Chapitre II.
Du Philosophe de sans souci.
LE Philosophe de sans souci n’est pas suspect de rigorisme, ni pour la religion, ni pour les mœurs. Il en fait l’aveu dans ses ouvrages par des détails & des systemes que sa gloire n’exigeoit pas qu’il confessât au public dans le grand jour de l’impression. Son amour pour le theatre n’est pas douteux ; il y va fréquemment. Il l’a rendu florissant dans ses Etats, & y a appelé de toutes parts, à grands frais, & des acteurs & des actrices, qui avant lui y étoient inconnus. Son pere, que lui-même appelle austere & rigoureux, n’étoit pas amateur, ni ses sujets comédiens. La France, l’Italie, lui en fournissent en abondance de toute espece. Il leur bâtit de magnifiques salles de spectacle, il leur fait les plus fortes pensions. Quand il s’empara de la Saxe & de la ville de Dresde, le même jour il y fit jouer la comédie, & voulut que la Famille Royale sa prisonniere de guerre y assistât avec lui ; contraste bizarre & inhumain ! les bouffonneries de la scene & la désolation d’une famille captive, d’un Souverain fugitif & d’une ville prise d’assaut. Il fait le plus grand éloge du théatre de Voltaire, qui en mérite à bien de regards. Il honora l’auteur de sa plus intime familiarité. Ces deux hommes sont à l’unisson des sentimens. Ce Prince à pris ce goût à Paris, où dans sa jeunesse il a fait quelque séjour. Il fut entousiasmé du spectacle, comme il arrive tous les jours. Il en a rempli sa Cour & ses provinces ; & ce n’est pas un des moindres maux que fait le théatre de Paris, de répandre ce goût dans les pays voisins, qui seroient garantis de la contagion. Pour le libertinage, qui est l’ame, le principe & la fin du théatre, le Philosophe sans souci en tient si communément le langage, il en prend si vivement la défense, qu’on ne sautoit douter qu’à ce seul titre il ne fut un zelé protecteur du théatre.
J’aime tous les plaisirs qu’un faux mystique blâme.Ami des sentimens des Epicuriens,Je laisse la tristesse aux durs Stoïciens.Si comme Thebe, hélas ! mon ame avoit cent portes,J’y laisserois entre les plaisirs par cobortes.
Epitre XVII, contre l’Amour.
N’attendez pas, Thazot, qu’imitant Diomede,Suivant intérieurement l’ardeur qui me possede.En vers injurieux j’ose blâmer Venus ;Pour le Dieu des plaisirs mes respects sont connus.
A Savert, son Petrone. Lettre XIV.
De nos brillans plaisirs aimable Directeur.O vous, qui gouvernez au grè du spectateur,Les jeux de Terpsicore & ceux de Polimnie,Les pleurs de Melpomene & les ris de Thalie,Lequel de ces plaisirs pourroit, selon mes vœux,Contribuer le plus à faire des heureux ;Tourner vers le spectacle enchanteur & magique,Où l’optique, la danse & l’art de la musique,De ces plaisirs divers ne forment qu’un plaisir.C’est là que la…. par son gosier agile,Et que…. par des tours plus touchans, &c.C’est là que…. égale à Terpsicore,Les pas étudiés, les airs luxurieux,Tout excite aux désirs nos sens voluptueux.
Il se moque du luxe qui y regne, & qu’on en rapporte.
Mais les habits, dit-on, sont faits du bon Tailleur,De ses cheveux tappés l’élégante frisureD’un toupet arrangé releve la parure ;Il pousse l’inventeur des modes aux abois.Ses manchettes d’un pied débordent ses longs doigts.Prenez un mandiant, trois jours qu’on le leur donne,Je réponds qu’il prendra les dehors des François.On ne verra chez lui, grace à cette méthode,Qu’un Friseur, un Tailleur, un Baigneur à la mode,Un faiseur d’entrechats, un Maître renommé,Jusqu’au toupet battu portant sa connoissance.Chez l’Abbesse Paris & ses ReligieusesVotre Phœnix de fils, décemment introduit,De son zele dans peu ressuscita le fruit.Aux pieux exercices ardemment Catholique,Il en emportera Dieu sait quelles reliques,Qui macerant la chair, lui fera ressentirD’un plaisir passager le commun repentir.Le Juge postulant se présente à la Cour ;Il a pris ses dégrés & soutenu ses thesesA l’Université des coulisses FrançoisesDe crainte que Cujas ne gâtat son cerveau,Il ne sait que Mouhi, Moncrif & Marivaux.O le Juge excellent ! Heureux sont les Plaideurs,Dont le sort dépendra de pareils Rapporteurs.Jeune Atlhete énervé des combats de CythereDésire de couvrir ses membres délicatsDu fer & de l’acier dont s’arment les soldats.Il n’a jamais connu Vauban, Folard, Euclide,Son Code Militaire est l’art d’aimer d’Ovide.
Voici la description qu’en fait ce Roi & de ses pieux effets. Epitre à Césarion son ami, page 119.
Vous nous conduisez vers ce temple,Où l’étranger surpris contempleToute la grandeur des Romains.La Basilique est le sanctuaireDes voluptés & des plaisirs.Là nous entendrons les soupirsDe la touchante Melpomene,Et des Muses, & d’Appollon.Dans l’Opéra ce Dieu sera le violon ;Du chant, des instrumens, il unira le sonAux charmes d’une voix sonore,En y joignant l’illusionQue met la décorationA la danse de Terpsicore.Nous pourrions célébrer la fêteDe Cipris & du tendre amour.Les cœurs seront notre conquête,Les bouteilles seront nos armes,Les mirthes nos lauriers,Et les Bacchantes nos Gendarmes.Les lits seront témoins de nos exploits guerriers.De plus la bahonte & le masquePourront nous tenir lieu de casque.Dans ce nouveau Palais de noble architectureNous jouirons tous de la liberté pure.Dans l’ivresse de l’amitié,Le culte ne s’adressera,Et notre eucens ne fumeraQue sur les autels d’Epicure.
Ces portraits du théatre, de ses effets, & de la vie de ses amateurs, ne seront pas désavoués par le Salomon du Nord.
Une Nimphe à quinze ans de sa beauté parée,A vos visages peints doit être preférée.Malgré le vermillon, les pompons & le fard,La nature a le droit de triompher de l’art.
Il se moque d’une Dame qui dans ses repas ne mangeoit pas parce que les
sauces
gâtoient le vermillon qui fait l’éclat de sa
bouche divine, & que la galimafrée gatoit le corsage divin de sa
taille, en tous lieux admirée
.
Avec plus d’art encore se font les grands trumaux,Dont la glace polie, égale & sans défauts,Vous reud exactement comme un portrait fidelle.C’est là tous les matins après votre reveil,Sur le choix des ateurs que vous prenez conseil.Ce miroir toujours vrai regle votre parure ;Il vous fait arranger la fausse chevelureQu’on emprunta d’autrui, qu’on boucle tout-exprèsPour que votre front chauve eût de nouveaux attraits.Et cet habit superbe, avorton de la mode,Qui plus il paroît beau, plus il est incommode,Savez-vous qui l’a fait, ce n’est pas le Tailleur,Qui toisant votre corps, sur son moule façonneLe drap anné, coupé, recousu qu’il galonne.Je vous vois parcourir des obseenes romans,Œuvres qui de nos temps dénotent les mysteres,Et partagent le plan d’insectes éphemeres.
C’est dommage qu’après avoir déclamé contre les miseres de notre temps, ses ouvrages en soient un monument des plus déplorables. Toute cette description de l’Opéra est copiée de Boileau, de Voltaire. Tous les deux conviennent que l’Opéra n’est qu’une leçon de volupté, dont les ames les plus pures ne peuvent se défendre.
J’en conviens, il est vrai, la bonne ComédieRepand le ridicule, & censure la vie ;Mais ce jeu de nos mœurs quelquefois trop bouffonExcuse nos défauts, sans devenir profond.On y cherche un bon mot qu’aiguise la satyre.Ce n’est point un sermon, en sortant de bien rire.Montrez-moi, s’il se peut, un mortel vicieux,Que votre comédie ait rendu vertueux.Non, cet auguste emploi ne fut point fait pour elle,
Bossuet, Nicole, Baile, Rousseau, tous les adversaires du théatre, n’en ont pas dit davantage. Ils conviennent qu’il corrige des ridicules, mais non des vices ; il les enseigne au contraire tous.
Lorsque dessous le masque on voit des jeunes foux,Tout prêts à s’enflammer, prompts à se satisfaire,Suivre les étendards du beau Dieu de Cythere,Sentir tout bouillonner au son des instrumens,Et s’engouer enfin de ces plaisirs bruyans,L’aurore, en plein biver si lente & si tardive,Paroît selon leurs vœux trop prompte & trop bâtive,Quoique de leur amour le rapide romanSouvent dans un quart-d’heure ait dégouté l’amant.
Ainsi ont parlé du bal M. Bussi & tous les moralistes. On peut voir tout ce que nous avons dit fort au long sur la danse. Nous n’en sentons pas plus vivement les dangers.
Voici quelques autres traits qu’on peut mettre dans le même rang.
M. Le Franc de Pompignan, ayant été reçu à l’Académie Françoise, fit à la reception un très-beau discours sur l’irréligion. Voltaire & ses consorts s’y crurent notés, & n’avoient pas tort. Ils firent courir contre lui une foule de libelles, dont on composa un Recueil, sous le nom de Faceties. Le Roi de Prusse n’en fut pas plus content, & il écrivit en ces termes à Voltaire, alors son ami.
Votre Académie devient plaisante dans ses choix. Les
Juges de la langue abandonnent Vaugelas pour leur Breviaire. Cela
paroît singulier aux étrangers.
Enfin donc votre AcademieVa faire un couvent de dévots ;L’art de penser & le génieEn sont exclus par des cagots.Qui vent le suffrage & l’estimeDe ces quarante Perroquets,N’a que savoir son cathéchisme.Au demeurant point de François.De cette cohue indocile,Apollon & ses doctes sœursN’honoreront de leurs faveursQue Richelieu, vous & Bellisle.
En voilà du moins trois, qui ne sont pas de Perroquets. Il auroit pu en nommer d’autres. S’il eût vu couronner l’éloge de Moliere, il ne les eût pas traités de Cagots.
Madame la Marquise du Chatelet, qui avoit pour Voltaire, son Philosophe, son Poëte, son ami, un amour Platonique, n’est pas du nombre des Cagots & des Perroquets. Elle a mérité les plus grands éloges dans une vision, où il crut être descendu aux enfers, comme Ænée avec la Sybille. Il vit cette Dame célebre.
C’étoit la divine Emilie,Qui jusques dans ces lieux portoitL’image de ce qu’en la vieLe plus tendrement elle aimoit. (Voltaire).
Parmi cent belles qualités, la divine Emilie étoit une actrice parfaite. Elle fit long temps l’honneur du théatre de Sceaux. Elle paroit de toutes ses graces les pieces de son ami Voltaire. Voilà bien des titres à la Divinité.
La Majesté Prussienne ne peut souffrir la Chaussée & son comique larmoyant. Elle
n’aime au théatre que la malignité de la satyre ; sans quoi,
ce n’est qu’un Bureau de fadeurs, où on apprend à dire je
vous aime, de mille manieres
. (Témoin l’Opéra).
J’aimerois mieux y être joué, que de donner mon
suffrage au membre bâtard de ce mauvais goût.
On peut mettre au nombre des témoignages peu favorables au théatre ses
raisons & ses demêlés avec Voltaire, & l’infâme portrait qu’il en
fait. Voltaire depuis soixante ans est un entousiaste du théatre. Il en a un
chez lui, où l’on joue sans cesse. Toute sa vie il a composé des drames,
& plusieurs sont ses plus beaux ouvrages. C’est par là qu’il a plu au
grand Fréderic, qui fait les plus grands éloges de ses piéces, marque le
plus grand désir de les avoir, lui écrit avec l’humilité d’un petit écolier
à son maître, & la tendresse d’un enfant pour son pere. Ne soyons pas
surpris de la vanité de Voltaire. Voltaire a raison de sentir sa
supériorité. Mais il est singulier que pour l’engager à venir à Berlin, ce
grand Roi lui promette de lui
fournir des pucelles à son
usage, & qu’elles seront plus traitables qu’une certaine
Grisette qui dans son dernier voyage se refusa à ses
embrassemens
. Cet emploi, ce détail, ce motif, qui ne
sont pas tous-à-fait de la majesté royale, caractérisent, il est vrai,
l’amateur du théatre. A qui des deux font-ils le plus d’honneur ? Ce Prince
n’est pas moins entousiasmé de Moliere. C’est le ton du
jour ; il lui auroit fait les mêmes offres, s’il eût vécu de son temps. Il y
en a peu parmi les auteurs & les acteurs qui ne les acceptent. Moliere & Voltaire sont deux si
grands maîtres dans le dramatique ! Voici comme il peint en grand guerrier
le combat amoureux où ce grand Atlhete fut pourtant vaincu par une femme.
Elle alluma dans vos sens un feu seditieux, que
la
pudeur sut reprimer
vivement.
C’est que cette grosse Allemande, qui a le
poignet fort, sans s’embarrasser des beautés sublimes de Zaïre, de Mahomet, lui fit lâcher prise à grands
coups de poingts, sans garder la mesure des vers.
Malgré ces éloges, ces caresses, ces bons traitemens de toute espece, les deux Poëtes se brouillerent. Des vers de part & d’autre furent la premiere décharge. Voltaire auroit pu avoir l’avantage dans un combat poëtique ; mais un Apollon couronné a bien d’autres armes. Mars & Bellone entrerent en campagne, & la fin fut tragique. Voltaire fut enlevé & emprisonné avec une niece, qu’il avoit emmenée, je ne sai comment, à Berlin, & tout son trésor poëtique, c’est-à-dire, son porte-feuille. Le sujet de cette querelle nous est absolument étranger ; mais ce qui ne l’est pas, ce sont les grands traits avec lesquels un des plus grands amateurs peint un des plus grands ornemens du théatre, dans une belle épitre sur son compte.
Avec beaucoup d’esprit on peut être perfide,Trompeur, fripon, brigand, scélérat, parricide,Cartouche, qu’on a vu périr sur l’échafaud,Ne fut point accusé d’être imbécile ou sot.Que leur importe-t-il d’avoir raison ou tort ?Ils veulent s’illustrer d’un brevet d’esprit fort ;D’un vin traître & fumeux ils ressentent l’ivresse,Et leur force en effet n’est qu’orgueil & foiblesse.
Ces portraits ne sont pas flâtés ; qui oseroit les adopter ? Mais aussi, qui doit mieux connoître un grand Poëte, qu’un Roi Poëte, son intime ami ? qui doit mieux connoître un Philosophe, qu’un Roi Philosophe ? qui auroit assez peu de respect pour un si grand Prince, que de le soupçonner de passion & de calomoie ? Tout cela, je l’avoue, est au dessus de ma portee.
Le nom de Sans souci n’est pas auguste ; il n’annonce rien de grand : il n’est pas même noble. C’est un mot d’un style bas & familier parmi le peuple. Une troupe de Tabarins, qui dans le Seizieme siécle jouoient des farces sur des tretaux, s’appeloit les Enfans sans souci. Ce nom n’est pas philosophique. Un sage est un homme grave & sérieux, occupé de la sagesse, s’intéressant avec zele pour le bien public, plein de bienfaisance, travaillant pour l’humanité ; un homme Sans Souci est un libertin qui ne songe qu’à son plaisir, un esprit frivole qui glisse sur tout & ne prend intérêt à rien. Jamais on n’a dit de Platon, d’Aristote, de Descartes, de Newton, un Philosophe de Sans Souci. Comment a-t-on pu réunir deux idées qui s’excluent mutuellement ? encore moins un grand Roi, un Législateur, un Conquérant, qui, comme il en gémit lui-même Epit. 18. est accablé sous le poids du Diademe & les embarras du gouvernement. Est-il, peut-il être un homme sans Souci ? mais voilà bien l’esprit du théatre. Un amateur n’est occupé que de scenes, d’actrices, de décorations, de danses, de musique ; il n’a aucun souci de tout le reste.
Quoi qu’il en soit du nom, sur lequel nous ne disputons pas, du moins quelque élevé que soit un amateur du théatre, qui a composé les œuvres du Philosophe de sans souci, nous avons à lui opposer un autre Ecrivain, qui ne lui est inférieur, ni pour la naissance, ni pour le mérite. C’est le grand & savant, & sur-tout le pieux Prince de Conti, qui a composé un très-bon Traité contre la comedie. Quel étrange parallele ! d’un côté le déïsme, le matérialisme, une morale corrompue ; de l’autre la morale la plus pure, la religion la plus parfaite, la conduite la plus édifiante. Qu’on mette dans la balance ces deux suffrages ; d’un côté le Prince de Conti adversaire du théatre, avec son Traité ; de l’autre le Philosophe de sans souci amateur du théatre, avec ses Epitres ; quelle des deux autorités doit décider la question ? quelle est une cause qui protege la dépravation & l’irréligion, qui condamne la religion & la vertu ?
Dans l’ordre littéraire, le Philosophe est un Ecrivain très-mediocre. Il en convient ; & il est surprenant qu’avec des idées si peu favorables de ses ouvrages, il ait voulu s’exposer au grand jour de l’impression, qui dans une personne de son rang le livre à toute l’Europe
Ma cervelle est assez bizarre pour barbouiller des vers aussi faux que mauvais.
Dis-moi, que penses-tu d’un Maître si reveur,Inégal, agité, pensif, distrait & sombre ?Son bon sens dans la lune a fixé sa seance.Ah ! le fâcheux métier que d’être SécretaireAu-près d’un Maitre Auteur, soidisant bel-esprit,Qui croit la renommée, avec les cent trompettes,Occupée à proner ses frivoles sornettes. (Epit. 18).
Il y a quelques traits de satyre tournés énergiquement, mais sans finesse. On
y voit quelques sentences utiles, quelques descriptions assez naturelles,
mais le fond est très-peu de chose ; nul trait de génie, nulle élevation,
une infinité de choses pillées de Boileau, de Moliere, de Voltaire, de Montesquieu, plutôt par reminiscence que par un plagiat affecté,
une monotomie de pensées, de termes, de rimes, qui marque la plus grande
stérilité. La méchanisme des vers est pitoyable : vers faux, fausse mesure,
fausse rime ; d’une syllabe il en fait deux, de deux il en fait une, pour
accourcir ou allonger ses vers selon le besoin ; des phrases louches, des
mots sales & bas de cabaret & de lieu de débauche. Il
n’écrit
, dit-il,
que pour s’amuser
; je veux le croire,
quoiqu’il ait un air de prétention. Mais s’il s’amuse lui-même, il est
certain qu’il n’amuse pas le public ; & malgré les nombreuses éditions
que la flatterie a fait
faire, ce livre est
générallement méprisé. C’est à-peu-près le sort de la plupart des Auteurs
Dramatiques, à sept à huit près, qui ont réussi. Le grand nombre
n’a fait de chez Serci qu’un saut chez
l’Epicier
. Il s’y attendoit :
Ma Muse
Tudesque & bizarre, jargonnant un François barbare, dit les
choses comme elle peut, & du compas François brave la
symmétrie.
Tous ces défauts littéraires ne nous auroient pas arrêté ; mais il est des fautes contre la religion, les mœurs & la décence, que la piété ne permet pas de pardonner, 1.° un esprit caustique qui n’épargne personne, même les Rois & les Pontifes. Il y a même un fond d’humeur & mysanthropie, tout lui déplaît. Il crie pourtant contre la satyre, il ne voudroit pas en être l’objet ; mais à même temps, peu fidelle à ses propres loix, il mord tout le monde, & presque toujours durement. Ce ne sont point de bons mots, des traits fins, des idées plaisantes ; ce sont de vrais sarcasmes & des injures grossieres.
Comment excuser la maniere indécente, dont il parle des Rois & des Princes ? C’est se peu respecter soi même, que d’outrager les oints du Seigneur ; & loin que sa dignité lui en donne le droit, elle devroit le rendre plus circonspect pour ses confreres. Tout porte coup dans la bouche des Rois. On les écoute comme des oracles, & leur sagesse doit mériter cette confiance. Il puniroit ses sujets, s’ils s’expliquoient si indécemment. Comment peut-il se le permettre à lui-même ?
J’ai vu de nos Germains le bon sens perverti,Plein d’un instinct aveugle embrasser un parti,De l’Autriche oublier l’insolent despotisme,En faveur de Therese outrer le fanatisme,Détester Charles sept, plusieurs Bavarois,Et du Lorrain vaincu proner les grands exploits.Les crimes par les loix sur les peuples permis,Sous la pourpre, grand Dieu, paroissoient ennoblis.
Sans doute il a cru que les traités pour & contre dans l’acquisition de la Silesie & l’invasion de la Pologne étoient ennoblis par la Pourpre. Quoiqu’il en soit, c’est l’esprit du théatre. C’est là qu’on parle le plus mal des Rois & des Ministres, des Grands, qu’on loue leurs conquêtes, leur ambition. La moitié des Tragédies est un tissu d’invectives contre les puissances, & de leçons d’ambition & d’orgueil. On y pousse à l’excès la haine, la fureur, la vengeance ; le regicide y est enseigné ouvertement. Ce sont des tyrans, des despotes. Corneille, Crébillon, Voltaire, &c. doivent à cette audace la plus grande partie de leur reputation. Nous l’avons démontré Liv. 3. C. 8. & cela doit être ; le nœud de toutes les tragédies est la passion de quelque Prince, quelque conjuration formée contre lui : le dénouement, la mort de quelqu’un ; plusieurs rôles exigent nécessairement des plaintes ameres, des discours licentieux, des entreprises audacieuses. Tout cela est dans l’ordre de la tragédie, & on ne veut pas s’appercevoir du danger.
Le Philosophe de sans souci fait une reflexion singuliere sur Louis XIV, dont
il ne peut trop louer la magnificence & les immenses profusions.
Ce Prince
, dit
il,
n’étoit grand qu’à la guerre, & très-petit aux opéras ;
tous les monumens de sa gloire rendent son triomphe
odieux.
Il est vrai que les prologues des opéras étoient
une flatterie si fade & si outrée, que la foiblesse à les souffrir, à
les écouter, à y laisser applaudir, étoient bien au-dessous de la majesté
d’un Prince si célebre. Je ne sai même si cette majesté grave & sérieuse
conserve bien l’élevation de son caractere, au milieu des frivolités &
des folies du théatre. Frederic n’est pas moins loué sur
le théatre & dans la gazette de Berlin. Il n’est pas moins livré
à l’amour du spectacle. Il lit avec avidité toutes
les piéces, il en fait, il en imprime la critique. Pour un homme du mêtier,
en est-il plus grand ?
Il ne parle pas mieux de la religion Catholique que du trone. Je sais qu’il fait profession de la religion Protestante, quoique ses ancêtres fussent bons Catholiques, & quoique, les Evêchés, les Abbayes, l’ordre Teutonique, dont il possede sans scrupule tous les biens, fussent des fruits de la Catholicité ; source corrompue, dont les eaux lui paroissent tres-pures. Mais la décence, le respect, qu’un Souverain se doit à lui-même & doit au public, ne souscriront jamais aux invectives dont il accable les Catholiques & leurs Pontifes, qui après tout ne sont pas ses sujets. Un grand Roi, un grand Philosophe, un homme sans souci, doit avoir & montrer de la modération, même en temps de guerre, envers les Rois & les peuples ses ennemis. Le Souverain Pontife n’est-il pas Souverain dans le patrimoine de S. Pierre, comme l’Electeur de Brandebourg dans son Electorat ? & les têtes couronnées ne se doivent-elles pas des égards ?
Il tombe par là dans des contradictions singulieres. Il tolere, comme Philosophe, toutes les religions. Les erreurs sont des malheurs & non des crimes. Il faut pardonner & plaindre, mais non pas maltraiter, l’aveuglement qui cache la verité. La religion Catholique est-elle donc plus intolérable que toutes les autres ? ses erreurs sont-elles de plus énormes forfaits ? Il ne peut souffrir qu’on parle contre l’irréligion & tous ces systemes d’incrédulité qui renversent toutes les religions. Les Papistes sont-ils donc plus sacrileges que les Impies ? & l’opinion de la présence réelle plus monstrueuse que le matérialisme ? Tout cela est très-peu philosophique. Il est vrai qu’il ne traite pas mieux le Luthérianisme dont il fait profession, par la même raison sans doute qui lui fait haïr la doctrine du Pape. Luther ni ses sectateurs n’ont jamais adopté, ils ont toujours combattu le matérialisme, aussi-bien que les Papistes. Il les tolere même ces Papistes dans ses Etats ; il les protege non seulement dans la partie Catholique nouvellement conquise mais dans la partie Luthérienne dont il fut toujours maître ; car toutes les religions lui sont indifferentes. Cependant le genre d’invectives dont il les charge, contre les mœurs & la probité, devroient les faire chasser. Souffrir des fripons & des coquins, c’est pousser loin la tolérance. Ce genre d’erreur doit animer tout le zele d’un bon Prince ; il doit punir les scélérats, même de la religion Protestante. Et les faveurs, la haine, le mépris & la protection Royale sont-ils faciles à concilier ? Ses écrits condamnent sa conduite, & sa conduite dément ses écrits. Ce ne sont pas seulement les Catholiques de nos jours, ce sont les Saints Peres, c’est toute l’antiquité, qu’il traite aussi mal. Il est vrai que tous les siécles de l’Eglise ont pensé comme nous sur l’irréligion. Ils méritent sa disgrace. Ecoutons le sage Salomon.
Des imposteurs mitrés, qu’on nomme les Saints Peres,N’accusons point Julien (l’Apostat) sous les traits de Tibere.Tout l’univers reçut un mensonge pieux,Et Julien passa pour un monstre odieux.
Aucun Protestant n’a traité si mal S. Basile, S. Gregoire de Nazianze, S. Chrysostome, toute l’Eglise. Tout l’univers. L’univers ne fut pas Déiste, il fut dupe.
Messieurs les Saints, souffrez par bienséanceQue je vous place ici selon le tour ;Et vous des cieux les sombres interprêtes,Doubles fripons, menteurs & pis Prophêtes, Liv. XIV.Enseignez-moi les captieux discoursDont vous avez fabriqué les oracles.
Cette pensée n’est pas élégante, l’auteur ne s’en pique pas ; mais est-elle décente ? l’Auteur devroit s’en piquer. Voici pour les Prophêtes de l’ancien Testament, dont tous les Protestans revèrent les Prophêties.
Eh ! qu’importe aux pleureurs de Ninive,Qu’un Pleutre triste & cervelle chétive (Jonas)Leur annonçât mille calamités ?Mais le Prophête, oiseau de triste augure,Au fond d’un arbre ou de quelque masure,Où l’idiot en fureur se nicha,De desespoir qu’on vit son imposture,En frémissant sur son pied se sécha.
Quel Chrétien, de quelque secte que ce soit, a jamais parlé ainsi d’un livre Canonique de l’Ecriture sainte, & d’un Prophête envoye de Dieu ? Il ne traite pas mieux le Pape, l’Eglise, le Clergé de Rome que la Synagogue.
Sors des cendres, Rome Payenne,Viens te reproduire à nos yeux,Viens confondre Rome Chrétienne,Et ses Prêtres ambitieux,Du sein de la vertu féconde,Oppose ces vainqueurs du mondeA tous ces Prêtres imposteurs,A tous ces frauduleux Pontifes,Qui sur des livres opocrifesFondent leur culte & leurs erreurs.
Les Cardinaux sont des imbéciles. A l’occasion du spectre qui sort du tombeau
de Ninus, dans la tragédie de Sémiramis,
que Voltaire avoit envoyée au Cardinal Quirini, & qui
l’avoit reçue favorablemeut, voici ce qu’on dit des Catholiques & du
Cardinal, l’un des plus savans du sacré College, d’ailleurs le plus honnête
homme & le plus aimable, mais point Déiste.
Le
Cardinal
Quirini est bien digne du temps
des spectres & des sortileges. Tout Catholique étant obligé de
croire aux miracles, le Parterre doit en conscience trembler devant
l’ombre de Ninus. Le Bibliotéquaire de Sa Sainteté approuve fort
cette doctrine Orthodoxe. Moi, qui ne suis qu’un misérable
Hérétique, je pense différemment, & c.
Il ne pense
pas differemment de l’Ombre du Festin de Pierre de
Moliere, parce que cette piéce sous un masque de religion est une vraie
impiété faite pour la combattre, on n’eût osé le faire ouvertement Voici un
compliment de sa façon pour les Evêques.
Un gros Prélat à demarche tardiveDans ce moment insolemment arrive,Et la molesse avec l’oisivetéSemblent avoir avec leurs mains douillettesPétri son tein tout brillant de santé.Ce Confesseur de toutes les cailletesSur un Sopha recueillit ses esprits ;Car ce saint homme excédant sa portée,Avoit gravi sans aide la moutée.Il se plaignoit avec un doux▶ sourisQue le Très-Haut, quoique prudent & sage,Donne aux Elus les peines en partage.J’ai fait, dit-il, un très-beau mandementIn extento contre tout mécréant.Je l’ai conclu, pour soutenir mon thême,En prononçant un terrible anathême.
Tout le Clergé est aussi peu ménagé. A-t-il plus droit de l’être ?
Mais son triomphe (de l’ignorance) est sur-tout dans l’Eglise.Tout Tonsuré par elle endoctrinéLui fait des vœux d’éternelle sotise,D’aveugle foi, d’horreur pour les travaux,Chez nous, ailleurs & dans tous les climats ;C’est en deux mots l’histoire de Midas.
Il faut bien que les Ministres Protestans en aient leur part en tout genre.
Puissant & fameux Sak, ce suppot de Calvin,Ce zélateur connu du sexe feminin,Qui deux fois par semaine, en style de Sophiste,Fulmine l’anathême & proscrit le Déiste,Si le hasard caché qui préside au destin,Au lieu d’avoir formé sa cervelle à Berlin,L’avoit fait naître à Rome, il seroit Catholique,A Smyrne Musulman, & Payen en Affrique.De puissans préjugés succés dez son enfance,Offusquent sa raison, font toute sa science.
Mais c’est un mal universel ; le monde ne pense pas comme lui. Aussi,
J’abandonne le monde & toute sa bêtise,Maudit soit qui prétend corriger sa sottise ;Que l’on s’adonne au mal, que l’on s’adonne au bien,Voyage qui voudra, je n’en dirai plus rien.
C’est être veritablement sans souci, même sur sa propre reputation ; traiter tous les hommes de sots & de bêtes, & se croire le seul sage. Est-ce un trait de sagesse, & une preuve de la verité de sa doctrine ?
Les Princes d’Allemagne ses amis, ses confreres, plusieurs ses égaux, quelques-uns ses supérieurs, n’obtiendront pas plus de grace.
L’Allemagne féconde en plats originauxEn compte chez les Grands des plus fats, des plus sots,Desquels le faux orgueil trop imbu de la FranceImite les Louis par leur magnificence.Des Princes, dont l’Etat contient six mille arpens,Reduisent en jardins la moitié de leurs champs ;Et pour avoir chez eux Marli, Meudon, Versailles,Oppriment leurs sujets, gémissans sous les tailles.Dans leurs vastes Palais on chercheroit un jourAvant que de trouver le Prince avec sa Cour.Dix Hourets font leur meute, & cent gueux leur armée,Ils sont nourris d’encens, & vivent de fumée.
C’est sur-tout en matiere de religion que tous les hommes sont suspects ou dupes, parce qu’ils ne sont pas Déistes.
Combien n’a-t-on pas vu d’habiles imposteurs,Du stupide public cimenter les erreurs,Sur des mots captieux profèrer des oracles,Par des prestiges vains fabriquer des miracles ?De Lisbonne à Fekin, d’Archangel à Memphis,Rassemblons tous les temps, voyons tous les pays,S’en trouve-t-il un seul, je consens qu’on le nomme,Dont le culte insensé n’ait pas dégradé l’homme.Si l homme de tout temps fut le jouet honteuxDes grossieres erreurs des Prêtres frauduleux.
Lisbonne & Archangel sont Chrétiens. En réunissant tous les
temps & tous les pays, on trouve J. C. les
Apôtres, & avant eux, Moïse, David, les Prophêtes. Point d’interruption,
pas
un seul dont le culte insensé n’ait dégradé l’homme,
& qui n’ait été le jouet honteux des grossieres erreurs des
Prêtres frauduleux
.
Avec de tels sentimens on est fait pour aimer, louer, protéger, enrichit le théatre, mépriser & traiter de Tartuffe les Ministres de Dieu qui le condamnent.
On est à l’unisson avec lui.
J’ai condamné ces spectacles d’horreur,Bal, Opéra, Redoute, Comédie.Vous les avez sans doute vus, Monsieur,Dis-je en tremblant ? Dieu garde, de ma vie.Quoi, vous, Prélat, qui ne connoissez rien,Vous décidez & du mal & du bien ?Allez ouïr déclamer sur la sceneLes beaux morceaux que Moliere a laissés,Où nos défauts sont par lui terrassés.En badinant ils savent convertir,Quand les sermons fulminans que vous fîtesN’ont jusqu’ici point fait de prosélites,Tartuffe au moins charme jusqu’en ce jourEt fait rougir plus d’un Prélat de Cour,En démasquant la fausse hypocriste.
Il parcourt tous les états, dont il démontre l’ignorance. Les femmes qui ne
parlent que d’
amour, & qui décident cent questions
dans moins d’une minute
; chez les Guerriers, où
les chardons servent de lauriers ; chez tous les
Grands, où elle enfante les menins & courtisans
.
Tout le monde est
fait pour les erreurs
.
Chez les Magistrats
en Long manteau redouble de fourure.
Elle n’a d’yeux que ceux de ses commis ; elle est toujours dupe de
l’imposture
. Avec ces sentimens. on doit aimer
tendrement Voltaire, qui en est le défenseur & l’Apôtre ; & tout le
monde sait quelle a été l’intimité de ces deux hommes. Ce ne fut longtemps
qu’un cœur & une ame. On doit louer le
célebre
Septique Baile
, qui bien armé de sa
dialectique, dans un champ clos combattit les Docteurs, &
foudroya l’orgueuil Théologique, en détruisant le regne des
erreurs
. Il fait aussi de grands éloges du Marquis
d’Argens, de Maupertuis, de Kait, &c. Tous ces mécréans lui sont chers. Il y mêle,
il est vrai, M. Gresset, parce qu’il prêche la paresse
& la volupté. Gresset alors sortant des Jesuites étoit livré au
théatre ; mais depuis sa conversion il y a renoncé, il l’a combattu dans ses
écrits. Il mene la vie la plus Chrétienne, plus précieuse que ses talens.
Depuis cet heureux moment il n’est plus connu à Berlin.
Autre lien qui forme l’alliance la plus étroite avec le théatre ; c’est
l’amour du plaisir, & le mépris de l’autre vie.
Crois-moi, choisis les meilleurs vins. Ce soin à tous est
préférable ; Car de nos jours le fil est peu durable.
C’est le principe tant de fois repeté des impies.
Coronemus nos rosis antequam macessant
, dit
l’Ecriture. Ainsi parle-t-il au Marquis d’Argens.
Oui, la vie est un songe, une vaine fumée,Un théatre où l’illusionA fait un trafic de chimeres.Mon amitié vous conjure de faireUsage du plaisir qui fuitA fixer d’une main legereLa jouissance passagereQui paroît & s’evanouït.Que m’importe demain, quel est le jour qui suit ?Parons toujours nos fronts de ces roses nouvelles,A ces amours badins allons couper les aîles,Et décochons leurs traits droit les cœurs de ces belles.Nous ne sommes enfin maîtres que du présent.
A Voltaire encore plus vivement & d’une maniere atroce. Epit. 6.
Moi, qui ne suis point affubléDe visions ThéologiquesJe préfere à l’onde fataleLa solide réalitéDes voluptés de cette vie,Je laisse la félicité,Dont on pretend qu’elle est suivit,A tout fanatique entêté,Qui ne vit qu’en l’éternité.Ah ! puisse un Adolphe nouveau,Ayant pitié de leur cerveau,Leur en rapporter la phiole.Pour moi, qui me ris de ces foux,Je m’abandonne sans foiblesseAux plaisirs que m’offrent mes goûts.Non, ne présumons point, sublime Maupertuis,Que Dieu regle un détail au-dessous de lui.De nos freles destins, de notre petitesse,Le ciel n’occupe point la sublime sagesse.Il ne mérite point de distraire ses soins.Non, l’Etre tout-puissant ne se met point en peineDes rôles que je joue, & du sort qui m’attend.Si du faîte des cieux il abaisse sa vue,Il voit d’un œil égal la rose & la cigue.Dans de vastes desseins ce Dieu peut se complaire ;Mais il est sourd aux cris du stupide vulgaire.Il sait que la nature exécute son plan.Tel sûr de son ouvrage, un Horloger expert, &c.Dieu se borne au devoir de conserver l’espece ;Mais il ne descend point jusqu’à l’individu.Maupertuis, l’homme est Taupe ; étroitement borné,Par l’instinct de ses sens il se trouve entraîné.Un Homme, un Etat même est à peine compté.Nous n’occupons jamais la sagesse profonde, &c.Mais que devient au fond cette raison si vaine,Qui sur les animaux fait si fort la hautaine ?Je n’y vois que foiblesse & qu’imbécilité.Les Hommes doivent tout aux organes des sens.C’est le seul point d’appui de leur intelligence.C’est apprendre beaucoup de voir qu’on ne sait rien, &cSait-il donc s’il est libre, & si sa volontéN’est pas l’esclave honteux de la fatalité,S’il fut de tous les temps, ou si Dieu par trois motsTira l’ordre du sein de l’antique cahos ;Dira comme de rien peut se former un être ?Dez que nous finissons, notre ame est éclipsée,Et dez qu’il tombe en cendre, elle baisse & périt.Le trépas me remet dans l’état où je fusPendant l’éternité qui précéda mon être.Ah ! voyons dans la mort la fin de tous nos maux.Grand Dieu, votre courroux devient même impuissant ;La mort met à vos coups un éternel obstacle.Tout est anéanti, l’esprit & les vertus.Ton ame juste & pureMéprise des enfers la frivole imposture.Le sage de sang froid doit regarder la mort.Il n’est point de tourment lorsqu’on cesse de vivre.Ce sont des songes creux que ces plaintives ombres,Qui passant sans retour dans des demeures sombres,Souffriront sans espoir d’éternels châtimens.La crainte & l’artifice ont produit ces erreurs,Mensonges consacrés, mais en effet prophanes.Ne voyons dans la mort qu’un tranquille someilA l’abri des malheurs, un songe sans reveil.Et quand même après nous une foible éteincelle,Un atôme inconnu, qu’on nomme ame immortelle.Pourroit braver les loix de la destruction,Hélas ! tout est égal pour notre cendre éteinte ;Il n’est aucun objet ni d’espoir ni de crainte, &c.Ce nous qui n’est pas nous, cet être chimérique, &c.Que le peuple bébêté respecte ce roman,Regardons d’un œil ferme & l’être & le néant.Je vois Lutrece & Loke au bout de sa carriere.Voilà des visions dont notre orgueil se flatte,Un atôme immortel, sans matiere solide,Il n’est qu’un nom pompeux, un fantôme idéal.Comme avant que je fusse il n’avoit point pensé,De même après ma mort, quand toutes mes partiesPar la corruption seront annéanties.
Il parle sur le même ton à Voltaire, avec qui il étoit encore plus lié, & dont mieux que personne, il connoissoit les mœurs & les sentimens. Le théatre avoit été, & continuoit d’être le grand lien, le grand mobile de l’un & de l’autre.
Laissons-donc à la fiction la tranquille possession du
royaume de l’autre monde, source où l’imagination puise le systeme
où se fonde la populaire opinion. Qu’un fanatique ridicule y place
son plus ◀doux espoir, qu’on prépare pour ce manoir un quidam que la
fiévre brule, il faut lui dorer la pillule, & l’envoyer tout
consolé, bien lesté, pieusement builé, au bord de la rive infernale,
malgré la Sorbonne pleniere.
(Dérision du Concile plenier).
Je crois fermement dans l’esprit que l’Homme n’est qu’une
matiere qui végête & se détruit.
Le systeme d’irréligion de l’Auteur consiste principalement en deux points.
1.° L’Ame est
matérielle, tout finit à la mort par
la dissolution du corps. De là le mot favori repeté en vingt endroits, qui
dans le fonds est un galimathias, & dans son sens le pur matérialisme :
l’Homme qui est mort n’a qu’été
. Le second
principe, Dieu qu’il reconnoît en Déiste quoiqu’il l’appelle souvent moteur inconnu, ce Dieu, dont il fait un chimérique, ne
s’embarrasse point des individus, ne s’occupe que de la
conservation de l’espece, comme s’il pouvoit créer &
conserver des especes sans individus, & que les especes fussent des
êtres à part :
Universale à parte rei.
Ce
Dieu ne connoît, ni ne punit le péché. Sous lui tout est nécessaire &
inévitable. Il n’y a point de liberté. Et ce qu’on pourroit appeler comique,
si l’objet étoit moins important, il veut faire un mérite de ces opinions,
un titre de sainteté supérieur à toute la perfection du Christianisme. A
quels excès conduit l’esprit du théatre !
Allez lâches Chrétiens, que les feux éternelsEmpêchent d’assouvir vos plaisirs criminels ;Vos austeres vertus n’en ont que l’apparence.Mais nous qui renonçons à toute recompense,Nous qui ne croyons point vos éternels tourmens,L’intérêt n’a jamais souillé nos sentimens,Nous finissons sans trouble & sans regret.
Nous nous bornerons à rapporter quelques traits sans autre liaison. Tout ce
livre est plein de cette doctrine impie & absurde. Mais comment ce
Prince, ainsi que nous l’avons vu, blâme-t-il le théatre, & reconnoît-il
qu’il est pernicieux pour les mœurs ? n’est-ce pas une contradiction ? Sans
doute, c’en est une contre ses idées & sa conduite. C’est l’état absurde
de tous les pécheurs :
Video meliora proboque, deteriora
sequor.
Ils connoissent la verité de la morale, &
ne s’embarrassent point de la pureté des mœurs. Point d’amateur qui ne fâche
bien par expérience la
verité de la morale, &
qui par la dépravation de son cœur ne préfere les plaisirs à la pureté de
son ame. C’est ce qui fait le péché. Agir contre ses lumieres, & faire
ce qu’on fait être mal. Les impies sont tous d’aussi mauvaise foi. Malgré la
fierté qu’ils arborent, l’assurance qu’ils affectent, les blasphêmes qu’ils
prononcent, les sophismes, les sarcasmes dont ils s’arment, il n’en est
point qui ne rende en secret justice à la religion Chrétienne.
Quand je dis blasphême, je ne dis rien de trop. De quelque secte qu’on fasse
profession, on ne doit jamais penser de Dieu qu’avec le plus profond
respect. Aucun Prince ne souffriroit qu’on parlât de lui-même avec autant de
licence qu’on parle de Dieu, de son gouvernement, de sa religion, de ses
œuvres divines. Il ose dire d’après Térence :
La crainte fit les Dieux, & la force fit les
Rois
:
Primus in orbe Deos fecit
timor.
Les Rois n’ont ils donc d’autre droit que la
force ? Il parle sans doute en Prophête de l’invasion de la Pologne.
Dieu même n’est pas le maître de reformer le
passé.
Ce galimathias est un blaspheme. Il n’y a pour
Dieu ni passé ni avenir. Tout est present pour lui, & rien n’arrive en
aucun temps que par sa volonté. Réformer le passé seroit
pour lui vouloir n’avoir pas voulu, ce qui est absurde.
L’Homme jouit de la fortune dont le hasard seul est
l’auteur
; comme si la providence divine n’existoit pas,
qu’il n’y eût en tout que le hasard seul.
Pourquoi craindre le bras céleste ? Le bien & le mal
sont un songe. Pleins de ce sonze séduisant, nous nous perdons dans
le néant. Le temps s’échappe, & fuit soudain sans commencement
ni fin.
C’est une absurdité ; le temps commence &
finit. C’est l’éternité qui n’a ni commencement ni fin. C’est en même temps
reconnoître & combattre l’éternité.
Nous nés pour
être annéantis, pourquoi songer à