Chapitre VII.
Autre suite de diversités curieuses.
L’Académie Françoise, aujourd’hui si Comédienne, que la
plupart de ces membres ont composé pour le théatre, & que ces
compositions ont été le titre brillant qui les a fait inscrite dans le
nombre de quarante, l’Académie, dis-je, a été cruellement jouée sur le
théatre. M. Pelisson nous l’apprend dans son Histoire.
Outre une infroité de satyres & de libelles qui furent faits contre
elle, il parut en 1650 une comédie intitulée Comédie de
l’Académie, où le corps & les membres étoient joués, comme ils
l’ont été dans les Factums de Furetiere, & la requête des Dictionnaires de Menage. Ce Drame fut attribué
à l’un des Académiciens, dont on croyoit reconnoître le style, l’esprit
& l’humeur, & qu’on savoit ne faire guere d’état
de l’Académie. Il y a plusieurs erreurs de fait qu’un Académicien n’auroit
pas dû faire, mais qu’on a cru y avoir été mises à dessein pour dépayser les
lecteurs, afin qu’ils ne pussent en connoître les Auteurs. Pelisson avoue
ingénument que,
quoique sans art & sans regle, cette piece
n’est pas sans esprit, & qu’elle a des endroits fort plaisans
.
Il en est de même de la requête & des Factums qui sont pleins d’esprit. On a depuis donné cette comédie
à S. Evremond ; ainsi Boursaut a joué
Moliere, Boileau, le Mercure, &
la Cour dans son Esope. Moliere le
méprisa, Boileau se réconcilia avec lui, l’Auteur du Mercure ne lui pardonna
pas, & la Cour qu’il avoit amusé par les gazettes ne fit qu’en rire.
On a imprimé cette piece dans les œuvres de S. Evremond, d’abord sous le titre de Comédie des Académistes, ensuite sous celui de Comédie dés Académiciens. Le mot Académiste signifie un homme qui va à l’Académie pour apprendre à monter à cheval, ou à faire des armes. Peut-être, ne fut-ce qu’une faute du copiste ? Peut être étoit-ce un trait de malignité. Quoi qu’il en soit, c’est une mauvaise piece qu’on méprisa avec raison. Point d’intrigues, de dénouement, de liaison des scenes, ce ne sont que des couversations de deux ou trois Académiciens, comme les dialogues des morts, qui font la satyre de chacun d’eux, quelquefois ingénieuse, souvent grossiere, toujours piquante. C’étoit le style & le caractere caustique de S. Evremond qui le perdit.
Plusieurs des premiers Académiciens ont travaillé pour le théatre, Desmarets, Bois Robert, &c. C’étoit le goût du Cardinal de Richelieu, son protecteur & son fondateur, qui lui même, comme nous avons dit ailleurs, s’abaissoit jusqu’à composer, & qui voulut que la premiere occupation de l’Académie naissante fût la critique du Cyd. Cet esprit est préjudiciable à une Académie ; il fait diversion aux études sérieuses, & aux travaux utiles. Qu’attendre que des choses frivoles d’un Comédien ? Aussi l’Académie Françoise n’a donné que son Dictionnaire qui a duré cent ans à être composé. La Grammaire, la Rhétorique, l’Art poëtique qu’elle avoit projetté de faire, sont encore à naître, & ne verront jamais le jour. C’est sapper par le fondement le projet de cette institution qui pourroit être utile, mais qui par événement n’a fait aucun bien solide.
Mais tous ces malheurs ont été glorieusement séparés par la brillante association de la comédie Françoise avec l’Académie Françoise, qui porta au comble la gloire des deux troupes le 30 mars 1732. Le Roi, depuis bien des années, avoit accordé à six Académiciens des places distinguées au théatre de la Cour ; ils y avoient été solemnellement installés avec tous les honneurs bacchiques. Les Officiers du gobelet leur avoient servi des rafraichissemens. Ils n’avoient pas le même avantage au théatre de Paris, & leur bourse se plaignoit de n’y être pas traitée académiquement. On avoit souvent infinué que la troupe se feroit un honneur infini d’imiter la Cour, & d’avoir pour spectateurs les arbitres du bon goût, les oracles de la nation, qui par leurs suffrages décisifs attireroient beaucoup de monde, & feroient la fortune des pieces recommandées. La bourse des Comédiens, très-peu académicienne, avoit refusé de s’ouvrir. Quarante billets par représentation font un objet au bout de l’an. Les Actrices ne croyoient pas devoir acheter si cherement des éloges équivoques qu’elles avoient souvent pour rien, & même faisoient acheter. L’Opéra, quoique doublement Académie de musique & de danse, a été peu flatté des offres de l’Académie de la langue. Les Italiens n’ont voulu rien entendre, ils ne veulent que l’Académie de la Crusca.
Enfin touchée de l’humble supplication des quarante, reconnoissante de la réception d’un nombre infini d’Auteurs Dramatiques, la noble & savante troupe des François écoutant sa générosté & sa gratitude, résolut d’entériner la requête, & d’accorder les grandes entrées à l’Académie. Dans un grand Conseil il fut nommé des Députés pour aller au Louvre en faire l’offre. Le Sieur Dufrene, habile Orateur, portant, la parole à la tête de l’ambassade, fut reçu les deux battans ouverts, les Académiciens debout, il eut l’honneur du fauteuil, prit place parmi eux avec ses camarades parla assis & couvert ; la barangue fut écoutée comme le compliment de rentrée sur la scene, car c’étoit ici une scene véritable. Le Directeur de quartier y répondit, & fit le plus grand éloge de l’art Dramatique, des Auteurs, des Acteurs, & fit beaucoup valoir la grace qu’on faisoit à la compagnie. On sent bien qu’il n’oublia pas les Actrices ; l’Académie est trop galante pour ne pas mettre des guirlandes sur la tête de ces aimables Académiciennes, à qui la plupart devoient leurs succes & leurs graces. Des-lors la troupe fut incorporée à l’Académie, & l’Académie à la troupe. C’est un corps mi-parti, Académi-comique.
Il est vrai que quelques vieux Seigneurs Académiciens murmuroient de cette basse association, & croyoient déroger par cette alliance. En effet les Comédiens n’avoient pas plus fait preuve de seize quartiers, que ces Seigneurs en avoient fait de leurs talens ; mais le grand nombre des voix l’emporta ; l’entrée gratuite fut une espece de jetton qu’ils gagnoient à perpétuité. Après tout une piece bien jouée vaut un quartier bien prouvé, & suppose plus de talent que le plus vieux parchemin. La troupe fut donc reçue Académicienne, & tout de suite l’Académie en corps se rendit au théatre, fut introduite par l’Ambassadeur, & installée Académicienne de Thalie. Il seroit à souhaiter que la harangue du Sieur Dufrene & la réponse du Directeur fussent imprimées à l’Imprimerie Royale, selon l’usage des réceptions. C’est une occasion unique, ces pieces doivent être bien écrites, & doivent être insérées dans les registres des deux compagnies. La modestie sans doute en a privé le public. Il n’en est pas comme du discours du Sieur Thomas, de l’Archevêque de Toulouse, & de quelques autres que le Roi a supprimé. Tout s’est fait avec l’agrément de la Cour & l’applaudissement du public ; & la libéralité des contendans est sans conséquence pour l’Etat, & un brillant fleuron pour la couronne de l’Académie.
Une piece de théatre bien représentée doit plaire aux sourds & aux aveugles, aux sourds par la beauté des gestes & la vérité du pantomime, aux aveugles par la beauté des paroles & le son agréable de la voix, & à ceux qui jouissent de la vue & de l’ouïe, par le parfait accord de ces deux choses qui sont faites l’une pour l’autre. M. le Sage, Auteur de bien des ouvrages où il y a du bon & du mauvais, devine sourd dans sa vieillesse, il alloit pourtant à la comédie, & y jugeoit des paroles par les gestes. Il disoit n’avoir jamais mieux jugé de la bonté des pieces que depuis qu’il n’entendoit plus les Acteurs (ce qui n’est guere croyable), sur-tout quand on jouoit ses pieces, ce qui alors lui étoit plus facile, puisqu’il les savoit par cœur, & les avoit vues jouer ; il y en a de bonnes. Il est généralement vrai qu’un homme qui ne jouit que de l’un de ses sens, est beaucoup plus recueilli & plus attentif aux objets de l’autre, & en juge bien mieux. Un sourd a la vue plus perçante, un aveugle l’oreille plus fine, il est moins distrait.
Un Ecrivain, Philosophe & observateur, rapporte que dans les pieces qu’il connoissoit, il se plaçoit le plus loin du théatre aux troisiemes loges, & se bouchoit les oreilles. Il prétendoit avoir tiré plus de lumiere pour l’art Dramatique, des mou vemens & des gestes des Acteurs, que de toutes les lectures, soit en voyant leur accord avec le discours qu’il se rappelloit, comme s’il eût entendu, soit en étant dérouté par la maladresse des Comédiens. Mais ce n’est plus l’état de la question ; qu’on lise les paroles, que la mémoire les rappelle, ou qu’on les entende prononcer, ce n’est plus voir en sourd, qui ne sait rien des paroles, & dévine le langage sur les mouvemens, ce qui fait l’éloge de la justesse de la déclamation & de la sagacité du spectateur. L’art du geste a bien de l’étendue & des difficultés ; on peut en juger par le Traité de Quintilien dans ses Institutions oratoires, & de Sanleque dans son Poëme du geste. Ce langage est très-vif, même seul, quand on le fait très-bien, à plus forte raison quand il est bien d’accord avec les paroles. L’un peut absolument se passer de l’autre. On peut se faire entendre sans gestes, un Pantomime sans paroles, mais on n’excite pas si aisément les passions, ou n’imprime pas des idées aussi vives & aussi promprement que quand on réunit ces deux langages. On fixe l’attention, on exalte l’imagination, on va droit au cœur, on pénetre par tous les sens, parce qu’alors on paroît soi-même plus persuadé, plus animé. On réalise, pour ainsi dire, le sentiment & l’action dont on parle, ou entraîne invinciblement ; ce qui met une si grande différence entre les Acteurs qui jouent les mêmes pieces, les Orateurs qui prononcent le même discours. On a raison en ce sens de dire après Démosthene & Quintilien : la premiere qualité d’un Orateur est la prononciation, la seconde est la prononciation, la troisieme est la prononciation ; sans elle tout languit, & semble mort. Les plus éloquens discours sont sans force.
C’est une vraie tyrannie de ne vouloir que des comédies régulieres, de
caractere, comme ce qu’on appelle Chef d’œuvre de Moliere. Pourquoi
proscrire cette variété de Drames de toute espece, Pastorales,
Proverbes, Larmoyans, Arrietes, &c ? Que chacun suive son goût
dans des jeux qui ne sont faits que pour amuser,
c’est
,
dit-on,
sacrifier le grand Corneille, le grand
Moliere, faire succéder des
bouffonneries à des chefs d’œuvre, pour s’épargner les fatigues
d’admirer. Pourquoi ne pas suivre ses maîtres ? Leurs ouvrages sont
parfaits, on leur préfere des minuties, des ouvrages mesquins, les
supplices, les diableries de Calot aux tableaux de Rubens
. Ce ne
sont que des mots ; personne ne méconnoît le mérite théatral de Corneille,
de Moliere. Personne ne doute qu’une tragédie parfaite ne soit un Poëme
supérieur à une piece de la foire. Qui empêche d’en composer ? Pourquoi
vouloir forcer les goûts, & réduire tout au sublime ? Le Poëme épique
est le plus parfait des Poëmes. Faut-il défendre de composer des odes, des
stances, des madrigaux ? Les privileges exclusifs sont sur le Patnasse un
odieux ridicule du despotisme. La scene est un repas, chacun choisit le plat
qui lui plait. C’est une foire où l’on étale toute sorte de marchandises ;
chacun achete celle dont il a besoin ; c’est le fallon du Louvre où l’on
expose des tableaux. N’y a-t-il que de grands tableaux d’histoire, qui sont
sans doute les plus parfaits ? On y voit des paysages, des foires, des
portraits de toute espece, chaque Peintre suit son génie, sur-tout dans ce
qui n’est fait que pour se divertir. Arlequin aime les lazzis, Arnaud les
atrocités, Corneille le sublime. Racine le doucereux, Moliere la
plaisanterie. Les spectateurs en font de même. Quelle intolérance de jeter
tout dans le même moule, assujettir à la même marche, habiller tout de la
même couleur ? Tout n’est pas rose parmi les fleurs, tout n’est pas diamans
parmi les pierres, tout n’est pas or parmi les métaux, &c.
C’est un usage qu’à la mort du Roi, de la Reine, du Dauphin, on ferme les spectacles dans tout le royaume, plus ou moins de temps ; ce que l’étiquette n’a pas encore réglé, par rapport à cette espece de deuil, & par-tout on chicane pour abréger ce temps arbitraire. Il semble qu’il devroit durer autant que celui du deuil & même davantage. La couleur ordinaire des habits n’est pas un divertissement comme au théatre, elle est moins opposée à la tristesse que le jeu des Acteurs, qui n’est fait que pour faire rire. Quel spectacle plus ridicule, un parterre, des loges, tout en noir, écoutant des bouffonneries, des pleureuses & des éclats de rire, des crêpes & l’habit d’Arlequin ! Cet assemblage seroit plus risible que la farce, s’il ne faisoit pitié par le contraste. A la mort de Louis XV on ferma les spectacles à Cahors pendant quinze jours, & dans ce même temps les Dames des Ecoles Chrétiennes, appellées dans le pays Mirepoises, ouvrirent leur théatre, & firent jouer leurs Pensionnaires. Le Chapitre, le Séminaire, Eleves & Directeurs, les Chanoines réguliers, plusieurs Religieux, tout le beau monde de la ville s’y rendit en foule. Le matin au service solemnel pour le repos de l’ame du Prince, le soir à la comédie, tout le Clergé en rabat blanc & long crêpe & boucles noires, formant un parterre lugubre, qui chantoit encore le Requiem æternam de la Messe de Giles, & des jeunes & jolies Demoiselles très-bien parées, qui chantoient des ariettes. Cependant comme ces Dames sont de l’esprit & un esprit conciliant, elles ont supprimé les danses qu’on avoit accoutumé d’y mêler. Les Actrices étoient habillées & la salle rapissée en noir. C’est pour contenter tout le monde. Toute la ville admiroit, leur habileté. Les Ursulines, qui ne se sont pas trouvées prêtes, ont renvoyé à un autre temps pour exercer leurs Eleves ; ce sera vraisemblablement le jour qu’on fera l’Oraison funebre, qu’elles prendront ce deuil théatral. Le Prédicateur & les Actrices prépareront chacun leur rôle pour jouer l’un le matin, l’autre le soir.
La tragédie de Terée du Sieur Renou a occasionné un procès comique entre l’Auteur & les Comédiens. Il y a quelque temps que le Poête eut un démêlé très-vif sur une autre piece qui avoït été reçue, & dont par un passe droit injuste, ils reculerent la représentation pour jouer une autre piece qui étoit postérieure en date ; car c’est ici comme la Daterie du Pape, où le premier impétrant a un droit acquis sur le bénéfice avant ceux qui n’ont retenu date qu’après lui. En se plaignant il y eut des lettres peu mesurées où l’on traita avec mépris la piece rivale, & ceux qui lui avoient donné la préférence. Nos Princes ne sont pas patiens. L’Auteur, dans une autre lettre, leur fit de très humbles excuses de sa vivacité ; ils ont de la clémence. L’affaire parut assoupie, une nouvelle piece a tout reveillé. Elle fut admise au sacré Scrutin du Tribunal suprême & jouée. Le succès n’en parut pas assez complet au Sieur Renou ; il la corrigea & fit annoncer une seconde représentation avec des corrections ; ce n’étoit que des coupures, c’est-à-dire quelques vers refondus. La piece étoit toujours la même. L’usage est alors de distribuer aux acteurs ces légers changemens, sans convoquer l’Aréopage.
L’Auteur, pour faire sa Cour, alla plus loin. Il est dangereux d’en trop
faire. Il consulta la troupe, on s’assemble, on lit. Chacun lui dit son
sentiment ; ce n’étoit qu’un conseil d’amitié, non un examen juridique. La
piece étoit légalement reçue & jouée sans correction ; elle avoit un
droit acquis à une seconde représentation. C’est la jurisprudence du
théatre ; la délicatesse de l’Auteur gâta tout. Le vénérable Sénat se
souvint de l’ancienne affaire, rejeta les corrections & même la piece,
& refusa de la jouer. Contradiction
visible.
Si la piece est mauvaise, falloit-il la recevoir ? Si elle est bonne, peut
on la rejeter après l’avoir admise ? Moyen évident de requête
civile en terme de chicane. Vain prétexte. Le vrai motif c’est
l’injure reçue :
Manet altà mente repostum, judicium Paridis
spretæque injuria forma.
On signifie au Sieur Renou que sa piece ne
sera pas jouée jusqu’à ce qu’il soit venu, la corde au col, nud en chemise,
la torche au poing, faire une amende honorable à Dieu, au Roi & à la
Justice de Melpomene. Il a beau se plaindre & réclamer
ses droits, le jugement est sans appel. Offense-t-on impunément des gens de
qualité qui sont tous les jours Rois, Empereurs, Héros,
& un Tribunal au-dessus de tout soupçon d’erreur ou de partialité ?
Ainsi le peint leur mémoire ; l’intégrité inflexible, les lumieres
supérieures, le goût infaillible des Comédiens l’emporte sur tous les gens
de lettres, & toutes les Académies. Aucun Acteur ne reçoit des présens,
acune Actrice n’a des amans. Ils ont pris leurs degrés, & fait leur
cours dans toutes les sciences. L’Aréopage des Grecs, le Sénat de Rome, la
Cour des Pairs ne sont que des Ecoliers auprès de Nosseigneurs du Parlement
de la comédie.
Le Sieur Renou, aussi zélé pour le profit que pour la
gloire, sent vivement la perte de la part du produit des représentations que
lui fait souffrir cette querelle. Il propose dans ses mémoires, &
souhaite que le Gouvernement ordonne par une loi que le produit soit
conservé à l’Auteur ou à ses héritiers, tant que la piece est jouée, ou a
droit de l’être. Il faudroit donc aussi que le Gouvernement déclarât
l’étendue de ce droit bien en détail, pour prévenir les procès comiques qui
peuvent en naître. Cette proposition révolte la royale troupe qui n’a pas
moins de zele que le Poëte, pour le
produit des
représentations. Parmi cent autres raisons convaincantes, en voici une du
plus grand poids. Nous serions ruines, s’écrient les Acteurs, parce que leur
part qui ne va qu’à douze mille livres par an pour chacun, n’iroit pas à
plus de six mille. Fortune indigne de grands Princes comme eux.
Helas ! quand ils sont entrés dans la troupe ils n’avoient pas de pain,
& aujourd’hui six mille livres sont au-dessous d’eux.
Il s’en
faut bien que les Auteurs soient si bien recompensés. Qu’est-ce que leur
portion auprès de ce qui revient à la troupe, quoiqu’ils aient pris plus de
peine ? Il s’en faut bien qu’elle dure aussi longtemps ; leurs profits
cessent avec les premieres représentations. Ceux des Comédiens reviennent à
chaque reprise, & sont accrus de la portion du Poëte. C’est pourtant le
fonds du Poëte qu’on fait valoir. Il seroit juste que la piece fût comme un
fonds de terre qu’on baille à ferme. Les Acteurs font les Férmiers qui le
font valoir par la déclamation, comme le premier par la culture, toutes les
fois que le bail recommence. Ne doit-on pas en payer les fruits au
Propriétaire, distraction faite sans doute de l’entretien du théatre
domestique, qui sont les fruits du labour, & le salaire des manœuvres,
distraction faite encore aussi galamment qu’indécemment du tour
du bâton des Actrices, qui n’entre point en ligne de compte, &
où l’Auteur n’entre en part qu’incognito, sans en donner
de reçu. M. Renou qui sait tenir des livres de compte, & des chapitres
de recette & de dépense, veut bien avoir égard à toutes les reprises,
mais il est juste de lui payer les intérêts de ses fonds à lui & à ses
héritiers, à qui il laisse son patrimoine poëtique.
Dans la Préface des deux Reines, piece peu vraisemblable,
mais bien écrite, instructive & décente, M. Dorat
prétend qu’avant de confier
leur piece aux
Comédiens, les Auteurs devroient les livrer au public par l’impression,
& attendre son suffrage pour les hasarder sur la scene. Le public est
plus sévere ; il est vrai, les trois quarts des drames seroient arrêtés,
mais il est plus équitable pour les bons que ne sont les Comédiens, je les
estime fort, dit-il, je n’ai point à m’en plaindre, mais ce sont des
paresseux ; la lice dramatique est presque fermée par le nombre des Athletes
qui s’y présentent ; & par la lenteur de ceux qui sont faits pour les
seconder, une foule de pieces vieillissent dans leurs archives, en attendant
le moment de leur commodité. Voilà vingt ou trente représentations retardées
(il y en a bien vingt-cinq qui sont heureuses, qu’on les supprime), & le
fonds du public qu’ils retiennent (la perte est légere) Mais les Comédiens
prétendent qu’accoutumés à jouer toute sorte de rôles, ils ont un tact supérieur au meilleur connoisseur. M. Dorat en doute ; quelques-uns ont de l’esprit, mais il ne se fie
pas au grand nombre. Un Acteur qui joue le valet, peut-il juger du Héros ?
Celui qui joue les Princes, peut-il juger de George
Dandin ? Oublions les prèdilections, sessentimens, rivalité,
caprices, distractions des Actrices qui sont encore endormies à des lectures
trop matinales, car on s’assemble à midi. Vouloir que l’on soit éveillé à
midi, c’est une barbarie, il y a de fort jolies têtes, mais il m’en faut de
solides ; c’est le buste de la fable.
Belle tête
, dit le
Renard ! mais de cervelles point. Combien de Comédiens sont
bustes en ce point !
Pour lui il va droit au public avec la plus
grande confiance. La médiocrité a des remords, mais il est tout philosophe,
il voit tout avec fermeté, parce qu’il est armé d’une sévérité
Lacédémonienne. Il est pourtant vrai que le jeu des Acteurs & le
prestige de la décoration donnent à une piece
qu’on ne connoît pas un prix & des graces que ne donne pas la lecture,
mais qui ne dissiperont point la prévention que la lecture aura donnée. Une
piece tombée à la représentation se releve rarement à la lecture ; mais si
elle tombe à la lecture, elle ne se relevera jamais à la représentation.
Le P. Bouhours, Maniere de bien penser, qui d’ailleurs
louoir le talent de Moliere, blâmoit avec raison les exagérations grossieres
& gigantesques, communes dans ses pieces, par exemple, dans l’Avare qui a perdu sa cassette :
Je n’en puis
plus, je me meurs, je suis mort, le suis enterré, n’y a-t-il personne
qui veuille me ressusciter ; je veux faire pendre tout le monde, &
me pendre moi-même après ; montre-moi ta troisieme main
, &c. Il
n’y a là ni sel ni vérité, c’est du bouffon du Pont-neuf ; cent autres
traits pareils le feroient renvoyer à l’antichambre, si les esprits dans les
Etats de Thalie n’étoient exaltés jusqu’à
l’enthousiasme.
L’Auteur des trois siecles, l’un de ses admirateurs, dit
pourtant :
Comment Moliere, Auteur seulement de trois ou quatre
pieces achevées, & de tant d’autres dont le denouement est si peu
naturel & les défauts si sensibles, comment avec une prose si
négligée, des vers si peu exacts des caracteres outrés, est-il parvenu à
se faire regarder comme le premier Poëte comique de tous les théatres
connus… Ses comédies sont les seules qui aient eu le pouvoir de reformer
les mœurs. Son génie fut favorablement secondé par l’excès auquel les
ridicules étoient portés de son temps. Il est des défauts qui n’ont
besoin que d’être fidélement retracés, pour ouvrir les yeux à ceux qui
en sont atteints… Il a quelquefois avili ses talens en les faisant
descendre à des plaisanteries basses. Il seroit à souhaiter que notre
théatre aujourd’hui imitât sa sagesse, en retranchant
les libertés qu’il s’est trop souvent permises.
Cet excès de flatterie surprend dans un Ecrivain qui a de l’esprit, du goût,
de la sincerité, de la sévérité, même dans le temps qu’il reconnoît ses
défauts, & dans un homme qui avoit beaucoup moins de religion qu’un
grand nombre d’autres qu’il poursuit dans tout son livre, non seulement avec
zele, ce qui est très-louable, mais avec acharnement. ce qui ne l’est pas ;
non-seulement Moliere n’a pas reformé les mœurs, mais il les a corrompues,
plus que les nouveaux Philosophes, cet Ecrivain est un amateur du theatre,
Auteur lui-même, qui s’entortille dans les éloges pour ne pas déplaire à ses
amis, ni trahit tout-à-fait la vérité, & se déchaîne contre ses
adversaires qui ne lui ont que trop donné prise, & l’ont cruellement
offensé. L’intérêt qui guide ses crayons répand quelquefois de fausses
couleurs.
Ce qui est très-vrai, & n’est rien moins que la réforme des mœurs, les pieces de Moliere ne sont que des satyres personnelles. Pourceaugnac & George Dandin ne déguisent pas même le nom. Le Mariage forcé est contre Milord Hamilton ; Le Tartuff contre M. de Lamoignon, le Misantrope contre M. de Montausier, les Précieuses contre l’Hôtel de Rambouillet, l’Amphitrion en faveur de Madame de Montespan, le Malade imaginaire contre son Médecin, le Fâcheux contre les Seigneurs de la Cour, Psiché en faveur de sa Femme, les Femmes savantes contre Madame d’Acier, Cotin & Menage, &c. Tous les Comiques ont été de même ; témoin Aristophane contre Socrate. Madame d’Acier, jalouse de l’honneur des anciens qu’elle traduisoit, avoir composé une diss riat on sur la comedie de l’Amphitrion, qui venoit de paroître ; elle prétendoit & prouvoit par un parallele suivi de deux pieces, que Moliere n’avoit fait que copier l’Amphitrion de Plaute, ce qui est vrai. Elle ajoutoit que celui de Plaute vaut mieux, ce qui étoit mal faire sa cour. Moliere le sur, & la ridiculisa dans ses femmes savantes, avec ses amis Cotin & Menage. Madame d’Acier en fut avertie, & supprima la dissertation. Moliere adoucit les traits qui la caractérisent. Cette piece n’est plus la même qui fut d’abord jouée. Ce défaut dans les femmes est fort rare, on devroit bien plutôt attaquer les femmes ignorantes qui ne savent pas les élemens de la religion, ni les affaires de leur ménage, & ne connoissent que l’art de la parure, les jeux, les spectacles, la coqueterie ; elles sont en très-grand nombre, & font un très grand mal.
L’amour, dit Bossuet sur la comédie, l’amour, cette
foiblesse malheureuse, cette plaie profonde de l’humanité, ce sujet éternel
de la vigilance & de la crainte des élus, regne éternellement sur le
théatre avec ses intrigues, ses transports, ses excès. Peut-on se trop
éloigner d’un si fatal poison ? Mais l’amour, répond-on, ne paroit sur la
scene qu’avec ses préservatifs. Dans la tragédie il est la source des
malheurs des grands. Dans la comédie il conduit à une union légitime ; s’il
est criminel ; il donne la mort ; s’il ne l’est pas, il fait un mariage.
Mais replique Bossuet, sans songer à ce prétendu préservatif qui n’arrive
pas toujours, qui ne vient que tard, & après coup quand le mal est fait.
Le dessein du Poëte est qu’on soit comme le Héros épris des belles
personnes ; qu’on les serve comme des Divinités, qu’on leur sacrifie tout,
c’est-à-dire, le but du Poëte est de rendre les gens amoureux.
On
assujettit aux sens les
plus grandes ames, on y
représente comme doux▶ & invincible l’ascendant de la beauté, on ne songe
qu’à s’en rendre la servitude aimable. Cette servitude est cependant l’effet
du péché & porte au péché. On flatte une passion qui livre les plus
ruder assauts, qu’il faut sans cesse combattre, qu’on ne peut vaincre que
par la fuire, & qui fait gémir les fideles au milieu même des remedes
& des victoires. Ni la politesse, ni les plus sages leçons, ni les plus
grands intérêts, ni les plus nobles sentimens, ni les plus vives lumieres ne
sont de sûrs garans contre un si grand désordre, quand on a la témérité de
s’y exposer & le malheur de le goûter.
L’amour sur la scene n’est point un vice, c’est une belle &
noble foiblesse ; la foiblesse des Héros si artificieusement changée en
vertu, qu’on lui applaudit, & qu’on s’en fait gloire.
On croit aujourd’hui l’amour une partie si essentielle des plaisirs publics, qu’on ne peut goûter de spectacle que cette passion criminelle n’anime toute l’action ; une jeune personne y voit, y entend tout ce qu’on trouve dans le monde le plus corrompu, & souvent davantage ; elle y voit le vice arrangé, combiné avec art, embelli des graces les plus séduisantes ; elle y voit justifier, applaudir, louer ce qu’on cache avec soin quand on succombe. Elle entend une prétendue Héroïne qui après un détial artificieux de ses prétendus combats, avoue sa défaite & s’en applaudit, l’avoue à son vainqueur même ; s’en fais un mérite, & jure d’y persévérer. On en rougit ailleurs, ici on l’étale, & le public en est charmé. Une gaze légere de politesse n’en change pas le fond qui est toujours la concupiscence que S. Paul défend d’aimer ; à plus forte raison de rendre aimable par une enveloppe séduisante qui la rend plus dangereuse Le dénouement tardif d’un mariage est un remede insuffisant au poison subtil qui s’est dejà glissé dans le cœur. La flamme secrette qui s’est allumée ne s’éteint pas par l’idée d’un mariage. La passion a déjà saisi son objct & commis le péché, sans attendre un remede qui vient après coup, & ne fait aucune impression, & n’arrête pas un penchant qu’elle a mis dans son parti.
Une indécence propre au théatre moderne, que n’avoit pas l’ancien, augmente beaucoup le danger. Les anciens ne faisoient jamais jouer les femmes ; ils les tenoient séparées des hommes dans l’imphitéatre ; ils croyoient qu’un sexe consacré à la pudeur ne devoit pas se livrer aux yeux du public. Cet étalage indécent leur est funeste à elles-mêmes aussi bien qu’aux hommes. Elles se dissipent, perdent la pudeur, flattent leur vanité, & prennent les miseres de la passion pour la mesure de leurs grâces, s’aguerrissent avec le vice, se perdent en perdant les autres. Les saints Peres qui ont parlé si fortement contre l’impureté des spectacles, lors même qu’on n’y trouvoit pas cet indécent & périlleux mêlange de sexe, que diroient ils aujourd’hui de cet amas de dangers que le vice a rassemblé sur un théatre ? Que diroient ils de l’impudence, de l’irréligion & du vice qui en fait l’apologie ?
L’Art du Comédien, ce livre utile pour former les Acteurs & les Actrices l’est sur tout pour les corriger de la vanité par le nombre infini d’anecdotes plaisantes qu’il rapporte sur ce vice & sur bien d’autre qui les couvrent de ridicule. Personne dans le monde n’en est plus rempli. Un Acteur, une Actrice sont paîtris d’amour propre : il n’y a qu’a le voir, à l’entendre : ses regard, ses gestes, sa démarche, sa parure, son style, son ton de voix, tout en lui ne parle qu’orgueil ; & si un Peintre avoit à faire le portrait de cette partie de la corruption, superbia vitæ, il n’auroit qu’à peindre une Actrice, comme Appelles, pour représenter. Venus, ne fit que le portrait de Laïs.
Le Mercure, dans l’extrait qu’il donne de ce livre, juillet 1774, ajoute un trait singulier, dont il atteste la vérité. Dubois, for mauvais Acteur, vouloit du moins passer pour excellent Juge des pieces de théatre ; il avoit en effet cette réputatiou, tout le monde en étoit surpris, personne ne voyoit sur quel titre elle étoit fondée. Son secret fut découvert à sa mort. Il faisoit une pension de six cents livres à un homme dont l’emploi étoit de courir journellement les cafés, les promenades, les compagnies, pour dire par-tout avec enthousiasme : Dubois est le meilleur Juge des pieces de théatre. Personne n’ayant intérêt à le contredire, cela se répétoit, & passoit de bouche en bouche. Dubois fort content ne croyoit pas payer trop cher cette belle réputation, & s’en applaudissoit. A sa mort son Pensionnaire n’ayant plus intérêt à le louer, a découvert le mystere de sa politique. Tout se répete, tout se redit ; le mensonge autant & plus que la vérité. La flatterie & la calomnie peuvent toujours hasarder ; elles se répandent pendant un temps, & seront reçues de plusieurs personnes. On sera difficilement décélé, on ne le sera jamais en entier, principalement dans les calomnies.
Cette conduite, qui a quelque chose de singulier par la fixation d’une pension, & la fonction marquée de prôner un homme si méprisable, & que la vanité même auroit dégradé, cette conduite est très-commune. Une infinité de gens achetent des éloges, & ne doivent leur réputation qu’a leur argent. Les parasites, les cliens, les protégés sont des gens à éloges, qui vendent leur langue. La gloire est dans le commerce, & sous un nom différent & plus honnête, chaque homme riche en fait sa provision : les Poëtes, les Orateurs, les Journalistes, le Mercure, tous les flatteurs sont des marchands chargés de ce trafic ; un bénéfice, une charge, une bonne table, un procès gagné, quelques présens en sont le prix. Plusieurs en vivent, quelques-uns s’y enrichissent, & le Mécene est introduit au Temple de mémoire. Il est vrai que ce n’est pas le Temple de l’immortalité ; la postérité qui n’est pas payée n’étale plus la marchandise, & ne pense plus à l’acheteur ; il survit même souvent à sa gloire. Le renversement de la fortune fait taire ses louangeurs, le bruit s’achete, le mérite ne s’achete pas ; il en est comme des meubles, des équipages, des repas, des habits ; on s’affuble de gloire comme d’un bel habit. Mais ni le corps ni l’esprit, ni la vertu ne s’acquierent à l’aune. De toutes les places marchandes le théatre est celle où le commerce est le plus florissant ; le parterre, les loges sont une foire toujours ouverte ; les fabricans & les courretiers fournissent les Auteurs & les Acteurs. Les Actrices ont une banque à part, leurs charmes sont une monnoie sort recherchée ; les intrigues, les sociétés sont des monopoles, le prix hausse ou baisse à leur gré. En imposai-je ? ce sont les plaintes journalieres dont tout retentit, dont les livres sont pleins. La cabale fait tomber ou valoir une piece, on crie merveille, on se moque, on siffle, on bat des mains, & l’expérience fait voir en effet que mise dans cette balance vénale, la faveur l’emporte sur le mérite.
Ces idées ne sont ni nouvelles ni chimériques ; on les réalise tous les jours, & sont consacrées par les Canons de l’Eglise & l’autorité des Théologieus. Il ne sera point inutile d’en dire un mot. Il y a des Dubois dans tous les Etats & des Pensionnaires. L’Eglise en voit, comme l’épée, la robe & la Cour ; elles ne sont point étrangeres à cet ouvrage. La vanité des uns, la bassesse intéressée des autres, la crédulité du public qui en est la dupe, aussi comique que le Prôneur de Dubois.
Les Canons distinguent dans la fimonie trois sortes de présens : les présens
de la main, de la langue & des services :
Munus à manu, à
linguâ, ab obsequie.
Donner grossiérement de l’argent ou d’autres
effets, c’est un présent de la main. Les éloges, les
flatteries, les recommandations, ce sont des présens de la langue. Les hommages, les assiduités, les travaux, la protection,
voilà des dons de services. Ils répondent aux trois biens
de l’homme, bien de l’esprit, du corps & de la fortune ; tout cela est
temporel & appréciable, & par conséquent ne peut être donné pour
acquérir un bénéfice. Les biens spirituels d’un mérite supérieur ne peuvent
en être le payement. Leur vénalité est en horreur dans le sanctuaire ; ce
trafic est un sacrilege. On auroit beau le déguiser sous le nom de charité
pour un résignant, de respect pour un Collateur, dejuste reconnoissance pour
un médiateur, d’obéissance pour un Supérieur, de galanterie pour une femme,
de libéralité pour un Domestique. On ne se joue point du scrutateur des
cœurs, on ne mérite pas moins son anatheme :
Pecunia tua tecum
sit in perditione.
Qu’on acquiere à ces conditions des charges, des
honneurs, des alliances, ces biens de même nature peuvent être le prix l’un
de l’autre ; la bassesse à les acquérir ou à les vendre n’est qu’un
ridicule. Dans les choses saintes c’est une impiété :
Existimasti domum Dei, pecuniâ possideri.
Que de Cours Ecclésiastiques vous allez rendre désertes, que de Divinités vous allez renverser ! Ce laborieux Secrétaire, ce graud Vicaire rampant, ce flatteur assidu ne prodigueront plus leurs soumissions, leurs services, leurs louanges, pour obtenir un bénéfice, une autorité, une dignité dans l’Eglise ; & l’autel détruit la vapeur de l’erreur dissipée ; ils ne laisseront plus voir que le monceau de bois ou de pierre, dont la pompe faisoit une idole. Mais pourquoi se borner à l’Eglise ? C’est par-tout le même jeu de cupidité, le même faste de vanité, la même comédie ; cet homme plus puissant, ce riche Financier qui lui fait la cour ; des Officiers, des domestiques à gages, des parasites, des protégés, des aspirans qui mandient les faveurs & les payent en eloges & en bassesses. Quelle est cette renommée portée au pied du trône, qui vole dans toute la France, affichée dans les Journaux, que le Messager des Dieux, avec son caducée & ses talonnieres, fait rouler d’Académie en Académie ? Quel est-il donc lui même, cet être supérieur, si bouffi de son mérite, cet être si vanté, si savant, si spirituel, si noble, si puissant, dont les paroles sont des oracles, les démarches des graces, les volontés aurant de loix ? C’estun autre Dubois qui pensionne ses Panégyristes ; la table est l’attelier où se fabriquent ses talens ; sa bourse est l’embouchure de la trompette. Qu’il meure, qu’il disparoisse, qu’il soit disgracié, qu’il cesse de donner, il cessera de paroître ce qu’il n’est pas, il redeviendra ce qu’il est. Point d’argent, point de mérite ni de gloire. Helas ! souvent les louangeurs eux-mêmes se moquent tout bas de ce qu’ils élevent jusqu’aux nues. Que de théatres, que de Comédiens, que de spectateurs, que de dupes ! Les gens de théatre sont plus charlatans & plus dupes que d’autres ; ils jouent, ils sont joués ; ils sortent de derriere les coulisses, ils existent un moment sur la scene, ils rentrent derriere les coulisses, ils ne sont plus. Dubois a fait banqueroute à ses Pensionnaires, & la gloire a fait banqueroute à Dubois.
Dans une vieille Histoire des Vaudois & Albigeois, imprimée à Geneve en 1619, & dédiée au Duc de Lesdiguieres, livre plein de recherches curieuses par le Sieur Perrin, on trouve la confession de foi, & la discipline de ces hérétiques du treisieme siecle, dont le Gascon du temps est fort peu différent de celui de nos jours dans le bas Languedoc. Ce jargon s’est mieux conservé que la Langue Françoise. Le Gaulois de ce siecle est presque inintelligible, & le peuple entendroit sans peine ce Gascon Albigeois. L’Auteur les a traduits dans le mauvais François de son temps. Nous en allons rapporter le chapitre IX sur le bal & sur la danse dans les mêmes termes.
La danse est la procession du Diable ; il en est le guide, le milieu & la fin. Autant de pas que l’homme fait au bal, autant de sauts fait-il pour aller en enfer. On peche en la danse, au marcher, au toucher, au parler, au chanter, en l’ouïe, en la vue, en ornemens, mensonge & vanité. Le bal n’est que péché, misere & vanité. Nous montrons par l’Ecriture, & par après par raison, combien c’est chose méchante de danser. 1.° Il se lit dans l’Evangile que la Danseresse fit couper la tête à S.Jean Baptiste. 2.° Quand Moïse s’approcha de la Congrégation, il vit le veau d’or, jeta & rompit les tables de la loi, & fit tuer par après vingt-trois mille personnes. Enroutte les ornemens que les femmes portent au bal sont comme couronnés pour les victoires que le Diable a eu contre les enfans de Dieu. Le Diable n’a pas seulement un glaive au bal, mais autant de glaives que de personnes belles & bien ornées qui y sont. La parure de la femme est un glaive flamboyant ; & partant ce lieu est bien à craindre, auquel l’ennemi a tant de glaives. Le Diable frappe en ce lieu avec un glaive aiguisé ; car les femmes qui viennent au bal se fardent & s’ornent ; lequel fard & ornement est la meule sur laquelle le Diable aiguise son glaive, & la danse est la roue qui la fait mouvoir. Ceux qui ornent leurs filles mettent le bois sec au feu, afin qu’il brûle mieux. Les femmes allument le feu des passions au cœur des hommes, comme les renards de Samson embraserent les bleds des Philistins. Les femmes ont du feu en leur face, leurs regards, leurs paroles. Le Diable se sert en danse de la plus forte armure qu’il ait ; les femmes sont les plus fortes armes. Il élut la femme pour décevoir le premier homme. Balaam les élut pour perdre les enfans d’Israël. Par la femme il fit pécher Samson, David, Salomon. Il tente l’homme par les femmes, par l’attouchement, la vue & l’ouïe ; au bal par l’attouchement des mains, le regard de la beauté, la douceur du chant. Ceux qui dansent, rompent l’accord qu’ils ont fais avec Dieu au Baptême, promettant de renoncer au Diable & à toutes ses pompes. Le bal est la pompe du Diable ; celle qui le mene est la Prioresse ; ceux qui répondent, les Cleres, ceux qui regardent, les Paroissiens ; les flûtes sont les cloches ; les Menetriers, les Ministres. C’est comme quand les pourceaux sont égarés ; le Porcher en fait crier un, & les autres s’assemblent. Ainsi le Diable fait chanter une femme ou jouer une flûte, afin que tous les pourceaux, c’est-à-dire les Danseurs, s’assemblent.
Item. On viole au bal les dix Commandement de Dieu ; on se fait des idoles dans les femmes qu’on aime ; on leur fait des sermens faux & vains. On souille par la danse les jours de dimanche. On fache son pere & sa mere & son mari ; on les vole pour s’orner. On tue tous ceux qu’on porte au péché. Il se commet d’adulteres en convoitant & étant convoité. Ces péchés sont sans nombre & mesure ; il s’en commet plusieurs à chaque pas. Vanité de la beauté des ornemens, jalousie des uns des autres ; colere si quelqu’un s’y oppose ; paresse & oisiveté. On l’aime mieux que le travail. Mensonge & folie dans les paroles & chansons ; ivresse, sinon de vin, du moins de chant, de danse & de plaisir, &c.
Telle est la morale de ces Hérétiques grossiers dont la doctrine & la conduite étoient d’ailleurs si décriées. Ces vérités ne leur ont pas échappé ; ils les ont consignées dans leurs livres. Le péché & la vérité qui les condamne sont bien anciens. Ce danger, si redouté par les Vaudois, n’est pas diminué sur nos théatres, il n’y est que plus séduisant. Le Glaive du Démon y est plus aiguisé, & la meule sur laquelle il l’aiguise le rend plus tranchant.
On est à Bruxelles dans le goût des mascarades. Chaque année c’est la belle & la noble occupation tous les jours de carnaval, mais on y veut de l’ordre, de l’esprit, de la science, au lieu qu’en France ce sont des chaos. On représente quelquefois un jeu d’échecs ; le pavé de la salle est partagé en cazes comme un échiquier. Les Masques, chacun sur la frenne, déguisés en Roi, en Reine, en Cavaliers, en fous, &c. forment une partie en regle, & suivent en dansant la marche ordinaire. On se poursuit, on s’évite, on se prend, on gagne ; il faut de l’invention & de l’adresse pour ménager & varier des danses & des airs qui caractérisent chaque piece, & la fassent marcher à propos. Quelquefois les mascarades représentent un combat, un tournois, une foire, un mariage ; d’autres fois un trait d’histoire, les Jeux Olimpiques, les Bacchanales, les Gladiateurs, un Triomphe. C’est une espece de pantomime qui s’exécute en dansant.
L’une des plus singulieres mascarades fut la Tour de Babel.
On avoit dressé dans une place une grosse tour environnée d’une terrasse en
rampé, qui montoit en vis tout autour, comme on
représente la tour de Babel dans les Planches de la Bible. Une troupe de
Danseurs & de Danseuses montoient & descendoient en dansant.
Plusieurs Maçons travailloient, des Manœuvres portoient le mortier, toujours
dansant. La symphonie au haut de la tour, qui d’abord étoit ◀douce▶ &
gaie, tout-à-coup devint rude, lugubre, effrayante, annonça la confusion.
Tous les Danseurs descendent avec précipitation, les Maçons jettent leurs
outils, tout se mêle en forme de danse sans ordre en apparence, mais un beau
désordre qui étoit un effet de l’art. Après s’être quelque temps embarrassés
avec un air de surprise, ils se divisent en plusieurs pelotons ; chacun s’en
va de son côté pour chercher une nouvelle terre. L’orchestre joue des airs
de fuite, qui diminuent peu à peu comme venant de loin, & ne laissent
qu’un bruit sourd, qui cesse enfin après quelque temps de silence. Tous les
Acteurs reparoissent, dansent une marche brillante, font une danse en rond
& un ballet général. Ce divertissement a dû coûter à l’Auteur & à
ceux qui l’ont exécuté :
Turpe est difficiles hahere nugas,
& stultus labor est ineptiarum.
La fête qui se célebre tous les ans à Salenci, la Rose dont on couronne la fille la plus sage de la
paroisse, a été applaudie de tout le monde, & chautée par les Poëtes.
Cet usage antique, qui s’est conservé paisiblement jusqu’à nous, est la
matiere d’un procès au Parlement entre les habitans & le Seigneur. Ce
Seigneur veut choisir la fille à son gré. Les habitans croient avoir droit
de faire le choix, ils offrent même par accommodement d’en choisir trois,
sur lesquelles le Seigneur fera son élection. Les habitans paroissent
fondés. Qui peut connoître mieux qu’eux la sagesse de leurs filles ? Le
Seigneur, souvent absent, à la Cour, à l’armée, connoît-il le
conduite ? souvent libertin, il couronnera la plus jolie,
la plus coquette, sa servante, non la plus sage. Il n’a d’autre titre que la
comédie du Marquis du P. qui attribue ce droit au
Seigneur, & qui contre le sentiment de la paroisse préfere une fille
galante, dont la conduité indécente devrois la priver de cet honneur. Tout
le public le juge de même, à l’exception de Voltaire, à
qui l’Auteur a envoyé sa piece, & qui lui a répondu en vers fort
médiocres :
J’ai lu votre aimable Rosiere, malheur au dur
attrabilaire qui lui reproche un ◀doux baiser. Quel humeur ne doit
excuser une personne si délicate ? Un seul baiser, un seul amant chez
les bergeres d’apresent est la vertu la plus parfaite.
L’Auteur
étoit bien sûr de l’approbation de ce Casuiste, qui n’eut & n’inspira
jamais des scrupules sur la religion ou les mœurs. Il se dit son admirateur
& son éleve. Il ira loin avec un tel modele & un tel guide. Jeune
Seigneur lui même, il est aisé de déviner quel seroit son choix. Si jamais
Salenci étoit dans ses terres, les baisers, de galanterie donneroient de
grands droits à la rose. Il dit en parlant de l’âge de Voltaire :
Que je vous sais bon gré d’être jeune à votre âge ! & pour
moi j’aime Dieu mille fois davantage, puisqu’à cent ans encore on peut
se réjouir.
Jamais la religion ni la raison n’eût donné de pareils
motifs d’aimer Dieu. C’est se jouer très-indécemment des choses les plus
sainte. On est ainsi bien sûr de plaire à Voltaire ; on est digne d’être son
admirateur & son disciple.
Il est un divertissement fort commun en France, dont on est fou, parce que
c’est une folie. Un nombre infini de personnes se rendent à un lieu marqué ;
personne ne s’y connoît tout le monde est masqué, chacun à son gré, de la
maniere la plus bisarre, la plus grotesque, la plus extravagante qu’il a pu
imaginer. Quelquefois
plusieurs font une bande
uniformement déguisés ; on y entre, on y court, on s’y parle, on s’y mêle,
on y danse, on y saute sans ordre & sans suite ; on se trouve, on se
perd, on s’égare, on se livre au premier venu, & on le quitte au hasard.
On roule comme les flots de la mer. Entraîné par la foule, ou emporté par le
vent de la légéreté, on se poursuit, on se fuit, on se presse, on est foulé,
volé, meurtri, estropié. On revient fatigué, harrassé, incommodé ; on dit
qu’on s’est bien amusé, on croit s’être bien diverti. Dans la poësie lyrique
un beau désordre est un effet de l’art
. Dans le bal un
fort incommode désordre est un effet du délire, mais tout cela embelli avec
la plus délicate élégance & la plus brillante magnificence, décoration,
lustres, bougies innombrables, habits, parures, parfums, rafraichissemens,
symphonie. Le luxe le dispute à la bisarrerie ; nous ne parlons pas d’une
folie bien plus funeste, les crimes sans nombre qui s’y commettent.
Il est des villes, sur-tout dans les provinces méridionales, où la chaleur du climat fait bouillir les humeurs, des villes où à certains jours de l’année les rues sont pleines de ce chaos ; on diroit que toute la ville est dans un accès de démence. Les chevaux courent à toute bride chargés de masques ; les ânes y étalent des insensés dans des attitudes d’ivrogne ; les charrettes, les carrosses, les chaises pleines de gens masqués, roulent toute la journée. On jette des fruits, des dragées, des gateaux, des vers qui font courir le peuple. Jamais les fêtes des Bacchantes, les Saturnales, les Bacchanales ne furent plus extravagantes. Le bal est cependant la partie brillante des plus grandes fêtes ; il n’en est point où l’on ne donne le bal & la comédie. A ces excès peuvent se rapporter les charivaris, especes de bal ambulant, où l’on insulte les veufs qui se remarient, & où, à la faveur de l’obscurité, se commettent les plus grands désordres, non par le peuple seul, mais par les personnes les plus distinguées que le masque & la nuit enhardissent, & que le vice dégrade au-dessous de la plus vile populace.
Pour perpétuer & multiplier ces bruyans & fatigans plaisirs, on a
imaginé des Vauxhals, où ils sont tous rassemblés ; nous
en avons souvent parlé ailleurs, je n’en parle ici que pour celébres leur
nouveau triomphe. On vient de bâtir à Bordeaux une nouvelle salle de comédie
sur les Glacis du Château-Trompette, & un Vauxhal sur
le terrein de l’Archevêché. Pour construire ce religieux
édifice, on a abbatu des maisons, on a détruit de magnifiques allees
d’arbres que M. de Tourni avoit fait planter, & qui
ornant cette ville, fournissoient aux habitans des plaisirs utiles &
plus agreables. On y travaille nuit & jour, fêtes & dimanches. Pour
creuser les fondemen, on y fait jouer la mine. Deux hommes y ont été
écrasés. Que tout soit sacrifié à cette Divinité. Voilà le spectacle en
sûreté sous les canons d’une forteresse ; qui oseroit l’attaquer ? &
sous ceux de l’Eglise, qui oseroit le condamner ? Les prédécesseurs du
Prélat, dans leurs ordonnances gothiques, lançoient contre lui des
anathemes. Celui ci, plus humain & plus généreux, lui cedé de son
terrein, & lui donne l’hospitalité, sans doute pour obéir à S. Paul qui
ordonne aux Evêques de l’exercer :
Oportes Episcopum esse
hospitalem.
Il sera à portée de vivre familiérement avec ses hôtes,
& d’y conduire ses brebis & sa maiso.
Le Marquis de Roselle, le Comte de Valmon, & plusieurs auteurs Romans ou livres frivoles, ont condamné le théatre comme très-opposé à la religion, aux bonnes mœurs & à la décence. Les raisons qu’ils en apportent, quoique commuues, sont bien tournées. La qualité de l’ouvrage lui donne un nouveau poids ; il faut que la vérité soit bien évidente pour avoir percé les ténebres, & bravé le goût & les préjugés du climat. Les Auteurs étoient des honnêtes gens, qui, malgré les écarts & la frivolité du génie, respectoient la religion & la vertu.
Voici un abrégé de leur doctrine, qu’on n’itoit pas chercher dans les délires de la galanterie. 1.° La profession de Comédien est illicite ; elle ne s’exerce qu’en peignant toutes les passions le plus vivement qu’il est possible. Cela seul est un crime. Il n’est pas permis de peindre le vice, il faut le fuir. L’acteur ne peint la passion que pour l’exciter dans le spectateur. 2.° Crime ; il n’est pas permis d’exciter les passions dans les autres. La charité doit plutôt travailler à les réprimer. Pour les bien exprimer & les faire naître, il faut les sentir vivement le premier. 3.° Crime ; c’est se rendre vicieux pour répandre le vice. On doit éviter les occasions de péché, les épargnés aux autres. Quel crime de les aller chercher, de les offrir, de conduire à l’écueil, de s’y briser, de se faire une étude, de former une école de péché ! Il n’est donc pas permis de contribuer à entretenir par son argent, par sa plume, un métier, un exercice, un danger aussi pernicieux. Approuveroit-on un métier de représenter, de sentir ou faire éprouver les douleurs & les maladies, la paralysie, l’hydropisie, l’aveuglement, &c. ? Doit-on n’en pas craindre les suites ? Les passions sont les maladies de l’ame, elles conduisent à la mort éternelle. Peut-on se permettre de les exciter, se faire un jeu de le communiquer, & d’en recevoir les blessures ?
Parmi tous ces ennemis qui nous font une
cruelle
guerre pour nous amuser, disent-ils, ils devroient dire pour nous perdre, la
passion de l’amour est la plus dangereuse, par le penchant violent qu’y
donne la concupiscence, par les crimes sans nombre qu’elle fait commettre,
par l’empire souverain qu’elle exerce sur le théatre, ses attraits, ses
dangers, ses objets, toutes les batteries qu’elle y dresse contre un cœur
déjà demi vaincu, & qui aime sa défaite par les erreurs qui lui ouvrent
toutes les avenues ; que c’est la foiblesse des Héros, l’amusement de la
jeunesse, que la sévérité de la vertu est un ridicule ; par la réunion de
mille autre ennemis, le chant, la danse, la pompe avec ses vanités, ses
charmes & ses immodesties, par l’assemblage des deux sexes, avec tout ce
qu’ils ont de séduisant, & de tous les libertins, avec tout ce que leur
compagnie a de pernicieux. On saisit tous les sens par les objets de la
volupté, l’esprit y est occupé de folies, le cœur rempli de sentimens ;
& on se flatte que Dieu fera des miracles pour nous sauver, que nous
n’aimons que Dieu, que nous lui plairons, le servirons, obtiendrons ses
récompenses :
Stultorum infinitus est numerus.
N’y eût-il que l’inutilité, la perte du temps, la dissipation dont on contracte l’habitude, le trouble du cœur qui doit être le sanctuaire de la paix, le dégoût des vertus chrétiennes, l’humilité, la mortification, la pureté, & le goût qu’on prend des vices opposés, la concupiscence des yeux, l’orgueil de la vie, les révoltes de la chair ; l’esprit de piété que l’on perd, les vœux du baptême qu’on viole, le soin de plaire que l’on prend, les exemples qu’on donne, la satisfaction d’avoir plu, l’impossibilité où l’on se met de conserver la présence de Dieu, l’esprit & l’exercice de la priere. Il n’y a point de Chrétien ni ne doive avoir horreur du théatre. On n’éprouve pas, dit-on ces tristes effets, c’est qu’on est tout corrompu, qu’on s’y plaît, qu’on s’y est habitué & familiarisé. Pour peu qu’on rentre en soi même avec le flambeau de la foi, on sera effrayé de la profondeur de la blessure qu’on se dissimuloit. Tout est plein de dangers dans le monde, on nous attaque de toute part. Pourquoi les multiplier, les aller chercher, les rassembler, les embellir, les rendre encore plus funestes ? O aveuglement de l’homme, qui trouvant la mort de tous côtés, lui prête de nouvelles armes, ouvre son sein à ses coups, aiguise le poignard, & se le plonge lui-même dans le cœur !