Chapitre V.
Du Luxe des coëffures.
L’EXCÈS du Luxe dans les ornemens de la tête, n’est pas
nouveau ; il remonte à la plus haute antiquité. Josephe nous apprend que les
Ecuyers & les Pages de Salomon se poudroient tous les jours avec de la
limaille d’or, ce qui donnoit à leurs cheveux le plus grand éclat ; sans
doute que les femmes de ce Prince, & lui même se servoit de cette
parure, puisque l’épouse des Cantiques loue sa tête d’or,
Caput, ejus aurum optimum.
Il est vrai qu’on
peut l’entendre dans un sens moral, une belle tête, une tête savante comme
on dit. Chrisostome bouche d’or, Chrisologue discours
doré. Mais quelques interprêtes l’entendent dans
le sens naturel d’une tête chargée d’ornemens d’or, &
notamment de poudre d’or : aussi l’épouse ajoute, ses cheveux sont noirs
comme le corbeau ;
comæ ejus nigræ quasi
corvus
. Cette idée de cheveux noirs sur cette tête d’or,
semble plutôt indiquer le sens physique d’une tête chargée & ornée d’or,
que le sens moral d’une tête pleine de sagesse ; quoique l’une n’exclue pas
l’autre, je suis surpris que dans l’excès & le rafinement du luxe, où le
théatre donne, il n’ait pas employé cette parure, riche & brillante,
sur-tout dans le rôle des Princes & des Princesses, dont plusieurs sont
employées, notamment dans le rôle de Salomon. C’eût été le, Costume. Mais il est rare que les auteurs & les acteurs soient
assez habiles pour fouiller dans Josephe. Peut être est-ce par raison
d’économie, la dépense d’une poudre d’or seroit considérable, on l’emploie
pourtant sur les lettres, dans la cire d’Espagne, &c. En revanche on
prodigue sur la tête les aigrettes, les poinçons, les galons, les rubans, les glands d’or. Les coëffures des
hommes & des femmes en sont couvertes ; mais la matiere, ne s’en perd
pas, au lieu que la poudre se perd tous les jours, soit en tombant, soit en
peignant les cheveux ; je suis persuadé que quelques jours, on verra des
actrices toutes dorées, & la poudre d’or mêlée aux diamans.
Cet usage ne remonte pas au-delà de Salomon, qui introduisit le luxe en
Judée ; ni David son pere, ni Saül le premier Roi des Juifs, n’userent de
pareilles toilettes ; ni les Juges, ni Moyse dans le désert, ni les anciens
Patriarches. Ce seroit une idée aussi fausse qu’impie, d’avancer que les
rayons de lumieres qui paroissoient sur le visage de Moyse, n’étoient que la
poudre d’or qu’il mettoit dans ses cheveux, & qui brilloit au rayon du
soleil ;
erat corona facies Moysi
. Personne
n’eút été dupe d’une si grossiere fourberie. Cette lumiere étoit un vrai
miracle que Dieu fit pour accréditer le saint
Législateur :
ex confortio Domini
. On ne
trouve point des vestiges de ce rafinement de luxe dans les Rois successeurs
de Salomon, dont aucun ne fut aussi riche ni aussi voluptueux que lui ; dans
le détail que font les Prophêtes des ornemens des femmes Juives, on ne voit
point la poudre d’or, non plus que dans les poëtes, & si quelquefois ils
parlent des tresses dorées, de cheveux dorés ; d’Apollon,
de Venus, de l’Aurore ; &c. On n’a
jamais entendu que des cheveux blonds, qui tirent sur la couleur d’or. C’est
ainsi qu’on l’a toujours entendu à l’Opéra, & sur tous les théatres du
monde, où les Dieux & les Déesses viennent figures ; & dans la
vérité cette parure n’est point naturelle. L’or tranche trop avec la couleur
des cheveux & du visage ; éparpillé sur la tête, il ne fait point une
continuité de couleur, avec les cheveux qu’il laisse voir au dessous. Il y a
plus de magnificence que du goût dans cette prodigalité.
Elle fut inconnue à Rome dans les tems vertueux de la République, & même
dans le régne des premiers Césars ; elle étoit si opposée aux mœurs
romaines, & elle eût mal figuré avec la couronne de lauriers qu’ils se
faisoient gloire de porter ; des cheveux poudres d’or n’ont pas l’air
militaire, ni l’air Magistrat, de pareilles têtes au Sénat, à la tribune, à
l’armée auroient fait pitié. La farine qui couvre les têtes des Officiers,
des Magistrats, des Jurisconsultes françois, n’est pas moins ridicule ; ce
ne fut que sous les Empereurs perdus de débauches, qui ne connoissoient
point de décence que la poudre d’or fut connue. Jules
Capitolines, le rapporte de Lucius Varus,
Lampridius de Commode, & Tribellius Pollia de Gallien.
Tantam habuit curam
flaventium capillorum, ut capiti auri ramenta spargeret capillo
semper suberto & auri ramentis illuminato. crinibus auri scobem
aspersit.
Aussi, quelle idée nous donne l’histoire de ces
monstres ? Elle est peu flatteuse,
aliæ cupidissimus,
vitæ semper luxuriosæ, in pluribus alter Nero. &c.
Je ne doute pas que les Empereurs de Constantinople, & toute leur Cour,
n’aient employé ce fonds d’or, sous les diamants innombrables dont ils
étoient chamarrés, St. Grégoire de Nice parle d’une teinture d’or en usage
de son tems, dont on enduisoit les cheveux comme on les enduit d’essence,
c’étoit une espece de vernis appliqué sur les cheveux, qui faisoit un
meilleur effet que la poudre, apparemment de-là étoit venue l’ancienne
coutume de dorer en entier les statues des Saints, sans laisser la couleur
de la chair, même aux pieds, aux mains & au visage. Ce qui est un vrai
ridicule. C’en étoit un encore de dorer les cheveux, l’histoire des voyages
rapporte que les Negres sur la Côte d’or, & dans
l’intérieur de l’Afrique, les Sauvages dans la Guyane
& dans l’intérieur de l’Amérique méridionale, le long de l’Orenoque, où il y a beaucoup d’or, & où il se fait même un
commerce de poudre d’or, ces peuples en répandent non seulement sur leur
tête, mais sur-tout le corps, après l’avoir oingt de quelque matiere grasse,
où elle s’attache, ce qui, en se séchant, forme une croute émaillée d’or,
qu’ils trouvent fort agréable ; ce n’est pas le goût François, il n’y a
point de femme qui pour l’usage de sa toilette, ne préfere le blanc & le
rouge à la poudre d’or. Le goût dominant est la volupté, le plus sur moyen
de plaire, est d’irriter les mouvemens de la sensualité ; par conséquens de
fortifier, d’embellir, de conserver la couleur, la fraîcheur, la délicatesse
du teint, c’est à-dire, la carnation naturelle, ce sont les Lys & les
Roses, & non les paillettes d’or, qui vont au cœur ; l’or au contraire,
au lieu de se fondre & de s’incorporer avec les couleurs naturelles,
douces &
tendres, tranche, tenir, donne un
air rude, un ton livide, annonce la magnificence, mais n’allume point la
passion, on le répandra sur les habits, par vanité, jamais sur le coloris
par volupté. Le théatre & la toilette n’en feront jamais usage dans la
composition des graces.
La blancheur de la poudre ordinaire se fond, s’incorpore avec le teint, & semble n’être que la continuation de la peau, elle releve les couleurs vives, artificielles ou naturelles ; dans les Pays où la blancheur est une beauté, elle doit être à la mode ; mais dans l’Afrique & dans l’Amérique, où d’autres couleurs plaisent d’avantage, cette poudre est inconnue ; on doit en employer d’une autre couleur en France ; la consommation en est étonnante. Au peuple près & aux gens de la campagne, tout le monde en porte, & plusieurs à l’excès, & il y en a grand nombre de l’un & de l’autre sexe, pour qui chaque jour il faut moins de farine en pain, qu’il ne lui en faut en poudre. Le Sanctuaire n’est pas exempt de ce désordre. Une infinité d’Ecclésiastiques de tous les rangs, depuis la premiere Dignité jusqu’au dernier Bedeau, ose y paroître couvert de poudre, & même monter à l’Autel, quoique le nombre de ceux qui y montent soit petit, un Prêtre curieux de sa parure, a peu de goût pour célébrer la sainte Messe, & il fait bien. L’agneau sans tache seroit peu flatté d’être mis entre ses mains, croiroit-on que les Canons des Conciles, les Statuts des Diocèses, les Mandemens des Evêques le défendent expressement. On a vu long-tems les Séminaires qui se piquoient de régularité, inexorables sur l’usage de la poudre, & les Evêques ne pas les souffrir à leur Cour. Aujourd’hui on passe les bornes de la tolérance. Cet usage est devenu un devoir, une partie de l’éducation ecclésiastique. Le grand Vicaire n’oseroit paroître au Palais, l’Aumônier servir à l’Autel, l’aspirant se présenter à l’ordination sans arborer, sans outrer cette parure, & la négligence seroit un ridicule & un crime, qui excluroit des faveurs & des graces. Il est même déjà quelques Religieux, qui pensent que leur habit de pénitence exige qu’ils arborent cette sainte parure.
Nous avons parlé ci-dessus Livre 6, Chap. 5, du procès que les Barbiers Perruquiers, ont fait aux Coëffeurs des
Dames ; mais nous n’avons pas tout dit. Leurs Mémoires sont un
parterre où l’on peut encore cueillir bien de fleurs.
Sur le théatre où regne
, disent-ils,
l’illusion, où les Dieux, les Démons, les
Héros, les Fées, les Magiciens, se reproduisent sans cesse, une tête sortant de nos mains, est
tantôt celle d’une Divinité, tantôt celle d’une Héroïne, tantôt celle d’une simple
Bergere. La chevelure d’Armide n’a rien de
commun avec celle de Diane, celle de Phedre avec celle
d’Alcimadure.
(Ils savent l’histoire, la
fable, le théatre, nos savans Barbiers.
les cheveux
serpentent, & entrelacés de furies forment le plus parfait
contraste avec les ondulations des cheveux flottans de
l’amour
: en saisissant les nuances attachées aux différents genres,
on reconnoît la
main d’un habile artiste ; l’art du Coëffeur
des Dames tient donc au génie
, c’est un art
libre & libéral.
L’arrangement des cheveux & de boucles, ne remplit pas même tout notre objet. Nous avons sous nos doigts les trésors de Golgonde, la disposition des diamans, des croissans, des Sultanes, des Aigrettes. Un Gouverneur de place sait quel fonds il doit faire sur une demi-lune. Il a ses Ingénieurs, nous sommes Ingénieurs en cette partie, avec un croissant avantageusement placé, il est bien difficile que l’ennemi ne se rende. Ainsi nous assurons & étendons sans cesse l’Empire de la beauté, par des demi-lunes.
Les fonctions de Barbiers
Perruquiers sont bien différentes ; tondre une tête, acheter sa
dépouille, donner à des cheveux qui n’ont plus de vie, la courbe nécessaire
avec le fer & le feu, les tresser, les disposer sur un simulacre de
bois, employer le secours du marteau comme celui du peigne, mettre sur la
tête d’un Marquis la chevelure d’un Savoyard, se faire payer bien cher la
métamorphose, barbouiller un visage pour le rendre propre, enlever au menton
de l’homme l’attribut de son sexe, &c. Ces fonctions sont purement
méchaniques. Nous pourrions leur disputer la coëffure des petits maîtres,
par l’analogie à celle des Dames ; mais nous laissons volontiers leur tête
entre, les mains d’un Perruquier, afin qu’ils fassent moins de progrès dans
la coqueterie. Nous nous bornons aux Dames ; leurs maris même ne sont pas de
notre compétence,
ni du goût des Dames que nous
coëffons
.
Le Perruquier a une matiere d’ouvrage, le Coëffeur n’a qu’un sujet. On emploie dans le travail une matiere, on travaille sur un sujet. L’un travaille avec les cheveux, il en fait des ouvrages, tels que les Perruques, les boucles ; l’autre travaille sur les cheveux ; il ne fait que manier les cheveux naturels, leur donner une modification agréable. Le Perruquier est un Marchand qui vend la matiere, & son ouvrage, lesquels sont sujets à confiscation. Le Coeffeur ne vend que ses services, le sujet sur lequel il travaille n’est point à lui, on ne confisque point là frisure d’une Dame, sa chevelure n’est point dans le commerce, ni sujette aux Statuts des Perruquiers. Elle ne connoît que les loix de Paphos auxquelles toute la Finance est très soumise.
Si les Perruquiers avoient le droit exclusif de coëffer les Dames, pourquoi laissoient-ils établir des Coëffeuses, dont le nombre est si considerable ? Peu leur importe que ce soit des femmes ou des hommes, s’ils ne le sont pas. Les hommes sont préférables, parce qu’ils ont le goût plus sûr, & qu’ils l’ont plus au gré des Dames. On cherche à leur plaire. Ils sont donc les premiers & les meilleurs Juges des impressions que sont leurs ouvrages, & d’en diriger plus éfficacement les agrémens. Sur des raisons si sages, un Arrêt du Parlement daté du 20 Juin 1761, a jugé la question, en faveur des Coëffeurs de Marseille, contre les Perruquiers qui leur avoient fait un procès. On vit plus en paix dans la Capitale. Chacun trouve à s’occuper, & à s’enrichir ; car il y a 1200 Coëffeurs de femmes à Paris, & au moins autant de Coëffeuses.
Mais, dit-on, tout n’iroit que mieux, s’il y avoit moins de prétentions, & d’esprit dans la toilette des Dames. Ce n’est pas à vous à juger si les mœurs de Sparte sont préférables à celles d’Athénes ; si la Bergere qui se mire dans la fontaine, & se pare de fleurs, merite plus d’hommage que la brillante Citoyenne qui use de tous les rafinemens de la parure. Il faut prendre le siécle dans l’état où il est, puisqu’aussi bien la réforme subite seroit contre l’ordre des événemens humains. C’est au ton des mœurs actuelles que nous devons notre existence ; nous subsisterons autant qu’elles.
Les differents visages demandent des traitemens différents, pour embellir la nature, ou réparer ses disgraces, concilier le ton de la chair avec la couleur de l’accommodage ; comme un peintre il faut connoître les nuances, l’usage du clair obscur, la distribution des ombres, pour donner plus de vif au teint, & d’expression aux graces. La blancheur de la peau sera rélévée par la teinte rembrunie de la chevelure, & l’éclat trop vif sera modéré par la couleur cendrée dont nous peindrons les cheveux.
Dans presque toute la terre, les femmes se coëffent en cheveux : c’est la coëffure naturelle ; mais grace à l’inépuisable fécondité de leur vanité, la maniere de se coëffer est infiniment diversifiée. Ce sont sur-tout les Dames Mougoles qui ont un art singulier de varier la disposition de leurs cheveux ; elles imitent toutes les fleurs & tous les fruits ; en Rose, en Tulipe, en Violette, en lasmin, en Melon, en Poire, en Cérise, en Raisin. Toutes les figures de Géometrie piramide, triangle, prisme, croissant, cilindre, ligne spirale, &c. Pour cela elles assujetissent leurs cheveux avec des boucles & des peignes ; souvent d’or, d’argent, de pierres précieuses, ordinairement en tresses pendantes, croisées, rétroussées, qui serpentent, où elles attachent des diamants, de petites plaques d’or, de fleurs artificielles. C’est un art de favoir faire à propos des mouvements de tête, qui mettent dans leur jour la beauté de leur chevelure, & le chef-d’œuvre de leur toillete. Elles se percent les narrines, & y portent un anneau d’or, où est enchassé un diamant. Leurs oreilles sont aussi percées, tout autour, pour y attacher des pierreries en demi-cercle, leurs colliers, leurs bracelets, leurs bagues, leurs jarretieres sont du plus grand prix. Plusieurs de ces femmes sont prèsque blanches, la plûpart olivatres. Chaque Nation a sa couleur propre, du moins, quelque nuance qui la distingue, ainsi que la maniere d’arranger les cheveux.
Les Dames Françoises ont porté plus loin que personne la variété des coëffures ; mais ce n’est que par la diversité des rubans, des linges, des fleurs, des aigrettes, des pompons ; le Sieur Duclos des Académies de Toulouse, & de Montauban, avoit fait un gros livre de l’histoire, & de la diversité des coëffures françoises ; ouvrage de la derniere importance pour l’Etat. Les Dames Indiennes n’ont pas cette variété, qui occupe une infinité de Coëffeuses à Paris, & dans les Provinces, mais elles l’emportent pour l’arrangement des cheveux, les Françoises seront bientôt de pair avec le sérail d’Agra & de d’Eli, & même elles enchériront sur toute l’Inde, à la faveur des leçons du sieur le Gros, célébre & immortel Coëffeur des Dames ; il vient de donner un grand Traité de son art, que l’Académie des Sciences joindra aux Traités des arts & métiers▶, qu’elle donne à ce Traité de la coëffure des Dames, il vient de joindre un beau Supplément, car c’est un art infini, qui jamais ne sera parfait, ne fût-ce qu’un Dictionnaire des termes de toilette. Rien n’étoit plus nécessaire, aucun n’est plus soumis à l’inconstance des modes. Ce Supplément offre sept Coëffures nouvelles. L’une pour les Dames qui montent à cheval, vêtues en Amazones ; chacune des autres a sa destination. Pour faire jouir les Cours étrangeres de tant d’heureuses & importantes découvertes, le sieur le Gros se propose d’y aller établir incéssamment des Académies de coëffure, comme il en a établies à Paris ; où l’on prend les degrés de Bachelier, Licencié, Docteur dans son art, où l’on fait des exercices, soutient des theses, distribue des prix. Les Journaux ont annoncé très-sérieusement, ce bel établissement & cet admirable artiste. Personne ne l’a lu sans rire. Cet Art est si noble, que la Reine d’Angleterre l’exerce, frise, poudre, arrange les cheveux du Roi son mari. Le desir d’épargner cette peine à la Reine, & de conserver la pratique du Roi, a fait présenter par le Corps des Perruquiers, une adresse à Sa Majesté Britannique, pour être maintenu dans tous ses droits. On doit croire pour l’honneur du trône, que ce n’est qu’un jeu, une plaisanterie, que la Reine a fait une ou deux fois sans conséquence. Le sieur le Gros joue un grand rôle sur les trois théatres en faveur des actrices. Je ne sais pourtant si elles ne seroient pas plus en état de lui donner des leçons, que d’en recevoir de lui. Ce sont de grandes maîtresses de toilette.
La ville de Paris étoit abondamment fournie de Perruquiers, Baigneurs, Coëffeurs, Coëffeuses, &c. Cependant le Roi en créa 110 Charges, au mois de février 1771. Quatre heures après l’enrégistrement fait au Parlement, toutes ces charges furent levées aux parties casuelles ; chaque maître a bien cinq ou six garçons, ce qui fait six à sept cent personnes de plus, occupés à la Coëffure. Julien l’Apostat montant sur le trône, trouva trois mille Barbiers, occupés dans le Palais au service de la Cour, qu’il réduisit à une trentaine. La premiere fois qu’il voulut se faire raser, il se présenta un Barbier couvert d’or & d’argent, & d’étoffes les plus précieuses. Il le renvoya avec indignation, disant qu’il avoit demandé un Barbier, & non un Grand Seigneur.
César Daillion est le nom illustre & immortel d’un
Marchand Parfameur de Paris, rue S. Denis, à l’enseigne de l’Immortalité, que ses admirables découvertes, dans le grand art
de la Coëffure, ont placé dans le temple de mémoire, à côté des hommes les
plus célébres des Guerriers, des Philosophes, &c. Il a eu le bonheur
d’inventer des fers à créper les cheveux des
femmes, sans le secours des papillotes. Il les a tellement
perfectionné que les Dames peuvent se coëffer elles-mêmes sans aide,
s’accommoder les cheveux à la Grecque, à la hauteur qu’elles
veulent, en dresser même les racines & les
vergettes
. Découverte admirable du dix-huitieme siécle, qui
dispensera des échelles ingénieuses, mais incommodes, sur lesquelles les
Baigneurs se guindoient
pour atteindre à leurs
cheveux, à peu près comme les Jardîniers pour tondre les arbustes & les
arbres des allées, ces fers sont aussi très-commodes pour les hommes, &
même pour les Abbés, qui ne sont pas moins curieux que les
femmes, des graces enchanteresses de la coëffure.
Les Coëffeurs & les Coëffeuses qui voudront s’en rendre l’usage familier, trouveront toute la facilité dans la politesse & le zéle patriotique pour le bien public, dont le Grand César Daillion est rempli, ils abrégeront beaucoup leurs ouvrages, & gagneront au moins une heure de tems, sur chaque tête à coëffer ; tant pis, ils seront moins employés, moins payés ; il faudra moins de Coëfeurs, on y mettra moins de tems. Il y aura moins de façons, au lieu de quatre heures la toilette n’en durera que trois. Le Valet de Chambre suffira à Madame, & le sage Cesar Daillion n’aura bientôt plus de pratique, il ne sera accueilli que de quelque Philosophe misantrope, ou de que qu’homme de lettres avare du tems, qui regardent une heure comme la vingt-quatrieme partie d’un jour, & la huitieme du tems qu’on passe hors du lit. Mais ce saint Parfumeur croit sans doute, que cette heure épargnée chaque jour, sera utilement employée à des exercices de piété à la Priere, à la Messe, au soin de la famille : œuvres bourgeoises, auxquelles il devroit bien savoir qu’on ne peut, sans déroger, trouver le loisir de s’appliquer.
Mais personne n’y perd plus que les actrices, & leurs amans. La galanterie & la paruré, cause & effet mutuel l’un de l’autre y sont inséparables, le rouge qu’on n’y distingue presque plus, est incorporé & comme identifié avec leur visage ; la galanterie est l’air qu’on y respire. Actrice & galanterie sont des synonimes. Ainsi la toilette sert à plus d’un usage, & la parure quoique de la derniere importance, n’en est pas le seul. On y reçoit des lettres, on y lit des Romans, on y donne de rendez-vous ; les adorateurs qui l’assiegent, auxquels on étale negligemment les charmes, y offrent leurs cœurs, & les brûlent à ces charmantes flammes ; on y reçoit des faveurs, on y prend des libertés, auxquelles l’état où l’on se montre invite, & qu’il facilite, en faisant semblant de refuser ; on loue, on admire, on éleve jusqu’aux cieux la beauté, les graces, les talens, les succès Dramatiques de la nouvelle Thalie, on avale à longs traits, on est ennyvré de la fumée de tant d’encens ; c’est un Ministre qui donne audience, c’est un Roi sur son Trône, qui reçoit des hommages, c’est une Déesse élevée sur l’Autel, à qui l’on rend un culte religieux, à quoi pense donc l’indiscret Daillion, d’abréger des momens délicieux, qu’on ne sauroit faire trop durer. Tout le theatre va se liguer contre lui, à quoi pense-t-il de vouloir qu’une Déesse plus brillante que l’Aurore employe ses doigts de rose à élever l’Architecture de ses cheveux ; & priver son amant du bonheur de placer une boucle ? C’est un profane, un sacrilege qu’il faut chasser du Temple des graces, & envoyer coëffer les Actrices du Monomotapa.
L’état de Baigneur, Coëffeur étoit considérable à Rome, comme il l’est en France ; mais il ne le devint que quand les mœurs s’y corrompirent ; à peine connus auparavant, le Luxe les fit sortir de la misere & de l’obscurité, on les appelloit Cinerarius & Cinisto, comme nous l’apprend Varron ; parce qu’ils faisoient chauffer leur fer à friser dans des cendres chaudes, il n’y a pas un siécle que cette lie du peuple a commencé de jouer un rôle, & elle veut aujourd’hui aller de pair avec les Seigneurs ; elle forme un corps nombreux, fait valoir des Privileges, arbore le luxe des habits, & la parure de la tête comme un modele, une poupée vivante qu’elle présente ; le Théatre lui forme un grand crédit, la grande regle du bon goût est la parure d’une Actrice. C’est la plus élégante poupée. On n’oseroit paroitre dans le monde, si on n’est coëffé en Comédien ; aussi les Baigneurs & les Coëffeuses vont assidument au spectacle, & par libertinage, & par intérêt, pour prendre des leçons de leurs bonnes amies, car personne ne porte plus loin la finesse de l’art, & les coups de maître. Ce genre de folies les favorise encore, parce qu’il entre dans l’ordre des mœurs, & flatte la mollesse & la vanité de ceux qui le voyent, quelle mine plus riche pour le Théatre & ses suppôts ! Faut il être surpris, si l’on y trouve les plus grands Maîtres ?
Il y avoit à Rome des pleureuses à gages, appellées Præficæ, qui dans les convois suivoient les morts en pleurant, sanglotant, s’arrachant les cheveux, se frappant la poitrine, comme si elles eussent été dans la derniere désolation. Elles avoient une adresse singuliere à s’habiller, à se coëffer, à se plaindre d’une maniere lugubre ; à se donner l’air le plus triste, pour mieux jouer la douleur. Les veuves Romaines s’enservoient pour se mettre dans le plus grand deuil, & mieux contrefaire les affligées, les Coëffeuses mortuaires s’accréditoient, & leur talent pour la parure les firent employer pour toute sorte de décoration, & les rendirent très-célebres ; d’autant mieux que dans le bon goût de la coquetterie, une parure en noir, a beaucoup de grace, il convient mieux qu’aucune autre au teint & à la phisionomie de certaines personnes. Ce passage des funérailles à la toilette, & de la toilette aux funérailles, en rappellant l’idée de la mort, devroit fournir matiere à bien de réflexions, si la vanité laissoit la liberté de réflechir.
Les Dames Romaines opulentes avoient pour leur parure une famille d’esclaves complette L’une étoit chargée de peigner les cheveux, l’autre de les friser, une troisiéme de les poudrer, une autre de les parfumer avec des essences, celle-ci avoit pour son partage le front, celle-là le derriere de la tête, un autre les sourcils ; il y en avoit pour chacune des autres parties de l’habillement ; les souliers, les bas, les jarretieres, la juppe, la robe, &c. Chacun avoit son Officier, sa charge & son emploi ; tout se faisoit avec le plus grand ordre, pour peu qu’elles manquassent à leur devoir, elles étoient sur le champ fustigées, & pour être plus en état de recevoir les coups, elles avoient les épaules nues ; on peut voir cette belle description dans Juvenal, Sat. 6. Nos Dames ne sont pas assez riches, pour avoir cette foule de femmes de chambre, deux ou trois font assez mesquinement ces importantes fonctions. Il faut que par leur adresse & leur diligence, elles remplacent cinquante mains qui construisoient autrefois ce bel édifice.
Guillaume Penn & Joseph Barclai,
hommes d’un mérite supérieur, employerent tout leur bien, leurs travaux,
leur crédit, pour établir les Quakers en Amérique, dans la
Province qui porte le nom de Pensilvanie ; ils y fonderent
une Eglise de leur Secte, & firent servir leurs talents pour séduire le
peuple, & réduire en systême toutes les rêveries des Quakers ; ils y ont réussi. Cette religion y subsiste encore sans
altération, Barclai en composa une apologie ; en voici un trait fort
singulier.
Si être vain & extravagant en habits, se
farder le visage, s’entortiller & friser les cheveux, être
chargé d’or & d’argent, & de Pierreries, couverts de rubans
& de dentelles. Si c’est être doux, humble, chaste, mortifié,
pieux, si c’est porter les ornemens de chrètiens, alors nos
Adversaires sont de bons chrétiens, & nous sommes des fous,
& des fantasques, en nous contentant de ce que la necessité
& la commodité demande, &
regardant le reste comme superfliu.
C’est un Quaker à
la vérité qui parle, mais c’est la raison & la religion qui lui dictent
la Morale. Ainsi pensoit & agissoit St-Cyprien &
les autres Peres
inunge oculos tuos non stibio Diaboli ;
sed collirio Christi
. Telle étoit la conduite, & le
langage des Prophêtes, & des vrais Israélites. Ezechiel 23 faisoit ce reproche aux femmes mondaines. Les voilà
donc venus, vos amans pour qui vous vous êtes baignées, fardées, &
chargées de tout l’attirail de la toilette ;
pro quibus
te lavisti, & circumdinisti stibio oculos tuos, & ornasa es
mundo mulieri venerunt tibi
. Que dis-je ? C’est
l’exemple que donneront au monde, non-seulement les Catons, les Scipions, tous les Sages de la
République romaine, mais Auguste, Nerva,
Trajan, les Antonins, qui vivoient
dans la plus grande simplicité. Tandis que dans le même tems l’histoire
lance des anathêmes sur les excès de Cléopatre, en Egypte,
d’Hérode à Jérusalem, de Neron &
de Poppée, de Caligula, de Caracala, de Commode, d’Heliogabale, &c. qui ne se rendoient pas
moins odieux par leur luxe que par leurs crimes, & hâterent par l’un
& par l’autre la chute de l’Empire.
Sabatier dans son Dictionnaire, prétend que les Dames & les petits maîtres de Rome, se servoient du safran pour rendre leur cheveux blonds, cependant le safran rend plutôt jaune que blond, car le blond est une couleur d’efféminé ; les cheveux noirs conviennent mieux aux hommes. Les hommes y semoient une poudre d’or, auri ramenta ; comme nous en jettons quelquefois sur l’encre dans nos lettres. On reproche ce luxe à Neron, à Lucius Varus, à Commode, à Heliogabale. Ce seroit une erreur de penser qu’on fit dissoudre l’or, pour entrer dans la teinture un or portable qui se répandit comme la teinture ordinaire, comme une pommade est une chimere, & seroit une dépense énorme.) C’étoit des Rois de Théatre, des Actrices, & non des hommes. Dans tous les tems, l’esprit de Théatre les passions, les vices portés à l’excès ont fait la célébrité des hommes. Ces Princes ne sont connus que par leurs excès. C’étoit par magnificence qu’ils employoient cette poudre, l’or ne donne point de couleurs, & il falloit pour les cheveux des pommades colorées, mais il rend brillant comme les diamans, & les pierres précieuses qui ne donnent pas de la couleur, mais ternissent le teint, qui n’augmente pas la beauté, mais l’effacent en éblouissant. Quand ces Empereurs étoient au soleil, leur tête paroissoit toute en feu, nos Dames ne sort pas assez riches pour user de cette poudre, mais on y viendra tôt ou tard ; en attendant elles ont une poudre extrêmement rousse qui en est un supplément, & elles donnent à leur pommade cette couleur qui donne a leurs cheveux un faux air de blond.
Absalon fils de David, si cher à son pere, & si peu digne de l’être, passoit pour le plus bel homme du Royaume d’Israel de la tête aux pieds, il étoit sans défauts, sa chevelure extrêmement longue faisoit sa plus grande beauté ; il en étoit trés-curieux. Ce Prince étoit livré à l’esprit du monde, au plaisir, au luxe, à l’ambition. Ses cheveux étoient si épais, qu’il en étoit incommode ; il falloit souvent les couper ; ils pesoient jusqu’à 200 sicles. Ce récit du livre des Rois renferme bien de difficultés, dont les interprêtes s’occupent ; étoit-ce tous les ans, comme dit la vulgate, qu’on les coupoit, ou selon d’autres versions tous les mois, ou de tems en tems, selon le besoin ? Est-ce la partie qu’on coupoit qui pesoit 200 sicles, ou la totalite qu’on croyoit les peser ; quel étoit le poids de ces sicles, qu’on appelloit poids public, poids du Roi ? Etoit-ce le poids hébreu qu’on avoit long-tems conservé dans le Sanctuaire, ou le poids Babilonien, seul en usage depuis la captivité, lorsqu’on écrivit ce livre ? S’agit-il du poids ou de la valeur, du prix des sicles, qui étoit une monnoye aussi-bien qu’un poids ? Et comment les apprécier, à moins de les mettre en vente, & de supposer que les coquettes de Jérusalem les achetoient, pour les peser, parce qu’ils étoient fort beaux, ce qui n’auroit guère convenu à ce Prince.
Quoiqu’il en soit, ces questions traitées dans tous les commentaires de l’Ecriture, sont étrangeres à cet ouvrage. Nous n’en parlons que pour faire voir combien dans tous les tems, les gens vicieux, étoient jaloux de leur parure, comme les femmes l’ont été de leurs cheveux, les gens vertueux au contraire l’ont toujours négligée, & contens d’une propreté honnete, dont la bienséance fait un devoir à tout le monde, ont toujours méprisé & condamné comme une foiblesse, un grand danger pour la vertu, & même un vrai péché, cette affectation de nourrir, de friser, de poudrer, de teindre, d’arranger, de parfumer ses cheveux, qui fait presque la moitié de la vie, de tous les libertins, de tout état, de tout sexe, jusques dans le Sanctuaire. Qu’on parcoure toutes les histoires sacrées & profanes, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Josué, David, les Prophêtes, les Apôtres, les Saints, les grands Hommes, Magistrats, Guerriers, Littérateurs, on n’en trouvera point qui se soient dégradé jusques-là, au contraire point de libertin, qui n’en ait fait une étude. C’est une suite nécessaire, de leur amour pour le corps. Absalon y trouva son malheur, ses beaux cheveux le perdirent ; ce Prince meurtrier de son frere, révolté contre son pere, fuyoit après sa défaite, en passant sous un arbre ses cheveux s’embarrasserent dans les branches ; son cheval continua sa course, & le laissa suspendu par ses cheveux ; Joab l’y perça d’un coup de lance ; ce qui avoit fait ses délices fût le chatiment de ses crimes. Samson ne fut pas plus heureux ; la courtisanne dont il devînt amoureux, lui arracha le secret de sa force, elle l’endort dans les bras de la volupté, lui coupe les cheveux & le livre aux Philistins. Salomon, comme nous avons dit, s’étant laissé amollir par les délices, rassembla pour le servir une centaine de Pages les mieux faits, qui tous les jours frisoient, parfumoient leurs cheveux, les poudroient avec une poudre d’or. C’est dommage que nos petits maîtres, moins riches que ce Prince, soient forcés de se borner à l’amidon ; la poudre d’or seroit plus brillante. Cette Cour étoit digne d’un Prince aveuglé de l’amour des femmes. Malgré sa haute sagesse jusqu’à devenir idolâtre, & à bâtir des Temples à leurs Dieux ; il fut imité dans cette extravagante toilette par les Empereurs Romains, très-propres à figurer avec les Pages & les Concubines d’un Prince perdu de débauche.
Les anciens Auteurs parlent de plusieurs manieres d’orner les cheveux, que
nous ne faisons que renouveller, ce qui se voit par les Tableaux, les
Statues, les Médailles ; 1°. En changeant de couleur, ce que St. Cyprien
appelle,
adulterinis coloribus mutare
crines
. On avoit des secrets pour leur donner toute sorte
de couleur, selon le goût ou la fantaisie ; noirs, blancs, blonds, chatains,
gris ; l’Evangile dit expressément, vous ne pouvez rendre vos cheveux blancs
ou noirs. En effet, cette couleur postiche se dissipoit en
les peignant, comme le fard du visage, en le lavant. 2°. En les rendant
brillants, soit par des graisses & des
pommades, comme font la plupart des Sauvagesses de l’Amérique, soit par
certaines drogues dont on fait l’encre luisante, soit en y jettant de la
poudre d’or ou d’argent, comme on en jette sur l’écriture fraiche,
Mulieres romanæ solent rutilare
capillos
, dit Plorius Valer. 3°. En les
parfumant avec differentes odeurs ; ce que les femmes & les petits
maîtres font toujours par la violette, la bergamote, le musc, qu’ils repandent dans la
poudre & les pommades. Ovide fait un mérite à Sapho de ne point employer ce moyen de plaire :
Non arabo noster more capillus olet.
Properce
en fait sentir le ridicule à sa maîtresse :
Aut quid
oronteâ crines perfundere myrrâ.
4°. En y mêlant des
fleurs, des rubans, des pierres précieuses, qui en éclipsent la beauté ; car
les cheveux naturels sont un ornement ; les cheveux musqués par artifice,
sont une difformité ; 5°. En les frisant par le moyen d’un fer chaud, en
forme de pince, qui, en pressant & chauffant les cheveux, leur fait
prendre le pli qu’on veut ; ce que Virgile exprime ainsi :
Vibratos ferro calido myrrâque
madentes.
Ce fer s’appelloit, Calamistrum ad
crispandum ; delà ce mot si fréquent dans les Canons, contre les
Ecclésiastiques mondains, qui se frisent ;
Clerici
calamistrati, coma calamistrata
, que le Conciles &
les Peres de l’Eglise ont si rigoureusement, & si-unanimement comdamné.
6°. En les arrangeant de mille manieres différentes, en toupet, en boucles, en tresses
pendentes, en pointes, en ondes, en couronne, en boudin, en
mouton, en marron, à divers étages,
comme on voit les Imperatrices & les Dames Romaines, sur les médailles,
mais on n’y voit point des hommes dans un attirail si effeminé ; même les
Empereurs le plus effeminés, Neron, Commode, Heliogabale contents de la couronne de
laurier qui ceignoit leur tête, ne se sont pas ainsi dégradés aux
yeux de l’Univers & de la postérité, par un
ridicule indigne de la Majesté Impériale. 7° En les poudrant par différentes
especes de poudres de plusieurs couleurs, ils se servoient peu de la farine
de froment, que nous employons, & que le bien public devroit faire
proscrire, puisque la toilette en fait une consommation étonnante ; il n’y a
point d’homme ou de femme poudrés à blanc, dont la poudre ne suffit chaque
jour pour nourrir un pauvre. Ce seroit une aumône considérable, de donner ce
qui rend méprisable. Homere qui connoissoit le foible des
femmes, peint ainsi les Déesses avec leurs cheveux frisés, bouclés, agités
par le zéphir, parfumés d’ambroisie, à l’exception de Minerve, (la Sagesse) couverte d’un casque, qui fait son
ornement ; il ne peint point ainsi les Héros. Achille, Ajax, Ulysse ne sont ni poudrés ni
frisés. Ciceron se moque avec raison, de Gabinius.
Sénateur à la moderne, plus femme que homme, habitant de toilette, plus que
citoyen Romain, & de tous ces vils esclaves, qui exerçoient à Rome le
◀métier▶ de Friseur, de Calamistreur, que
nous honorons, ainsi que les Comédiens, qui n’étoient, la
plupart, que des esclaves, & qui tous étoient infâmes, par des loix
expresses.
Mentiris juvenem tinctis lentine capillis,Tam subito corvus, qui modo cignus eras ;Non omnes fallis, scit te Proserpine canum,Personam capiti detrahat illa tuo.
Noircissant tes cheveux, la vieillesse est aimable,Chacun te croyoit Cigne & te voilà Corbeau ;Tu ne tromperas point la mort impitoyable,Qui te démasquera sur le bord du tombeau.
Cette pensée de Martial appliquée, à un Vieillard petit maître, qui veut faire le jeune, & que la mort démasque, a été imitée par Madame des Houlieres, & appliquée à un philosophe, qui fait l’homme sage, & l’homme de bien.
Ode à M. le Duc de la Rochefoucauld.
Que la mort démasque l’hypocrisie.C’est-là que l’orgueil succombe,C’est-là que le masque tombe,Qui couvroit tous les défauts.
Rousseau a imité l’un & l’autre, & a appliqué la même idée au guerrier accablé par l’adversité.
Mais au moindre revers funeste,Le masque tombe, l’homme reste ;Et le héros s’évanouit.
Le tour de Rousseau est plus brillant, mais ce n’est que la même pensée, que le tour a rajeunie. Tout est dit, le tour, le style qui semblent diversifier la pensée, & en donner des nouvelles, ne sont qu’une espece de fard ; quand on les en dépouille pour les reduire à leur juste valeur, on peut bien dire le masque tombe l’homme reste, la nouveauté s’évanouit.
Tout le théatre n’est lui même qu’une espece de fard, non seulement parce que acteurs, actrices, danseuses, figurantes, & tout ce qui y paroit, est réellement fardé, & même un grand nombre des spectateurs & des spectatrices, jusqu’aux personnages des peintures & des tapisseries ; mais parce que tout l’appareil de la scéne & tout l’art Dramatique n’est que du fard ; geste, déclamation, chant, danse, habit, décoration, tout cela ne fait que farder quelques pensées communes, qu’il fait valoir, & qui dépouillées de tout cet extérieur imposant se réduisent à rien. L’impression a son fard aussi. La beauté du papier, l’élégance des vignettes, nouveautés de caractères, richesse de la relieure, &c. c’est du blanc & du rouge appliqués aux productions de l’Écrivain ; une habile ou mauvaise actrice, comme une adroite, ou mal adroire coëffeuse fait accueillir ou siffler une piéce, comme une coquête bien ou mal parée. Que dans le silence du cabinet, on dépouille les plus grands chefs d’œuvre de la pompe, de la déclamation, de l’harmonie des vers, de l’élegance du stile (c’est leur fard.) il ne restera rien. Tel un paysan grossier, & contrefait, qu’on a magnifiquement habillé & qu’on dépouille de tout. On a raison de donner pour attribut des masques à Thalie, son empire n’est qu’un assemblage de masque, qui en tombant, laissent l’homme le plus célébre à sa médiocrité.
Le masque tombe, l’homme reste,Et Corneille s’évanouit,Et Racine, Moliere, Crebillon, &c. s’évanouissent.
Deux auteurs bien différents, St Clement d’Alexandrie
l. 3. c. 3. Pedag. & Aufone épigr. 16. ont tourné en
ridicule deux vieillards aussi aveugles que celui de Martial. Un vieillard, dit Ausone, oubliant les
loix de la vertu, & la decence de son âge, sollicitoit la fameuse Laïs, il en fut méprisé ; il attribua à ses cheveux
blancs, le mauvais succès de ses amours ; il les peignit pour faire le jeune
homme. La courtisanne s’en apperçut, & lui dit en se moquant,
ce que vous me demandez je viens de le refuser à votre
pere
.
Pulchram rogabat Laïdem canus miton,Tulit repulsam protinus ;Causam sensit, & caput fuligine,fugavit atrâ candidum :Idemque vultu, crine non idem miton,Orabat oratam prius ;Sedilla formam cum capillo comparans,Sic est adoria callidum.Ineptè quid me quod recusavi rogas,Patri negavi jam tuo.
Saint Clément emploie la même pensée que Martial, qu’il a peut être pris de
lui, & qui est belle, il change le nom de Proserpine,
& ne parle que de la mort : quittez, dit-il, ces hommes effeminés, qui
se peignent les cheveux, les chargent de pommades & des couleurs
étrangeres, & de toute la toilette des femmes ; ils croient pouvoir,
comme le serpent, dépouiller leur vieille peau, & se rajeunir par le
fard. Aveugles ils ont beau faire, ils ne couvriront plus leurs rides ; & en cachant leur âge, ils ne le cacheront pas à la
mort.
Pilos ungere colaribus oblinire, &c. effeminati muliebresque homines omninò vitandi, putant se
sicut serpens, posse senium exuare, te pingentes. Sed rugas non
effugient neque mortem latebunt, licet ætatem
mentiantur.
Tout cela, ajoute t-il, n’est qu’un ornement de
courtisanne ;
cincinni capillorum ornatus
meretricius
.
Une des grandes preuves, & l’un des grands fruits, à la conversion de la
Magdeleine, fut d’avoir consacré ses cheveux à Jesus Christ, les employant à
essuyer ses pieds, qu’elle avoit arrosé de ses larmes :
Capillis suis tergebat.
Saint Jerôme écrivant à Furia, Dame Romaine, peignoit ainsi cette célebre
pénitente, Magdeleine n’avoit point les cheveux frisés, les joues fardées.
Non habuit stipantes mitras stridentes calceolos
genas stibio fuliginantes.
C’est pour une femme un
grand sacrifice, ses cheveux sont un de ses plus chers ornements ; la
punition la plus sensible d’une femme
adultere,
usitée chez plusieurs nations, c’est de la raser ; & la premiere
démarche d’une personne qui se consacre à Dieu, dans l’état réligieux, c’est
de couper les cheveux : le même objet sert ainsi à punir le crime qu’il
avoit engagé à commettre, & à pratiquer la vertu, à qui il faisoit
courir bien des risques ; on peut à ces traits distinguer les personnes
vertueuses de celles dont la vertu est équivoque, le soin, la parure des
cheveux étant l’enseigne du vice & de la vertu.
Les cheveux fardés & peints en noir, en blond, en chatain, selon la
fantaisie des hommes & des femmes, ont donné lieu à une infinité de
sarcasmes repandus dans les Epigrammes de Martial & de
l’Anthologie, & dans les histoires : en voici
quelques-uns ; à force de teindre vos cheveux avec différentes drogues vous
les avez fait tomber, toute votre tête semble un œuf, & vous une poule
qui l’avez pondu ; vous n’êtes en effet qu’une poule par votre foiblesse,
vous avez la barbe blanche & les cheveux noirs, parce que vous peignez
l’un & ne pouvez peindre l’autre, à qui croirons-nous de la barbe ou de
la tête :
Cana est barba nigra est coma, cui credere
possum ?
Vous n’avez sur votre tête que des cheveux en
peinture, il ne vous faut plus de barbier pour vous raser, & une éponge
seroit pour vous le meilleur rasoir :
Radere te melius
spongia phabe potest.
Gardez vous du soleil & de la
pluye, l’un & l’autre vous décoëfferoient, l’un en fondant votre
pommade, l’autre en délayant vos couleurs. Alexandre
voyant un vieillard chancelant qui se peignoit les cheveux, lui dit vos
genoux ont plus besoin d’être rajeunis que votre tête. Philippe, son pere, appercevant un des Juges de l’aréopage, qui se
fardoit les cheveux & la barbe, le dépouilla de la charge en disant on
ne peut se fier à celui qui trompe par les
cheveux, il tromperoit dans les affaires. Je vous envoie des cheveux &
une tête, disoit Martial, à une femme à qui il donnoit de
la pommade & du fard ; on en trouvera cent autres dans Aristophane, Arien, Properce,
Athenée, Casaubon, &c. comme la
folie de la parure est de tous les tems, les railleries qu’elle mérite ont
aussi été de tous les pays & de tous les siécles.
Quoique les perruques artistement élabourées avec des rateaux, frisées,
bouclées, boudinées, maronnées, moutonnées, &c. telles qu’on les voit
aujourd’hui, & par consequent le noble metier de perruquier n’a guere
plus d’un siécle, l’usage des cheveux emprunté est de la plus haute
antiquité ; mais comme un art si admirable n’a pu être porté tout d’un coup
à la plus haute perfection, il y a eu bien des manieres d’appliquer à la
tête des cheveux faux, qu’on ne peut qu’improprement appeller des perruques.
Ces différentes manieres de farder la tête se tirent du langage de Martial,
& des autres poëtes, qu’on ne peut aisément expliquer. 1°. On peignoit
une chevelure sur la tête chauve, ou bien rasée, ou immédiatement sur la
peau, ou sur un enduit de pommade, ou d’une espece de plâtre dont on faisoit
une calote ; il ne faloit alors qu’une éponge pour rasoir, qui en delayant
les couleurs ou le plâtre, laissoit la tête rase ; on se faisoit de même une
barbe & une moustache, comme les sauvages de l’Amérique, qui se peignent
la face, & les masques de la populace, qui courent les rues, avec un
visage barbouillé. 2°. Pour imiter les cheveux, on donnoit de la consistance
à cette espece de plâtre, on le faisoit descendre le long du col, & on y
peignoit des tresses de cheveux, comme nos bourses, nos queues, nos
perruques à deux ou trois marteaux, ce que Martial appelle
Calvam trifilem vel tripalem
semitatus unguento
. Lorsque ce plâtre pendant étoit
divisé en trois branches, comme dans les statues métaphores, prises des
rangées de souches dans une vignes, & des sillons dans un champ, &
les rayes des herbes dans un carreau de jardin :
Semitatus à semitâ
. (Un petit sentier) tout cela est
ridicule ; mais n’en rions pas trop, nos parures ne le sont guere moins. 3°.
En se faisant une calote d’une peau de bête, qui avoit son poil, en prenant
une peau de mouton on étoit moutoné ; se coëffant d’une peau de lion, de
chat, &c. on avoit une perruque toute faite ; on pouvoit aisément y
coudre ou y coler d’autres cheveux. D’où son venues nos perruques, on les
appelloit Galerum, elles couvroient les cheveux naturels,
& déguisoient les gens, comme font les perruques. Messaline se servoit
de cette espece de masque :
Crinem abscondente
galero
. Ces têtes peintes, cette chevelure de plâtre,
ces cheveux empruntés, ces perruques de toutes couleurs & de toutes
especes, ces folies inconnues à Rome pendant plusieurs siécles, ne viennent
que du théatre ; en voici l’origine, tous les auteurs, & tous les
anciens monuments nous apprennent que les acteurs jouoient masqués, &
qu’ils portoient de grands masques, qui enveloppoient toute la tête comme le
casque de nos anciens chevaliers, avec cette différence qu’au lieu de
visieres ils avoient de grandes ouvertures aux yeux & à la bouche ; on
croit que ces masques grossissoient la voix, & certainement ils la
gatoient. On ne sentoit plus la douceur, la légereté, les inflexions qui en
expriment les nuances des sentiments, & donnent beaucoup de grace à la
déclamation ; ils étoient en grand nombre ; on en avoit pour chaque rôle,
ils représentoient des hommes, des femmes, des viellards, des jeunes gens,
des princes, des esclaves ; l’acteur
les prenoit
en entrant sur la scéne, & les quittoit en sortant ; cet usage étoit
commode, on n’avoit pas besoin de composer son visage : acteur, ou actrice,
jeune ou vieux, laid ou joli, le visage étoit tout fait, & la tête toute
coëffée ; mais aussi étoient-ils toujours les mêmes, on ne pouvoit ni
peindre les mouvemens des passions, ni diversifier le feu des regards, ni
répandre à propos les graces du souris ; & ce qui est le plus terrible
pour une femme, sa beauté étoit cachée, & ne pouvoit faire de
conquêtes ; on ne conservoit pas le chef-d’œuvre de la toilette, dont ces
vilains masques dérangeoient toute l’architecture.
Les actrices Françoises n’ont pû souffrir cette déconfiture ; elles ont voulu découvrir leur visage, & étaler leurs attraits. C’est le revenant bon de leur chaste ◀métier ; on a partagé cette tête creuse, on en a conservé le derriere, en le perfectionnant ; ce n’est plus qu’une calote ; elle avoit autrefois des cheveux empruntés, soit en peinture, ou en plâtre, ou réellement attachés, ce qui faisoit des chevelures blondes, noires, bouclées, frisées au gré de l’acteur, aussi-bien que les sourcils & la barbe, selon son goût ; on a conservé le derriere qu’on a rendu plus commode par des perruques à reseau, qu’on porte par-tout, aulieu que les anciens masques ne pouvoient servir que sur le théatre ; ils auroient été aussi incommodes que ridicules, par ce moyen, à peu de frais, & sans embarras, le vieillard rajeunit, la laide s’embellit, l’abbé, le magistrat se déguisent, la femme se travestit en homme, & l’homme en femme, on prend comme sur le théatre, les attributs du rôle qu’on veut jouer, & ce qui est très-commode, la moitié de la toilette se fait chez le baigneur, d’où l’on porte une très-belle tête toute faite, qu’on adapte au visage qu’on vient de fabriquer, ainsi se continue la comédie ; car la vie d’un joli homme, d’une jolie femme, n’est dans l’exacte vérité, qu’une comédie perpétuelle, où l’on joue les mœurs, la Réligion & le bon sens ; ces masques mobiles de la tête, font quelquefois sur le théatre & dans les piéces, les plus ridicules, le spectacle le plus comique, César qui étoit chauve, ne trouva d’autre coëffure pour cacher ce défaut, qu’une couronne de laurier. Le grave Caton, le pieux Mardochée, le Grand-Prêtre Jonathsa, la vieille Semiramis, la fiere Cornelie, &c. coëffés à la mode, frisés, bouclés, avec des perruques à trois marteaux, des tresses blondes ; les diables même sortant de l’enfer, les sorciers venant du sabbat, comme de la toilette, ne valent-ils pas bien l’arlequin du théatre de la foire ? Mais tout cet appareil galant, étalé sur la tête chenue d’une grand-mere, sous le grave mortier d’un Président, avec la couronne vraie ou simulée, d’un Prêtre, ne sont-ils pas une farce ambulante, qui encherit sur les Mascarades des tabarins ?