(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XVI. Il y a des divertissements plus utiles et plus décents que les spectacles. » pp. 138-149
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XVI. Il y a des divertissements plus utiles et plus décents que les spectacles. » pp. 138-149

Chapitre XVI.
Il y a des divertissements plus utiles et plus décents que les spectacles.

« Brillants amusements d’un monde corrompu,
Valez-vous ces vrais biens que donne la vertu ?
Non, malgré vos attraits, les ennuis, les alarmes
Assiègent le coupable, enivré de vos charmes :
Même au sein des plaisirs, son destin est affreux.
La vertu seule a droit de faire des heureuxbf. »

Outre que les spectacles n’offrent pas un délassement convenable, ni digne d’un chrétien, ils n’offrent pas même un délassement physique. En effet, « peut-on se délasser en allant se renfermer pendant trois ou quatre heures dans une salle, dont l’air infecté par les haleines et le désagréable luminaire, ne peut être que très-préjudiciable à la santé, et par conséquent peu propre à affecter utilement des organes fatigués par le travailbg ? » « Dans quelle crise doit se trouver le physique d’un homme, qui se tenant dans une posture immobile et gênée, l’espace de trois ou quatre heures, dans une place hermétiquement fermée, respire cinquante ou soixante mille fois l’haleine de trois ou quatre mille personnes asthmatiques, pulmoniques, scorbutiques, hydropiques, éthiques, lépreuses, effrayant mélange d’air épaissi encore et détérioré par la fumée de quelques centaines de chandelles, lampes, bougies, flambeaux ; qui, en même temps, éprouvent toutes les commotions de volupté, de haine, de tristesse, de vengeance, que le spectacle fait naître. Quel contraste de situation avec celle qu’exigent la liberté, la régularité des mouvements vitaux ? Faut-il s’étonner si tant d’acteurs et d’actrices ont expiré sur le théâtre, si tant de spectateurs y éprouvent des évanouissements et des nausées violentesbh ? »

Ne peut-on pas se procurer des divertissements plus décents et plus utiles à la santé, dans les promenades champêtres, où l’on se repose de ses travaux, où l’on se remet de l’étourdissement des affaires, « où l’air infecté des spectacles est remplacé par un air bienfaisant, travaillé des mains de la nature ; où, au lieu des émanations léthifères de toute espèce concentrées dans un espace étroit, on ne respire que le parfum de plantes salutairesbi ? » Le temps que l’on passe au spectacle ne serait-il pas mieux employé en le destinant à la compagnie de quelques amis vertueux, avec lesquels on multiplie, pour ainsi dire, son être, en se communicant réciproquement, dans les tendres épanchements de la confiance, tout ce qui peut intéresser de louables affections ? Ne peut-on pas trouver quelques délassements agréables dans une lecture, dans quelques jeux d’usage, dans la fréquentation de ces sociétés choisies, où on a le spectacle de tous les talents et de toutes les vertus, où l’on rencontre des femmes qui ont l’avantage de plaire par leur mérite, mais qui savent en même temps inspirer tout le respect qui est dû à leur sexe ? Ces compagnies sont, à cet égard, aussi sévères que l’étaient celles des anciens Germains, chez qui, selon Tacite, on ne plaisantait jamais sur les vices. On ignorait ce que c’était que de mener sourdement une intrigue amoureuse. Toute licence y était en horreur : par ce moyen, la vertu des femmes était à l’abri de toute occasion. Ces compagnies procurent des amusements que la décence peut permettre. On y jouit au moins de quelque avantage réel ; au lieu que les spectacles ne fournissent que des plaisirs chimériques, trop dangereux pour n’être pas souvent criminels, et trop vifs pour être longtemps agréables. « Ces plaisirs peuvent bien charmer un moment nos chagrins, interrompre un peu le cours de nos ennuis, et fixer un instant la joie fugitive ; mais ce n’est que pour rendre nos chagrins plus insupportables, nos ennuis plus accablants et nos regrets plus amers. Ils glissent pour ainsi dire sur la superficie de notre âme sans la pénétrer, et ne font qu’agiter le cœur sans le remplir. Ils n’offrent qu’une image trompeuse du bonheur lui-même, qu’on ne trouvera jamais que dans l’exercice de la vertu. C’est à elle qu’il appartient de faire goûter des plaisirs infiniment plus agréables et plus flatteurs que tous ceux que peuvent donner les amusements du monde. Quelle joie pure et douce naît surtout de l’attachement inviolable à son devoir et du renoncement aux plaisirs défendus ! Cette joie est inaltérable comme la vertu qui la produit, et n’est jamais sujette à de fâcheux retoursbj. » « Une âme belle et sensible n’a-t-elle pas au sein de sa famille, et dans le goût même des lettres et des arts, des plaisirs plus purs qu’elle puisse se permettre ? n’a-t-elle pas des spectacles plus intéressants qu’elle puisse se procurer, celui des malheureux qui souffrent et qu’elle va consoler ? n’a-t-elle pas des larmes plus douces à verser, celles de la pitié pour des indigents qu’elle va visiter et soulager ? n’a-t-elle pas un emploi plus noble à faire de ses richesses en les ménageant pour des œuvres qui honorent l’humanité et la charité ? Ce sont des plaisirs bien plus dignes de nous que tous ces faux plaisirs des spectacles qu’on n’aime et qu’on ne recherche avec tant d’ardeur que parce qu’ils flattent et nourrissent le penchant et le goût qu’on a pour les plaisirs criminels de la voluptébk. »

« Tertullien et saint Cyprien nous invitent à des spectacles bien différents des spectacles profanes : ils introduisent l’homme raisonnable et chrétien dans le sanctuaire de la religion et de la nature, pour charmer tour à tour sa raison et sa foi. Le premier objet est celui qui tombe sous les sens : n’est-on pas frappé d’étonnement, dès que l’on ouvre l’œil attentif sur la beauté de l’univers ? Quoi de plus magnifique que le soleil10, lorsqu’en quittant le sein des ondes, ou perçant le sommet des montagnes, il s’élève sur l’horizon, chassant devant lui la frayeur et les ombres ? Son retour donne la vie à toute la nature. Les êtres étaient plongés, pendant la nuit, dans une espèce de néant d’où cet astre les tire : il répand ses rayons sur l’hémisphère, comme une source abondante ; mais ses forces diminuent dès qu’il a fourni les deux tiers de sa carrière : un nuage aussi beau que l’aurore l’accompagne jusqu’au bord de l’Océan, et se confond enfin avec les ténèbres qui remplacent le jour. Bientôt la lune ouvre les portes de l’Orient ; elle conduit son char dans un profond silence : son emploi est de mettre, par ses phases, un certain ordre dans la révolution des temps ; elle domine sur les étoiles, quoique moins brillante. Celles-ci sont au firmament comme autant de flambeaux que la main du Tout-Puissant a placés dans une distance respective qui ne change point, pour marquer son immutabilité : ces globes mobiles rendent un perpétuel témoignage à sa puissance par leur immensité, puis à sa grandeur par leur élévationbl.

« Si on abaisse ses regards vers la terre, on la voit entremêlée de plaines, de vallons et de montagnes : celles-ci ont dans leurs entrailles profondes des réservoirs secrets que les cataractes du ciel entretiennent ; les nuages y déchargent leurs eaux condensées, après avoir abreuvé la terre. C’est là que les fontaines ont pratiqué leurs sources, pour fertiliser les campagnes, et former, par leur réunion, les grandes rivières qui se précipitent dans la mer : cette vaste étendue pousse ses vagues sur le rivage, on dirait qu’elle va nous engloutir : celui qui l’a créée a mis un terme qu’elle ne passe jamais.

« Quelle merveille dans la succession régulière du jour et de la nuit, et dans celle des saisons ! La pluie, les nuages, le tonnerre, les ouragans, la légèreté de l’air, les oiseaux qui le traversent avec autant de rapidité, les poissons qui fendent les ondes ; cette multitude innombrable d’animaux qui vivent sur la terre ; l’homme enfin, le chef-d’œuvre des mains de Dieu, la seule créature faite à son image et pour sa gloire ! ces différents objets font un groupe qu’on ne saurait assez admirer. Les plus beaux théâtres du monde n’ont rien de comparable au spectacle de la nature : l’or, dont la main de l’homme les a décorés, s’éclipse devant les feux célestes ; ils ne brillent plus que de leur clarté réfléchie.

« Si des choses que l’univers étale à nos yeux l’on passe aux objets que la religion nous présente, quoi de plus auguste et de plus sublime ? Là, c’est un Dieu qui commande au néant ; une seule de ses paroles suffit pour créer tout le monde : ici, c’est l’homme rebelle chassé du Paradis terrestre, déchu de sa gloire primitive : les ténèbres ont inondé son esprit, la corruption s’est glissée dans son cœur ; la plus excellente créature qui vive sur la terre est dominée par les êtres inférieurs qui sont chargés de la punir. On lui promet un rédempteur, dont la grâce anticipée est accordée à tous les hommes : on assure un prix immortel à la vertu, et l’on menace les impies d’une peine qui n’aura point de fin.

« Cependant les passions se débordent, comme un fleuve empoisonné, et les vérités les plus consolantes et les plus terribles ne sont point capables d’en arrêter le cours. Dieu se repent d’avoir créé l’homme ; il est forcé d’en noyer l’espèce criminelle dans les eaux du déluge : une seule famille est jugée digne de vivre et de perpétuer sur la terre la race infortunée des mortels. Tandis que l’ambition allume partout les feux de la guerre, qu’elle enfante les conquérants, établit les empires sur les ruines de la liberté, le chef de la nation sainte, attiré des bords de l’Euphrate aux rives du Jourdain, en parcourt les déserts montueux, logeant sous des tentes. Dieu lui découvre sa nombreuse postérité, dans la sombre succession des temps à venir ; au fond de ce divin miroir, Abraham aperçoit le libérateur promis ; ses enfants passent en Égypte pour s’y former en corps de nation : la plus dure servitude n’empêche pas leur propagation miraculeuse.

« Mais quel spectacle nouveau étonne et confond ma raison ! Moïse, que les Israélites auront pour législateur, voit l’Eternel dans un buisson qui brûle sans se consumer : il jette sa baguette devant Pharaon, laquelle est changée en serpent ; ce monstre disparaît aussitôt sous la forme d’une baguette. Les Egyptiens trouvent l’eau du fleuve changée en sang : à la prière du prophète, le sang se retire, et les eaux recouvrent leur pureté. L’armée égyptienne environne les Hébreux au bord de la mer Rouge : Moïse, étendant la main, écarte les eaux, qui s’élèvent de chaque côté comme un mur de cristal : le peuple de Dieu rencontre, au milieu des ondes, un chemin solide. Les flots du Jourdain se retirent pareillement pour lui donner passage ; lorsqu’il veut entrer dans la terre promise, le fleuve remonte vers sa source. La puissance divine, qui repousse les eaux, les fait sortir à gros bouillons du milieu d’un rocher, pour étancher la soif des Israélites : on voit une pierre dure, parmi les sables brûlants de l’Arabie que les rosées du ciel n’humectent jamais, vomir tout à coup une rivière miraculeuse. Les eaux de Mara perdent leur amertume : Moïse, y ayant jeté un bois mystérieux, le bitume dont la vase était pénétrée se dissipe, ou du moins il retire ses influences désagréables, pour rendre aux eaux leur douceur naturelle. Le fer de la cognée échappé des mains d’un prophète, tombe dans le Jourdain ; Elisée, ayant prié, présente le manche, aussitôt le fer, nageant sur les flots, vient lui-même occuper sa première place.

« Parcourez les miracles du conquérant de la Palestine ; il ordonne au soleil de s’arrêter ; il fait tomber les murs de Jéricho au son des trompettes. Le peuple, cessant d’être fidèle, devint l’esclave des Philistins ; les enfants de Loth, établis aux environs de la mer Morte, accourent en foule pour enlever ses moissons et pour faire ses vendanges : à peine rentre-t-il dans le devoir, Dieu suscite des juges qui le délivrent de l’oppression. Il est gouverné par des rois, et, depuis Samuel, la succession des prophètes n’est pas interrompue. Ces hommes, remplis de l’esprit de Dieu, et dévorés par le zèle, ne cessent d’exhorter le peuple indocile, de le menacer de la part du Très-Haut, qui fait venir enfin contre lui toutes les forces de l’Assyrie et de la Chaldée. Israël est puni d’une double captivité, qui met fin à son idolâtrie.

« Un nouveau temple s’élève sur les ruines de l’ancien après le retour des Juifs. La pureté du culte se soutient malgré la persécution d’un des successeurs d’Alexandre. Les Macchabées chassent ce tyran, reprennent le sceptre qu’ils conservent jusqu’à l’usurpation d’Hérode. C’est sous le règne de ce dernier que Jésus-Christ, vient au monde. Contemplons les merveilles de sa naissance et de sa vie, les circonstances édifiantes de sa mort, la gloire de sa résurrection, la mission et le zèle de ses disciples, leurs succès prodigieux : sans lettres, sans crédit, ils établissent jusqu’aux extrémités du monde la religion d’un Dieu crucifié.

« Admirons encore la réconciliation du genre humain avec Dieu le Père, par la médiation de son Fils ; le triomphe de la vérité sur l’erreur et l’imposture, celui de la mortification sur la volupté, de l’humilité sur la gloire du monde ; le mépris de la vie et des richesses que la religion nous inspire. Nous foulons aux pieds les dieux des nations, nous chassons bien loin les anges des ténèbres : de telles victoires ne sont-elles pas bien plus flatteuses que celles qu’on remportait autrefois dans le Cirque ? Considérons le cours des années et des siècles, le temps qui s’envole : écoutons le son de la trompette qui va bientôt nous appeler, la voix de l’Ange qui se fait entendre pour nous animer au combat ; les martyrs nous tendent les mains et nous présentent leurs couronnes. Si nous aimons la saine doctrine, le spectacle qu’elle nous offre est bien au-dessus des lettres humaines : combien de sentences profondes, de cantiques sublimes dans les livres saints ! Ce ne sont pas des fables qu’ils contiennent, la vérité s’y rencontre de toute part ; ce ne sont pas des trophées brillants, où l’on ne recherche qu’à plaire à l’esprit, c’est votre cœur que l’on prétend charmer. Quels combats plus nobles que ceux de nos athlètes ? On y voit la luxure abattue sous les pieds de la continence, la perfidie vaincue par la fidélité, la cruauté par la douceur, la miséricorde triomphante de la vengeance, et la modestie de l’orgueil.

« Le dernier événement du Fils de Dieu est un nouveau spectacle que Tertullien n’a point oublié : il nous remet devant les yeux la joie des esprits célestes, la gloire des saints, la rage des démons, la confusion des réprouvés. Alors commencera le royaume éternel des justes, où les pauvres Lazare seront reçus, d’où les riches impies seront bannis pour toujours. Jupiter et les divinités du paganisme seront précipités dans les enfers, et ces fameux scélérats, dont un amour insensé, une flatterie ridicule avaient fait l’apothéose : ceux qui les auront adorés seront les témoins de leur ignominie. Avec eux descendront dans l’abîme les sages selon le monde, la vanité ayant corrompu leurs vertus ; puis les philosophes orgueilleux qui contestent au Tout-Puissant l’ouvrage de la création, qui blasphèment contre la Providence, assurant que les choses d’ici-bas ne dépendent point de Dieu, que le monde est venu par hasard et s’en retournera de même. Les poètes seront traînés, non pour être jugés par Minos ou Rhadamante, mais devant le tribunal d’un juge qu’ils ont méprisé ; ils trembleront de frayeur en sa présence. Il interrogera les histrions et les auteurs dramatiques. Ceux-ci se reconnaîtront coupables, non-seulement de leurs propres excès, mais encore d’une multitude innombrable de crimes auxquels ils ont donné lieu. Avec quelle éloquence raconteront-ils leur infortune, exprimeront-ils leurs regrets et leur désespoir ! Trouveront-ils, au milieu de tant d’accusations, des avocats pour les défendre, ou des consuls pour les protéger, pour les dérober aux supplices qu’on leur prépare11 ?

« Ce spectacle, mûrement examiné, apportera la réforme dans les mœurs que le théâtre a corrompues, il inspirera du dégoût pour les amusements profanes. En vain les méchants m’assaillent, ô mon Dieu ! en m’offrant leurs fables, leurs représentations insensées. Je ne veux plus entendre d’autres discours que votre sainte loi12, je ne me permettrai plus d’autres occupations que celle de vous aimer, d’autre amusement que la pratique des bonnes œuvres, persuadé qu’il n’est pas d’autre moyen d’apaiser votre courroux, d’intéresser votre miséricorde, et d’obtenir, avec votre sainte grâce, le gage assuré d’une éternité bienheureuse. »