Chapitre XI.
Les pères et mères perdent leurs enfants en les
conduisant ou en leur permettant d’aller aux spectacles.
« On y boit à longs traits l’oubli de ses devoirs. »Henriade, chant IX.
« Communément jusqu’à l’âge de dix ans les enfants sont bien élevés. Depuis dix
ans jusqu’à quinze, l’éducation faiblit et les enfants commencent à être gâtés par leurs
pères et mères. Enfin, depuis quinze ans jusqu’à vingt, les jeunes gens, maîtres de
leurs actions, achèvent eux-mêmes de se corrompre. Les parents sont souvent plus occupés
de l’apparence, de l’extérieur, que du fond ou de l’essentiel de l’éducation de leurs
enfants. On ne s’attache à leur apprendre que la politesse, les belles manières et
l’usage du monde ; en sorte qu’à dix ans ils sont en état de paraître dans ce qu’on
appelle les meilleures compagnies, où on a grand soin de les présenter. C’est là qu’ils
entendent parler de toutes sortes de matières qui peuvent ou exciter leur curiosité ou
développer les germes de leurs passions▶ ; c’est là que, dans un
âge encore tendre et si susceptible des impressions du vice, ils
commencent à le connaître et à se familiariser avec lui.
« Ces principes de corruption reçoivent une nouvelle force des spectacles publics
où les pères et mères ont l’imprudence de les conduire. Or, quelles atteintes mortelles
ne doivent pas donner à leur innocence le nombre infini de maximes empestées qui se
débitent dans les tragédies, dans les opéras, et les images licencieuses que présentent
les comédies ? Ils ne les effacent jamais de leur mémoire. Ils y voient des grands, des
personnes élevées en dignité, des vieillards y applaudir. Ils s’imaginent que tout ce
qu’on leur expose est à retenir : ils agissent en conséquence, lorsqu’ils jouissent de
leur liberté, et les voilà corrompus dans le cœur et l’esprit pour tout le reste de leur
vie. Mais, dit-on, quel inconvénient y a-t-il qu’ils entendent parler de la ◀passion▶ de
l’amour ? il faut bien qu’ils la connaissent tôt ou tard. C’est ce que je suis bien
éloigné de croire ; on doit toujours ignorer le libertinage. Mais, quand cette ◀passion▶
serait traitée avec plus de réserve sur le théâtre, il n’y aurait pas moins
d’inconvénients, et, si j’ose le dire, moins de cruauté à leur donner, sur une matière
si délicate, des leçons prématurées et infiniment dangereuses, et à leur faire encourir
le risque de perdre leur innocence avant qu’ils sachent quel est son prix, et combien
cette perte
est affreuse et irréparable. Mais les parents
s’intéressent-ils à leur conserver cette vertu, s’ils n’en connaissent pas eux-mêmes le
prix ? Néanmoins ils sont ensuite au désespoir, quand leurs enfants donnent dans des
désordres préjudiciables à leur fortuneaq
. »
Quel jugement terrible n’ont pas à craindre les pères et mères qui, par leurs exemples,
ont inspiré à leurs enfants le goût et l’amour du théâtre ? Obligés encore plus que les
autres à s’interdire la fréquentation des spectacles si pernicieux pour la jeunesse, ne se
rendent-ils pas coupables devant Dieu de toutes les suites qu’elles peuvent avoir à
l’égard de leurs enfants ? et n’est-ce pas sur eux principalement que tombe la malédiction
lancée par Jésus-Christ contre ceux qui sont une occasion de chute pour les petits et les
faibles ? « Pères faibles, mères imprudentes, gouverneurs indignes de l’être, en
conduisant aux spectacles vos enfants ou vos élèves, vous leur présentez vous-mêmes la
coupe empoisonnée du plaisir et de la volupté. N’y boiront-ils pas assez tôt sans vous ?
leurs ◀passions ne se réveilleront-elles pas assez d’elles-mêmes ? faut-il encore les
faire naître d’avance ou les irriterar ? »