(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre III. L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions. » pp. 29-31
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(1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre III. L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions. » pp. 29-31

Chapitre III.
L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions.

« Le péril le plus à craindre
Est celui qu’on ne craint pas. »

Rousseaup.

L’amour est, de tous les sentiments de l’âme, celui dont on doit le moins se faire un jeu. Lorsque ce sentiment n’a d’autre objet que ce qui peut flatter les sens, on perd souvent de vue les principes qui doivent assujettir la conduite à la raison. Cicéron dit qu’on ne doit se prêter aux objets sensibles qu’avec une extrême réserve, parce que les impressions qu’ils font sur les organes agissent assez souvent sur le cœur avec une telle violence qu’on en est tyrannisé. L’amour qui se rapporte à l’union des deux sexes a donné lieu à beaucoup d’événements, dont le récit ne serait pas à son avantage : c’est lui qui força Médée, fille d’Œtès, roi de Colchide, à égorger aux yeux de Jason les enfants qu’elle avait eus de lui. Que n’a-t-on pas à craindre, quand il s’empare de ceux qui par leurs dignités éminentes ont le plus d’influence sur le sort des hommes ! Les mœurs du peuple sont bientôt ravagées par le torrent des scandales qui tombent de si haut.

L’attrait qui porte les deux sexes à s’unir l’un à l’autre, depuis la dégradation de l’homme, a dégénéré en une révolte des sens contre l’esprit ; il est si inséparable de notre être, que la sagesse ne consiste pas à n’en point ressentir l’impression, mais à l’assujettir à la retenue qu’exige le devoir. Plus on est assuré du pouvoir de cette passion, plus on est obligé de le contredire ou de ne s’y prêter que selon les règles établies par la religion et les lois, en ne se permettant qu’une alliance légitime.

Si la raison et la religion n’opposent point de digue à l’impétuosité de ce penchant, il n’est point d’excès où l’on ne puisse être entraîné. Si on n’est point en garde contre les choses qui peuvent séduire, ou l’on se prépare des tourments inévitables par la contrainte dans laquelle le devoir retiendra, ou l’on s’expose à se satisfaire jusqu’au point de ne respecter aucunes lois. Les mésalliances indécentes d’où il résulte quelquefois un contraste humiliant de condition et souvent une extrême indigence, et les unions clandestines, qui outragent la religion et les mœurs, ne sont que les suites de l’imprudence avec laquelle on s’est livré aux objets séducteurs. Les plaintes qui échappent à ceux qui abusent des inclinations que la nature leur inspire pour le sexe, doivent confirmer tout homme sensé, qu’il n’est pas prudent de se faire un amusement de la passion de l’amour. Il faut réfléchir avant d’aimer, de peur que le cœur ne subjugue la raison en lui déclarant qu’il ne peut échapper au feu qui le consume. Comment gouverner par prudence cette folle passion qui n’admet aucune mesure dans ses écarts. « Le comte de Bussy, cet ingénieux courtisan, nous dit que la passion de l’amour est la plus dangereuse de toutes les faiblesses, et qu’on revient plus aisément des sottises de l’esprit que de celles du cœur : en effet, le cœur s’attache, au lieu que l’esprit ne s’occupe point toujours des mêmes idées. Il réfléchit, et peut apercevoir ses extravagances : mais, lorsque le cœur est enflammé par l’enchantement des sens, la raison ne tarde pas à être séduite, et l’esprit trouve son poison dans ce qui charme le cœur. Or, selon Cicéron, un pareil trouble est un désordre honteux et funeste. Dès lors que l’amour exclut de son commerce la prudence et la raison, il est plus propre à former un engagement indécent qu’à produire un mariage heureux q » ; il jette le trouble dans l’âme et dans les sens, il enlève la fleur de l’innocence, il étonne et détruit la vertu, il avilit et dégrade l’homme, il le met au-dessous de lui-même, il ternit sa réputation, la honte marchant presque toujours à sa suite.