Préface.
Les anciens Pères et les Docteurs modernes se sont tous élevés contre les spectacles, et
ont démontré clairement qu’ils sont l’écueil de toutes les vertus et l’école de tous les
vices ; mais le relâchement a toujours eu le secret d’éluder les coups qu’on lui a portés,
et de se maintenir dans la possession de ces funestes divertissements. Nous avons cru que
dans un temps où la fureur pour les spectacles semble être parvenue à son comble, il ne
serait pas inutile de faire paraître, sur cette matière, un petit écrit qui serait, en
quelque façon, la quintessence des meilleurs qui en traitent. C’est le but
que nous nous proposons en donnant celui-ci au public. Nous ne nous
dissimulons pas qu’en attaquant les spectacles, nous attaquons un abus profondément
enraciné, que la raison s’efforce de justifier, que la coutume semble autoriser, et qui a
autant d’apologistes qu’il y a de mondains. Mais pourvu que la gloire de Dieu soit vengée,
nous ne nous mettons pas en peine de ce qu’en pensera le monde. « Le glaive de la
parole »
, dit Isaïe, ne nous est pas confié pour ménager les pécheurs, mais pour
couper jusqu’à la racine de leurs vices. Plus l’aveuglement est grand, plus le zèle
évangélique doit éclater : la vérité doit se faire entendre et lancer tous ses traits.
Dussions-nous sévir en pure perte contre les spectacles, nous les combattrons. L’exécution
des lois de la morale chrétienne n’autorise point le silence de ceux qui sont obligés de
l’enseigner aux autres. Nous ferons à ceux qui paraîtraient surpris de notre résolution la
réponse que Sénèque faisaient à ceux qui s’ennuyaient de ses déclamations contre les
vices : « Vous me demandez, disait-il, pourquoi je répète
les mêmes choses, mais pourquoi ne quittez-vous pas vos mauvaises habitudes ? »
Nous ne nous flattons pas que ce petit écrit fera fermer les spectacles et abolira des
plaisirs que la corruption a si bien établis. Quand même nos prétentions iraient jusque
là, elles seraient moins déraisonnables et plus légitimes que celles des prétendus
philosophes de nos jours qui veulent détruire la religion, faire fermer ses temples,
avilir ses ministres, et qui, s’ils en avaient le pouvoir, les congédieraient et les
égorgeraient, comme ils l’ont déjà fait. D’ailleurs on entend si souvent et si
généralement vanter les théâtres, qu’il est bon et même nécessaire d’avoir à opposer à
leurs apologistes des principes certains et des raisons péremptoires qui les confondent et
qui les réduisent au silence. Si, malgré ce petit ouvrage, que l’on peut regarder, ainsi
que tous ceux qui l’ont précédé, comme une nouvelle promulgation de la loi qui les
condamne, comme un nouvel anathème et une nouvelle malédiction lancée contre eux, les
loges et le parterre continuent à regorger de spectateurs, toujours est-il vrai que les
principes qui y sont développés engageront quelques personnes à abandonner la résolution
qu’elles avaient formée d’y aller, feront prendre à quelques autres la résolution de ne
jamais y aller, en en éloigneront d’autres encore qui avaient contracté l’habitude d’y
aller. Il y en a même qui s’imposeront cette privation comme le commencement de leur
pénitence. Il n’est pas douteux que, dans l’ordre de la Providence, il ne paraît aucune
réclamation en faveur de la vertu sans qu’elle n’ait tôt ou tard son effet pour
quelques-uns. Quand même nous ne parviendrions à arracher qu’une seule âme à un scandale
si redoutable, nous aurions la consolation de ne pas avoir inutilement pris en main les
foudres dont Jésus-Christ arme ses ministres, et nous nous croirions trop bien récompensés
de nos efforts et de nos peines. Pour lutter avec plus d’avantage contre le tourbillon de
ces esprits légers pour qui le langagea
de la religion est trop sublime, nous avons emprunté des armes,
non seulement aux saints Pères et aux saints Docteurs de l’Eglise, mais encore aux
incrédules des deux derniers siècles et aux auteurs dramatiques eux-mêmes. Nous avons
pensé que le témoignage de ces derniers contre les spectacles avait d’autant plus de force
qu’ils étaient plus intéressés à les soutenir.