(1705) Traité de la police « Chapitre III. Du Théâtre Français, son origine, et qu’il n’a été occupé pendant plus d’un siècle, qu’à la représentation de pièces spirituelles, sous le titre de Moralités. » pp. 437-438
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(1705) Traité de la police « Chapitre III. Du Théâtre Français, son origine, et qu’il n’a été occupé pendant plus d’un siècle, qu’à la représentation de pièces spirituelles, sous le titre de Moralités. » pp. 437-438

Chapitre III.
Du Théâtre Français, son origine, et qu’il n’a été occupé pendant plus d’un siècle, qu’à la représentation de pièces spirituelles, sous le titre de Moralités.

Le Poème dramatique destiné aux pièces de théâtre, du mot grec δρᾶμα, qui signifie action, et qui avait été dans une si haute estime chez les Grecs et les Romains, ne parut que fort tard en France ; la fin du règne de Charles V. en vit pour ainsi dire naître les faibles commencements sous le nom de Chant Royal. Ce ne fut d’abord qu’un long récit en vers héroïques, d’un grand sujet qui était souvent tiré de quelqu’un des Mystères de notre Religion, avec une apostrophe à la fin au Prince, ou au Seigneur auquel il était dédié. Les savants dans ce genre de littérature commencèrent par une espèce de combat d’émulation, à qui d’entr’eux réussirait le mieux. Il se forma sur cela certaines Sociétés ou Académies, où l’on jugeait de la réussite ; et celui auquel on adjugeait le prix, demeurait le Chef des autres, sous le titre de Roi ; d’où vient, selon quelques-uns, que ces pièces prirent le nom de Chant Royal.

L’une de ces Sociétés commença à mêler dans ces pièces différents événements, ou Episodes, qu’ils distribuèrent en Actes, Scènes, et en autant de différents personnages, qu’il était nécessaire pour la représentation.

Leur premier essai se fit au Bourg de saint Maur ; ils prirent pour sujet la Passion de Notre-Seigneur ; cela parut nouveau : le Prévôt de Paris en fut averti, et il y pourvut par une Ordonnance du troisième Juin 1398. Elle fait défense à tous les « Habitants de Paris, à ceux de saint Maur et des autres Villes de sa Juridiction, de représenter aucuns jeux de personnages, soit de vies de Saints, ou autrement, sans le congé du Roi, à peine d’encourir son indignation, et de forfaire envers lui. »
Ils se pourvurent à la Cour, et pour s’y rendre plus favorables, ils érigèrent leur Société en Confrérie, sous le titre de la Passion de Notre-Seigneur. Le Roi voulut voir leurs spectacles ; ils en représentèrent quelques pièces devant lui ; elles lui furent agréables, et cela leur procura des Lettres du quatrième Décembre 1402. pour leur établissement à Paris. Comme ces Lettres ne se trouvent imprimées en aucun lieu, et que c’est une pièce unique qui sert à éclaircir ce point d’histoire et de littérature ; nous les rapporterons ici dans leur entier ; voici ce qu’elles contiennent.
Charles par la grâce de Dieu Roi de France, savoir faisons, à tous présents et avenir : Nous avons reçu l’humble supplication de nos bien-aimés, les Maîtres, Gouverneurs et Confrères de la Confrérie de la Passion et Résurrection de Notre-Seigneur, fondée en l’Eglise de la Trinité à Paris : contenant que comme pour le fait d’aucuns Mystères de Saints, de Saintes, et mêmement du Mystère de la Passion, qu’ils ont commencé dernièrement, et sont prêts de faire encore devant Nous, comme autrefois avaient fait, et lesquels ils n’ont pû bonnement continuer, parce que Nous n’y avons pas pû être lors présents, ou quel fait et Mystère ladite Confrérie a moult frayé et dépensé du sien, et aussi ont fait les Confrères chacun d’eux proportionnablement ; disant en outre que s’ils jouaient publiquement et en commun, que ce serait le profit de ladite Confrérie ; ce que faire ils ne pouvaient bonnement sans notre congé et licence ; requérant sur ce notre gracieuse Provision : Nous qui voulons et désirons le bien, profit et utilité de ladite Confrérie, et les droits et revenus d’icelle être par Nous accrus et augmentés de grâce et privilèges, afin qu’un chacun par dévotion se puisse adjoindre et mettre en leur Compagnie ; à iceux Maîtres, Gouverneurs et Confrères d’icelle Confrérie de la Passion de Notredit Seigneur, avons donné et octroyé de grâce spéciale, pleine puissance et autorité Royale, cette fois pour toutes, et à toujours perpétuellement, par la teneur de ces présentes Lettres, autorité, congé et licence, de faire jouer quelque Mystère que ce soit, soit de la Passion et Résurrection, ou autre quelconque, tant de Saints comme de Saintes qu’ils voudront élire, et mettre sus toutes et quantes fois qu’il leur plaira, soit devant Nous, notre Commun ou ailleurs, tant en recors qu’autrement, et d’eux convoquer, communiquer, et assembler en quelconque lieu et place licite à ce faire, qu’ils pourront trouver en notre Ville de Paris, comme en la Prévôté et Vicomté ou Banlieue d’icelle, présents à ce trois, deux ou un de nos Officiers qu’ils voudront élire, sans pour ce commettre offense aucune envers Nous et Justice ; et lesquels Maîtres, Gouverneurs, et Confrères dessus dits, et un chacun d’eux, durant les jours desquels ledit Mystère qu’ils joueront se fera, soit devant Nous, ou ailleurs, tant en recors qu’autrement, ainsi et par la manière que dit est, puissent aller et venir, passer et repasser paisiblement, vêtus, habillés et ordonnés un chacun d’eux, en tel état ainsi que le cas le désirera, et comme il appartiendra, selon l’ordonnance dudit Mystère, sans détourner ou empêcher : et en pleine confirmation et sûreté, Nous iceux Confrères, Gouverneurs et Maîtres, de notre plus abondante grâce, avons mis en notre protection et sauvegarde, durant le recors d’iceux jeux, et tant comme ils joueront seulement, sans pour ce leur méfaire, ou à aucuns d’eux à cette occasion, ne autrement. Si donnons en mandement au Prévôt de Paris, et à tous nos autres Justiciers et Officiers présents et à venir, ou à leurs Lieutenants, et à chacun d’eux, si comme à lui appartiendra, que lesdits Maîtres, Gouverneurs et Confrères, et à chacun d’eux fassent, souffrent et laissent jouir pleinement et paisiblement de notre présente grâce, congé, licence, don et octroi dessus dits, sans les molester, ne souffrir et empêcher, ores et pour le temps à venir ; et pour que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons fait mettre notre scel à ces Lettres ; sauf en autres choses notre droit et l’autrui en toutes. Ce fut fait et donné à Paris en notre Hôtel lés saint Pol, ou mois de Décembre, l’an de grace mil quatre cent deux, et de notre reigne le vingt-troisième, Par le Roi, Messeigneurs Maîtres Jacques de Bourbon, Lamiral, Devieulaines, et plusieurs autres présents, signé, Poupom. Visa, et scellé en lacs de soie de cire verte ; au dos desquelles Lettres était écrit : Le Lundi douzième jour de Mars, l’an quatre cent deux ; Jean Aubery, Jean Dupin, et ... Doisemont, Maistres de la Confrérie nommée au blanc, présentèrent ces Lettres à Maître Robert de Thuillieres, Lieutenant de Monsieur le Prévôt, lequel lues icelles Lettres, octroya que lesdits Maîtres, leurs Confrères et autres, se pussent assembler pour le fait de la Confrérie, et le fait des jeux, selon ce que le Roi notre Sire le veut par icelles Lettres ; et pour être présents avec eux en cette présente année commit Jean Lepilleur Sergent de la douzaine, et Jean de Saveneil, Sergent à Verge, l’un d’eux, ou le premier autre Sergent de la douzaine, ou à Verge dudit Châtelet.

Après avoir obtenu ces Lettres, il ne fut plus question que de trouver un lieu commode pour leurs représentations. Il y avait alors deux cents ans, que deux Gentilhommes Allemands frères utérins, nommés Guillaume Escuacol et Jean de la Passée, avaient acheté deux arpents de terre hors la Porte de Paris, du côté de S. Denis, et y avaient fait bâtir une grande maison pour y recevoir les Pèlerins et les pauvres Voyageurs qui arrivaient trop tard pour entrer dans la Ville, dont les portes se fermaient en ce temps. Entre autres édifices il y avait dans cette maison une grande salle de vingt-une toise et demie de long, sur six toises de large, élevée du rez de chaussée de trois à quatre pieds, soutenue par des arcades, pour la rendre plus saine et plus commode aux Pauvres que l’on y recevait. Les mêmes Fondateurs en 1210. avec la permission de l’Evêque, firent aussi bâtir au même lieu une Chapelle sous l’invocation de la très-sainte Trinité, et y fondèrent l’Office de tous les jours, par trois Religieux qu’ils y firent venir de l’Abbaye d’Hermière en Brie, de l’Ordre de Prémontré.

Après plusieurs années les Fondateurs et tous leurs parents étant décedés, cette bonne œuvre fut totalement abandonnée ; et les Religieux, dont le nombre fut augmenté par leur Abbé, appliquèrent tout le profit à l’utilité particulière de l’Ordre. Les Confrères de la Passion, qui avaient déja fondé dans cette Eglise le service de leur Confrérie, louèrent cette grande salle qui se trouvait vacante, y firent construire un théâtre, et y représentèrent leurs jeux ou spectacles ; ils ne les nommèrent encore ni Tragédie, ni Comédie, mais simplement Moralités.
Ce premier théâtre Français a subsisté en ce lieu, à n’y représenter que des pièces de piété ou de morale, sous ce titre commun de Moralités, pendant près d’un siècle et demi. François I. en confirma tous les privilèges par Lettres Patentes du mois de Janvier 1518. qui furent publiées et enregistrées au Châtelet le 1. Mars de la même année.

L’on commença à s’ennuyer de ces représentations sérieuses, les Joueurs y mêlerent quelques farces tirées de sujets profanes et burlesques : cela fit beaucoup de plaisir au Peuple qui aime ces sortes de divertissements, où il entre plus d’imagination que d’esprit ; ils les nommèrent par un quolibet vulgaire, les jeux des pois pilés : ce fut selon toutes les apparences, quelque scène ridicule qui eut rapport à ce nom, qui leur en fournit la matière.

Ce mélange de morale et de bouffonnerie déplut dans la suite aux gens sages ; la Religion ne put souffrir plus longtemps cette idée de dévotion, qu’une pieuse simplicité des temps plus éloignés avait attachée au théâtre, et encore moins cette profanation de nos principaux Mystères, qui en faisaient le plus souvent la matière. La maison de la Trinité fut de nouveau destinée à un Hôpital, suivant l’esprit de sa fondation ; le Parlement par un Arrêt du 30. Juillet 1547. ordonna que les pauvres enfants qui auraient père et mère, y seraient charitablement reçus, nourris et instruits dans la Religion et dans les Arts ; de même que les orphelins l’étaient en l’Hôpital du saint Esprit : ainsi les Confrères de la Passion furent obligés d’abattre leur théâtre, et d’abandonner leur salle.

Ils y avaient fait des gains considérables, et ils se trouvèrent alors assez riches, pour acheter l’ancien Hôtel des Ducs de Bourgogne, qui n’était plus qu’une masure. Ils y firent bâtir une nouvelle salle, un théâtre, avec les autres édifices qu’on y voit encore aujourd’hui. Le Parlement par Arrêt du dix-neuvième Novembre 1548. leur permit de s’y établir, à condition de n’y jouer que des sujets profanes, « licites et honnêtes, et leur fit de très-expresses défenses, d’y représenter aucun Mystère de la Passion, ni autres Mystères sacrés : il les confirma au surplus dans tous leurs privilèges, et fit défenses à tous autres qu’aux Confrères de la Passion, de jouer ni représenter aucuns jeux, tant dans la Ville, Faubourgs, que Banlieue de Paris, sinon sous le nom et au profit de la Confrérie. » Ce sont les termes de l’Arrêt.

Ce nouveau privilège exclusif avec toutes leurs autres anciennes prérogatives, leur furent depuis confirmées par Lettres Patentes de Henry II. du mois de Mars 1559. et de Charles IX. du mois de Novembre 1563. et ils demeurèrent ainsi en possession de leur théâtre dans l’Hôtel de Bourgogne, leur nouvelle acquisition.