(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XX. Spectacles condamnés par les saints Pères et par les saints conciles. » pp. 168-178
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XX. Spectacles condamnés par les saints Pères et par les saints conciles. » pp. 168-178

Chapitre XX.
Spectacles condamnés par les saints Pères et par les saints conciles.

Si l’Ecriture ne défend point les spectacles, c’est qu’ils n’étaient pas connus des Juifs ; mais elle pose des principes d’où suit naturellement leur interdiction. « Heureux celui, dit le Prophète15 , qui n’est point entré dans le conseil des impies, qui n’a point marché dans la voie des pécheurs ! » « Ce texte, dit Tertullien, regarde les princes de la nation juive qui consentirent à la mort de Jésus-Christ : or les spectacles le font mourir une seconde fois ; ce sont des conventicules de Satan où la foi se détruit, où la morale de l’Evangile est combattue par des maximes détestables. »

Cet oracle n’est pas le seul d’où Tertullien infère la condamnation des spectacles ; il ajoute ceux-ci tirés de l’Evangile et de l’apôtre saint Paul16 : « On ne peut servir deux maîtres, ni supposer aucun rapport entre la lumière et les ténèbres, entre la mort et la vie. » Si vous suivez Jésus-Christ, il faut renoncer au théâtre, la doctrine de l’un ne compatissant pas avec celle de l’autre. Les maximes de l’Evangile sont pures et vivifiantes, celles du théâtre sont dépravées ; elles n’offrent qu’un faux jour qui conduit au précipice : c’est un appât qui vous attire ; mais prenez bien garde, il contient un poison dangereux. Enfin le Sauveur établit cette différence essentielle entre ses disciples et les partisans du monde, que ceux-ci se réjouiront, tandis que les chrétiens vivront dans la tristesse. Pleurons donc, conclut ce Père17, pendant que les païens se récréent, afin que nous ayons droit de nous réjouir, lorsqu’ils seront plongés dans les larmes.

Saint Cyprien juge les spectacles incompatibles18 avec la loi chrétienne, et qu’on ne peut s’asseoir dans l’amphithéâtre, au milieu des infidèles, sans renoncer à la foi. On était si persuadé de cette vérité, dans la primitive Eglise, que l’on condamnait pour lors toutes sortes de jeux et d’exercices publics sans exception, regardant l’appareil des spectacles comme une sorte d’idolâtrie. On aurait dû, ce me semble, innocenter les conducteurs de chariots dans le Cirque : on ne leur fit point de grâce ; et dans un concile d’Elvire, qui se tint en 305, il est ordonné qu’ils quitteront cette infâme et dangereuse profession, s’ils ont dessein d’embrasser la foi, et, s’ils retournent à leur premier métier après avoir reçu le baptême, ils seront chassés du sein de l’Eglise. Conc. Elib. can. 62 ; Labbe, tom. I, page 978.

Saint Augustin, qui écrivait son Traité de la pénitence près d’un siècle après la conversion des empereurs, et dans un temps où les spectacles étaient purgés de tout levain d’idolâtrie, n’a pas laissé de les interdire aux chrétiens ; il ordonne d’abord aux pénitents de s’abstenir des jeux et des spectacles : Cohibeat se a ludis et spectaculis hujus seculi 19. On dira peut-être, ajoute ce Père, qu’une telle défense ne regarde que les pécheurs publics à qui l’on refusait les récréations les plus innocentes ; mais je vous assure que l’éloignement des spectacles est un préservatif indispensable à quiconque est jaloux de conserver son innocence. Si Dina n’était point sortie de la tente de Jacob, son père, sa pudeur n’eût point eu d’assaut à soutenir. Une vaine curiosité la fit monter dans la ville de Sichem pour y voir les femmes du pays ; elle fut malheureusement rencontrée par le jeune prince, et cette fatale entrevue causa la ruine de tout un peuple et la sienne propre.

« De quel front, s’écrie Salvien20, osez-vous fréquenter les spectacles après avoir reçu le baptême ? Vous n’ignorez pas que l’on y rencontre des représentations diaboliques, que le théâtre est l’invention du prince des ténèbres et que sa fréquentation entraîne une sorte d’apostasie. Comparez ses maximes au Symbole de la foi, conciliez ses mystères avec ceux de la religion, avec la participation des sacrements ; pouvez-vous vous flatter d’y trouver Jésus-Christ, notre sauveur et notre modèle ? Ah ! comment s’y rencontrerait-il, puisque le démon y préside avec toutes ses pompes ? Vous cherchez de l’amusement aux spectacles, et c’est là que vous êtes surpris d’une mort spirituelle. »

Saint Jean Chrysostome s’emporte avec son zèle ordinaire contre le peuple d’Antioche, qui, malgré ses avertissements réitérés, fréquentait toujours les spectacles. « Vous courez, lui disait-il21, à l’amphithéâtre où l’on voit des danses immodestes, où l’on entend des acteurs qui sont les organes de Satan, l’auteur de toutes sortes de séduction et de méchanceté. »

Si nous remontons jusqu’au second siècle, nous trouvons à côté de Tertullien saint Clément d’Alexandrie, qui parle en cette sorte à ceux qui fréquentent les spectacles. « Quelle est votre sécurité22 de vous jeter dans une foule où la confusion règne, où le scandale est triomphant, dans une assemblée où l’innocence est toujours en danger ? » 

Arnobe qui, dans le siècle suivant, entreprit la défense de la religion chrétienne, parlait ainsi aux empereurs : « Vos lois23 n’ont-elles pas flétri les comédiens qui sont les ministres de vos superstitions sur le théâtre ? Vous les tenez pour des gens infâmes. ».

« Là, dit saint Jérôme24, s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : La mort entre par les fenêtres de notre âme, c’est-à-dire, par les yeux et par les oreilles. »

Lactance emploie le même texte contre la séduction du théâtre25 : il prétend que les sens y sont souillés, et que la corruption se glisse au fond de l’âme ; le cœur et l’esprit en sont infectés.

Le saint abbé Nilus, qui vivait dans le cinquième siècle, dit aussi26 qu’une personne zélée pour sa sanctification, et craignant les blessures de l’âme, était obligée de s’interdire les spectacles publics, où la volupté siégeait comme sur son trône.

Saint Ephrem, qui vivait dans le sixième siècle, avertissait les fidèles de ne pas consumer un temps précieux aux jeux du théâtre, se souvenant de la menace portée dans Isaïe : « Malheur à vous qui faites la débauche, et qui dansez au son des instruments ! Partout où se rencontrent la danse, la musique et les transports d’une joie effrénée, les femmes s’oublient de leurs devoirs, les hommes sont saisis d’un esprit de vertige : c’est un sujet de tristesse pour les anges, c’est le sanctuaire des démons et leur grande fête27. »

Saint Isidore de Séville, qui vivait au septième siècle, appelle le théâtre un lieu de prostitution, theatrum idem et prostibulum. « Les histrions sont, dit-il, ainsi nommés, parce qu’ils racontent des événements à la manière des historiens ; mais les sujets sur lesquels ils s’exercent sont de nature à devoir être mis en oubli : ils mettent sous les yeux du peuple toute la conduite d’un scélérat illustre, en le décorant des vers plaintifs de la tragédie. Les mimes sont ceux, ajoute ce Père, qui copient les actions humaines pour les tourner en ridicule dans la comédie ; leurs fables sont mêlées d’intrigues ; on y voit des filles séduites, et le commerce odieux des femmes galantes28. »

Saint Bernard, qui vivait dans le douzième siècle, n’a pas laissé de condamner les représentations théâtrales, quoiqu’elles fussent alors très-rares, sous prétexte que ces sortes d’exercices flattent les passions en retraçant des actions criminelles29.

Dans le siècle suivant, saint Thomas a jugé les spectacles vicieux par le scandale qu’ils donnent, et par les leçons de cruauté et d’incontinence qu’on y reçoit30.

Ainsi s’exprimaient les Pères de l’Eglise. Leurs assertions font un ensemble d’un aussi grand poids que les canons, et dès qu’ils se réunissent en grand nombre sur une vérité doctrinale, on ne peut la démentir sans s’écarter des bornes de la doctrine chrétienne, dont ces grandes lumières ont conservé le précieux dépôt dans leurs ouvrages.

L’Eglise, dans plusieurs conciles, a défendu la fréquentation des spectacles et les spectacles eux-mêmes. J’ai rapporté la décision du concile d’Elvire, dont les canons sont reçus de toute l’Eglise : il se tint au commencement du quatrième siècle. Si nous voulions remonter jusqu’au temps des apôtres, nous trouverions l’un des canons qu’ils firent à Antioche ; c’est le martyr saint Pamphile qui l’a rapporté, et nous l’avons dans la bibliothèque d’Origène : il défend les jeux de théâtre, ainsi que les excès contre la tempérance31.

Mais revenons sur nos pas pour chercher dans les fastes de l’Eglise, en un temps où elle commençait à prendre le dessus sur les idolâtres, les empereurs ayant embrassé la foi chrétienne. Nous avons le concile d’Arles de l’an 314, lequel ayant condamné les fidèles qui conduisaient les chariots dans le Cirque, fait bien moins de grâce aux gens de théâtre. Tandis qu’ils demeureront dans la profession, ils seront séparés de la communion des fidèles : « De theatricis et ipsos placuit, quamdiu agunt, a communione separari » 32. Ce concile fut convoqué par l’autorité de l’empereur Constantin, à l’occasion du schisme des donatistes. Il se tint un nouveau concile dans la même ville l’an 452, qui renouvela ce canon contre les comédiens avec la censure33.

On ne pensait pas différemment dans l’Eglise de Carthage. Nous avons deux canons sur cette matière. Dans le premier, on veut que les histrions, ceux qui montent sur le théâtre, de même que les apostats, soient reçus dans l’Eglise, si l’on reconnaît que leur conversion est bien sincère. Il suppose l’excommunication lancée contre eux34, puisqu’il veut qu’elle soit levée lorsqu’ils rentrent dans les voies de la pénitence. Le second menace d’une pareille35 censure les fidèles mêmes, qui, désertant les saintes assemblées en un jour de fête, vont contenter leur curiosité dans l’amphithéâtre. Quoique ce dernier concile ne sévisse pas directement contre les comédiens, il suppose un vice dans leur profession, en tenant leurs spectacles pour un amusement incompatible avec le service divin. Saint Augustin qui assista à ce concile en avait conservé tout l’esprit, lorsqu’il déclarait que les dons faits aux gens de théâtre ne sont point au rang des libéralités honnêtes : « Donare res suas histrionibus, vitium est immane, non virtus36. »

Le concile de Trulle, ainsi nommé parce qu’il se tint dans le dôme du palais à Constantinople, l’an 692, s’explique en ces termes : « Le saint concile défend les farceurs et leurs spectacles, et les danses qui se font sur le théâtre. Si quelqu’un enfreint la présente constitution, nous voulons, s’il est clerc, qu’il soit déposé ; s’il est laïc, qu’il soit excommunié » : « Omnino prohibet hæc sancta synodus eos qui dicuntur mimos et eorum spectacula, atque in scenâ saltationes fieri. Si quis autem præsentem canonem contempserit, et se alicui eorum quæ sunt vetita dederit, si sit clericus, deponatur ; si laicus, segregetur37. »

Un canon plus moderne, il est d’un concile qui se tint à Paris en 829, est conçu en ces termes : « Il convient mieux à des chrétiens de gémir sur leurs égarements passés, que de courir après les bouffonneries, les discours insensés, les plaisanteries obscènes des histrions. Le moindre effet que leur représentation produise est d’amollir le courage pour la vertu, et d’écarter les spectateurs de l’exactitude qu’ils devraient avoir dans les exercices de la piété, de remplir leur esprit de vanités frivoles, et de les livrer à des ris immodérés qui sont si contraires aux lois de la modestie. Non, il n’est pas permis de se souiller par des spectacles de cette nature » : « Neque enim fas est hujusmodi spectaculis fœdari38. »

Le premier concile de Ravenne, de l’an 1286, défend aux clercs d’entretenir dans leurs maisons ou des deniers des pauvres les comédiens qui leur étaient envoyés par les seigneurs, après qu’ils s’en étaient divertis, n’étant pas juste de faire un usage aussi illicite d’un bien qui doit être converti en aumônes39.

Enfin un concile de Tours qui se rapproche de notre siècle, il est de l’an 1583, défend sous peine d’excommunication les comédies, jeux de théâtre et toutes sortes de spectacles irréligieux : « Comædias, ludos scenicos vel theatrales, et alia hujus generis irreligiosa spectacula, sub anathematis pœnâ prohibet sancta synodus. » Concil. Tur. can. xii de festor. cult. Iabbe, tom. XV, pag. 1019.