(1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VII. Troisieme suite du Fard. » pp. 171-194
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(1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VII. Troisieme suite du Fard. » pp. 171-194

Chapitre VII.

Troisieme suite du Fard.

LE théatre a beaucoup badiné sur les Precieuses, les a tournées en ridicules, & avec raison. C’est une des premieres piéces de Moliere, celle qui a commencé sa réputation : elle est dans le vrai goût du comique, jusqu’alors inconnu, quoique dans le fond ce soit peu de chose ; intrigue commune, basse mascarade de deux laquais, dénouement trivial de quelques coups de bâton ; c’est une farce qui n’a de piquant que quelques expressions alambiquées, en usage à l’Hôtel de Rambouillet, qu’on ridiculisoit, ce qui fit sa fortune, & aujourd’hui n’intéresse personne. Cette petite production suppose moins d’esprit, de goût, de finesse, de lecture, que le Dictionnaire Neologique de l’Abbé des Fontaines, qui est une longue comédie de précieuses ridicules. Moliere, dit-on, corrigea son siécle de ce défaut. Ce fruit de son Apostolat lui couta peu : à l’exception de quelques personnes qui fréquantoient l’Hôtel de Rambouillet, il n’y avoit pas vingt personnes dans le Royaume qui affectassent ce langage puérile. La réforme fut bientôt faite, il en est ainsi des Femmes savantes ; ce ridicule est rare, il n’y a pas une femme sur cent, qui fasse la savante, qui avec un télescope aille passer la nuit à suivre le cours des étoiles. Ce n’est pas la peine de se mettre en frais pour guerir ce mal, & le mérite de Moliere sur cet article, est bien borné, quoique cette piéce soit une des meilleures.

Mais il n’a pu corriger la maladie du bel esprit. Cette sorte de Précieux ridicule est une maladie épidémique, qui dans les hommes, dans les femmes, dans les auteurs, dans les ouvrages de toute espece, a fait & fait encore bien du ravave, il ne l’a pas même attaquée, quoiqu’elle lui eût fourni une matiere abondante : que n’a-t il fait une seconde comédie des Femmes beaux esprits ? Elle eût été plus utile que celle des Femmes savantes, & même une troisieme des Femmes ignorantes, vice très-commun & bien plus pernicieux que celui des savantes ; il en est qui ignorent, & affectent d’ignorer les premiers principes de la Réligion, des affaires du ménage, les loix de la politesse, de la bienséance, & s’en font gloire, & sont hors d’état d’élever leur famille, de veiller sur leur maison, & de remplir leur dévoir. Le zèle de Moliere n’alloit pas jusques là.

Il y a bien d’autres sortes de Precieux que celui du langage auquel le Missionnaire si vanté n’a pas donné ses soins. Précieux de Galanterie, précieux de Parure, précieux de Beauté, précieux de Pruderie, précieux de Luxe, de Geste, d’Attitude, du ton de voix, de grasseyement, d’habillement, &c. que sais-je ? Tout ce qu’on affecte, pour se donner un air de mérite, s’attirer des éloges, des honneurs, tout cela est du précieux & du précieux ridicule ; même principe, même motif, même effet. Style de vanité, ruse d’amour propre, pour le faire valoir par toute sorte d’endroits. L’un s’éleve sur des Patins, pour montrer sa taille, l’autre se forge une généalogie pour étayer sa noblesse ; celui-là affecte un air panché, un sourire enfantin, une mole délicatesse, &c. tout autant de précieux, pire que le Neologisme. Moliere l’a reconnu, & son Marquis de Mascarille n’est qu’ un fat qui passe pour une maniere de bel esprit, & s’est mis dans la tête de faire l’homme de condition, & se pique de galanterie & de vers . Tel le précieux des romans dont il fait une très-bonne critique, pour se moquer du grand Cyrus, de Pharamond, de Clelie, &c. qui sont passés de mode, pour faire place à des historiettes licencieuses, contre la Réligion & les mœurs. Si Moliere a fait faire ce changement, la vertu lui est peu redevable.

Il ne fait pas plus de grace aux précieuses de la parure & du fard, il en trace une peinture burlesque, sous le nom d’un Gorgibus, nom bas & de pur tabarinage ; c’est un bon homme, pere d’une des précieuses, oncle de l’autre, qui choqué de leurs manieres, fait aussi le portrait de leur toilette, qu’elles trouvent fort mauvais : elles font de la pommade pour les levres , dit la servante, c’est trop pomader , répond Gorgibus, ces pendardes-là avec leur pommade, ont envie de me ruiner, je ne vois par-tout que blanc d’œuf, lait virginal, & mille autres brimborions que je ne connois point ; elles ont usé le lard d’une douzaine de cochons, pour le moins, & quatre valets vivroient tous les jours des pieds de moutons qu’elles employent. Dans les scénes suivantes, il leur dit, à elles-mêmes : il est bien nécessaire de faire tant de dépense pour vous graisser le museau  ; elles se moquent d’un homme simple, mais très-bon parti qui les demande en mariage : ils n’ont point cet air qui donne d’abord bonne opinion des gens. Venir en visite amoureuse avec une jambe toute nue, un chapeau désarmé de plumes, une tête irréguliere en cheveux ; en habit qui souffre une indigence de rubans, quels amans sont ce là ! Quelle frugalité d’ajustement ! On n’y tient pas, leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, il s’en faut d’un grand demi pied, que leur haut de chausses ne soit assez large . L’autorité de l’Eglise & des Saints Peres, contre le fard, est d’un fort petit poids au théatre ; mais que dire contre le Docteur Moliere ?

On a donné au public la vie de deux avanturieres, Niéces du Cardinal Mazarin, l’une Marie Mancini, femme du Connétable Colonne, écrite, dit-on, par elle-même, & assez mal écrite pour l’en croire auteur. L’autre Hortanse Mancini, Duchesse de Mazarin, par Saint-Evremont, son amant, qualité qui fait apprécier les éloges en tout genre qu’il lui donne, & l’espece de Réligion & de vertu, qu’il lui prête. Ces deux femmes qui avoient quelque beauté, beaucoup de coquetterie, & pour dot des sommes immenses, que leur oncle avoit amassé ; ces deux femmes furent récherchées de deux Rois. Le Roi d’Angleterre, Charles II,, chassé de son Royaume, demanda la seconde, qui lui fut réfusée ; rétabli sur le trône on la lui offrit, il n’en voulut pas. Séparée de son mari, fugitive en Angleterre, elle se jetta entre ses bras, Charles II lui laissa gagner sa vie à tenir un brelan, nous en avons parlé ailleurs. Louis XIV fut quelques jours amoureux de la premiere ; on lui fit sentir qu’il se deshonoroit, il l’abandonna. Mariée à Rome, séparée aussi de son mari, elle revint en France, comptant de ranimer les feux du Roi, il la méprisa ; elle courut le monde, & par ordre du Roi d’Espagne, elle fut arrêtée en Flandres ; transférée à Madrid, & renfermée dans un couvent. Aucun des Dictionnaires portatifs n’a daigné faire un article de ces deux femmes, il n’y a que celui des Femmes, soi-disant celebres, qui a transcrit leurs mémoires, pour grossir les volumes ; il les met au reste, en assez mauvaise compagnie. L’auteur pour former trois volumes, qui, réduits à leur juste valeur, en formeroient à peine un bon, a ramasse tous les noms des femmes qu’il a trouvé dans les livres, & en a fait autant d’articles, dont les trois quarts n’étoient connus que dans leur quartier.

Dans ce double recueil d’extravagance on parle de la parure de ces deux héroïnes. Le dernier plus raisonnable, fait un mérite à Hortense, de n’en avoir pas besoin pour lui trouver quelque défaut, je vais la voir dans sa chambre, au milieu de ses chiens, de ses guenons, de ses oiseaux. Je n’attends que le désordre de ses habits & de la coeffure lui fera perdre l’éclat de sa beauté, elle y est cent fois plus aimable. Un charme naturel donne du dégoût pour tout art, & toute industrie : en elle seule l’art le plus délicat & le mieux entendu, ne sauroit égaler la nature ; On la voit quinze jours de suite, coëffée de différentes manieres, sans pouvoir dire celle qui va mieux, celles qui défont toutes les autres femmes, la parent. Tout est également bien sur sa tête, la propreté qui coute tant aux autres femmes, lui est naturelle, elle ne porte jamais d’odeur, quoiqu’elle les aime beaucoup , &c. L’enjouement de cet écrivain d’imagination, perce à chaque ligne ; mais il est vrai que l’affectation de parure, le blanc, le rouge, les odeurs supposent de vrais défauts, qu’on veut réparer. La vraie beauté se suffit à elle-même, & n’a pas besoin d’artifice.

L’autre qui écrit & agit en femme, ne rougit par de dire que dans moins d’un an, le seul article de ses Rubans montoit à quatre mille écus Romans, ce qui fait vingt mille livres de France ; qu’elle perdoit au jeu jusqu’à un million & demi, qu’enfermée dans le couvent de la Visitation, elle y faisoit jouer des comédies, porter des Liévres en vie dans le jardin, & des chiens pour y chasser. Qu’elle coupoit les cordes des cloches pour qu’on manquât les offices, se faisoit habiller & deshabiller par des jeunes pages, au lieu de femmes de chambre, se déguisoit en hommes, & couroit la nuit, qu’elle abandonna son mari, s’alla promener en Piémont, en France, en Flandre, en Allemagne, qu’on lui dédia une tragédie, qu’elle en fit la fortune, &c. mais pourvu qu’on soit belle, ou du moins qu’on s’en croie, on a toute sorte de mérite, les graces effacent tous les défauts, le coloris du tein donne toutes les vertus. Les actrices ne sont-elles pas des personnes parfaites ? Démandez-le à ceux qui les achetent au plus haut prix ; aux poètes qui les élevent au-dessus des nues ; aux amateurs qui du parterre ou de leurs loges, sont extasiés de la voix, du geste, des lys & des roses, de la Hus de la Rangour, &c.

Malheur à vous, dit le Prophête, qui traînez l’iniquité comme dans un chariot, par les liens de la vanité. Cette vaine parure, est en effet un lien qui traine les ames : lien de vanité, rien n’est plus frivole, plus faux, plus trompeur que cette apparence, ce mensonge de beauté, qui les chargent de chaînes, mais liens qui entrainent un chariot plein de péchés : Væ qui trahitis iniquitatem in vinculis vanitatis peccatum velut plaustrum. Quel monde de péchés ! quelle perte de tems. La moitié de la journée se passe à se donner, l’autre moitié à étaler ses graces factices & empruntées, folle dépense. On se ruine, la toilette est un gouffre qui absorbe le plus riche patrimoine. Friponeries journalieres. La fille vole son pere, pour y fournir, la femme son mari, le petit maître son créancier, ses domestiques, ses ouvriers. Jalousies contre celles qui sont mieux, mépris de celles qui sont moins bien. Jalousie réciproque de celle qu’on efface, mépris si on est effacé ; orgueil de part & d’autre, vanité, présomption suivies d’une foule de médisances, de jugements téméraines. Nombre infini de mauvaises pensées, de mauvais desirs, de paroles, de libertés dans ceux à qui on a le malheur de plaire, ou pour ceux qui nous ont plu. Assortiment de regards, de gestes, souris, attitudes ; car la parure est dans la tête d’une femme un vrai systême, un plan d’opérations militaires avec lequel tout doit quadrer dans sa personne, pour recueillir le fruit de son travail, & assurer ses conquêtes. Ce n’est pas un péché isolé, un péché momentané, c’est un feu qui s’entretient, & brûle sans cesse, qui apporte partout la désolation, sans respecter ni la dignité de l’état, ni la sainteté de l’Eglise, ni la majesté des mystères, ni les priviléges de la vertu, ni la foiblesse de l’âge, ni la misere de la condition, ni l’éclat de la naissance ou des richesses, comme un feu qui consume sans distinction, tout ce qui s’offre à son activité.

C’est une pensée communs chez les peres, d’après Tertulien & Saint Cyprien, que le fard fait injure à Dieu, que c’est vouloir réformer son ouvrage, y ajouter, & l’embellir, comme un apprentif qui oseroit toucher aux tableaux d’Apelle, que ce qui est naturel est l’ouvrage de Dieu, & ce qui est artificiel l’ouvrage du démon : Quod nascitur, opus Dei est ; quod fingitur, diaboli. Le germe de cette pensée, que les Peres ont dévélopée, semble renfermé dans ces paroles de l’Evangile : vous ne pouvez changer la couleur même d’un de vos cheveux, ni rien ajouter à votre taille. Ce qui démontre le ridicule & la vanité du fard, par son inutilité, & en même tems l’espece d’attentat de ceux qui s’en servent sur la volonté de Dieu, & les arrangements de sa providence : Non potest unum Capillum album facere vel nigrum, nec adjicere ad staturam suam lubitum unum. En vous formant Dieu a réglé les dimensions de votre corps, les traits de votre visage, la couleur de vos cheveux, la vigueur de votre tempéramment, la durée de votre vie, &c. par conséquent la nature & le degré de beauté qu’il lui a plu de vous donner ; comme il a réglé la quantité des richesses, l’élévation de la fortune, l’étendue de l’esprit : maître de ses dons, il en a fixé la mesure, c’est à nous à nous soumettre à ses ordres, & à nous contenter de ses largesses. Nos desirs & nos efforts pour passer ces bornes, sont orgueil, ambition, cupidité. Le fard réunit tout ces caractères, orgueil, ambition, cupidité. Il court après la gloire de la beauté, il prétend ajouter à l’ouvrage de Dieu, donner des couleurs & des agrémens qu’on n’a pas reçu, & que Dieu ne veut pas donner, c’est censurer la providence, & la corriger ; tout cela est l’ouvrage du démon : Quod fingitur, opus diaboli. Vous pouvez, vous devez-même cultiver, pour ainsi dire, votre corps par la propreté, la décence, la frugalité, l’exercice, comme vous cultivés votre esprit par l’étude, votre champ par la charrue. Dieu bénit un travail honête, par l’accroissement de ces biens naturels ; mais il faut vous contenter de la moisson que Dieu fait naître, & ne pas vouloir forcer la providence par des mensonges, des masques, des entreprises criminelles.

Considérez-donc, dit Saint Bernard, d’où vous venez & rougissez ; où vous êtes & gemissez ; où vous allez & fremissez. Vous venez du néant, d’où le Créateur vous a tiré, de la terre d’où il vous a formé, du péché dont le Rédempteur vous à sauvé, d’une femme que la vanité a perdue, & qui par le dangereux poison de ses charmes, a perdu son mari, & tout le genre humain. Tout le fard du monde effacera-t-il ces taches humiliantes, & cette funeste laideur ? Vous allez à la vieillesse, dont les infirmités vous rendront dégoutante, à la mort où vous serez la pature des vers, au jugement où vous rendrez compte de toutes vos œuvres, à l’enser où vous serez punie à jamais ; aurez-vous un fard pour vous embellir dans le tombeau, au jugement en enser ? Tout le fard du monde préviendra-t-il cette laideur affreuse & éternelle ? Les anciens faisoient vendre à Cythere, des suaires à la porte du Temple de Venus, quelle leçon ! Vous êtes devant Dieu, qui voit tout, avec le monde, qui examine tout, dans la compagnie des libertins qui abusent de tout. Dieu voit le fard & le condamne, le monde le voit & s’en moque ; le libertin le voit & en devient plus libertin. Vous vivez au milieux des dangers, que vous courez, & faites courir, & que votre fard augmente au milieu des péchés que vous commettez, ou faites commettre, & que votre fard multiplie, & vous êtes tranquille, pouvez-vous trop gemir ? Unde venîs & erubesce ; ubi sis & ingemisce, quò vadis & contremisce.

Le Puits de la vérité est un petit roman ingénieux & amusant, plein d’une très-bonne morale, sous l’écorce d’une fiction de deux sœurs, d’un caractère fort différent, dont l’une doit être élue Reine par les suffrages du peuple. Chacun à son parti, & ces partis aussi différents qu’elles par leur caractère, occasionnent bien des incidents & des réflexions agréables. Voici la harangue d’une femme dans l’assemblée : « Il y a quelque raison d’élire Glorieuse, il en pourroit arriver un grand avantage pour les femmes. La Reine Glorieuse apprendroit à son mari à lui obéir, cela seroit d’un bon exemple pour les nôtres ; mais pour un bien qu’elle nous seroit, il en arriveroit bien de maux, si nous avons une Reine pleine de vanité, elle tiendra tous les matins conseil de beauté, pour inventer des modes, & tous ces conseils n’avanceront point les affaires de l’Etat. Nous autres femmes, nous ressemblons à un troupeau de moutons, ce que l’une fait l’autre veut le faire aussi. Quand le premier faute un fossé, tous les autres le suivent, dussent-ils se rompre le cou. Une Reine pleine de vanité porte des habits tout massifs d’or, & en changera quatre fois par jour. Les femmes de Cour imiteront la Reine, les bourgeoises imiteront les femmes de Cour, & Dieu sait si les maris en patiront ; mais ce qui nous chagrine le plus en Glorieuse, elle ne va pas rondement en besogne ; par exemple on ne connoît rien à sa beauté, la nuit elle est tout autrement que le jour. Tous les matins un magicien met un visage neuf sur le sien, cela nous fait peur, car quand le visage est double, le cœur l’est aussi. Si vous aviez vu un petit cabinet qu’elle a, il ressemble au cabinet d’un peintre ; on y voit plus de couleurs, plus d’huiles, plus de petites boëtes, plus de phioles. Voyez-vous toutes ces mixions-là, elles sont contraires à notre franchise Gauloise ; pour la sœur, sa parure & sa beauté sont aussi simples que son cœur, c’est la Reine qu’il nous faut. »

Il y a plusieurs traits plaisants sur les vapeurs des femmes, sur les qualités du vin, sur l’envie qu’ont les filles de se marier, sur les amis de Cour, &c. entr’autres une espece de drame, où en différentes scénes, les plaisirs tranquilles & les plaisirs turbulents, l’étourdi, les heures tranquiles disent de bonnes vérités, & peignent les amateurs des spectacles.

Nous n’aimons que le bruit, le trouble & le fracas,
        L’ordre pour nous n’a point d’appas,
Quittez heures, quittez l’importune justesse,
        Et n’exprimez que la vitesse,
        Du tems dont vous marquez les pas ;
Courons, agittons-nous, le repos nous ennuye,
        Brusqu’ons le tems, passons la vie,
    Le tems qui suit, ce que je fais,
Tout rapide qu’il est, m’ennuye & m’inquiette,
        Toujours je le regrette,
        jamais je n’en jouis,
Suivons le tems & sa vitesse extrême,
            Il faut courir aussi vite que lui,
        S’agiter, s’étourdir, & s’éviter soi-même ;
                Pour éviter l’ennui,
            Tout est chagrin dans la vie,
            Mais ce qui tient lieu de plaisir,
        C’est de voler de desir en desir,
            Hors l’inconstance tout ennuye.

Histoires des modes Françoises. Voyez Mercure Juin 1773. Les cheveux chez nos bons ayeux du tems de Clodion, étoient regardés comme le simbole de la liberté ; le respect pour la chevelure étoit même si grand, que la loi des Allemans, de 1630, prononce une très-grosse amande contre quiconque est assez téméraire pour couper les cheveux d’un homme libre, sans son consentement : Quand on se faisoit Réligieux on coupoit ses cheveux ; on le fait encore ; un moine par ses vœux se rend serf de Dieu, il étoit juste de lui faire le sacrifice du simbole de la liberté. Les cheveux étoient chargés des ornements les plus galants & les plus riches, les toupets rabattus cesserent pourtant d’être en réputation. L’ancien usage de séparer les cheveux sur le somet de la tête, & de les coucher sur les deux côtés, se rétablit. Les coëffures flotantes, puis nouées cordonnées, ornées de plumes, de perles, de paillettes d’or, succéderent. Les coëffures en queues, la variété des couleurs, des rubans, des cordons destinés à former les queues, ne furent pas épargnées ; les queues furent d’abord très-longues, jusqu’à la ceinture, ensuite jusqu’au gras des jambes ; cet excès ridicule amena la mode contraire. On ne voulut que des cheveux courts, en Abbé, en Moine, en évergete, en Mouton, en Marron, en Poire, &c. On se dégoûta des cheveux, on se prit de belle passion, pour le poil des animaux, on garnit ses habits de fourrures, on envelopa la tête de peau bien travaillée, & marquetée, de chien, de chat, de renard, de mouton, de lapin, d’hermine, de vair, de contrevair ; (il a passé dans les armoiries.) Cet ornement de tête s’est perpétué sous le nom d’Aumusse ; ce n’étoit d’abord qu’une grande calote de peau de bête, pour couvrir la tête, ensuite on la fit descendre sur le cou, pour garantir du froid, comme les Hongrois, les Polonois ont encore des cravates de poil ; delà elle couvroit les épaules pour tenir plus chaud, plusieurs communautés s’en couvrent, & portent l’aumusse sur la tête en hiver ; c’est pour cela qu’il y a au bout une poche ou capuchon. Les chaperons des Docteurs, des Echevins, les mortiers des Présidents, les bonnets triangulaires ou quarrés eurent de pareilles généalogies, de même que les chapeaux pointus, plats, ronds, triangulaires, grands, petits, &c. tout cela fut abandonné pour les cheveux frisés. Les Ministres protestants les désendirent dans leurs Sinodes & Consistoires, & on composa divers traités Latins, François, Allemans, pour & contre. La frisure remporta la victoire, & se soutint ave éclat ; tout aujourd’hui se frise, jusqu’aux Evêques : les hommes qui doivent être les plus graves, les plus sérieux, les plus éloignés du luxe, de la frivolité, des folles du monde. Pour les Magistrats, ils croiroient qu’un Arrêt seroit cassable, si on le prononçoit sans être frisé. Les toupets sur-tout, jouent un rôle intéressant, on les roule sur un fer chaud ; cette merveilleuse découverte donne des toupets élégamment frisés. Une autre invention procura de grands changements ; on se bornoit à parfumer la tête ; les femmes y mettoient de la poudre blanche, pour n’étoyer les cheveux ; les petits Maîtres envierent aux femmes cette propreté, & en firent un ornement. On poudra les cheveux d’abord légérement, & ensuite avec prosusion, & la mode en est générale, hommes, femmes, vieillards, enfans ; l’Eglise, la Robe, l’Epée, le commerce, l’attelier. Toutes les têtes sont devenues blanches ; cela a changé le goût de la Nation pour la couleur des cheveux. Les uns aimoient les cheveux blonds, couleur douce & agreable ; d’autres noirs, couleur qui donnoit un air mâle & martial ; mais on méprisoit les cheveux blancs, comme annonçant la vieillesse : aujourd’hui on les veut tous blancs, ce qui couvre-tous les défauts des cheveux roux, cendrés, & même le mélange des cheveux postiches. La même pâte les recrépit tous, comme une muraillé dont le mortier ou le plâtre remplit les trous, & cache tous les défauts, semble rajeunir les vieillards, se confondre avec la peau, & prendre le ton du tein. Cette invention dispense de ne plus farder les cheveux, comme autrefois, pour leur donner une couleur arbitraire. On a l’uniforme blanc, avec une livre de poudre ; on va jusqu’à poudrer les habits.

Cette variation sur la longueur des cheveux, fit imaginer un moyen pour procurer le double avantage de jouir quand on voudroit, des cheveux longs & des cheveux courts. La premiere mode, & la plus simple fut de réunir avec une rosette les cheveux qui flottoient sur les épaules, & les attacher on détacher à volonté. Delà les cadenettes, les tresses, le queues, les bourses ; on vit arriver pour la chevelure des hommes, ce qui étoit arrivé pour la queue des chevaux ; on se prit pendant quelque tems de belle passion, pour les chevaux à courte queue ; ce qui fit dire à Bassompierre, quand il sortit de prison, après vingt ans, qu’il ne trouvoit d’autre changement dans le monde, si ce n’est que les hommes n’avoient plus de barbe, & les chevaux plus de queue ; bientôt on changea, on ne voulut que des chevaux à queue large & flottante. La girouette tourna une troisieme fois, on voulut l’un & l’autre, les queues longues & les courtes queues. Pour contenter un goût si bizarre, on s’avisa de renfermer les queues des chevaux dans un sac, qu’on ôtoit ou remettoit à fantaisie. Cette invention parut commode, les hommes s’en emparerent, ils imaginerent des bources : ce sont des petits sacs de taffetas noir, où ils renfermoient les cheveux, & les retiroient quand il leur plaisoit. Les rosettes qui avoient été aux chevaux, s’attacherent aux bourses, & en devinrent l’ornement. D’abord les bourses ne furent employées qu’en voyage, pour courir en chenille : elles étoient indécentes devant les Grands, dans les cérémonies, au Palais, à l’Eglise, peu à peu elles ont acquis tant de considération qu’elles vont par-tout. La forme en a beaucoup varié, plates, gonflées, rondes, quarrées, longues, &c.

Enfin, l’invention des perruques a porté l’art de la frisure à un degré de perfection auquel n’on auroit jamais pensé qu’il pût parvenir : e le a formé un metier nouveau, & une jurande des plus considérables. Les cheveux seuls ont à leur service cinq ou six sortes de metiers. Libres de donner chez eux, à loisir, à des cheveux postiches, mille formes différentes, les maîtres Perruquiers n’épargnent ni peine ni soin, pour varier & perfectionner leur chef d’œuvre, & piquer la vanité. C’est à leur industrie que nous sommes redevables des frisures prétendues élégantes, dont on ne sauroit retenir les noms, auxquelles tant d’hommes attachent leur mérite, qui, en effet ne va pas plus loin, & dont les Perruquiers sont leur profit.

L’histoire de la barbe fait voir que la mode n’a pas moins exercé ses caprices sur la barbe que sur la chevelure ; on lui a donné toutes sortes de formes, ronde, quarrée, pointue, en éventail, en queue d’hirondelle, & en cent autres manieres ; pour tenir la barbe dans ces formes diverses ; on imagina des cires préparées, sur lesquelles la barbe s’appliquoit & se tenoit ferme ; on les déguisa, on leur donna la couleur & l’odeur qu’on voulut. L’industrie toujours ingénieuse, à flatter la vanité, mit tout à contribution pour satisfaire les petits maîtres, ensuite on en rasa une partie, on n’en laissa qu’une petite pointe au menton, ou sur la levre inférieure, & des moustaches, à divers crochets, plus ou moins grandes ; enfin, la barbe a disparu, & n’est plus que chez les Capucins, où même elle a beaucoup perdu de son vaste empire. On lui a rétranché plusieurs provinces : les Genales, les Labiales, les Gutturales ; il ne reste plus guere que la Mantoniere. Toutes ces révolutions des cheveux & de la barbe ont occasionné des événemens plaisans, des contestations ridicules, qui servent à égayer leurs histoires. Celle des perruques en fournit une fort ample, dont M. Thiers a fait un livre. Toutes ces variations donnent de l’activité au commerce, & font vivre bien de gens. La tête des hommes a fourni les deux premiers tomes, on en promet cinq ou six pour la tête des femmes ; ce n’est pas trop. L’auteur se promet un grand fruit de son livre ; c’est qu’il sera utile au théatre, en enseignant aux comédiens le vrai costume de tous les tems, ce qui contribuera à rendre l’illusion plus parfaite, bien inestimable pour l’Etat, les mœurs & la Réligion.

L’excès ou l’affectation des parures, rend légitimement suspect de plusieurs vices. 1°. De vanité & de molesse ; ce n’est pas même un soupçon, chaque ruban, chaque coup de pinceau l’affiche, toute la personne d’une actrice n’en est qu’un composé. Le blanc & le rouge ne sont que sur la peau, la vanité & la molesse sont dans le cœur, il en est composé, il en est paitri ; 2°. d’incontinence. Elle n’est guere moins certaine, pourquoi vouloir si fort plaire aux hommes. Si on ne les aime ? Pourquoi tant chercher des amans si on n’a des besoins à satisfaires ? Les parures recherchées sont des enseignes du vice, dit Saint Cyprien : Insignia lupanarium, insignia meretricum. Est-ce pour inspirer la vertu au patterre, & pour faire preuve de modestie & de charité, qu’une actrice paroît dévergondée sur le théatre ? Quelles sont donc les prétentions ? L’énigme n’est pas difficile à deviner ; 3°. de bassesse & d’avarice. On se prive du nécessaire, on s’arrache le morceau de la bouche ; pour meubler la toilette. Martial disoit plaisammant aux coquettes de Rome, vous portés des terres pendues à vos oreilles & à votre cou, parce qu’elles les vendoient pour acheter des pierreries. Nos Princesses qui n’ont point de terre à vendre, mangent un morceau de pain bïs, & portent leur dînés & leur soupé sur leurs joues. Ne prenons pas le change, la tête brille aux dépens de la table, le cuisinier payé le baigneur ; c’est une allusion peu dévote de l’Evangile, quand vous jeûnerez, dit-il, l’avez votre visage, parfumez votre tête, pour cacher votre pénitence. On encherit sur l’Evangile, on fait pénitence pour farder le visage, & parer la tête ; 4°, de friponnerie. La plupart de ces Nymphes ne sont pas en état de fournir à la dépense. Le public calcule mieux qu’on ne pense, les facultés de ces beautés brillantes ; on se ruine, on vole à qui l’on peut, on est paré de filouterie, on s’habille du bien d’autrui ; mais non, dira-t-on, je ne vole pas, je trafique mes charmes, on me donne de quoi les entretenir, l’honneur est le prix de la parure, ma personne vaut bien la plus belle étoffe : au reste, tout se négocie de gré à gré, & sans marchander. Qui peut se plaindre que je fasse valoir la source de mes richesses ? A la bonne heure, je ne veux point de procès, & ne dispute rien aux graces.

Les sentimens du cœur sont sans doute, le principal hommage que Dieu demande ; mais il exige aussi l’hommage du corps. Glorifiez & portez Dieu dans votre corps, dit l’Apôtre, par la mortification, le travail, la modestie. Le corps porte & glorifie son Dieu, la modestie regle ses mouvemens, la mortification réprime ses passions, le travail emploie utilement ses forces, voilà les livrées de la Divinité, les traits de son image, les signes de sa présence, les rayons de sa gloire. Il est aussi une autre espece de fard que les Peres conseillent : la blancheur de l’innocence, le rouge de la pudeur, l’or de la charité, le collier de l’obéissance, les pendans d’oreilles de la docilité, les fruits des bonnes pensées, les diamans des bonnes œuvres, les parfums des bons exemples. Ainsi fardé, dit Saint Cyprien, vous êtes sur de plaire à Dieu : Taliter pigmentate Deum habebitis amatorem. Il en est comme de l’armure du Chrétien, la cuirasse de la Justice, le casque du Salut, le bouclier de la Foi, la ceinture de la vérité, les souliers du zèle, pour résister aux traits de l’ennemi. Ces armes sont bien différentes de l’arcenal de Cithère, du carquois, & des traits de l’amour qui blessent les cœurs. Ainsi dit l’Apôtre, le corps est le Temple du Saint-Esprit, une Hostie vivante, sainte, raisonnable. Jamais le fard & les parures mondaines n’ont servi à parer cette Hostie à orner ce Temple, & n’ont pu plaire au Dieu de toute sainteté. Portez-les aux Temples des faux Dieux, chargez-en les victimes qu’on y brûle, sur leurs Autels : elles ne peuvent manquer de leur plaire, d’établir, d’avancer, de répandre leur culte, en même tems qu’elles détruisent celui du vrai Dieu. Ce sont les deux plats d’une balance, ce qui abaisse l’un, éleve l’autre.

On blesse le cœur de deux manières, par le plaisir & par la douleur. Une femme qui plait, un ami qui trahit, blessent le cœur. Vous avez blessé mon cœur, ma bien aimée , dit l’Epoux dans les Cantiques, par un de vos regards, par un de vos cheveux , c’est-à dire, par les choses les plus légeres, ce qui peut également s’entendre des défauts & des graces. Le sens le plus naturel qui se présente d’abord, c’est que les moindres choses plaisent dans ce qu’on aime, jusqu’à un cheveu ; mais aussi les moindres défauts y déplaisent, en ternissant la beauté. Un regard, une pensée sur un objet défendu, sont des péchés ; un regard, un cheveu peut faire naître à quelqu’un, de mauvaises pensées pour séduire son cœur, & le blesser par l’amour. Ce sont des crimes aux yeux d’un Dieu jaloux, qui veut que son Epouse soit toute à lui ; son cœur en est blessé : Vulner asti cor meum in uno crine. Une actrice dont tous les regards, toutes les boucles des cheveux, le fard & les nudités ne tendent qu’à blesser le cœur des hommes, blesse assurément le cœur de Dieu. On ne dira pas que c’est par les vertus ; l’affection de la parure des cheveux déplait à Dieu, parce qu’elle plait trop aux hommes, de l’aveu de toute l’engeance amoureuse : amans, poëtes, actrices ; les cheveux sont les liens du cœur : on y attache des graces sans nombre, on en fait des astres. La chevelure de Bérénice est une brillante constellation, leur couleur, leur frisure, leur longueur, leur naissance, leurs boucles, leurs tresses remplissent le carquois du Dieu d’amour ; on en fait des colliers, des bracelets, des chiffres ; c’est une grande faveur d’en obtenir quelqu’un. Le célebre Pope n’a-t-il pas cru bien employer son tems, à faire un poëme sur une boucle de cheveux enlevée ? Et deux Abbés à le traduire, l’Abbé des Fontaines, en prose, & l’Abbé de Renel, en vers. Travail très-inutile à l’Eglise ; n’ont-ils pas blessé le cœur de Dieu par un cheveu ? Vulnerasti in uno crine.

Le même cheveu blesse donc deux cœurs en même tems, & celui de Dieu & celui des hommes : que ces deux blessures sont différentes ! Ces deux cœurs pensent si différamment leurs goûts sont si opposés ! Ces deux rivaux sont irréconciliables, ce qui plaît à l’un déplait à l’autre. Si j’étois au gré du monde, disoit Saint Paul, je ne serois pas serviteur de Jesus-Christ ; qui se déclare ami du monde, se déclare ennemi de Jesus-Christ. Malheur à qui aime le monde, & ce qui est dans le monde : ce qui embellit aux yeux du monde, rend difforme aux yeux de Dieu. Choisissez-donc entre deux maîtres, vous ne sauriez en servir deux à la fois ; vous-même ne pouvez réunir deux sentimens si contraires. Vous haïssez l’un de ces deux maîtres, si vous aimez l’autre, & les mêmes raisons qui vous font haïr le premier vous seront aimer le second ; vous devez à votre propre repos, ce choix décisif. Comment se plaire dans la croix, quand on veut goûter les plaisirs ? La modestie a-t-elle des charmes quand on est idolâtre de la parure ? Veut-on que Dieu seul regne, lorsque l’on veut regner sur des amans ? Cherche-t-on à édifier, quand on tend des piéges à l’innocence ? Si l’on ne veut que plaire à Dieu, on est bien à plaindre de prendre inutilement tant de peine, Dieu n’en tient aucun compte ; le fard ne blesse point son cœur, il veut des vertus & non des couleurs ; des bonnes œuvres, & non des boucles de cheveux. Si on ne veut plaire qu’aux hommes, on est plus à plaindre encore, puisqu’on déplait à Dieu, & qu’en perdant la grace on perd tout pour l’éternité ; même les hommes à qui on avoit eu le malheur de plaire. Une femme à sa toilette est un Jugè sur son tribunal, elle prononce entre Dieu & le monde, elle prononce entre ses amans, & quoiqu’elle veuille plaire à tous, il en est pourtant quelqu’un de privilégié, dont elle veut faire, ou confirmer la conquête : elle fait ce qui est de son goût ; cette boucle est pour l’un, ce ruban est pour l’autre, le coup de pinceau pour un troisieme ; mais le premier arrêt, & le plus important, est celui que prononce la conscience entre Dieu & le monde. Si la Réligion gagne la cause, elle ne sera servir les cheveux qu’à essuyer les pieds de Jesus Christ, après les avoir arrosés de ses larmes. La toilette sera bientôt faite, si le monde triomphe, ou ne finira point : la poudre, les frisures, le rouge, le blanc occuperont des heures entières, & enfin conduiront en enfer, & les malheureux esclaves qu’elle aura entrainé, & la funeste beauté qui aura ourdi leurs chaînes.

Par la loi 3 & 4, ff. de off. pref. Vigil. il paroît qu’il y avoit à Rome un Magistrat, & de compagnies de Guet à ses ordres, chargés de veiller nuit & jour, sur les incendies, pour les prévenir ou les éteindre ; & ce n’étoit pas seulement les incendiaires décidés, qui de propos délibéré mettoient le feu aux maisons, ce qui a toujours, été un crime capital ; mais encore ceux qui négligeoient de couvrir, d’éteindre le feu, qui en portoient négligemment, par la faute desquels le feu pouvoit prendre, sans aucune mauvaise volonté, que ce Magistrat devoit sur le champ punir sévérement, de son autorité, les faisant foueter ou fustiger : Virgis aut fustibus cædi jubet. Une femme fardée est une vraie incendiaire, & bien volontaire, puisqu’elle se pare à dessein, pour attirer le feu de l’impureté, de tous le plus prompt & le plus dangereux ; il n’y a point d’étoupes, de pailles, de matiere combustible, plus inflammable que le cœur humain, par les attraits de la femme ; pour lui épargner un si grand danger, Dieu défend de régarder la vanité du monde : Odisti observantes vanitates  ; & le Prophête prie le Seigneur de détourner ses yeux pour ne pas la voir ; averte oculos meos ne videant vanitatem . Personne ne peut disconvenir que les parures artisées des femmes, ne soient des vanités dangéreuses, qu’il ne faut donc pas régarder. Or s’il n’est pas permis de les régarder, peut-il être permis de les étaler, pour les faire régarder ? Ces vains ornemens sont une folie, une pompe de satan, dit Saint Chrisostôme ; insanis pompa satanæ . N’y eût il pas même de l’affectation, & de dessein prémédités, la seule négligence suffit pour allumer l’incendie, & rendre coupable la femme qui laisse voltiger les éteincelles, qui l’apporte de toute part, au bal, à la comédie, à l’Eglise, à la promenade, au cercle, dans les rues. Est-ce par hazard que vous avez allumé le feu ? Je le veux, il n’en brûle pas moins, vous n’en êtes pas moins coupable : Adolescentis oculis ne fortuitò pateat per vulnus alienum & tuum, sed utrumque tuum.

Qu’on ferme les yeux, si l’on est si foible, dira cette actrice ; faut-il que je ne porte pas des diamans, parce que des yeux malades ne peuvent en soutenir l’éclat ? Est-ce bien votre intention qu’on les ferme ? Monteriez-vous sur la scéne, vous farderiez-vous, vous découvririez-vous le sein, si personne ne devoit vous régarder ? N’est-ce pas au contraire pour qu’on vous régarde, qu’on vous admire, qu’on vous aime, qu’on vous achete, que vous vous étalez ? Les gens de bien fermeront les yeux, sans doute, pour ne pas exposer leur innocence à un péril certain. Les libertins les ouvriront, pour répaître leur corruption de l’aliment du vice ; mais peut-on en conscience exposer aux yeux, ce que la vertu est obligée de fuir, & que le vice récherche ? Ce qui nourrit l’un, & fait perdre l’autre ? L’un combat la tentation, l’autre y succombe, ne doit-on pas également se réprocher d’avoir déclaré la guerre, occasionné la victoire, & causé la défaite ? Que sera-ce d’augmenter les rebelles, de donner le signal du combat dans le lieu saint, pendant le saint Sacrifice ; lancer ces traits empoisonnés sur des personnes pieuses, dont on trouble, dont on détruit peut-être la dévotion, sur des personnes qui venoient recevoir les Sacremens, & qu’on en rend indignes, qui entendoient le Sermon, à qui on en fait perdre tout le fruit ; jusques sur des Ministres, dont on profane les fonctions sacrées. Des visages fardés, des gorges découvertes méritent bien plus d’être chassées du Temple, à coups de fouet, que des marchands de colombes pour le Sacrifice ; ils ne vendent rien moins que des colombes & ce n’est pas pour le Sacrifice qu’on étale cette infâme marchandise, & qu’on fait ce marché honteux.

Henri Henriques, Portugais, d’abord Jésuite, & ensuite Dominiquain, enfin redèvenu Jesuite, a composé une Somme Théologique, éloignée des deux excès, du rélâchement & de la sévérité ; c’est un Casuiste judicieux, méthodique, clair & précis, habile Canoniste : il parle, L. 8, C. 56, de ceux à qui on doit réfuser, même publiquement, la Communion, il décide comme tout le monde, qu’il faut la réfuser aux pécheurs publics, selon ces paroles de l’Evangile : ne donnez pas les choses saintes aux chiens  ; il distingue les différentes especes de notorieté, & de connoissance personnelle, qu’on peut avoir du crime, & donne des exemples de plusieurs sortes de pécheurs publics, qui ne méritent pas de communier ; la plupart ne sont pas l’objet de cet ouvrage. Les usuriers, les joueurs de profession, sur tout, s’ils sont Ecclésiastiques, les concubinaires, &c.

En voici deux qui nous régardent : les Comédiens, les Femmes fardées, il y ajoute les danseuses publiques, ce qui rentre dans l’espece de comédiens, puisqu’ils dansent sur le théatre. Toutes ces personnes sont en état de péché, & indignes de communier devant Dieu, elles le sont encore devant les hommes ; puisque leur péché est public, & de la plus grande notorieté. Il ne faut qu’ouvrir les yeux, pour en être témoin, elles montent sur le théatre, & en font profession. Les femmes fardées sont prises en flagrant de lit, leur péché est peint sur leur visage ; les comédiens sont, à la vérité plus coupables. Outre le fard dont les actrices sont aussi barbouillées ; leurs paroles, leurs gestes, leur metier infâme, sont un tissu de scandales continuels, sur-tout si une femme se présente fardée à la Sainte Table, elle doit évidemment être réfusée, son état même est un scandale. Qui doute que si elle venoit aux pieds des Autels en masque, ou la gorge indécemment découverte, elle ne s’en exclue elle même, par son immodestie ? Le fard est une autre sorte de masque & d’immodestie, aussi peu tolérable, & aussi dangéreuse. Cet auteur appuye sa décision de plusieurs autres : Navarre, Tostat, Armilla, &c. Il est vrai qu’il peut n’y avoir que de la légereté, sans dessein de séduire personne, & le péché ne seroit alors que véniel, comme le remarque le même auteur ; mais il est rare que l’intention ne soit criminelle ; quoiqu’il en soit du motif, que le Prêtre qui donne la Communion ne peut démêler, & qu’il a droit de soupçonner mauvais, puisque l’action est mauvaise, le seul état où l’on oseroit paroitre dans le lieu Saint, pour une action si sainte, donne droit d’exclure la personne qui se présente si indécemment. Ce cas est rare, communément on vient à la Communion dans un état modeste ; les femmes qui n’ont point de réligion, ne communient pas, celles qui en ont se rendent alors justice, fussent-elles des actrices.

Voici les paroles de Saint Augustin rapportées dans le Décret de Gratien, C. 10, distinct. 5, de consecrat. adoptées par tous les auteurs : Fucare pigmentis quo rubicundior vel condior appareat adulterina fallacia est, quam non dubito etiam ipsas maritas nolle decipit quibus socis permitenda sunt fœminæ ornari secundum veniam, non secundum imperium, nam verus ornatus maximi Christianorum vel Christianorum non tautum, nullus fucus mendax, verum nec auri quidam vestisque pompa sed boni mores sunt. Execranda autem superstitio ligaturum in quibus etiam in auris virorum, in summis ex unâ parte auriculis suspensa deputentur non ad placendum hominibus sed ad serviendum Dæmonibus adhibentur. La Glose y ajoute deux vers dans le goût du tems.

Si vitium frontis alienus fucus inaurat,
Gloria frontis obit, si color hospes abit.

Saint Augustin est bien sévere, il appelle le fard une espece d’adultere, il prétend que les maris eux-mêmes n’en veulent point, qu’une femme ne doit se parer que pour plaire à son mari ; que le véritable ornement ce sont les bonnes mœurs, sur-tout pour des chrétiens ; il ne permet pas même qu’on y emploie l’or, il condamne jusqu’aux pendans d’oreilles. Il semble que les Payens, par superstition, y avoient attaché une espece de talisman, pour le faire aimer des hommes, ce qui seront encore plus criminel. Mais dans le fond, les femmes y attachent des agrémens, qui sont une espece de talisman, pour plaire aux hommes. Le meilleur philtre est ce qui reveille en eux les tentations de l’impureté & il est certain que ces parures y sont très propres, les femmes le savent bien, y comptent, & les emploient dans ces vues.