De la discipline ecclesiastique, et des obligations imposees par les saints conciles▶ dans la vie privee des pretres.
L’influence que les ecclésiastiques ont reprise depuis quelques années était utile pour le bien de la religion, c’est une vérité que tout homme sensé reconnaîtra avec empressement, parce que après la révolution funeste que la France a éprouvée, tous les principes de morale se trouvant bouleversés et anéantis, il était salutaire pour la nation qu’un corps respectable dans la société se vouât à leur rétablissement, à leur propagation. La religion chrétienne renferme dans ses principes, dans ses éléments, tout ce qui mène l’homme au bonheur, tout ce qui le rend cher et utile à ses semblables, et la pratique de toutes les vertus qu’elle consacre et qu’elle commande, ne peut que fortifier les nations qui vivent dans sa foi. Le livre de l’Evangile est l’asile le plus assuré des peuples et des rois ; en le méditant, chacun y rencontrera le doigt d’un Homme Dieu, qui a su établir des droits et prescrire des devoirs ; comme homme il a senti combien l’indulgence et la miséricorde étaient nécessaires aux autres hommes ; comme Dieu il a offert, par les principes qu’il a tracés, les moyens de trouver le bonheur ici-bas, et de s’ouvrir la voie à une vie plus longue et plus glorieuse. L’exercice constant de cette religion ne peut donc qu’être conseillé avec ferveur, par les écrivains qui désirent sincèrement l’ordre et le bonheur, dans le système social qui nous régit.
L’Eglise chrétienne en assujettissant ceux qui suivent son culte à des pratiques hors desquelles il n’y a point de salut, a aussi tracé la ligne des devoirs des ministres de ce même culte ; les législateurs ecclésiastiques ont bien préjugé que s’ils n’imposaient pas aux prêtres de donner l’exemple de la chasteté, de la tempérance, de la modestie, de la simplicité et de la charité, les autres chrétiens ne les pratiqueraient pas eux-mêmes, et qu’ainsi une religion, dont l’observance seule doit faire le bonheur des peuples, se trouverait délaissée et anéantie.
Les législateurs ecclésiastiques sont les évêques et les prêtres qui ont composé nos premiers ◀conciles▶, ces ◀conciles▶ étaient, par rapport à la religion et à l’Eglise, ce que sont nos assemblées législatives par rapport à nos lois et à la politique qui régit les Etats ; les lois émanées des ◀conciles▶ se nomment décrets et les articles de ces décrets s’appellent canons, c’est-à-dire, articles de la loi.
Voici donc ce que les lois de l’Eglise imposent le plus impérativement aux évêques.
« 1° L’évêque doit avoir son petit logis près de l’église ;
ses meubles doivent être de vil prix ; sa table
pauvre. Il doit soutenir sa dignité par sa foi et sa bonne
vie. Canons du IVe ◀concile▶ de Carthage, an 398 ;
« 2° L’évêque aura sa chambre ; et pour les services les plus
secrets, des prêtres de bonne réputation, qui le voient continuellement veiller, prier, étudier l’Ecriture sainte, pour être les témoins et les imitateurs de sa conduite ; ses repas seront modérés, et on y verra
des pauvres ; il n’aimera ni les oiseaux, ni les chiens, ni les
chevaux, ni les habits précieux, et s’éloignera de tout ce qui
tient au faste ; il sera simple et vrai dans tous ses discours, et méditera
continuellement l’Ecriture sainte, pour instruire exactement son clergé et prêcher aux peuples selon leur portée. Conc. de Pavie, an 850, can. 1,
3, 4 ;
« 3° Les évêques sont exhortés à donner audience aux pauvres, et à ouïr
eux-mêmes les confessions. Conc. d’Oxford, an 1222, can. 2 ;
« 4° Il est ordonné aux évêques de prêcher la foi catholique par eux-mêmes et
non par d’autres. Conc. d’Arles, an 1234, can. 2. »
L’inexécution de ces lois, qui sont fondamentales et organiques de la discipline de l’Eglise, est une des causes principales de l’espèce de défection ou de refroidissement, dans lequel sont tombés la plupart des fidèles : elle leur a servi et leur sert journellement de prétexte pour éluder l’exécution des canons qui les concernent personnellement ; ils se familiarisent ainsi avec l’idée que, puisque la parole de Dieu et les préceptes de son Eglise ne sont pas strictement observés, par ceux qu’il a institués à cet effet, ils peuvent eux-mêmes, sans crainte de la damnation éternelle, les enfreindre ou ne pas les pratiquer.
Les ecclésiastiques du second ordre se croient également autorisés à négliger la volonté des ◀conciles▶ dans la pratique de leurs devoirs, par la seule raison qu’ils voient leurs évêques s’en écarter eux-mêmes. Cela est si vrai, qu’il n’est plus question parmi eux d’exécuter les canons qui les touchent, et qu’ils semblent laisser dans un oubli, dans une désuétude absolue, tels que ceux-ci :
« 1° On renouvelle, dans le ◀concile▶ de Carthage tenu
en 349, la défense déjà faite aux ecclésiastiques, en plusieurs ◀conciles▶,
d’habiter avec des femmes ;
« 2° Aucune femme ne doit demeurer avec aucun des prêtres, mais seulement la
mère, l’aïeule, les tantes, les sœurs, les nièces, celles de leur famille qui
demeuraient avant leur ordination. 3e Conc. de Carthage, an 397,
can. 17 ;
« 3° Les prêtres doivent s’abstenir des grands repas, de la bonne chère, de
l’ivrognerie et autres vices. Il serait à souhaiter qu’ils n’assistassent pas même aux
noces.
« On défend aux prêtres d’avoir des femmes chez eux, si ce n’est leur mère, leur
sœur, leur tante, leur aïeule. Conc. de Cologne, can. 1536 ;
« 4° Afin que les ministres de l’Eglise puissent être rappelés à cette
continence et pureté de vie, si bienséante à leur caractère, et afin que le
peuple apprenne à leur porter d’autant plus de respect qu’il les verra mener une vie
plus chaste et plus honnête, le S. Concile défend à tous ecclésiastiques de tenir dans
leurs maisons, ou dehors, des concubines ou autres femmes dont on
puisse avoir du soupçon, ni d’avoir aucun commerce avec elles,
autrement ils seront punis des peines portées par les saints canons,
ou par les statuts particuliers des Eglises ;
« 5° Tout prêtre, diacre ou sous-diacre qui, depuis la constitution du pape
Léon, aura pris ou gardé une concubine, on lui défend de célébrer la messe, de lire
l’évangile ou l’épître, de demeurer dans le sanctuaire pendant l’office, ou de
recevoir sa part des revenus de l’Eglise. Conc. de Rome,
an
1059, can. 3 ; même ordonnance, C. de Londres, an 1126 ;
« 6° Défense aux clercs d’avoir chez eux de jeunes femmes suspectes
d’incontinence. ◀Concile▶ de Salzbourg, an 1420, 2 ;
« 7° Que les clercs, sans en excepter ceux qui passent pour avoir la vertu de
continence, n’aillent jamais chez des veuves ou des vierges, qu’avec l’ordre ou la
permission des évêques ou des prêtres, encore ne faudra-t-il pas qu’ils le fassent
sans être accompagnés de quelques-uns de leurs confrères, ou de ceux que l’évêque, ou
un prêtre en sa place, leur donnera pour adjoints. L’évêque lui-même ou les prêtres
n’iront pas, sans avoir en leur compagnie d’autres ecclésiastiques ou du moins
quelques fidèles d’un certain poids. 3e conc. de Carthage, an 397,
can. 25 ;
« 8° Défense d’entendre la messe d’un prêtre que l’on
sait certainement avoir une concubine. Conc. de Rome, an 1059,
can. 3 ;
« 9° Défense aux clercs et aux moines d’avoir des servantes
dans leurs maisons et leurs prieurés, et aux bénéficiers ou clercs engagés dans les
ordres, de rien laisser par testament à leurs bâtards ou à leurs concubines. Conc. de
Tours, an 1239, Can. 7 ;
« 10° Défense aux clercs et aux moines d’assister aux spectacles, soit des
courses de chevaux, soit du théâtre. Idem., can. 24 ;
« 11° Défense aux évêques et aux clercs de loger avec des
femmes, de porter des habits séculiers ou de grands cheveux. ◀Concile▶ de Rome,
an 744 et 787 ;
« 12° Le ◀saint Concile▶, jaloux de
soutenir la dignité
du caractère du prêtre, sachant bien qu’on dit souvent à table beaucoup d’inutilités,
veut, qu’à tous les repas des prêtres, on fasse la lecture de l’Ecriture
sainte. C’est un moyen excellent pour former les âmes au bien, et empêcher les
discours inutiles. Conc. de Tolède, an 589, can. 7 ;
« 13°ag
Defense aux Pretres de loger avec quelque
femme que ce soit, parce qu’il s’en est trouvé qui avaient eu des
enfants de leurs propres s....… Conc. de Mayence, an 888, canon 105, in conc.
Germ. Tom. 2. page 372, et Dictionnaire des ◀conciles▶, page
721 ;
« Ut clericis interdicatur mulieres in domo sua habere, omnimodis decernimus.
Quamvis etiam sacri canones, quasdam personas feminarum simul cum clericis in una domo
habitare permittant ; tamen, (quod multum
dolendum est)
sæpe audivimus, per illam concessionem plurima scelera esse commissa, ita ut quidam
sacerdotum, cum propriis sororibus concumbentes, filios ex eis
generassent. Et idcirco constituit hæc sancta synodus, ut nullus presbyter ullam
feminam secum in domo propria permittat, quatenus occasio malæ suspicionis, vel facti
iniqui, penitus auferatur ;
« 14° Plusieurs ecclésiastiques s’adonnant à l’avarice et à l’intérêt sordide,
oublient l’Ecriture divine, qui dit : "Il n’a point donné son argent à usure, et
prêtent à douze pour cent" ; le saint et grand ◀concile▶ a ordonné que
si, après ce règlement, il se trouve quelqu’un qui prenne des usures d’un prêt, qui
fasse quelque trafic semblable, qui exige une moitié au-delà du
principal, ou qui use de quelque autre
invention
pour faire un gain sordide, il sera déposé et mis hors du clergé. Ier Conc. général de Nicée, an 325, can. 7. »
On voit, par le texte de ces canons, que l’Eglise, qui a dû se montrer sévère dans les principes de son institution, à l’égard des fidèles qui suivaient ses lois, et contre lesquels elle a souvent lancé des sentences exterminatoires, n’a pas non plus ménagé ses propres ministres, en les soumettant à une discipline rigoureuse, de laquelle devait nécessairement dériver un respect salutaire pour la foi, et une confiance sans borne pour les prosélytes qu’elle appelait dans son sein. Car l’exemple de la modestie, de la pudicité, de la continence et de la résignation, vertus nécessaires à tout fidèle serviteur de J.-C., devait nécessairement être donné par les ministres propres de son Eglise ; et à bien plus forte raison, l’observation des canons des saints ◀conciles▶ est un objet sacramentel pour les ecclésiastiques.
Le pape Saint-Damase en parle ainsi : « Les saints pères jugent avec rigueur
ceux qui violent volontairement les canons, et le saint esprit qui
les a inspirés et dictés, condamne ces violateurs. Violatores canonum
graviter à sanctis patribus judicantur et à sancto spiritu, instinctu cujus dictati
sunt, damnantur. »
Canon violat. 15, 9, 1. Et le pape Jules continue de
cette manière : « Nolite errare, fratres mei, etc. : Prenez
garde de pas tomber dans l’erreur, mes très chers frères ; vous avez les constitutions
des apôtres et des hommes apostoliques, vous avez les saints canons,
jouissez-en, mettez-y toute votre force, prenez plaisir à les lire, considérez-les
comme vos
armes, afin que par leur secours et par le soin
que vous prendrez de les avoir toujours devant les yeux et de les suivre
avec ferveur, ils vous servent d’armes capables de vous défendre contre toutes
les attaques des ennemis de votre salut ; car ce serait une chose tout à fait indigne d’un évêque ou d’un prêtre, de refuser de
suivre les règles que l’Eglise, où est le siège de Saint-Pierre, suit et
enseigne. »
On voit que ce souverain pontife s’écrie que ce serait une chose tout à fait indigne d’un évêque ou d’un prêtre de refuser de suivre les règles de l’Eglise ;
Or, il est manifeste, cependant, que les évêques et les prêtres ont enfreint ces lois et ces règles, et que le chrétien, dans l’amertume de son cœur, voit l’Eglise désertée par les chefs propres de sa milice ; car tous les canons que je viens de citer et qui font la base constitutive de la discipline des ecclésiastiques, sont totalement inobservés, et peut-être méconnus ! c’est une véritable calamité que le zèle des hommes fervents, qui demeurent encore dans la maison du Seigneur, doivent s’empresser de réparer.
Les évêques, administrateurs de diocèses, et surtout les curés ou autres ecclésiastiques desservant les paroisses des villes et des campagnes, ne sauraient faire trop d’efforts sur eux-mêmes, pour rentrer autant que possible dans la ligne qui leur est tracée par les saints ◀conciles▶, afin d’y rappeler les autres fidèles, qui n’auront plus à leur opposer l’inobservance de leurs propres lois. Car, en matière de religion, l’exemple est le moteur le plus fort et le plus victorieux ; le sang des premiers martyrs a amené des flots de sang, parce que chacun voulait payer de sa vie son entrée dans la foi, et obtenir la couronne céleste, en mourant pour le fils de Dieu qui en était le suprême dispensateur ;
Et puisque les ecclésiastiques veulent soumettre les autres chrétiens à l’observation des décrets des ◀conciles▶, et qu’au moment de leurs décès ils leur font la fausse application de sentences exterminatoires, il est de toute justice, de toute pudeur publique qu’ils rentrent eux-mêmes dans la volonté de leurs propres lois, et qu’ils s’en montrent les fidèles et les zélés observateurs.
Nos rois sont les protecteurs des saints canons ; ils sont en outre les ministres de Dieu sur la terre, et ils doivent employer toute leur autorité, toute leur surveillance pour que l’Eglise, commise à leurs soins, ne tombe pas dans l’anéantissement, par l’effet de la non-exécution des décrets des ◀conciles▶ de la part des ministres de la religion. Les procureurs du roi, les magistrats, les maires des communes qui sont les dépositaires partiels de l’autorité du prince, doivent être les premiers à informer avec zèle, respect et discrétion, les évêques et les ecclésiastiques supérieurs, de la négligence que ceux-ci ou les ecclésiastiques inférieurs apporteraient à la pratique des lois de la discipline de l’Eglise, et si la puissance séculière et ses délégués faisaient en cette matière l’usage de leurs droits, les ministres de la religion, qui s’écartent eux-mêmes des principes voulus et tracés par les ◀conciles▶, ne montreraient pas autant de rigueur et quelquefois autant d’injustice à l’égard des autres fidèles. L’équité a ses lois immuables, grands et petits, prêtres et paroissiens, tous doivent s’y soumettre, s’ils veulent assurer le triomphe de la religion.
Nous lisons encore dans l’Histoire du droit canonique, 1 vol. in-12, pages 385 et 393, au chapitre de la puissance des rois comme protecteurs des canons ;
« Que le prince temporel ne peut pas faire la discipline ecclésiastique, mais qu’il doit la maintenir ;
« Que les puissances temporelles sont nécessaires dans
l’Eglise, afin de suppléer par leur pouvoir à ce
que l’étendue de la parole ne peut faire ;
« Que le prince a la liberté de choisir, parmi les différents usages, ceux qui
sont plus conformes au bien de son Etat ; qu’il peut rejeter tout à
fait, ou modifier les décrets de discipline faits par des
◀conciles, même généraux
; pag. 394 ;
« Que les ecclésiastiques ont un double lien qui les
soumet à l’autorité royale ; 1° leur qualité de citoyen qui les
soumet à la puissance politique comme tous les autres sujets ; 2° leur qualité
d’ecclésiastique qui les soumet au prince qui, comme protecteur des saints canons,
doit veiller à leur exécution ;
pages 400, 401 ;
« Que cette même qualité de protecteur des saints canons donne
droit au roi de veiller sur les mœurs des ecclésiastiques, afin de s’opposer au
relâchement de la discipline de l’Eglise »
; pag. 402.