-Maître de l’Ordre Teutonique. La Marche, ou le Marquisat de Brandebourg, fut érigé en Electorat par la Bulle d’or de Charles IV, & le Duché de Prusse, ou la Prusse Ducale, fut érigée en Royaume par l’Empereur Léopold en 1706. Aucune de ses qualités ne l’autorise à envahir les Palatinats Polonois. La premiere qui le fait membre de l’Empire se borne au Brandebourg. La seconde attachée à la grande Maîtrise où ses ancêtres ne se sont maintenus que par la force, le soumet au Roi de Pologne comme à son Seigneur souverain, & ne lui donne aucun droit sur le reste.
Les Chevaliers Teutoniques, fondés en 1191 par le Pape Célestin III & l’Empereur Henri VI, pour la noblesse allemande, ne sont, comme les Chevaliers de Malthe, que des Religieux hospitaliers & militaires ; ils ont dans l’Empire beaucoup de commanderies qui sont gouvernées par un grand Maître. Recommandables par leur valeur & leur piété, ils furent appellés en 1230 pour combattre les idolâtres du nord de l’Allemagne qui faisoient une cruelle guerre aux Chrétiens ; ils furent aidés dans cette espèce de croisade par les Seigneurs allemands & polonois, les Ducs, (nommés depuis Palatins,) de Cracovie, de Marsovie, de Salm, de Cujavie, de Gnesne, de Kalich, &c. du Roi de Boheme, du Duc d’Autriche, du Marquis de Brandebourg, &c. dont aucun ne pensoit à lui donner des terres. Cette guerre est une suite ennuyeuse de combats, de sieges, de villes bâties ; brûlées, de paix, de treves, d’infractions pendant deux cens ans. Ils firent des conversions & des conquêtes, s’étendirent en Prusse, en Livonie, en Curlande, en Lithuanie ; de plusieurs domaines qu’on leur abandonna, ils formerent des commanderies, ils devinrent puissamment riches, ils en perdirent l’esprit de leur état, & voulant régner, ils se perdirent eux-mêmes. Par une paix générale qui termina tout en 1466, le Roi de Pologne partagea la Prusse en deux, leur céda la Prusse ducale & la Prusse royale demeura à la Pologne. En démembrant ce Duché, le Roi se réserva l’hommage & le serment de fidélité, que chaque Grand Maître devoit lui prêter en personne ; que tout l’Ordre seroit sous la protection du Roi, & ne reconnoitroit point d’autre Souverain, qu’en cas de guerre, il demeureroit unis au Roi contre tous ses ennemis, & que le Grand Maître seroit Prince & Conseiller d’Etat, assis à la gauche du Roi dans les diettes & les assemblées, &c. Ce traité fut observé pendant soixante ans.
Cette clause de souveraineté sur tout l’ordre, déplut à l’Empereur & aux Princes, qui avoient des commanderies dans leurs états. Le Roi de Pologne auroit dû se borner à celles qu’il avoit dans les siens. Un Grand Maître d’un caractere remuant profita de ce mécontentement pour se faire un parti & secouer toute dépendance. Il refusa le serment & l’hommage, & déclara la guerre à son Seigneur. Cette guerre ne fut ni heureuse ni longue. La mort la suspendit d’une maniere à laquelle ni l’Ordre ni personne ne s’attendoit. Albert de Brandebourg, un des ancêtres de Frederic dont il prétend exercer tous les droits, fut élu Grand Maître. Il continua la guerre ; mais tout changea quand il donna dans les erreurs de Luther. La maison de Brandebourg a toujours convoité la Prusse qui est fort à sa bienséance, elle a fait dans diverses occasions des tentatives pour s’en emparer, toujours inutilement ; la Pologne l’a toujours chassée de ses terres. Enfin le Grand Maître Albert lui a procuré la Prusse ducale, & Frederic vient d’envahir la Prusse royale & divers Palatinats.
Albert, homme sans religion, sans mœurs & sans probité, de l’aveu du Roi de Prusse, (l’intérêt a changé la religion en Allemagne & la débauche en Angleterre,) Albert, malgré la sainteté de sen état & les devoirs de la place, négotie avec le Roi son parent ; fait séculariser & ériger la Maîtrise en Duché de Prusse, qu’il rendit Luthérienne & héréditaire, avec les Commanderies & les bénéfices qui en dépendoient ; ainsi les Evêchés, Abbayes & autres bénéfices sans nombre ont été sécularisés en Allemagne & occupés par des Laïques. Il se crut dégagé de ses vœux, se maria, & a laissé la Maîtrise Duché à sa famille qui prétendant avoir hérité de ses droits, jouit de la Prusse sans avoir d’autre titre que le sacrilege & la violence. Le Roi de Pologne forcé d’avoir un vassal séculier, fit reconnoître ses droits, donna l’investiture à Albert, reçut son hommage, & son serment de fidélité. On ne parla point de la souveraineté générale qui avoit offensé l’Empereur. Il ne resta que l’intérêt de la religion Catholique, qui, pour la Prusse, se trouva confondue dans les guerres sur la religion, & terminé de même dans les Diettes de l’Empire & le traité de Vestphalie. Ce traité à mi-parti le Christianisme en Allemagne. Le reste de l’Ordre Teutonique indigné, élut un autre Grand Maître, déclara Albert Apostat, lui fit la guerre, & engagea divers Princes dans sa cause : tous ses efforts furent inutiles. La maison de Brandebourg demeura maîtresse de la Prusse ducale, & à force de sollicitations & de présens à la Cour de Rodolphe, l’a fait ériger en Royaume. Dans divers traités avec la Pologne où elle a reconnu ses droits, elle lui a promis fidélité, garantie & secours contre ses ennemis, & aujourd’hui elle se met à leur tête pour lui envahir ses provinces où elle n’a & n’eut jamais aucuns droits, où au contraire elle est obligée de défendre son Seigneur. Elle empiete même au-delà des bornes qu’elle-même a fait semblant de se prescrire dans le traité de démembrement que la violence a arraché à la République. Elle a fait des entreprises sur Dantzick où elle n’a pas plus de droits ; c’est un torrent débordé que rien n’arrête. Pour jouer une telle tragédie, on n’a pas besoin de consulter Machiavel, ni dans sa politique, ni dans ses drames. Un Philosophe Sans-souci se soucie-t-il des traités, de la bonne foi, de la justice, de la religion. Il en fait plus que Machiavel & pratique mieux sa politique, joue mieux sa comédie. Il semble qu’en punition de son attentat, Dieu permette que la Pologne trouve son plus grand ennemi dans celui qu’elle a élevé, sans égard pour la religion.
Le Conquérant Sans-souci a l’humeur si guerriere, qu’il veut que tout son Royaume ne soit qu’un camp, & ses sujets des soldats. Il permet bien que quelqu’un se détache de ses troupes pour exercer militairement la magistrature, & aussi militairement le Ministere évangélique ; mais le nombre en est petit, & ses fonctions bien abregées. Les Tribunaux ne sont que de Conseils de guerre, ses Ministres des Aumôniers de régimens. Tous les Officiers civils & ecclésiastiques n’ont qu’une existence précaire, l’unique état est celui de soldat. Les citoyens Romains n’en avoient point d’autres, & tous les Tartares n’existent que pour se battre.
C’est si bien l’état d’un prussien, que, par une
loi générale, tout mâle est enrôlé en naissant, il reçoit le caractere
militaire, même avant le baptême, il est soldat avant d’être chrétien. Le
Christianisme est fort peu de chose dans la politique de Sans-souci ; il
existe deux régistres courans où l’on est inscrit en recevant le jour :
celui de la milice où l’on est enrégimenté, & celui du
Curé où l’on est mis au nombre des soldats de J. C. Le baptême, disent les
peres, est un enrôlement où l’on s’engage à combattre sous les enseignes de
la croix, le démon, la chair & le monde ;
omnis homo
miles
. Le Roi de Prusse impose auparavant un pareil
devoir de combattre sous ses drapeaux dès qu’on est en âge de porter le
mousquet. Et quand il lui plait, fait sonner de la trompette ; il faut
partir au premier ordre, & aller joindre le régiment auquel on fut
incorporé. La France marche avec plus de lenteur, elle attend qu’un jeune
homme se presente, ou elle fait tirer au sort ; le milicien ni le volontaire
ne sont tenus de servir que quelques années. En Prusse, le premier soupir
est un engagement que la mort seule peut rompre. On prend les armes au
berceau, on ne les quitte qu’au tombeau. Quand l’âge, les infirmités, les
blessures rendent incapables de servir, le Roi réforme & congédie, mais
il peut les rappeller quand il veut : le caractere de soldat est
ineffaçable.
N’est-il pas bien singulier qu’un grand Philosophe qui ne veut point de vœux
monastiques, qui crie contre les parens lorsqu’ils disposent de la vocation
de leurs enfans & les destinent au clergé ou au cloitre, que
ce grand philosophe abandonnant ses principes, dispose
souverainement de la vocation de tous ses sujets, & les engage à la
guerre sans liberté, sans réflexions, sans connoissance, & les force de
servir quand il lui plait ?
Je blâme
, dit-il,
l’état réligieux à raison du célibat dont cet état impose
l’obligation.
Mais les soldats prussiens sont aussi
obligés au célibat dans le temps de leur service. Ils ne peuvent se marier
sans la permission du Roi. Il est pourtant vrai que la politique
philosophique leur laisse une grande ressource, le commerce avec les femmes
leur est permis, le mariage légitime leur est défendu. Cette morale, cette
discipline militaire que suivent dans le monde tous les philosophes
célibataires, véritablement Sans-souci, pour la religion
& pour les mœurs, ce seroit la matiere d’une vraie farce de la foire, où
le soldat & le Monarque figureroient admirablement, si la religion &
la vertu permettoient de rire de ces honteux excès. Dans le fonds, ce prince
est plus guerrier que philosophe. Il aime mieux envahir des provinces que
suivre un systême. La population lui tient moins à cœur que les lauriers. Le
mariage chez lui a des difficultés, quoiqu’il ait bien relâché dans son code le lien conjugal. Il y a des formalités à
observer, des empêchemens à lever, qu’il leve à la vérité quand on veut pour
de l’argent ; avant d’allumer les flambeaux de l’hymenée, les fiançailles
même qui n’en sont que le prélude, ont quelques embarras. L’Empire de
bellone est bien plus étendu que celui de l’hymen. Il se connoit point de
borne. On est guerrier en naissant. On sort tout armé du sein de la mere,
comme Pallas du
cerveau de Jupiter ; en ouvrant
les yeux, on est couvert des drapeaux comme des langes. On vole à la
victoire.
Avis à son Neveu par lui-même.
Nos ancetres ont été des usurpateurs ; comme le sont tous les princes ; vous en rougissez, ne faites poin ; l’enfant. En fait de royaume, on prend où l’on peut ; on n’a jamais tort que quand on est obligé de rendre. On demande de privilege pour la forme, & un genoux en terre, on s’empare du fonds.
Le premier de nos ancêtres fut Tassillon, Comte de Hoenzollern. Le 13e. fut Burgrave de Nuremberg, & le 25e. Electeur de Brandebourg, le 37e, acheta le titre de Roi de prusse, je ne suis que le 38e.
Notre maison, comme toutes les autres, a eu des gens de mérite, mais plus d’imbécilles & de scélérats. Les femmes ont été très-mêlangées. On s’est aggrandi peu à peu par des prises, des chicanes, des violences, des surprises.
Jusqu’au grand Electeur, nous n’avons fait que végéter dans la poussiere. Il y avoit dans l’Empire quatre-vingt princes qui étoient mieux que nous. Enfin en 1701, ceci n’est pas bien ancien,) la vanité de mon grand pere acheta une couronne. La plupart de nos ancetres se sont mal conduit. Le premier Roi ne valoit pas mieux que les autres, c’étoit la tête la plus legere, l’homme le plus mal habile.
Nous devons notre fortune à l’hérésie. Guillaume II, qu’on dit Grand parce qu’il fut le plus grand voleur, se fit Luthérien, s’empara de tous les bien de l’Eglise, qui font aujourd’hui notre domaine. Pour m’agrandir, j’ai introduit le Calvinisme, toléré toutes les religions : je ne m’embarrasse d’aucune.
2°. La moitié de mes terres est en friche, le reste porte peu, point de rivieres navigables, situées en long, sans profondeur, ne pouvant gueres se donner du secours. J’avois grand besoin de la Pologne : ce pays est fort peuplé, de peuple dur, grossier, ignorant, mal vêtu, mal nourri, &c. J’ai tâché d’y remédier par une Académie, & en favorisant les filles grosses & les bâtards ; j’ai fait des loix exprès pour elles qui les invitent à se rendre fécondes, & leur en donnent toutes les facilités. On se tient pour bien paré avec une petite bourse, un grand chapeau, des mantelets d’une aune, des bottes jusqu’à la ceinture, une petite cape, un habit tres-court, des vestes fort longue. Ce seroit en France des Scaramouches.
3°. Il faut une religion pour le peuple ; un Roi est mal-adroit s’il souffre qu’on en abuse : mais il n’est pas sage d’en avoir lui-même, il doit seulement en faire semblant.
La religion est un tyran qui ne s’accorde, ni avec les passions, ni avec la politique & l’agrandissement des Etats. Si l’on craint Dieu, ou pour mieux dire l’Enfer, on devient Capucin. Dans un ◀moment▶ favorable pour s’emparer d’une province, une armée de diables se presente pour la défendre, nous sommes assez foible pour croire que c’est une injustice, & craindre l’enfer. Y a-t-il quelque traité à faire, si nous nous souvenons seulement que nous sommes Chrétiens, tout est perdu, nous sommes dupé : dans la guerre le moindre scrupule gâte tout. Pillage, carnage, incendies, tout est permis.
Il ne faut pourtant pas afficher l’impiété, mais agir en Prince. Chaque Etat a sa religion ; ce sont des minuties pour le peuple. Les Papes mêmes, qui ont eu le sens commun, ont créé chacun leur systême de religion propre à leur agrandissement. Ce seroit à un Prince le comble de la folie de s’attacher à ces petites miseres du peuple : le vrai moyen d’écarter le fanatisme c’est d’avoir pour la religion la plus belle indifférence. La sainte Eglise a ses caprices comme une autre. Soyez philosophe, & vous ne verrez point de dispute de conséquence sur cet objet.
Nos ancêtres ont eu la hardiesse de faire une réforme qui leur a donné un air d’apôtre & rempli leur bourse : c’est le changement le plus raisonnable qu’on puisse faire. Il n’y a plus aujourd’hui à réformer, mais à tolérer, & dire, on prie Dieu dans mon Royaume comme l’on veut, on vit comme l’on peut. Dans quelques provinces le Luthéranisme est dominant, dans d’autres le Calvinisme, dans d’autres les Catholiques : laissez-les tous en paix, les Juifs aussi ; dispersés en grand nombre, ils sont pauvres, mais ils paient bien, & dans le fonds ils n’ont pas si grand tort.
Nos ancêtres, long-temps Païens, se firent Chrétiens pour plaire aux Empereurs leurs maîtres, Luthériens pour envahir les biens de l’Eglise, Calvinistes pour plaire aux Hollandois à cause de la succession de Cleves. Nous avons eu toutes les religions dans notre maison, elles nous doivent être toutes indifférentes.
Mon pere, pour rapprocher & concilier toutes les sectes, avoit fait composer un Traité où l’on prenoit & retranchoit quelque chose de chacune, les ridiculisoit toutes, pour en venir à ce mélange. Ce projet ne réussit pas ; ce Traité fut méprisé de toutes, chacune persista dans son systême, & se maintint dans l’Etat.
Voici le plan de l’Ecrivain.
Il disoit toute sorte de mal du Pape, il traitoit S. Joseph de bonhomme, il prenoit le chien de S. Roch par les oreilles, le Cochon de S. Antoine par la queue ; S. Augustin n’étoit qu’un grand écrivain, S. Bernard & S. Dominique des courtisans, S. François un imbécille, la virginité des Religieuses une plaisanterie. Il se moquoit des Martyrs & des Saints Jesuites. Les Mysteres sont incompréhensibles, il faut s’en tenir au Bon-sens, ne pas se payer de mots. Il condamnoit les subtilités des Luthériens ; les excès des Calvinistes qui cassent les vitres, point de Confession, la Communion arbitraire pour qui en voudroit ; le culte des Images libres, il en faut au peuple ; point de Moines, point de Célibat des Prêtres, point de Paradis terrestre ni d’Enfer éternel. L’Homme à l’image de Dieu, chimere : il seroit honteux à Dieu de ressembler à l’ignorance, à la foiblesse, au vice, à la folie.
(Ce n’est que le Calvinisme, le Luthéranisme réchauffés ; les vieilles hérésies, les rapprocher du Paganisme rajeuni. J’admire la hardiesse d’un génie si vanté. Ce ne sont que des compilateurs, leurs chefs-d’œuvres des plagiats, des répétitions : il n’y a de neuf que l’excès de l’impiété, & l’impudence à les répandre, ou quelquefois l’hypocrisie à les déguiser sous un air de modération qu’on nomme tolérance, bienséance, patriotisme, qui arrête les plus grands attentats contre la Divinité, & la puissance royale qu’on ébranle.
Doute-t-on de cette doctrine politique ? Qu’on consulte l’Impératrice & le Roi de France, dont il fut tour à tour l’ennemi & l’allié jusqu’à quatre fois ; la Silésie, la Lusace, la Boheme, qu’il envahit en pleine paix, sans avoir déclaré la guerre ; les Maréchaux de Belle-isle & de Broglie, qu’il attaque étant leur allié ; le Roi de Pologne, dont il fit l’armée prisonniere à Pyrna ; sa famille qu’il prit à Dresde & mena à la Comédie ; le Royaume de Pologne, dont il a usurpé plusieurs provinces, malgré les traités ; la ville de Dantzick, dont il a détruit le commerce ; la ville de Leipsick, dont il a enlevé la Manufacture de Faïance pour la transporter dans ses Etats ; la Russie, qui pénétra jusqu’à Berlin, & avec qu’il s’accommoda en demandant grace ; les Archives de l’Electorat de Saxe, qu’il enfonça à main armée pour en enlever les titres. Consultez les Mémoires de la Marquise de Pompadour, écho des Ministres d’une Cour dont tous les secrets lui étoient connus, toutes les Cours de l’Europe qui avoient des intérêts avec la France, pendant la guerre où la Prusse joua le rôle très-peu philosophe de l’infidélité à ses paroles, de la violation de ses traité & de ses alliances, en déclarant la guerre, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, selon ses intérêts, où il perdit & gagna des villes, de batailles, des provinces. On verra l’analyse de cette politiques de Machiavel, que les premieres matinées ont expliquées au neveu, héritier présomtif d’un Prince philosophe, dont la philosophie consiste à se jouer de la bonne-foi. Reprenons les Avis.)
Je vous fais connoître tous mes défauts : mais voilà l’homme. Ces défauts sont communs, ils ne sont que différemment combinés. L’amour-propre est le ressort de tout. Toutes les vertus ne sont qu’apparentes, & n’ont que l’intérêt pour principe. Voulez-vous passer pour héros ? approchez-vous hardiment du crime. Voulez-vous passer pour sage ? contrefaites-vous. Veut-on connoître ma religion & mes mœurs ? consultez mes Œuvres & mon Code, le portrait est fidele, j’ai tenu le pinceau, je dois me connoître.
La politique consiste en quatre points, se conserver, s’allier, se faire craindre, s’agrandir, & profiter de toutes les circonstances.
A la mort de mon pere je visitai mes coffres & mes troupes. Sa grande œconomie avoit amassé des trésors, & sa vanité une armée superbe. Je doublai mon Militaire.
Je changeai la manœuvre de mes troupes, pour me donner l’air d’une savante Tactique, & les y exerçai beaucoup : cela me réussit. La nouveauté en fait tout le mérite. Je tournai la tête à toutes les Puissances : on se crut perdu sans l’Exercice à la Prussienne. Je la tournai à mes soldats : ils se crurent des Césars quand ils se virent imités par-tout. Ce qui m’a beaucoup servi.
Quand j’eus acquis cet avantage, j’examinai mes prétentions sur les Etats voisins. J’en ai sur la Prusse Polonaise, la Gueldre Hollandoise, la Poméranie Suédoise, la Silésie Allemande. Je commençai par celle-ci, la plus riche & la plus à ma portée. J’ai depuis attaqué la Pologne, & j’espere bien avoir raison des autres. Les circonstances étoient favorables, l’Impératrice étoit fort embarrassée ailleurs, & ne pensoit pas à moi. J’envahis cette province sans coup férir. Nous combatîmes par divers manifestes, mais le procès fut fini à coups de canon.
La France vouloit ôter l’Empire à la Maison d’Autriche, & faire un Etat en Italie à l’Infant. J’en étois charmé ; l’Impératrice en étoit affoiblie. On vouloit envoyer une armée aux portes de Vienne : c’est ce que j’attendois. Je saisis ce ◀moment▶ pour m’emparer de la Silésie, malgré la Pragmatique que j’avois garantie. Ayez de l’argent, donnez un air de supériorité à vos troupes, attendez & saisissez les circonstances, sur-tout laissez les routes ordinaires de la justice : c’est par le merveilleux même du crime qu’on réussit & qu’on se fait un nom. Il faut toujours tenter ; tout nous convient : mais il ne faut pas afficher les prétentions, & parler trop haut. Munissez-vous de trois ou quatre bons écrivains, & laissez-leur le soin de vous justifier, & agissez toujours.
On oppose l’équilibre de l’Europe qui assigne à chacun son coin. En effet, l’ambition de Louis XIV. donna de l’inquiétude aux Puissances, & couta cher à ses Sujets. Mais, malgré ses malheurs, il conserva ses provinces, & donna une couronne à son petit-fils. J’ai aussi conservé les miennes, malgré le plus grand orage : tout dépend du courage & de la constance du conquérant. L’équilibre n’est qu’un mot qui ne doit pas en imposer ; l’Europe est une famille où il y a de trop mauvais enfans pour qu’il subsiste ; c’est en le bravant qu’on va au grand ; les Anglois le méprisent ; ils sont maîtres de la mer ; il n’y a plus d’équilibre sur l’Océan, personne n’ose s’y montrer sans leur permission.
Un Prince ne doit jamais se montrer que du bon côté ? Avant d’être Roi, je me livrois au plaisir, au vin, aux femmes, au jeu, à mes commodités, à la bonne chere. Quand je sus Roi, je sus soldat, philosophe, écrivain, je ne m’enivrai plus, je ne voyois les femmes qu’en secret, je couchai sur la paille, mangeai le pain de munition, je parus tout, autre que je n’étois ; je marchai nuit & jour sans gardes & sans suite, dans une voiture simple, mais commode, où je dors comme dans mon lit ; je mange peu, mais ce qu’il y a de meilleur ; je suis mal habillé, mais commodément. Ces riens sont une impression singuliere. Je donne audience à tout le monde, excepté aux prêtres & aux moines ; un page prend leurs requêtes à la porte. J’affecte de ne parler que du bonheur de mes sujets, je parle à tout le monde, j’entre dans le moindre détail : ces bonnes gens m’admirent, me bénissent, me plaignent.
Avant de passer un régiment en revue, je lis les noms de tous les officiers & sergens, j’en retiens trois ou quatre à qui je parle en passant. Je fais manœuvrer, je passe entre les rangs, je loue quand il fait bien, je passe quand il fait mal, & je punis. Cet air d’attention, de popularité gagne les cœurs.
On croit que l’amour que j’ai pour mes sujets, m’engage à visiter souvent mes Etats : on se trompe, ce n’est que pour maintenir mon autorité, contenir les Gouverneurs & les Ministres, comme les richesses & les besoins.
J’ai fait tout ce que j’ai pu pour acquérir la réputation d’homme de lettres ; j’ai été plus heureux que le Cardinal de Richelieu. Je passe pour Auteur : mais c’est une maudite race que celle des beaux esprits, un peuple insupportable pour sa vanité. Il y a tel poëte qui refuseroit mon royaume plutôt que de me sacrifier un de ses beaux vers. Comme ce métier est indigne du trône, je ne compose que quand je n’ai rien de mieux à faire ; j’ai toujours avec moi quelque bel esprit qui rédige mes idées. Vous avez vu avec quelle distinction j’ai traité d’Alembert : vous en avez été surpris. Vous ne savez pas que ce philosophe est écouté à Paris comme un oracle, qui ne parle que de mes talens & de mes vertus, & soutient que je suis un héros. Il est doux pour moi de m’entendre flatter avec esprit & avec délicatesse. Je sai bien que toutes mes actions n’en sont pas digues, mais quand d’Alembert est assis à table auprès de moi, il tourne tout à ma gloire. Voltaire n’étoit pas si complaisant ; aussi je l’ai chassé, & m’en suis fait un mérite auprès de Maupertuis : mais dans le fond je craignois son esprit caustique & intéressé ; un écu de moins par année m’auroit attiré mille coups de patte : d’ailleurs il est difficile que deux beaux esprits respirent le même air.
Permettez à tous vos sujets de vous écrire directement ; quand vous leur répondrez, dites : Si vous dites vrai, je vous rendrai justice : mais comptez aussi sur le zele que j’ai à punir la calomnie & le mensonge. Parlez d’une maniere serrée & laconique. Une lettre, une réponse dans ce goût vous éviteront l’ennui de plusieurs, & vous donneront dans vos Etats & dans les terres étrangeres un air de simplicité, de franchise qui fait la fortune des Rois. Deux pareilles lettres qu’on vit en 1757 dans les pays qui me furent pris, me firent passer pour le plus populaire, le plus loyal & le meilleur des Rois.
Si mon pere eut vêcu vingt ans de plus, nous étions tous perdus, le jour de sa naissance auroit mangé tout son Royaume en fêtes. Je ne porte qu’un habit uniforme, le militaire s’en fait honneur, je le laisse dans cette idée ; mais dans le vrai c’est par épargne & pour donner l’exemple.
L’Amour n’épargne personne, quand on lui résiste il revient. N’ayez pas la vanité de lui faire tête, il vous attrapera toujours. Ne suivez pas pourtant mon exemple ; il y a de l’excès : tous vos officiers vous suivroient, & travailleroient plus pour leur plaisir que pour votre armée.
J’aimois la chasse, le compte du Grand-Veneur m’en dégouta. Il n’y a que deux Rois en Europe assez riches pour courrir le cerf, toute autre chasse est au-dessous de nous. J’aime la bonne chere, les liqueurs, & l’on me croit le Prince le plus sobre. Je suis tel en public, mes petits appartemens me dédommagent ; ma table y est près du lit, en cas de besoin. Les philosophes croient qu’il faut donner beaucoup aux sens. Que seroit sans eux notre existence ? Je joue avec plaisir, mais je crains de perdre : d’ailleurs le jeu est le miroir de l’ame, & je ne gagne rien à être connu. J’aime fort le Spectacle, mais il est bien cher, & mes Grands-Officiers trouvent fort déraisonnable qu’une actrice soit aussi bien payée qu’eux. J’ai beau me faire illusion sur le prétendu bien du Théatre, je trouve qu’ils ont raison.
Il ne faut former ni soutenir des alliances que pour un avantage : il faut la rompre sans scrupule quand l’avantage cesse. Dans ma guerre contre l’Impératrice j’étois allié à la France, je l’abandonnai à Prague quand on m’offrit la Silesie, Je gagnois au marché, ma fidélité ne m’eût jamais donné autant. Je renouai avec elle pour conquérir la Boheme, on m’offrit d’autres avantages, & je l’abandonnai encore. Quand la Prusse aura fait sa fortune, elle pourra se donner un air de bonne-foi, qui ne convient qu’aux grands Etats : aux petits Souverains, politique n’est que coquinerie. Il y a pourtant quelquefois des Princes qui ont de la probité : profitez-en. Pour les mieux tromper & découvrir leurs secrets, il faut avoir des ambassadeurs plus fin qu’eux & moins scrupuleux, qui s’expriment en termes vagues, en phrases louches, pour avoir une porte de derriere. Ayez aussi des serruriers, des médecins, des maîtresses, des valets à vos gages, pour tout pénétrer : ils sont souvent très-utiles.
Pour se faire craindre de ses voisins, ce qui est le chef-d’œuvre de la politique, il faut avoir une force réellement supérieure, ce que je n’ai pas, ou du moins comme moi faire valoir celle qu’on a.
On s’imagine qu’il faut donner à ses ambassades un grand éclat, erreur. Le Duc de Richelieu à Vienne, ne fit par-là que se donner un travers & à sa nation. On crut que tous les françois étoient comme lui musqués & poudrés. La façon noble dont un Ambassadeur fait parler son maître, vaut mieux que tous les équipages. Le rôle d’Ambassadeur est très-difficile, il faut un homme très-riche, de grande condition & bon politique ; tout cela est rare.
Je ne veux plus avoir que des envoyés, on les trouve plus aisément. On épargne beaucoup, on ne fait pas moins ses affaires. Il est quelqu’occasion où il faut représenter avec éclat, mais elles sont extraordinaires & rares. Donnez dans votre Cour le plus grand éclat à vos actions ; que personne n’écrive que pour louer tout ce que vous faites ; pensez toujours en maître ; si on vous manque, réservez votre vengeance jusqu’au moment où vous pourrez en tirer une satisfaction complette ; ne craignez pas les représailles, tampis pour celui de vos sujets sur qui elle tombera ; il faut avoir l’autorité d’un Despote absolu.
Que tous vos voisins soient persuadés que nous ne doutez de rien, que rien ne vous étonne, ne vous arrête ; que vous êtes un homme dangereux, qui ne connoit de regle que sa gloire & son intérêt ; que vous aimeriez mieux tout perdre que de fléchir. : comme ses sentimens supposent des ames peu communes, ils frappent, étonnent, étourdissent jusqu’aux princes. Voilà dans le vrai ce qui forme les héros & les immortalise.
Quand un étranger vient à votre Cour, comblez-le d’honnêteté ; qu’il soit toujours auprès de vous. S’il va courir, il découvrira les vices, les foiblesses. Faites maneuvrer devant lui, s’il est militaire, le régiment des gardes, vous à la tête. Un bel esprit loue son ouvrage, paroissez l’avoir lu, &c.
7.° Le Militaire. Les guerriers sont des dogues qu’il faut enchaîner, & ne lâcher qu’au besoin. En général, l’officier & le soldat sont des machines qui n’ont que le mouvement qu’on leur donne. Un rien leur persuade qu’ils sont supérieurs à l’ennemi. Un rien les décourage. Ces riens sont la gloire ou la honte du général & même l’entousiasme. Faites-y beaucoup d’attention : si on fait l’inspirer, on est sûr de la victoire. Sans souiller dans les histoires anciennes & modernes, voyez seulement les Russes, il n’y a que des bêtes entousiasmées qui puissent agir comme eux. Mon royaume est tout militaire, c’est pas lui que je puis me soutenir ; j’ai toujours les yeux sur lui, mais je prend bien garde qu’il s’apperçoive du besoin que j’en ai, il seroit trop fier.
Quand je montai sur le trône, j’y trouvois bien des abus, je ne les corrigeai qu’avec beaucoup de peine ; l’Officier est rétif, il ne plie que difficilement quand il y va de son intérêt.
Chaque Capitaine avoit son canton pour se recruter, & chaque enfant mâle étoit sensé son soldat & enrôlé en naissant. Le pere pouvoit les acheter, le rachat étoit mis au plus haut prix. C’étoit une tyrannie & une oppression dans chaque capitaine, & faisoit une grande fortune. Je réformai cet abus avec beaucoup de peine. Les Officiers généraux même s’y opposoient. Mon pere aimoit les grands hommes à la folie, & adoroit les Capitaines qui en avoient le plus. Tour étoit permis aux soldats de six pieds. Un Capitaine qui en avoit vingt de cette taille étoit sûr de son avancement. La discipline en souffroit beaucoup. Je ne suis point de ce goût. Je punis ou récompense selon le mérite, sans égard à la taille. Cette conduite déplut ; la désertion fut considérable, mais peu préjudiciable ; je ne perdis que des statues.
Le mot Discipline est équivoque ; chaque état doit avoir la sienne ; c’est une folie de vouloir adopter celle de son voisin. Selon un réglement très-sage de mon pere, chaque Capitaine doit avoir dans sa compagnie deux tiers d’étrangers, nous y gagnons des citoyens ; mais à la discipline des armes près, nous leur laissons une grande liberté, nous usons d’indulgence, ce qui les accoutume à nous. Nos sujets pour qui nous sommes plus séveres se sont par-là une idée avantageuse du métier.
La discipline ne suffit pas, il faut encore donner le ton aux soldats & les rendre compatriotes. La discipline est même subordonnée aux circonstances, elle ne doit pas être toujours la même ; entrer dans le détail, connoître son monde, louer, caresser, récompenser à propos. A la bataille de Rosbach j’embrassai un Major au milieu de l’action & le sis Chevalier. Au siége de Dresde, j’envoyai mon carosse à un Lieutenant qui avoit été blessé. Pour inspirer le mépris de la mort, je sis la fameuse Ode au Général Keiet, & je fis prêcher pendant toute la campagne pour la prédestination contre le libre arbitre. Je payai bien tant que je pus, puis je leur exposai ma misere. Je fermai les yeux sur la maraude, je les laissai piller, c’étoit des arabes qui dévastoient le pays, mais qui gagnoient du bétail.
Je fermois aussi les yeux sur les vexations des Officiers généraux ; en travaillant pour eux, ils travailloient pour moi ; ils s’enrichissoient, je le savois bien, mais ils me valoient des millions ; je leur faisois braver le péril, mais j’étois à leur tête.
Ne vous laissez pas pénétrer par vos Généraux ; gardez toujours la supériorité & le mystere ; attribuez leur toujours le mauvais succès. J’ai souvent punis l’innocent, quoique ce fût ma faute. Il faut punir par le bâton ou les verges, rarement par la mort. L’espece des hommes est rare dans nos états, les étrangers coûtent bien cher. Que les chirurgiens risquent la vie plutôt que de couper bras ou jambes. A quoi sert un homme estropié. La routine suffit à l’Officier subalterne, il faut du génie au supérieur.
J’ai fait beaucoup de faute, perdu des batailles & des villes, fait des entreprises mal concertées. J’ai été souvent surpris ; j’ai été au ◀moment d’être écrasé, mais j’ai tout réparé ; ma constance, mon opiniâtreté sont venues à bout de tout, & je me suis fait une réputation glorieuse & un état honnête ; j’ai dû beaucoup au hasard. Les fautes des françois, la mort de la Czarine, l’intérêt sordide des Généraux, les divisions, &c. m’ont sauvé.
8.° Ne comptons point sur le commerce, notre pays n’y est pas propre, & n’en a jamais fait, mais il faut le protéger, l’animer, le peu qu’on fera a son utilité, & peut augmenter en le favorisant.
(Depuis qu’il a envahi la Prusse, il paroit avoir exercé le commerce, & il la montré, pour s’en rendre maître, la plus insigne mauvaise foi & l’avidité la plus injuste sur Dantzick, la Vistule, la Pologne, &c.)
Je n’abandonne point mon projet, mais je m’y prend différemment : je fais répandre sourdement dans toute sorte d’ecrit le mépris pour tout ce qui tient à la religion, Prêtres, Ministres, sur-tout la Cour de Rome, peu à peu mes sujets s’y accoutument & se defont des préjugés. Je ferai paroître quelque prédicateur qui prêchera cette doctrine. Je ferai semblant de me fâcher & de vouloir le punir. Enfin je paroîtrai convaincu. Je me déclarerai son défenseur & partisan de son systême.
Voltaire a commencé par ses livres, son histoire, ses anecdotes ; il a rit agréablement, & se fait lire & goûter par sa gayeté & son coloris, avec une liberté qui a l’air de la bonne foi & de la vérité. D’Alembert & Maupertuis ont formé le canevas du systême & calculé tout avec une précision qui fait croire qu’ils en sont persuadés, comme d’une démonstration. Rousseau travaille depuis quatre ans à une vaste collection contre l’histoire sainte, le christianisme, la cour de Rome. Le Marquis n’Argens & M. Formei ont déjà donné nombre d’ouvrages ; ils doivent assembler un concile où je présiderai, en attendant le Saint-Esprit ; il n’y aura qu’un ministre de chaque secte & deux députés de chaque province, un de la noblesse, un du tiers-état ; tout s’y décidera selon le bon sons, & on y établira mon systême.
9.° Nous devons la justice à nos sujets, mais il ne faut pas s’en laisser subjuguer. Elle conduisit Charles I sur l’échafaud. Je ne puis souffrir dans mes états aucun ordre qui me gêne, & c’est pour être mieux à mon aise que j’ai fais un nouveau code ; je craignois les yeux, & je sai de quel poids la justice est sur le peuple. Il est aisé de se faire adorer ; j’ai dis & on a cru que je voulois réformer les abus de la chicane ; j’avoue à ma honte que je n’y ai pas pensé, & que je regrette cinq cens mille livres qui m’en reviendroit par an de mes droits.
Ne vous laissez pas éblouir par le mot de justice, il est fort équivoque ; la justice est l’image de Dieu ; qui peut atteindre à cette perfection ? C’est un projet insensé de vouloir la posseder. Dans tous les pays du monde on la rend différemment & sur différent principe ; chacun est juste à sa maniere ; tous les Tribunaux de mon royaume avoient une armée de Légistes, tous font honnêtes gens ; tous soupçonnés de ne pas l’être ; rien ne finissoit ; la dixieme partie de mes sujets étoit enrôlé sous ses drapeaux, & la dixieme partie de mes revenus passoit par leurs mains ; j’en fus effrayé, & je voulu changer cette marche.
Ce qui me donnoit le plus d’inquiétude est la marche réguliere & constante des gens de loi. L’esprit de liberté inséparable de leur principe ; la façon adroite de conserver leur avantage, & d’accuser leurs ennemis ; je me rappellois les actes quelquefois bizarres, mais pleins de vigueur des Parlemens d’Angleterre & de Paris ; je me décidois à sapper les fondemens de cette grande puissance, en la réduisant & le simplifiant autant que j’ai pu pour en être plus maître, on n’y est plus sûr de la couronne. Lorsqu’on la lui donne, on la lui conserve, mais qu’il faut être grand homme de bien pour laisser juger ses actions. Je n’aurois rien entrepris si j’avois été gêné par la justice ; je passerois pour homme de bien, mais non pour héros.