Chapitre VI.
Les spectacles produisent et favorisent
l’incrédulité.
« Et qui peut parmi nous approuver une scèneOù règne avec éclat l’impiété païenne ;Où l’on voit chaque jour les démons encensésRétablir par nos mains leurs autels renversés ? »Bardou.
La passion excessive des théâtres a produit l’oisiveté et le luxe : ces deux causes réunies ont occasionné le débordement d’une licence effrénée. Celle-ci a enfanté l’impiété et l’irréligion, qui à son tour a fait pulluler les meurtres, les duels, les suicides, et enfin une indépendance monstrueuse qui a déjà renversé le trône sur les débris de l’autel, et qui nous prépare encore de funestes catastrophes. L’effet de la mythologie dans les théâtres est d’embellir les aventures romanesques : la religion n’y est traitée qu’avec indécence. Les dieux, les autels, les prodiges, les prêtres n’y paraissent que pour être la matière d’un indigne parallèle : ils n’y sont soufferts que pour engager adroitement les spectateurs à confondre avec de faux cultes le culte véritable, et n’y sont marqués que du sceau de la haine et du mépris. Sous l’emblème des fausses religions on attaque la véritable : Mahomet, les Vestales, Eugénie, Argillan, Virginie, Olinde, Sophronie, l’honnête Criminel, les Lois de Minos, les Guèbres et beaucoup d’autres en sont des preuves. On y fait semblant de n’en vouloir qu’aux abus, et sous ce prétexte on y peint des plus noires couleurs les dogmes et les pratiques les plus respectables. On s’efforce d’y représenter, par la bouche des infidèles ou des apostats, les chrétiens comme des fanatiques d’un autre ordre, et d’y semer des traits les plus marqués contre les dogmes de la religion chrétienne. Ces tableaux tragiques remplissent l’imagination d’idées fausses qui affaiblissent presque toujours dans l’âme des spectateurs le respect qu’ils doivent avoir pour elle.
« Il n’y a peut-être point de gens, dit Bayle, qui
puissent se donner plus de carrière, en fait de maximes impies et libertines, que ceux
qui composent des pièces de théâtre ; car, si on voulait leur faire un crime de
certaines licences qu’ils prennent, ils ont à répondre qu’ils ne font que prêter à des
profanes ou à des personnes dépitées contre la fortune les discours que le vraisemblable
exige. Quand on n’aurait pas à imputer à un auteur d’une tragédie tous les mauvais
sentiments qu’il étale, il y a des affectations qui découvrent ce qu’on doit mettre sur
son compte. »
Il n’arrive que trop souvent qu’ils emploient, sans détour, le langage de l’impiété ; il faut des traits hardis pour réveiller l’attention, et pour flatter le goût peu chrétien du siècle. C’est un moyen sûr d’être applaudi et d’en imposer aux sifflets du parterre. Molière n’avait aucun besoin de cette précaution pour mériter son suffrage. Cependant il a joué la dévotion sous le masque de l’hypocrisie. Ce comédien, disciple de Lucrèce, fait paraître dans le Tartuffe le plus perfide et le plus scélérat de tous les hommes avec tous les dehors de la piété ; les ridicules forcés qu’il jette sur la fausse dévotion retombent sur la vraie dévotion par les applications que la malignité en fait à ceux qui professent celle-ci de bonne foi. Corneille et Racine, dont la foi n’a jamais été suspectée, et qui même ont eu, dit-on, des alternatives de piété en travaillant pour le théâtre, emportés par la fougue de leur imagination, ont avancé une infinité de maximes blasphématoires, et ont sacrifié la raison, la probité, la foi, à la satisfaction d’éclore une prétendue belle pensée.
On dira peut-être que ce sont des païens qu’ils font parler, lesquels, s’étant formé une autre idée que nous de la Divinité, se moquaient de l’impuissance et de la méchanceté de leurs dieux. J’en conviens, mais ce sont des chrétiens qui leur mettent ces blasphèmes dans la bouche. Jugerait-on, en assistant à la représentation de leurs tragédies, qu’ils n’ont point pensé, en matière de religion, comme Sophocle et Euripide ? Ce sont des héros qu’ils produisent sur la scène, et les sentiments impies qu’ils leur prêtent charment les spectateurs et attirent leurs suffrages. Ceux-ci prennent du dégoût pour des mystères qu’ils voient tourner en ridicule, du dégoût ils passent au mépris, du mépris à l’incrédulité. On s’accoutume insensiblement à confondre les objets de l’idolâtrie avec les objets de la foi chrétienne. Voilà une des sources du déisme, qui fait aujourd’hui des progrès si rapides. On ignorait ce monstre, tandis que ce qu’on appelle la bonne comédie était ignorée. Le rétablissement de cette partie des lettres a fait tomber en décadence la simplicité de la foi. C’est depuis cette époque que les incrédules se sont tellement multipliés qu’un étranger arrivant en France, dans les grandes villes, aurait bien de la peine à se persuader que la religion chrétienne fût la religion de l’Etat.