(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XXII. Le repentir de quelques auteurs dramatiques d’avoir travaillé pour les théâtres doit nous engager à éviter ces divertissements. » pp. 183-186
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XXII. Le repentir de quelques auteurs dramatiques d’avoir travaillé pour les théâtres doit nous engager à éviter ces divertissements. » pp. 183-186

Chapitre XXII.
Le repentir de quelques auteurs dramatiques d’avoir travaillé pour les théâtres doit nous engager à éviter ces divertissements.

« Puissent ceux qu’au théâtre entraîne un même attrait,
S’ils imitent leur faute, imiter leur regret ! »

Epît. de P. Racine à J.-B. Rous.

On doit convenir, d’après tout ce qui vient d’être dit, que les auteurs dramatiques sont des empoisonneurs publics qui se chargent d’autant de crimes que leurs pièces en font commettre, qui sont coupables d’autant d’homicides qu’il y a d’âmes perdues à leurs spectacles. De combien de remords n’ont pas été agités ceux qui conservaient encore dans leur esprit un reste d’attachement à la religion ?

Racine ayant reçu une éducation toute sainte se relâcha bientôt de sa première ferveur : devenu sans peine, mais malheureusement pour lui, le prince des poètes tragiques, il fit longtemps retentir le théâtre des applaudissements que l’on y donnait à ses pièces. Enfin, revenu à lui, il frémit d’horreur au souvenir de tant d’années qu’il ne devait employer que pour Dieu, et qu’il avait perdues en suivant le monde et ses plaisirs. Détestant, dans l’amertume de son cœur, les applaudissements profanes qu’il ne s’était attirés qu’en offensant Dieu, il en aurait fait une pénitence publique, s’il lui eût été permis. Il s’appliqua aux devoirs de la piété et de la religion avec d’autant plus de soin qu’il avait plus de douleur de n’y avoir pas été toujours fidèle.

Quinault, le père de la poésie lyrique, s’est repenti, tard à la vérité, mais bien sincèrement, d’un talent trop facile et trop heureux. Il a baigné de larmes des lauriers qu’il devait plutôt au génie qu’au travail. L’illustre évêque de Meaux fut témoin de ses regrets.

Chacun sait la pénitence que fit Pierre Corneille dans les dernières années de sa vie. Il traduisit en vers l’Imitation de Jésus-Christ ; mais cette bonne œuvre ne le délivra point des reproches continuels qu’il se faisait d’avoir travaillé pour le théâtre.

Houdar de La Mothe abjura ses travaux couronnés, et déclara les maximes de ces sortes d’ouvrages diamétralement opposées aux maximes du christianisme.

Aucun poète moderne ne s’était moins écarté que Gresset des règles de la modestie. Il est surprenant, qu’ayant écrit dans un genre aussi frivole, la gaîté de sa plume ait pu se contenir. Cependant, « après avoir apprécié dans sa raison ce phosphore qu’on nomme esprit, ce rien qu’on nomme la renommée, et avoir écouté la voix solitaire du devoir, il annonça, par une lettre imprimée en 1759, sa retraite du service de Melpomène et de Thalie, et son repentir d’y avoir acquis de la célébritébr. » Plût au ciel que tous les auteurs dramatiques le comprissent également, si pourtant il suffit, en pareille matière, de comprendre sa faute pour s’en repentir !

Il ne faut pas s’étonner que Molière soit mort dans des sentiments tout contraires ; il n’a point eu le temps de se convertir. D’ailleurs la conduite d’un comédien est bien plus opposée au salut, toutes choses égales, que celle d’un auteur dramatique : ses jours se passent dans la dissipation, dans l’oubli du christianisme, et parmi les objets de séduction qui se succèdent les uns aux autres. Malgré son mariage, dont tout le monde sait les circonstances, on n’a pas laissé de regarder Molière comme un très honnête homme : soit, mais il y a bien de la distance de cette qualité à celle d’un bon chrétien. Cet auteur célèbre, pour entrer dans les voies de la pénitence, avait beaucoup de chemin à faire, il fallait de grands sacrifices. Il fut accueilli, dans ses premiers succès, par le prince de Conti, qui lui donna des appointements, et pensionna sa nouvelle troupe ; mais ce seigneur comprit depuis le danger de la comédie, et, pour réparer en quelque sorte la faute d’avoir donné asile au plus grand comédien, il se crut obligé d’écrire contre le théâtre. Il a fait un excellent ouvrage contre les spectaclesbs.

N’ayons pas honte d’imiter son sage et courageux repentir ; jetons dans le feu ce que nous avons adoré. Les amusements qu’il a condamnés d’après les canons, les lois, les saints Pères, et même les auteurs profanes, ne sont-ils pas en effet très condamnables ? Quels oracles devons-nous consulter à cet égard ? Sont-ce les partisans de la comédie ? ne voyons-nous pas que ce sont des empiriques qui nous trompent ? Adressons-nous à quelque médecin habile. Voulons-nous suivre l’extravagante conduite des rois d’Israël qui ne consultaient que de faux prophètes ? Ne nous annoncez, disaient-ils, aucune vérité fâcheuse ; ce sont des oracles conformes à nos inclinations que nous attendons de vous : il n’importe que ce soit des erreurs, pourvu qu’elles nous plaisent. « Loquimini nobis placentia, videte nobis errores. » (Isaïe, 30, v. 10.) La voix que nous devons écouter, c’est celle de l’Eglise ; elle seule est en état de fixer nos doutes, et d’affermir nos pas dans le chemin de la vérité qui conduit à la vie éternelle.