(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XI. Les pères et mères perdent leurs enfants en les conduisant ou en leur permettant d’aller aux spectacles. » pp. 105-107
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XI. Les pères et mères perdent leurs enfants en les conduisant ou en leur permettant d’aller aux spectacles. » pp. 105-107

Chapitre XI.
Les pères et mères perdent leurs enfants en les conduisant ou en leur permettant d’aller aux spectacles.

« On y boit à longs traits l’oubli de ses devoirs. »

Henriade, chant IX.

« Communément jusqu’à l’âge de dix ans les enfants sont bien élevés. Depuis dix ans jusqu’à quinze, l’éducation faiblit et les enfants commencent à être gâtés par leurs pères et mères. Enfin, depuis quinze ans jusqu’à vingt, les jeunes gens, maîtres de leurs actions, achèvent eux-mêmes de se corrompre. Les parents sont souvent plus occupés de l’apparence, de l’extérieur, que du fond ou de l’essentiel de l’éducation de leurs enfants. On ne s’attache à leur apprendre que la politesse, les belles manières et l’usage du monde ; en sorte qu’à dix ans ils sont en état de paraître dans ce qu’on appelle les meilleures compagnies, où on a grand soin de les présenter. C’est là qu’ils entendent parler de toutes sortes de matières qui peuvent ou exciter leur curiosité ou développer les germes de leurs passions ; c’est là que, dans un âge encore tendre et si susceptible des impressions du vice, ils commencent à le connaître et à se familiariser avec lui.

« Ces principes de corruption reçoivent une nouvelle force des spectacles publics où les pères et mères ont l’imprudence de les conduire. Or, quelles atteintes mortelles ne doivent pas donner à leur innocence le nombre infini de maximes empestées qui se débitent dans les tragédies, dans les opéras, et les images licencieuses que présentent les comédies ? Ils ne les effacent jamais de leur mémoire. Ils y voient des grands, des personnes élevées en dignité, des vieillards y applaudir. Ils s’imaginent que tout ce qu’on leur expose est à retenir : ils agissent en conséquence, lorsqu’ils jouissent de leur liberté, et les voilà corrompus dans le cœur et l’esprit pour tout le reste de leur vie. Mais, dit-on, quel inconvénient y a-t-il qu’ils entendent parler de la passion de l’amour ? il faut bien qu’ils la connaissent tôt ou tard. C’est ce que je suis bien éloigné de croire ; on doit toujours ignorer le libertinage. Mais, quand cette passion serait traitée avec plus de réserve sur le théâtre, il n’y aurait pas moins d’inconvénients, et, si j’ose le dire, moins de cruauté à leur donner, sur une matière si délicate, des leçons prématurées et infiniment dangereuses, et à leur faire encourir le risque de perdre leur innocence avant qu’ils sachent quel est son prix, et combien cette perte est affreuse et irréparable. Mais les parents s’intéressent-ils à leur conserver cette vertu, s’ils n’en connaissent pas eux-mêmes le prix ? Néanmoins ils sont ensuite au désespoir, quand leurs enfants donnent dans des désordres préjudiciables à leur fortuneaq . »

Quel jugement terrible n’ont pas à craindre les pères et mères qui, par leurs exemples, ont inspiré à leurs enfants le goût et l’amour du théâtre ? Obligés encore plus que les autres à s’interdire la fréquentation des spectacles si pernicieux pour la jeunesse, ne se rendent-ils pas coupables devant Dieu de toutes les suites qu’elles peuvent avoir à l’égard de leurs enfants ? et n’est-ce pas sur eux principalement que tombe la malédiction lancée par Jésus-Christ contre ceux qui sont une occasion de chute pour les petits et les faibles ? « Pères faibles, mères imprudentes, gouverneurs indignes de l’être, en conduisant aux spectacles vos enfants ou vos élèves, vous leur présentez vous-mêmes la coupe empoisonnée du plaisir et de la volupté. N’y boiront-ils pas assez tôt sans vous ? leurs passions ne se réveilleront-elles pas assez d’elles-mêmes ? faut-il encore les faire naître d’avance ou les irriterar ? »