Vous m’avez prié de vous mander qui était l’Auteur d’une Lettre écrite en faveur de la Comédie, qui court depuis peu dans le monde ; si le Théologien illustre à qui on l’attribue, est un Docteur de notre Faculté, et ce que je pense enfin du mérite de cette Lettre.
Quant à l’Auteur, Monsieur, on ne sait pas trop quelb il est ; on avait cru d’abord que c’était le Révérend Père
Caffaro Theatin, qui est effectivement
un Homme illustre, et par sa qualité et
par son mérite ; mais il a détrompé le Public par un désaveu solennel qu’il a fait de
cette Lettre, à laquelle il proteste « n’avoir eu aucune part»
. Et on ne
saurait trop louer la manière honnête et chrétienne avec laquelle il a exprimé ses
sentiments sur le sujet de la Comédie, dans une Lettre qu’il a écrite à cette occasion à
Monseigneur l’Archevêque de Paris, à qui il rend compte de sa doctrine comme à son
véritable Juge en cette matière, et à qui il déclare qu’il est prêt « de souscrire
sans réserve, à tout ce qui est dit, soit directement, soit indirectement, contre les
Comédiens, dans le Rituel de Paris »
.
Depuis cette déclaration du Révérend Père Caffaro, bien des gens se mettent en peine de deviner et de rechercher qui peut être l’Auteur de la Lettre en question : Mais comme il y a bien de l’apparence que celui qui l’a écrite ne s’en vantera pas, on devinera peut-être assez longtemps, sans pour cela rencontrer : mais aussi importe-t-il peu de connaître l’Auteur d’un Ouvrage si pitoyable.
Pour moi, Monsieur, je m’en mets fort peu en peine, et je suis persuadé que la chose vous
est aussi assez indifférente ;
Mais puisque vous désirez que je vous dise ce
que je pense du mérite de cette Lettre, je m’en vais vous le dire bonnement, et je le
ferai même à l’heure qu’il est plus volontiers et avec plus de liberté, n’ayant plus
d’Auteur à ménager. J’espère aussi, en vous obéissant, faire plaisir à beaucoup d’honnêtes
gens qui semblent demander un éclaircissement sur les raisons que l’on a apportées dans ce
Libelle pour excuser la Comédie, quoique dans le fond elles soient « toutes
frivoles»
, ainsi que l’a reconnu le Révérend Père Caffaro dans sa Lettre à
Monseigneur l’Archevêque.
Et en effet, Monsieur, elles sont toutes si frivoles, qu’après avoir lu cette Lettre avec beaucoup d’attention, j’ai douté d’abord si elle avait été écrite comme un Ouvrage sérieux, ou plutôt comme une Pièce Comique et faite à plaisir. Et cela, Monsieur, ne doit pas trop vous surprendre ; car le Théâtre a ses Docteurs aussi bien que la Sorbonne ; et il y a peu de Comédies, du moins chez les Italiens, où il n’y ait un personnage qui contrefait le Docteur, et à qui on fait dire beaucoup de contrevérités et d’impertinences en forme d’oracles.
J’ai donc douté, Monsieur, si ce n’était pas quelqu’un de ces Docteurs scéniques qui eût voulu nous donner son rôle par écrit, et réjouir ainsi le Public par une espèce de Comédie, où la Comédie serait jouée elle-même, en la canonisant en apparence : et j’ai même mieux aimé me laisser aller à ce dernier sentiment, afin d’avoir lieu d’égayer un peu la matière en certains endroits, et de vous moins ennuyer par les réflexions que je prétends faire sur toutes les parties de cette Lettre, et dont quelques-unes seront assez sérieuses.
Suivant cette idée, Monsieur, je me contenterai quelquefois de montrer le ridicule des preuves que notre Docteur apporte pour justifier la Comédie, et quelquefois aussi j’entrerai dans une discussion plus sérieuse, particulièrement lorsqu’il sortira de sa sphère ; et qu’en voulant trop faire l’habile homme, il abusera de l’autorité de l’Ecriture et des Pères de l’Eglise : car alors il faudra le démasquer, et ne pas souffrir qu’il impose aux idiots.
Après cela, Monsieur, il n’y a plus qu’à lui donner audience, et à voir de quelle manière il exécute son rôle : je le suivrai pas à pas, et ferai remarquer toutes ses allures par quelques réflexions.
Il commence donc sa première entrée en Médecin charitable ;
« entreprenant , dit-il, de guérir son Ami d’une
crainte scrupuleuse qu’il a que sa conscience ne soit intéressée au sujet de ses
Ouvrages de Théâtre »
; car il n’y a selon lui, que « des consciences
faibles et timorées, qui se laissent effrayer par le bruit des Conciles et des Pères,
qui fulminent contre les Spectacles »
.
Mais si c’est là une maladie, vous m’avouerez, Monsieur, qu’il y a bien des honnêtes gens malades ; et que si tous voulaient se servir de notre Docteur, il pourrait se vanter d’avoir les plus belles pratiques du monde ; puisqu’il n’y a point de bons Chrétiens qui ne respectent l’autorité des Conciles et des Pères sur le sujet des Spectacles. Mais je ne lui conseille pas de compter sur de telles pratiques, il peut en chercher d’autres pour débiter ses drogues.
Il tâche cependant de les faire valoir à son Ami, en lui exagérant la difficulté qu’il y
a de composer un remède bien spécifique pour guérir sa maladie. Il fait consister son
embarras, en ce que « d’un côté il se sent accablé d’un torrent de passages des
Conciles et des Pères, qui depuis le premier jusqu’au dernier ont
fulminé
contre la Comédie, et que de l’autre il ne saurait lire les Scolastiques modernes qui
font grâce à la Comédie, sans se laisser adoucir par la droiture de leur raisonnement,
et plus encore par la force de leur autorité »
.
Grand sujet d’embarras, comme vous voyez, Monsieur, et aussi grand, que la comparaison qu’il fait de l’autorité des Conciles et des Pères, avec celle des Scolastiques et des Casuistes modernes, vous paraîtra juste. Pour moi je trouve que son indétermination est un peu moins raisonnable que celle de l’âne de Buridan, qui ayant une mesure d’avoine à sa droite et une autre à sa gauche, ne put se déterminer à se tourner d’un côté plutôt que de l’autre ; car enfin on m’avouera qu’une mesure d’avoine ressemble un peu plus à une mesure d’avoine, qu’un Scolastique moderne ne ressemble à un Concile et à un ancien Père de l’Eglise : mais on sera bien plus surpris quand on le verra tourner du côté du Scolastique.
Saint Cyprien n’était pas du goût de notre Docteur ; car il y avait déjà du temps▶ de ce
Père certains Casuistes qui favorisaient la Comédie : et ce fut même à leur occasion qu’il
composa son Livre
des Spectacles qu’il adresse au Peuple fidèle. Voici comme il
parle à ce Peuple : « Encore que je sois certain que votre vie ne soit pas moins
réglée que votre foi est pure ; cependant parce qu’on ne manque pas en ce ◀temps▶-ci de
gens qui par une flatterie et une indulgence indigne autorisent les vices ; et, ce qui
est encore plus horrible, qui abusent même des saintes Ecritures et en corrompent les
véritables sens pour justifier des pratiques criminelles, et afin de faire passer pour
innocent le plaisir qu’on prend aux Spectacles, quand ce n’est, disent-ils, que pour
relâcher l’esprit et en forme de divertissement, (car la discipline Ecclésiastique est
énervée jusqu’à ce point, qu’on ne se contente pas aujourd’hui d’excuser les vices, mais
qu’on s’efforce de les autoriser,) j’ai cru devoir, non pas vous instruire, car vous
êtes suffisamment instruits, mais vous donner quelques avis pour empêcher que
d’anciennes plaies, pour n’être pas bien bandées, ne rompent les cicatrices qui
commencent à les couvrir. »
Ne reconnaissez-vous pas, Monsieur, à ces traits les aïeux des Scolastiques et des Casuistes modernes, que notre Docteur a adoptés pour ses Maîtres ? Et croyez-vous que saint Cyprien aurait fait plus de quartier aux enfants et aux neveux qu’à leurs aïeux dont il nous donne le portrait ? II est sûr au moins qu’il ne se serait pas rangé de leur parti comme fait notre Docteur, et qu’il n’aurait pas douté comme lui, si on devait les entendre au préjudice des Conciles et des anciens Pères.
C’est néanmoins là toujours sa peine ; et il est fâché que pour l’en tirerc l’Ecriture
sainte ne soit point expliquée sur la Comédie : « Nous aurions,
dit-il, bientôt décidé la question, si l’Ecriture sainte s’en expliquait de
quelque manière que ce put être : mais, comme a fort bien remarqué Tertullien, nous n’y
trouvons nulle part que de même qu’elle défend en termes exprès d’adorer les Idoles,
elle commande aussi expressément de n’aller point au Cirque et au Théâtre. En effet, ajoute-t-il, lisez et relisez l’Ecriture, vous n’y trouverez
point de précepte formel et particulier contre la Comédie»
.
Voilà notre Docteur qui commence à faire le cathédrant ; il est juste de l’écouter. Mais il me permettra aussi, s’il lui plaît, de continuer mes réflexions sur les dogmes ; et ce ne sera pas tant pour l’interrompre, que pour lui donner le loisir de reprendre haleine.
Il dit donc premièrement que Tertullien reconnaît que l’Ecriture ne défend nulle part
d’assister aux Spectacles ; et il le confirme lui-même d’un ton magistral, en prononçant
ce bel arrêt : « Lisez et relisez l’Ecriture, vous n’y trouverez point de précepte
formel et particulier contre la Comédie. »
Commençons par examiner le fait de Tertullien que le Docteur allègue, et nous viendrons ensuite à celui qui le touche.
Le fait de Tertullien est tel. Tertullien dans son Livre des Spectacles, avait deux sortes de personnes à convaincre sur ce sujet ; les Gentils qu’on s’efforçait d’amener à la Foi, et certains Chrétiens sensuels dont la Foi était encore faible et chancelante : les Gentils disaient pour leur défense, que toutes les choses qui composaient les Spectacles étaient les ouvrages de Dieu, et qu’ainsi rien ne devait empêcher que l’on n’en usât. Tertullien leur répond ce que je répondrai bientôt à notre Docteur, qui se sert aussi de cette défense.
Quant aux Chrétiens dont la Foi n’était pas encore bien affermie, et qui avaient peine à
renoncer tout-à fait au
plaisir des Spectacles, ils se flattaient dans leur
illusion sur ce qu’on ne leur montrait pas dans l’Ecriture que les Spectacles fussent
interdits aux Serviteurs de Dieu. A quoi Tertullien répond deux choses : Premièrement, il
demeure d’accord qu’on ne trouve pas dans l’Ecriture un précepte formel sur la Comédie qui
dise, « Non spectabis in theatrum»
, tu n’assisteras pas à la Comédie,
comme il s’en trouve un formel sur l’homicide qui dit, « Non occides »
, tu
ne tueras pas. Mais il soutient avec cela que le Théâtre ne laisse pas d’être défendu sous
d’autres termes plus généraux où il se trouve enveloppé : et il apporte pour exemple le
premier verset du premier Psaume, où il est dit, « Que celui-là est bienheureux qui
ne se trouve pas dans la voie des pécheurs, et qui ne s’assied point avec les moqueurs
et les méchants. Car encore, dit ce Père, que ces paroles de
l’Ecriture s’entendent particulièrement de celui qui ne s’est point trouvé dans les
assemblées des Juifs, où l’on a conspiré contre le véritable Dieu ; néanmoins on peut
aussi les étendre à ceux qui ne se trouvent point aux assemblées qui sont contre les
bonnes mœurs, telles que sont les Spectacles, et par conséquent les Spectacles se
trouvent
aussi défendus dans l’Ecriture.»
Jugez après cela, Monsieur, de la bonne foi de notre Docteur, et s’il a raison de se fortifier de l’autorité de Tertullien, comme si ce Père avait dit absolument que les Spectacles ne sont défendus en aucun endroit de l’Ecriture, puisque Tertullien lui-même en cite un passage, qui selon lui les condamne.
Mais il ne laisse pas cependant de nous présenter toujours le carteld :
« Lisez, dit-il, et relisez l’Ecriture, vous n’y
trouverez point de précepte formel et positif contre la Comédie. »
Je ne suis pas d’humeur à lâcher le pied, prêtons-lui donc le collet, et voyons les
fondements de sa bravoure. Si le Docteur ne veut dire autre chose, sinon qu’en lisant
l’Ecriture nous n’y trouverons point de précepte qui défende la Comédie, en exprimant le
mot de Comédie, nous lui quittons la partie, de même que Tertullien la cédait aux
libertins de son ◀temps▶. Mais est-ce une conséquence pour cela que la Comédie ne soit pas
défendue dans l’Ecriture par d’autres préceptes de morale plus généraux ? Point du tout :
car autrement on pourrait dire que l’Ecriture sainte ne défend en aucun endroit de
filouter et de
boulinere ; parce qu’il n’y a dans l’Ecriture sainte aucun précepte qui dise,
« Tu ne filouteras pas », ou, « Tu ne boulineras pas ». Cependant parce qu’il est dit dans
l’Ecriture, « Tu ne déroberas pas »
, on ne laisse pas en vertu de ce
précepte de fustiger les filous dans les Villes, et de strapasserf les
boulineurs dans les armées. Et c’est justement ainsi que Tertullien a prétendu que les
Spectacles étaient interdits dans le premier verset du premier Psaume de David, quoique le
nom de Spectacles n’y soit point exprimé.
Mais on pourrait encore citer à notre Docteur beaucoup d’autres endroits de l’Ecriture, où la Comédie est défendue de cette manière : il y en a une infinité, et on se contentera de lui en indiquer quelques-uns.
Qui doutera, par exemple, que la Comédie ne soit condamnée par la prière que David fait à
Dieu dans le Psaume 118. lorsqu’il lui dit : « Détournez mes yeux, Seigneur, et
empêchez-les de voir des objets de vanité ? »
Car qu’est-ce que la Comédie
d’aujourd’hui ? n’est-ce pas le théâtre de la vanité même ?
Qui doutera qu’elle ne soit aussi condamnée dans Isaïe ? Quand il y est dit :
« Parce que les filles de Sion se sont
emportées au-delà de la
modestie de leur sexe, qu’elles ont affecté de se tenir droites, faisant des signes des
yeux et des gestes des mains, qu’elles ont étudié leurs pas et mesuré leurs démarches,
le Seigneur rendra leur tête chauve, et il arrachera leurs cheveux ; il les dépouillera
de leurs vains ornements, et il changera leurs parfums en puanteur. »
Car enfin,
est-ce pour rien que le Seigneur devait traiter ces filles avec tant de rigueur et
d’ignominie ? Elles n’avaient néanmoins fait que ce que font aujourd’hui nos Comédiennes,
et peut-être même n’en faisaient-elles pas métier comme elles. Comment donc le Docteur
peut-il espérer que Dieu pardonnera à des Chrétiennes, ce qu’il a puni avec tant de
sévérité dans des Juives ? et surtout, après que saint Paul a tant de fois recommandé la
modestie aux femmes et aux filles.
Qui doutera que Jésus-Christ même n’ait condamné la Comédie et les Spectacles ? lorsqu’il
a dit : « Que le monde se réjouirait, et que ses Disciples seraient dans la
tristesse »
. N’est-ce pas aux Spectacles et à la Comédie où le monde fait
profusion de ses joies ? Et ne sont-ce pas là par conséquent les endroits où les Chrétiens
doivent éviter de se rencontrer,
pour n’être point confondus avec ce monde, à
qui Jésus-Christ a dit : « Malheur et anathème »
? Aussi était-ce là une
des marques par où on reconnaissait les Chrétiens dans les premiers ◀temps▶ de l’Eglise,
ainsi que l’assurent les Pères. Et en effet, comment démêler les Chrétiens d’avec les
mondains dans des assemblées de divertissements, où il ne peut rester aucuns traits de la
Croix de Jésus-Christ, qui est le Signe des Chrétiens ? Voilà qui est embarrassant pour
notre Docteur.
Mais comment se tirera-t-il encore de tant d’endroits des Epîtres de saint Paul, où cet Apôtre ordonne des choses qui ne sont nullement compatibles avec les charmes et la vanité des Spectacles ? Comment accordera-t-il, par exemple, avec les plaisirs de la Comédie, ce que saint Paul ordonne aux Chrétiens, de faire toutes leurs actions au Nom de Jésus-Christ, et de prier sans cesse ? Cela ne suppose-t-il pas au moins que les Chrétiens ne doivent entreprendre aucune action qui ne puisse être rapportée à Jésus-Christ, et par où son Nom ne puisse être glorifié, et qu’ils ne doivent jamais se mettre en aucun état où la prière leur devienne impossible ? Or le Docteur aurait-il la hardiesse de soutenir que le Nom de Jésus-Christ puisse être glorifié par tout ce qui se passe à la Comédie, et que dans la dissipation où se trouvent tous les sens, et parmi le trouble qui agite souvent le cœur par le remuement de passions, on y soit en état de le tourner vers le Ciel, et d’offrir ses vœux au Père Eternel, au Nom de son Fils crucifié, qui est néanmoins la manière de prier, que Jésus-Christ lui-même a prescrite aux Chrétiens ?
Mais comment se défendra encore le Docteur de cet endroit de l’Epître aux Ephésiens, où
saint Paul veut que l’on bannisse du commerce des Chrétiens toute sorte de bouffonnerie,
et toute parole badine et folle ? « Stultiloquium aut scurrilitas »
. Car où
est-ce que la bouffonnerie triomphe avec plus de licence que dans les Comédies ? Et
n’est-ce pas là le sel ordinaire qui les assaisonne, et avec lequel on réjouit le
parterre ?
Notre Docteur cependant a passé sur tout cela ; et comme s’il n’y avait rien dans
l’Ecriture sainte de contraire à la Comédie, et par où l’on puisse décider entre les
anciens Pères de l’Eglise et les Scolastiques modernes, il conclut qu’il faut donc avoir
recours à la raison :
« Tâchons donc, dit-il,
de nous servir de cette règle de saint Cyprien ; que la raison doit expliquer ce que
l’Ecriture a voulu taire, et faisons nos efforts pour concilier les conclusions des
Théologiens avec les décisions des Pères de l’Eglise.»
Mais on verra dans la
suite qu’il n’est pas plus fort en raison qu’en autorité.
Je ne puis en attendant m’empêcher de le plaindre sur l’emploi qu’il fait de l’autorité des Pères ; il a le malheur de trébucher autant de fois qu’il se mêle de les citer : je l’ai relevé sur le fait de Tertullien, il faut lui faire la même charité sur le sujet de saint Cyprien, qu’il prend encore ici de travers.
Saint Cyprien dans son Livre des Spectacles, répond aussi bien que Tertullien à certains libertins, qui pour ne pas se déprendre du plaisir des Spectacles, tâchaient de se couvrir de l’autorité des Ecritures, ou en tout cas soutenaient que les Spectacles n’y étaient pas défendus. Saint Cyprien leur dit donc premièrement, que mal à propos ils allèguent des faits de l’Ecriture pour justifier les Spectacles ; par exemple, que David avait dansé devant l’Arche, parce que cela ne se faisait pas d’une manière lascive et pour un vain plaisir, mais d’une façon religieuse et en se réjouissant au Seigneur.
Et en second lieu, il leur apprend, que le silence des Ecritures, qui ne descendent pas dans un détail honteux de tout ce qui se passe aux Spectacles, est une censure plus sévère que quelque précepte formel qui les aurait défendus, puisqu’ils se défendent assez d’eux-mêmes : et qu’ainsi en cet état la bonne raison d’un chacun doit tenir lieu de précepte en faisant réflexion sur le silence de l’Ecriture, qui semblerait n’avoir pas eu assez bonne opinion des Fidèles, si elle était descendue dans un si vilain détail.
Voilà la véritable règle que saint Cyprien donne aux Fidèles, et non pas le sens tortug que le Docteur donne aux paroles de ce Père ; comme si saint Cyprien abandonnant les Ecritures sur le sujet des Spectacles, eut voulu rendre la raison humaine la seule arbitre de leur conformité ou de leur difformité à la Loi de Dieu et à l’esprit du Christianisme ; ce qui n’a été nullement la pensée de saint Cyprien, mais bien moins encore de faire servir la raison à excuser la Comédie, comme notre Docteur entreprend de le faire.
Il reconnaît néanmoins que la matière
est délicate, et pour ne pas trop se
commettre : « Il veut, dit-il, faire parler en sa place
l’incomparable Saint Thomas. Et il ajoute, que s’il avait à
faire à quelque moins habile homme, ou à quelque faux dévot, qui pour se donner des airs
de réformateur aurait la témérité de rejeter la doctrine de saint Thomas, comme opposée
à la morale des Pères, et peu conforme en quelques endroits aux maximes les plus pures
de la Religion, il n’aurait pas de peine à lui fermer la bouche, et à lui apprendre à
porter à la doctrine de ce saint Docteur toute la vénération qu’elle mérite, et que les
Conciles, les Souverains Pontifes, et tous les grands Hommes qui l’ont suivi, n’ont pu
lui refuser. »
Après ces magnifiques paroles, et quelques autorités bonnes ou mauvaises qu’il allègue en
faveur de la doctrine de saint Thomas : « Lisez, je vous prie, avec attention, dit-il à son Ami, ce que ce grand Docteur enseigne de la
Comédie dans la seconde partie de sa Somme, où il explique bien des choses que les
personnes scrupuleuses devraient savoir pour assurer le repos à leur
conscience. »
Voilà donc saint Thomas travesti en Médecin qui guérit des scrupules, et qui va servir de truchement à notre Docteur. N’est-ce pas là, Monsieur, un personnage bien digne du Docteur Angélique ? Et notre Docteur lui-même ne devrait-il pas avoir appris à respecter l’autorité de ce grand Homme, et à n’en point abuser pour la défense d’une cause si odieuse, en l’opposant aux décisions des Conciles et aux règles des anciens Pères que saint Thomas lui-même a honorés comme ses Maîtres.
Notre Docteur en commettant ainsi saint Thomas, ne voit-il pas qu’il donne occasion à certains Critiques de renouveler les querelles que l’on a faites autrefois à ce saint Docteur sur plusieurs points de la doctrine, qui effectivement ne sont pas tous canonisables ? Aussi n’y a-t-il aucun Concile qui les ait canonisés, quoiqu’en dise notre Docteur ; et si quelques Papes ont donné des éloges à la doctrine de saint Thomas en général, il n’y en a pas un qui l’ait approuvé, ni même examiné en particulier et dans tous ses points. Quant à Gonet et à Jean de Saint-Thomas, dont notre Docteur mandieh aussi les suffrages, ce sont deux écoliers de saint Thomas, qui auraient tort de mal parler de leur Maître ; mais avec cela je doute fort que saint Thomas voulût être redevable de son crédit à de tels garants.
Cependant écoutons ce que notre Docteur fait dire à saint Thomas au sujet de la Comédie ; sur quoi il nous sera permis de faire ensuite nos réflexions.
« Il demande entre autres choses, dit le Docteur en parlant de
saint Thomas, ce que l’on doit croire des jeux et des divertissements ; et il se
répond lui-même, que quand ils sont modérés, non seulement il n’y croit point de mal,
mais encore qu’il y trouve quelque bien, et cette vertu qu’Aristote appelait Eutrapélie.
La raison qu’il en apporte, ajoute-t-il, est que l’homme
fatigué par des actions sérieuses, a besoin d’un agréable repos qu’il ne trouve que dans
les jeux...»
Et un peu après, il ajoute encore,« ce saint Docteur veut
même qu’il y ait quelque péché à ne point prendre de divertissement »
.
Il conclut enfin, en appliquant tout ce qu’il vient de rapporter des Jeux à la Comédie,
et en apostrophant son Ami : « De ces paroles de saint Thomas,
lui dit-il, il vous est aisé de juger, Monsieur, que sous le nom de Jeux il
comprend aussi la Comédie, quand il dit que ce relâchement de l’esprit qui est une
vertu, se fait par des paroles et par des actions divertissantes. Car qu’y
a-t-il de plus propre et de plus particulier à la Comédie, qui ne consiste qu’en des
paroles et en des actions risibles et ingénieuses, qui font plaisir et qui délassent
l’esprit ? »
Je pourrais nier à notre Docteur la conséquence qu’il tire en faveur de la Comédie, de ce que saint Thomas dit en faveur des Jeux en général, si saint Thomas lui-même n’avait fait mention des baladins et des farceurs dans une objection qu’il se fait. Car enfin il y a bien des divertissements qui ne consistent qu’en paroles et en actions aussi bien que la Comédie, et que saint Thomas néanmoins n’aurait eu garde de faire passer parmi les Jeux innocents. Mais il faut avouer de bonne foi que saint Thomas en s’objectant le métier de baladins, qu’il appelle Histriones, il semble les tolérer, pourvu qu’ils demeurent dans les termes de la modestie, qu’ils ne jouent pas dans des ◀temps▶ défendus, et que d’ailleurs ils satisfassent aux devoirs de la Piété Chrétienne.
Et à cela il y a plus d’une chose à dire.
Il faut observer d’abord que saint Thomas dans sa Somme, n’a pas traité la matière des jeux et des farces en Théologien ; c’est-à-dire, en ne raisonnant que sur des principes révélés et pris de la Tradition ou de l’Ecriture, dont il ne dit pas un mot : mais il a parlé des jeux et des farces en Philosophe, en raisonnant sur les principes d’une morale toute naturelle, et sur le témoignage de quelques Philosophes anciens qu’il allègue, et qui ont reconnu dans les Jeux une espèce de vertu, peu recommandée néanmoins dans les Conciles et chez les Pères. Or des conclusions qui ne sont fondées que sur des principes humains, ne font pas toujours des règles bien sûres pour conduire les Chrétiens dans la voie du Salut, et particulièrement si ces conclusions tendent à favoriser les divertissements et les plaisirs contre lesquels un bon Chrétien doit être toujours en garde.
Ce n’est pas qu’on veuille condamner toutes sortes de Jeux ; il y a d’honnêtes amusements qui n’ont rien de dangereux, et dont on peut user avec modération pour relâcher l’esprit et pour le disposer à reprendre un travail sérieux avec plus d’application et de force. Mais la question serait que notre Docteur nous montrât bien clairement que la Comédie est un de ces amusements qui n’ont rien que d’innocent et que d’honnête. Mais c’est à quoi il ne parviendra pas ; puisqu’une Comédie tout à fait honnête, cesserait d’être ce qu’on appelle aujourd’hui Comédie, et n’aurait plus ni les mêmes partisans ni les mêmes adorateurs.
Il est vrai que saint Thomas en tolérant le métier de Comédiens ou de Farceurs, le suppose dans un état d’innocence : mais on peut dire que sa supposition est toute métaphysique, et que ce n’est que par une abstraction mentale qu’il dépouille la Comédie de toutes les circonstances qui la rendent dangereuse. Or les suppositions Métaphysiques en matière de Morale, n’ont point de conséquence ; parce que les choses qu’elles supposent en esprit, sont en effet moralement impossibles.
Il pourrait être néanmoins que du ◀temps▶ de saint Thomas les Farceurs qu’il tolère et qu’il appelle Histriones, étaient certains flûteurs ou baladins sans conséquence ; mais à qui nos Comédiens d’aujourd’hui qui se piquent de noblesse, seraient fâchés d’être comparés. Et en ce cas l’autorité de saint Thomas ne servirait de rien à notre Docteur, qui ne patrocinei que pour les Comédiens et que pour les Spectacles d’aujourd’hui.
Il ne lui reste donc plus pour toute ressource de tout ce qu’il a cité de saint Thomas, que la vision de saint Paphnuce, à qui, dit-on, il fut révélé qu’un certain Farceur serait aussi heureux que lui dans la vie future.
Je pourrais encore chicaner notre Docteur sur cette vision et sur la qualité du Farceur qui en fait l’objet ; je veux bien néanmoins la lui passer. Mais quel avantage en tirera-t-il ? Elle prouve tout au plus, qu’un Comédien bien converti peut être sauvé, et personne n’en doute ; mais qu’on en infère qu’un Comédien tout en dansant puisse passer du Théâtre en Paradis, c’est ce que l’on se gardera bien d’avouer, puisque Jésus-Christ lui-même qui en avait les clefs, n’y est entré que par la voie des souffrances.
Je ne doute pas que ces réflexions sérieuses n’incommodent un peu notre Docteur, et qu’il ne les trouve un peu trop longues ; mais il faudra encore en essuyer d’autres, et je lui en demande pardon par avance : rendons-lui cependant la parole.
Il passe donc à l’autorité des Pères qu’on lui oppose : et c’est à l’occasion
d’une réponse que saint Thomas fait à un passage de saint Chrysostome qu’il s’était
objecté, et où ce Père dit, « Que ce n’est pas Dieu, mais le Démon qui est auteur
des jeux »
; ce qu’il confirme par cet endroit de l’Ecriture, où il est dit,
« Que le Peuple s’assit pour manger et pour boire, et qu’il se leva pour
jouer»
.
Saint Thomas répond à ce passage de saint Chrysostome, qu’il doit s’entendre des
personnes qui s’abandonnent aux jeux avec excès, et qui n’ont point d’autre fin que le
plaisir du jeu, comme ceux dont parle le Sage, qui croient que cette vie n’est qu’un jeu :
« De his qui inordinate ludis utuntur, et præcipue eorum qui finem in
delectatione ludi constituunt. »
Notre Docteur adopte cette réponse, et prétend qu’elle peut être appliquée à tout ce que
l’on objecte contre les Spectacles de la part des Pères, « Qui ne se sont, dit-il, tant déchaînés contre la Comédie, que parce que de leur
◀temps▶ l’excès en était criminel et immodéré : et s’ils l’eussent trouvé, comme elle est
à présent, conforme aux bonnes mœurs et à la droite raison, ils ne l’auraient pas tant
décrié ; mais ils auraient cru, comme saint
Thomas, qu’il n’y a point de mal
à y assister. Mais c’était quelque chose de si horrible et de si infâme, que la Comédie
du ◀temps▶ de nos Pères, qu’il n’y a personne à l’heure qu’il est qui ne les condamnât
comme ont fait les Pères. »
Notre Docteur fait ici comme s’il adoptait la réponse que saint Thomas donne au passage
de saint Chrysostome, et cependant il n’en prend pas même le sens. Car saint Thomas
explique saint Chrysostome, « des personnes qui usent des jeux avec excès, et qui
ne se proposent point d’autre fin que le plaisir du jeu »
: et lui veut qu’on
l’entende de l’excès des jeux mêmes, et de l’horreur qui accompagnait autrefois les
Spectacles ; ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Mais pardonnons-lui cette méprise, et arrêtons-nous à la réponse qu’il donne lui-même, laquelle est proprement le dénouement de sa Pièce, et le moyen par où il prétend concilier les Scolastiques modernes avec les Conciles, et les anciens Pères sur le fait de la Comédie.
Il convient donc que les Conciles et les Pères ont condamné la Comédie. Et en effet, il
apporte plusieurs autorités des Pères qui la condamnent : il cite
Tertullien,
Salvien, Lactance, saint Cyprien, saint Chrysostome, saint Jérôme, saint Augustin, et le
troisième Concile de Carthage. Il ajoute même les témoignages des Profanes, qui décrivent
et qui blâment les insolences de la Comédie aussi bien que les Pères. Mais il soutient que
tout cela ne regarde que les excès de la Comédie ancienne, et qu’ainsi on n’en peut tirer
de preuves contre celle d’aujourd’hui. « Vous voyez bien, Monsieur, dit-il à son Ami, que tous ces passages des Pères, et mille
autres que je ne vous rapporte pas, à force de trop prouver contre la Comédie, ne
prouvent rien contre la Comédie d’aujourd’hui. Ce serait perdre le ◀temps▶ que de faire
comparaison de l’une à l’autre, etc. »
Voyons s’il est vrai qu’on ne puisse rien tirer des Pères contre la Comédie d’aujourd’hui, et s’ils n’ont condamné dans la Comédie ancienne que les horribles circonstances qui ne se rencontrent plus dans celle d’aujourd’hui. Mais pour cela il est nécessaire de faire comparaison de l’une à l’autre : et parce que notre Docteur, à qui le ◀temps▶ est précieux, prétend que ce serait le perdre que de faire cette comparaison ; il peut s’en abstenir et se reposer un moment, pendant que je lui en épargnerai la peine.
Pour cela il faut supposer d’abord que les anciens Pères ont combattu quatre sortes de
Spectacles ; savoirj les
courses de chevaux, les Comédies, la lutte et les combats des gladiateurs et des bêtes :
et ils les ont tous également interdit aux Chrétiens : « Nihil nobis est, dit Tertullien dans son Apologétique, cum
insania circi, cum impudicitia Theatri, cum xysti vanitate, cum atrocitate
harena. »
Les voilà tous quatre marqués à leurs armes, c’est-à-dire, bien
désignés par les notes d’infamie qui leur étaient propres, et qui les rendaient odieux aux
Chrétiens. Les Païens mêmes en avaient quelque honte ; et c’est ce qui fit que le grand
Pompée ayant fait dresser un Théâtre, il s’en repentit ; et afin que sa mémoire n’en fût
pas ternie dans la postérité, il fit bâtir un Temple à Venus au-dessus de son Théâtre ; et
après l’avoir dédié il supprima le nom de Théâtre, et ne conserva que le nom du Temple de
la Déesse. Car le Démon qui se jouait de la fausse crédulité des Païens, leur inspira
ainsi de dédier chaque Spectacle à quelque Divinité ; afin de les canoniser, pour ainsi
dire, et de faire triompher l’idolâtrie jusque dans ces
plaisirs criminels ;
de manière que de cette façon l’impiété régnait dans les Spectacles, aussi bien que
l’effronterie et la licence.
Il n’est point question ici des courses de chevaux ou du cirque, non plus que de la lutte, et des combats des gladiateurs et des bêtes : tout cela, grâces à Dieu, n’est plus de nos usages.
Il ne s’agit que du Théâtre et de la Comédie ; c’est la Comédie ancienne que nous avons à comparer avec la Comédie moderne. Les Pères ont condamné la Comédie ancienne ; notre Docteur en demeure d’accord : mais il prétend en même temps qu’il ne reste rien dans la Comédie d’aujourd’hui de ce que les Pères ont blâmé dans la Comédie ; et c’est ce que nous avons à examiner.
J’avoue qu’il y a deux choses qui rendaient la Comédie ancienne très criminelle, qui ne se rencontrent plus dans la Comédie d’aujourd’hui ; savoir l’idolâtrie, et cette impudence horrible qui allait jusqu’à faire paraître des femmes toutes nues sur le Théâtre, et à y commettre des infamies qui ne méritaient que les ténèbres.
On n’y fait plus de sacrifices à Venus, du moins suivant les rites des Païens : je dis, du moins suivant les rites des Païens ; car les intrigues d’amour qui en sont presque inséparables, ne laissent pas d’honorer cette Déesse ; et quoiqu’on ne les accompagne pas d’encens, il est au moins sûr que ces intrigues ne sont pas des offrandes qui puissent être présentées au véritable Dieu.
On n’y fait plus aussi paraître de femmes toutes nues ; mais celles qu’on y fait paraître, n’y montrent encore que trop de leur nudité ; et leurs parures, leurs gestes, leurs allures mesurées, et toutes leurs autres manières étudiées sur le tendre, donnent à la vérité moins d’horreur, mais elles n’inspirent peut-être pas pour cela moins d’amour : et si on n’y commet plus les dernières infamies, on y tient au moins des discours, surtout dans les farces, qui en font assez imaginer.
Ainsi la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui, n’est point du tout innocente : aussi n’a-t-elle point échappé à la censure des Pères telle qu’elle est ; et bien des raisons qu’ils ont employées contre la Comédie et le Théâtre, n’attaquent pas moins la Comédie d’aujourd’hui que la Comédie ancienne, ainsi que nous le verrons incontinent.
Notre Docteur suppose donc faux dans sa conclusion, quand il dit, en parlant
des Comédies d’aujourd’hui, « Que selon lui les Comédies de leur nature et prises
en elles-mêmes, indépendamment de toute circonstance bonne ou mauvaise, doivent être
mises au nombre des choses indifférentes »
. Car il suppose que les Comédies
d’aujourd’hui sont dans un état de pure nature, et dépouillées de toute mauvaise
circonstance ; ce qui n’est point du tout vrai, et en quoi il se trompe beaucoup.
Mais il ne se trompe pas moins lourdement, en ce qu’il veut que les Pères aient été de
son opinion, et qu’ils aient approuvé la Comédie dans l’état où elle lui paraît
indifférente. « Vous ne vous attendez peut-être pas, dit-il à
son Ami, en lisant du premier abord ma proposition, que je vous la veuille
prouver par l’autorité des Pères : cependant à la bien examiner, c’est leur propre
sentiment, et celui même de Tertullien et de saint Cyprien, qui sont les deux qui
semblent s’être le plus déchaînés, contre la Comédie.»
Avant que d’en venir à l’examen de ce que notre Docteur prétend trouver dans Tertullien
et dans saint Cyprien en
faveur de son opinion, je ne puis m’empêcher de
relever une expression brutale et peu convenable, dont il s’est déjà servi en parlant des
Pères qui lui sont contraires, et qu’il emploie encore ici en parlant de Tertullien et de
saint Cyprien, au moment qu’ilk se les veut concilier : « Ce sont les deux,
dit-il, qui semblent s’être le plus déchaînés contre la Comédie. »
Ce
mot de « déchaînés », s’accorde-t-il bien, je vous prie, avec le respect que l’on doit aux
Pères de l’Eglise ? Et de la manière qu’il nous figure Tertullien et saint Cyprien par
cette expression, ne diriez-vous pas que ce sont deux dogues d’Angleterre qui ont rompu
leurs colliers et qui pillent une troupe de Comédiens ?
Mais il court risque d’en être mordu lui-même : car loin de trouver dans l’autorité de ces deux Pères quelque chose de favorable à son opinion, il n’en rapportera que de la honte, et n’y trouvera que sa condamnation après l’examen qui en va être fait. Je le suivrai toujours pas à pas.
Il continue donc ainsi : « Pour commencer par Tertullien : en même temps qu’il
déteste l’horreur et l’infamie des Spectacles, il se fait cette objection : Dieu, dit-
il, a établi toutes
choses et les a données aux hommes ; et par conséquent elles sont toutes bonnes, comme
le Cirque, les lions, les voix, etc. Quelles sont donc celles dont il n’est pas permis
d’user ? Et ce grand Homme répond, qu’il est vrai que toutes choses ont été instituées
de Dieu, mais qu’elles ont été corrompues par le Démon ; que le fer, par exemple, est
autant l’ouvrage de Dieu que les herbes et que les Anges ; que toutefois Dieu n’a pas
fait ces créatures pour servir à l’homicide, au poison et à la magie, quoique les hommes
les y emploient par leur malice ; et que ce qui rend bien des choses mauvaises, qui de
soi seraient indifférentes, c’est la corruption et non pas l’institution. »
« D’où, ajoute notre Docteur, en appliquant ce
raisonnement à la Comédie, il s’ensuit que considérée en elle-même, elle n’est pas plus
mauvaise que les Anges, les herbes et le fer ; mais que c’est le Démon qui la change,
l’altère et la gâte. »
Après quoi il conclut enfin, « que la Comédie,
suivant Tertullien, doit être mise au nombre des actions indifférentes, et que ce n’est
pas la condamner que d’en reprendre seulement l’excès comme il a fait»
.
Voilà Monsieur, une conclusion bien offensante pour Tertullien, et dont les principes sont bien opposés à la doctrine et à la pensée de ce Père : et je m’aperçois de plus en plus qu’il ne sied pas à notre Docteur de contrefaire l’habile homme et de citer les Pères.
Il dit donc que Tertullien, après avoir déclamé contre la Comédie, reconnaît que la Comédie est un ouvrage de Dieu, de même que le fer, les herbes et les Anges ; et que n’étant pas plus mauvaise que les Anges, les herbes et le fer, elle doit être mise au nombre des choses indifférentes.
Et moi je dis que tout ce langage est faux d’un bout à l’autre.
Il est faux premièrement, que Tertullien reconnaisse que la Comédie soit un Ouvrage de
Dieu, de même que le fer, les herbes et les Anges. Les Païens mêmes et les libertins qui
faisaient l’objection ne le disaient pas : ils objectaient seulement que les choses qui
entraient dans la composition et dans l’appareil des Spectacles, « Ex quibus
spectacula instruuntur »
, comme le cirque, les lions, la force des athlètes et
la douceur des voix, étaient toutes des ouvrages de Dieu, et toutes destinées à l’usage de
l’homme, et que par conséquent il n’y avait rien de mauvais dans les
Spectacles.
Sur quoi Tertullien commence par se railler de ceux qui raisonnaient ainsi : « Que
l’ignorance des mondains, dit-il, s’estime habile, et qu’elle
croit être éloquente ; surtout, quand elle appréhende d’être privée de quelque plaisir
ou de quelque autre commodité que le siècle lui présente ! »
« Quam
sapiens argumentatrix sibi videtur ignorantia humana ! præsertim cum aliquid ejusmodi de
gaudiis et fructibus seculi metuit amittere. »
Il ajoute ensuite, qu’il n’y a personne qui nie, comme il n’y a personne qui ignore ce
que la Nature enseigne d’elle-même ; c’est-à-dire, que Dieu est l’auteur de toutes les
choses de ce monde, et que toutes sont faites pour l’usage de l’homme : mais parce que les
Païens ne connaissent Dieu qu’imparfaitement, et de loin, « de longinquo»
,
ils ne savent pas comment Dieu ordonne que l’on use de ses créatures ; et ils ne savent
pas non plus que Dieu a un émule qui les corrompt et qui porte les hommes à en abuser. Que
cependant ce n’est point assez de connaître par qui les créatures ont été faites, par où
elles sont bonnes ;
mais qu’il faut aussi savoir par qui elles sont
corrompues, par où elles deviennent mauvaises, et par où elles cessent d’être les ouvrages
de Dieu ; car il y a une grande différence entre les créatures pures et les créatures
corrompues, comme il y a une grande différence entre leur premier Auteur et celui qui les
corrompt. « Multum interest inter corruptelam et integritatem, quia multum interest
inter institutorem et interpolatorem. »
Tertullien poursuit et confond le mauvais raisonnement des Païens, parce que tous les
maux qu’eux-mêmes condamnent, s’exécutent par des choses qui sont des ouvrages de Dieu :
l’homicide, par exemple, que les Païens condamnent, s’exécute par le fer qui est un
ouvrage de Dieu, de même que l’Ange ; et cependant on ne dira pas pour cela que Dieu soit
auteur de l’homicide. Au contraire, il a donné la mort, pour ainsi dire, à toute sorte
d’homicides par ce seul précepte : « Tu ne tueras pas.»
« Omnem
homicidii speciem uno et principali præcepto interemit, non occides. »
Vous voyez, Monsieur, après cet exemple, quelle est la conclusion qui reste à tirer sur le sujet de la Comédie. N’est-ce pas à dire, selon Tertullien, que de même que l’homicide ne peut être attribué à Dieu comme son ouvrage, quoiqu’il s’exécute par le fer qui est une de ses créatures, ainsi la Comédie ne peut non plus être mise au nombre des ouvrages de Dieu, quoique les voix, les parures, et les autres choses qui entrent dans l’appareil de ce qu’on appelle Comédie, soient toutes au nombre de ses créatures ?
Il faut donc qu’il y ait un autre principe de la Comédie aussi bien que de l’homicide ?
« Oui certes, répond Tertullien, et nous le connaissons
nous autres Chrétiens : car comme nous connaissons le véritable Maître des créatures,
nous connaissons aussi quel est son émule ; et comme nous connaissons leur premier
Auteur, nous connaissons celui qui les gâte et qui les corrompt. Et il ne faut pas
s’étonner s’il corrompt les autres créatures ; il ne faut pas même en douter, puisque ce
fut par la malice de cet Ange jaloux et méchant, que le premier homme qui était non
seulement l’ouvrage de Dieu, mais aussi son image et le maître de l’Univers, fut
renversé de l’état d’innocence où il avait été établi. »
Quoi ? Tertullien dit expressément qu’il ne faut pas douter que le Démon ne soit l’inventeur de la Comédie, et notre Docteur a l’audace de lui faire dire que c’est Dieu qui en est l’auteur, de même qu’il est auteur du fer, des herbes et des Anges. Pourrait-il s’empêcher de rougir d’une telle imposture, s’il n’était couvert d’un masque de Théâtre ? Et pourrions-nous la lui pardonner, si nous n’étions persuadés qu’il joue toujours la Comédie au travers de ces contrevérités ?
Mais parce que peut-être le parterre pourrait se laisser surprendre, en ne démêlant point assez le faux et l’imaginé du véritable, il est à propos de ◀temps▶ en ◀temps▶ de lui lever le masque et de découvrir les fictions, surtout quand il les pousse trop loin, comme il fait encore ici, lorsqu’il ajoute que Tertullien a reconnu que la Comédie était une chose indifférente, et qu’elle n’était pas plus mauvaise que les Anges, le fer et les herbes ; car ce paradoxe n’est pas moins injurieux à Tertullien que celui qui vient d’être développé, et il va paraître du moins aussi téméraire.
Car Tertullien premièrement, n’a jamais fait comparaison de la Comédie avec les Anges, le fer et les herbes ; et les Païens mêmes n’établissaient pas ainsi leur comparaison, comme je l’ai déjà remarqué : mais il n’est rien aussi de si faux que Tertullien ait jamais avoué en aucune façon que la Comédie fût une chose indifférente : il a au contraire déployé toujours tout son zèle et toute son éloquence pour la décrier et pour la faire éviter aux Chrétiens comme un écueil très dangereux.
Et afin que notre Docteur ne rejette pas à son ordinaire ce que Tertullien a dit contre la Comédie sur la Comédie ancienne, posons l’idée de la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui, et voyons si la censure de Tertullien ne tombe pas aussi sur elle.
La Comédie d’aujourd’hui n’est autre chose qu’un Spectacle pompeux disposé pour le plaisir, où des Acteurs et des Actrices paraissent avec des ajustements mondains et peu modestes, où l’on chante et où l’on danse, où l’on exprime les sentiments tantôt d’une manière tendre et tantôt d’une manière fougueuse, suivant les passions différentes qui les animent, où les passions se poussent d’ordinaire à l’excès, et que l’on tâche néanmoins quelquefois de déguiser sous les livrées de la vertu. Voilà, ce me semble, l’idée la plus juste des Comédies les plus innocentes que l’on ait vues de nos jours ; car je laisse à part les Pièces purement comiques, que le Docteur lui-même abandonne.
Or il va paraître clair comme le jour que la Comédie, suivant cette idée, se trouve aussi combattue par les raisons que Tertullien emploie contre les Pièces de Théâtre.
Les Comédies, dit Tertullien, ne plaisent point à Dieu, et ne conviennent point à des
Serviteurs de Dieu, parce que la pompe qui les accompagne est l’ouvrage du Démon, et que
nous y renonçons au Baptême : « Adversus quam in signaculo fidei
ejeramus »
. Si cette raison subsiste, la Comédie d’aujourd’hui peut-elle plaire à
Dieu ? Et peut-elle convenir à des Serviteurs de Dieu ? Puisqu’il n’y a point d’endroits
où le monde étale ses pompes et ses vanités avec plus de soin que sur les Théâtres.
Tertullien interdit encore les Spectacles aux Chrétiens, parce que la dissipation des
Spectacles ne leur permet pas de penser à Dieu. Est-ce donc qu’il n’y a pas de sujet de
dissipation dans les Comédies d’aujourd’hui ? tous les sens n’y
sont-ils point
enchantés ? n’y donne-t-on pas son attention à considérer des femmes curieusement parées,
et des hommes richement vêtus ? n’y laisse-t-on pas insensiblement toucher son cœur, non
seulement par les bonnes intelligences qui paraissent quelquefois entre les Acteurs et les
Actrices, mais par leurs démêlés mêmes et leurs petites brouilleries ? Voilà néanmoins les
choses que Tertullien même estime les plus scandaleuses dans les Spectacles : « In
omni spectaculo, dit-il, nullum majus scandalum occurret quam
ipse ille mulierum et virorum accuratior cultus ; ipsa consensio, ipsa in favoribus aut
conspiratio aut dissensio inter se de commercio scintillas libidinum
conflabellant.»
Mais, dit notre Docteur, il y a dans les Comédies d’aujourd’hui de si belles choses et si
honnêtes. Du ◀temps▶ de Tertullien il y avait déjà des gens qui tenaient ce même langage, et
voici ce que lui-même leur répond : « Ne sait-on pas, leur
dit-il, que l’on ne donne pas le poison avec du fiel ou de l’hellébore, et que
l’on a coutume de l’assaisonner avec les mets les plus agréables ? »
Or c’est
ainsi qu’en use le Démon, il cache son venin sous les ouvrages de Dieu même :
« Sint
dulcia licet et grata, et simplicia ; etiam honesta quædam,
nemo venenum temperat felle et ellebore, sed conditis pulmentis et bene saporatis,
etc. »
Ainsi l’honnêteté prétendue des Comédies d’aujourd’hui, ne sert qu’à
couvrir ce qu’il y a de plus dangereux ; et le plaisir que l’on prend dans les plus
honnêtes, est un miel qui découle toujours d’un pressoir empoisonné, comme dit élégamment
Tertullien : « Omnia illic seu fortia, seu honesta, seu sonora, seu canora, seu
subtilia poindre habe, ac si stillicidia mellis de libocunculo venenato. »
Ce plaisir, dit encore Tertullien, est le partage des Païens, et non pas des Chrétiens :
car chacun aura son tour ; les Païens se réjouissent présentement, et les Chrétiens
doivent être présentement dans les pleurs. Pleurons donc présentement, pendant que les
Païens se réjouissent, et ne nous réjouissons pas présentement avec les Païens, pour ne
pas pleurer quelque jour avec eux. Enfin c’est être trop délicat pour un Chrétien que de
chercher des plaisirs dans le siècle, et c’est une folie à lui de prendre pour plaisirs
ceux que le siècle lui présente. « Dedicatus es Christiane, si et in seculo
voluptatem concupiscis ; imo nimium stultus, si hoc existimas
voluptatem. »
Il suffit donc, selon Tertullien, que le plaisir de la Comédie soit un plaisir du siècle
pour l’interdire aux Chrétiens. Or je demande présentement à notre Docteur, si le plaisir
que l’on cherche dans la Comédie d’aujourd’hui, est un plaisir du siècle, ou si c’est un
des plaisirs que Dieu a préparés aux hommes : car Dieu a ses plaisirs aussi bien que le
siècle ; et « c’est une ingratitude honteuse à un Chrétien, dit
encore Tertullien, de ne se pas contenter de tant de si agréables plaisirs que
Dieu lui présente, et d’aimer mieux courir après les vains divertissements du
siècle »
: « Cur tam ingratus es, ut tot et tales voluptates a Deo
contributas tibi satis non habeas et non recognoscas.»
Tertullien nous définit en trois mots les plaisirs que Dieu accorde aux Chrétiens dans la
vie présente : « Ils sont saints, dit-il, ils sont
solides, et ils ne coûtent rien»
: « Sunt sancta, perpetua,
gratuita.»
Notre Docteur peut-il se vanter de reconnaître les plaisirs de la
Comédie d’aujourd’hui à ces trois enseignes ?
Mais pourra-t-il nous montrer la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui parmi
les Spectacles que Dieu permet aux hommes en cette vie, et dont Tertullien nous fait une
agréable énumération ? « Si les jeux et les courses du Cirque vous plaisent, dit-il aux Chrétiens, voyez courir les siècles, et comptez les
années à mesure qu’elles passent ; et pour but de la course, regardez la fin de toutes
choses ; défendez fortement les sociétés de l’Eglise, éveillez-vous au signal du
Seigneur, animez-vous au son de la trompette de l’Ange, et mettez votre gloire à
remporter la palme du Martyr. Prenez-vous plaisir aux Pièces qui se récitent au
Théâtre ? Nous avons assez de choses à réciter, nous avons assez de Vers, assez de
Sentences, assez d’Hymnes, et assez de Cantiques ; et ce ne sont ni fables ni fictions,
mais des vérités pures et sincères. Voulez-vous des exercices de joute et de lutte ?
Nous n’en manquons pas non plus, et nous en avons de merveilleux. Quel plus beau
Spectacle que de voir l’impudicité renversée par la Chasteté ? L’infidélité vaincue par
la Foi, la cruauté terrassée et meurtrie par la compassion, et l’insolence abattue sous
la Modestie ; voilà les combats où nous demandons d’être couronnés. Mais voulez-vous
aussi du sang comme à l’amphithéâtre ? Vous
avez le Sang de Jésus-Christ.
Mais quel Spectacle sera-ce que l’avènement du Seigneur qui approche tous les jours, et
lorsqu’il paraîtra glorieux et triomphant ? »
Jusque-là les Comédies n’ont point de place parmi les Spectacles des Chrétiens, et les Comédiens ne comparaissent pas.
Mais Tertullien poursuit, et il fait une triste peinture des Spectacles qui suivront le
Jugement dernier ; et c’est là que les Comédiens feront leur personnage. Mais quel
personnage ? Mon Dieu ! « Ils crieront plus fort que jamais,
dit Tertullien, mais ce sera en déplorant leurs propres misères»
:
« Tunc magis Tragœdi audiendi, magis scilicet vocales in propria sua
calamitate. »
Voilà, selon Tertullien, quel sera le sort des Comédiens qui n’auront pas fait pénitence : et que l’on juge après tout cela si notre Docteur a eu raison de faire dire à Tertullien que la Comédie était une chose indifférente, et qu’elle n’était pas plus mauvaise que le fer, les herbes et les Anges.
Il ne fait pas plus de justice à saint Cyprien, quand il lui attribue le même sentiment : et c’est ce qui m’oblige de le démasquer encore une fois, pour faire réparation à ce Père, et pour empêcher les simples de prendre le change sur le récit d’un Docteur de Théâtre.
« Saint Cyprien, dit le Docteur, en parlant de David qui
dansa devant l’Arche, au son des tambours, des flûtes et des autres instruments, avoue
que ce n’est point un mal de danser et de chanter ; mais il prétend que cela n’excuse
point les Chrétiens qui assistent à des danses lascives et à des chants impurs, qui font
retentir les louanges des idoles. D’où il est facile de juger que ce saint Docteur ne
condamne pas absolument les danses, les chants, les Opéras et les Comédies, mais
seulement les Spectacles qui représentaient les fables en la manière lascive des Grecs
et des Romains, et qui se célébraient en l’honneur des Idoles. »
Il n’y a rien de fidèle ni de juste dans tout ce que le Docteur pose ici de saint Cyprien : il erre dans le fait ; et il pèche dans le raisonnement qu’il fait faire à saint Cyprien, ou plutôt qu’il fait lui-même.
Il erre dans le fait, puisque saint Cyprien en parlant de la danse de David, n’a jamais
dit, « Que ce ne fut point un mal de danser et de chanter »
. Il témoigne
même ne parler en cette occasion de la danse de David qu’à contrecœur, et
que parce que les libertins de son ◀temps▶ autorisaient les Spectacles par cet exemple, et
par quelques autres semblables tirés de l’Ecriture : « Pudor me tenet, dit ce Père, praescriptiones eorum in hac causa, et patrocinia
referre.»
Il ajoute, qu’il vaudrait bien mieux que ces gens-là n’eussent jamais
appris à lire que de faire un tel usage de leur lecture : « Hoc loco dixerim longe
melius fuisse nullas litteras nosse quam sic litteras legere.»
Et en répondant
à l’exemple de David qui a dansé devant l’Arche ; il dit, que cet exemple ne favorise en
rien les Chrétiens qui assistent au Théâtre : « Nihil adjuvat in theatro sedentes
Christianos fideles »
, parce que dans la danse de David il n’y a rien de
honteux, ni qui ressente la licence des scènes et des fables grecques.
Mais il ne s’ensuit pas pour cela que saint Cyprien approuve « les Opéras et les
Comédies d’aujourd’hui, et qu’il ne condamne que les Spectacles qui représentaient les
fables en la manière lascive des Grecs et des Romains, et qui se célébraient en
l’honneur des Idoles »
, ainsi que l’assure le Docteur.
En effet ce serait un joli raisonnement qu’on ferait faire à saint Cyprien que celui-ci. Il n’y a rien eu de mauvais dans la danse de David, donc il n’y a rien de mauvais dans les Opéras et dans les Comédies qui se jouent aujourd’hui en France. Un tel raisonnement ne peut convenir qu’à un Docteur de Théâtre : aussi est-il de notre Docteur.
Cet autre qui est encore de sa façon n’est pas plus juste. Saint Cyprien n’a pas condamné la danse de David ; donc il n’a condamné que les Spectacles qui représentaient des fables en la manière lascive des Grecs, et qui se célébraient en l’honneur des Idoles. Comme s’il n’y avait pas un milieu entre la danse de David et ces sortes de Spectacles qui pût être défendu, et que parmi les Pièces de Théâtre il n’y en eût de mauvaises que celles où on ferait paraître des femmes toutes nues, et où on offrirait des sacrifices aux faux Dieux.
Il faut donc faire voir à notre Docteur qu’il y a un milieu défendu entre la danse de David et les Spectacles honteux de la gentilité Grecque et Romaine. Il lui faut faire voir que saint Cyprien a reconnu ce milieu, que suivant ses principes les Comédies d’aujourd’hui s’y trouvent enveloppées, et que par conséquent selon lui elles ne sont pas indifférentes.
Que dans les Spectacles il y ait un milieu criminel entre la danse de David et les infamies de la gentilité idolâtre ; on ne peut en douter, et notre Docteur lui-même n’en doute pas, puisqu’il abandonne les représentations qui ne sont pas tout à fait pures, quoiqu’elles n’aillent pas jusques aux excès des Païens.
Que saint Cyprien ait reconnu ce milieu criminel entre la danse de David et les horreurs
des Païens, on n’en doutera pas non plus ; à moins que quelqu’un ne voulût dire que saint
Cyprien ait approuvé dans les Spectacles tout ce qui n’est point de la superstition ou de
la licence des Gentils : mais il serait aisé de le confondre par saint Cyprien même, qui
s’explique nettement là-dessus ; car après avoir condamné toutes les superstitions et
toutes les ordures du théâtre Païen, il ne veut pas encore après cela qu’il soit permis
aux Chrétiens d’assister aux représentations qui en pourraient être exemptes, telles
qu’étaient celles qu’il cite lui-même, où il n’y avait que de la symphonie, et où on
n’entendait que des trompettes, des flûtes et des voix ; et que d’autres encore qui
n’avaient que les inutilités étudiées des Comédies, et que les clameurs et les
passions des Pièces tragiques : « car encore, dit ce Père,l
que dans ces représentations il n’y ait rien qui ressente l’idolâtrie, et quand on
supposerait qu’en elles-mêmes elles soient innocentes, néanmoins les véritables
Chrétiens sont encore obligés de les éviter, à cause de la vaine pompe qui en est
inséparable, et qui ne compatit point avec le Christianisme »
: « Haec
etiamsi non essent simulacris dicata, obeunda tamen et spectanda non essent Christianis
fidelibus ; quae et si non haberent crimen, habent in se et maximam, et parum
congruentem Christianis vanitatem »
.
Que notre Docteur cesse donc de dire, « Que saint Cyprien n’a condamné que les
Spectacles qui représentaient les fables en la manière lascive des Grecs et des Romains,
et qui se célébraient en l’honneur des Idoles »
; puisqu’il s’explique si
nettement au contraire.
Mais qu’il avoue en même temps que saint Cyprien en condamnant des Spectacles qui n’avaient rien de la superstition et de la licence des Gentils, à cause de la vaine pompe qui les accompagnait, il a aussi condamné les Opéras et les Comédies d’aujourd’hui, où l’on emprunte du siècle tout ce qu’il a de plus vain et de plus pompeux pour éblouir les Spectateurs.
Je puis donc conclure hardiment avec saint Cyprien et contre notre Docteur, qu’un
Chrétien qui a renoncé dans le Baptême aux pompes du Démon et du monde, doit aussi
renoncer aux Spectacles d’aujourd’hui ; et que d’y assister après avoir été baptisé, c’est
renoncer à Jésus-Christ, comme il avait renoncé au Démon dans son Baptême : « Qui
post Christum ad diaboli spectaculum vadit, Christo ut diabolo renuntiat. »
Je marquerais ici à notre Docteur les Spectacles que saint Cyprien conseille aux Chrétiens, si je le croyais d’humeur à s’en vouloir contenter ; mais comme il n’y trouverait ni l’Opéra ni la Comédie d’aujourd’hui, non plus que dans ceux de Tertullien, et que l’Opéra et la Comédie d’aujourd’hui font ses délices, il ne faut pas le chagriner une seconde fois ; il vaut mieux le laisser respirer pour un peu de ◀temps▶, et lui donner lieu de se consoler avec ses bons Amis les modernes, qu’il croit plus humains et moins farouches que les anciens Pères.
Il en appelle donc à saint Bonaventure,
à Albert le Grand, et à saint
Antonin. « Saint Bonaventure, dit-il, a enseigné que les
Spectacles sont bons et permis, s’ils sont accompagnés des précautions et des
circonstances nécessaires »
: il fait dire la même chose à Albert le Grand ; et
il fait principalement valoir certaines paroles de saint Antonin sur le sujet des Farceurs
et des farces qui lui ont touché le cœur, et que je veux bien rapporter ici pour lui faire
plaisir. « L’histrionat, histrionatus, ou le métier de
Farceur, dit donc saint Antonin, n’est pas défendu de
lui-même, parce qu’il sert à la recréation de l’homme qui est nécessaire à la
vie. »
Et en un autre endroit : « Le Jeu scénique ou la Comédie, ludus scenicus, est un mélange de paroles et d’actions qui tend à
divertir ; et si on n’y mêle rien de déshonnête, ni d’injurieux à Dieu, ni de
préjudiciable au prochain, ce Jeu est un effet de la vertu d’eutrapelle, dont l’esprit
fatigué a besoin pour se délasser, comme le corps a besoin de nourriture. Se peut-il
rien de plus fort pour la Comédie ?»
s’écrie notre Docteur.
Comme saint Bonaventure, Albert le Grand, et saint Antonin, tiennent le même langage que
saint Thomas au
sujet de l’histrionat et des farces, et qu’ils raisonnent sur
les mêmes principes ; il faut aussi les entendre au sens de saint Thomas. C’est-à-dire, ou
qu’ils parlent de certains flûteurs sans conséquence qui jouaient de leur ◀temps▶, et à qui
nos Comédiens ne voudraient pas être comparés, ou que traitant la chose d’une manière
Métaphysique, ainsi que saint Thomas, ils se sont fait comme lui une idée de la Comédie
qui n’est peut-être pas possible, et qui en tout cas n’est pas celle de la Comédie
d’aujourd’hui ; puisque dans les Comédies d’aujourd’hui il y a toujours quelque chose des
caractères du monde que saint Jean condamne, c’est-à-dire, qui tient « ou de la
concupiscence de la chair, ou de la concupiscence des yeux, ou de la superbe de la
vie»
. Ce que saint Bonaventure par conséquent n’aurait point approuvé, non plus
que saint Antonin et Albert le Grand : car enfin tous ces trois Auteurs ne permettent les
Jeux, que supposé qu’ils n’aient rien de contraire à l’honnêteté, rien qui puisse déplaire
à Dieu, et rien qui puisse déconcerter l’harmonie de l’âme.
Or je demanderais volontiers à notre Docteur si l’harmonie de l’âme peut bien se conserver pendant l’espace de trois ou quatre heures au milieu des Opéras d’aujourd’hui, où tous les sens se trouvent enchantés par les décorations magnifiques, les machines surprenantes, le mélange harmonieux des instruments et des voix, et où on attaque même le cœur par tous les endroits, où d’ordinaire il est le plus ouvert.
Je lui demanderais encore volontiers si cette harmonie de l’âme est plus en sureté au travers de ces représentations pompeuses de notre cothurne le plus élevé et le plus sublime, où l’on introduit des héros et des héroïnes, dont on fait consister le mérite à pousser les passions les plus grandes aux plus grands excès ; où les jalousies, les désespoirs, les vengeances, les trahisons, les incestes, les parricides, et d’autres crimes horribles qui devraient être ensevelis dans des ténèbres éternelles, sont relevés et dépeints avec les couleurs les plus vives, et bien plus capables de les faire admirer que de les faire détester. Et si quelquefois on les punit sur le Théâtre, c’est après avoir laissé la liberté à des impies de blasphémer, et d’insulter au Ciel et à ses foudres.
Je n’en apporterai point ici d’exemples, il y en a des Recueils tirés des Pièces les plus sérieuses et les plus vantées de nos jours, et auxquels je pourrais bien assurer que saint Bonaventure, Albert le Grand et saint Antonin, n’auraient pas donné leur approbation.
Saint François de Sales, et saint Charles Borromée, ne les auraient pas approuvées non plus, quoiqu’en dise notre Docteur ; car il voudrait aussi que ces deux Saints fussent reconnus pour Patrons des Comédiens.
« Aussi voyons-nous, dit-il en parlant de la Comédie,
qu’elle n’est pas défendue par le Saint de nos jours le grand François de Sales Evêque
de Genève, qui peut sans contredit servir de modèle à tous les Directeurs dans la
conduite des âmes à la véritable dévotion. Et Fontana de Ferrare rapporte dans son
Institution, que l’illustre saint Charles Borromée permit les Comédies dans son Diocèse,
par une Ordonnance de 1583. à condition néanmoins qu’elles seraient revues et approuvées
par son grand Vicaire, avant que d’être représentées, de peur qu’il ne s’y glissa
quelque chose de déshonnête. Ce pieux et savant Cardinal approuva donc les Comédies
modestes, et ne condamna que les déshonnêtes et les impies, comme on le voit par le
troisième Concile qu’il tint à Milan en 1572. »
L’autorité de ces deux Saints ne nous est pas indifférente, et elle est parmi nous d’un assez grand poids pour m’obliger d’examiner ici avec attention ce qu’ils ont pensé de la Comédie. Ainsi notre Docteur me donnera, s’il lui plaît, licence de faire cet examen ; et je lui promets, moyennant cela, que les interruptions que je lui ferai dans la suite, ne seront plus si longues.
Je commencerai par saint François de Sales. Il y a deux endroits de son Introduction à la vie dévote que l’on a coutume d’objecter, et où il semble que ce saint favorise la Comédie.
Le premier est au chapitre 23, de la première Partie, dont voici les paroles :
« Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les Comédies en leur substance, ne
sont nullement choses mauvaises, ainsi indifférentes, pouvant être bien ou mal
exercées : Toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses ; et de s’y affectionner,
cela est encore plus dangereux, etc. »
Le second est au chapitre 23, de la troisième Partie, où saint François de Sales
s’explique à peu prés de la même manière : « Les bals et danses, dit-il, sont
choses indifférentes de leur nature ; mais selon
l’ordinaire façon avec laquelle cet exercice se fait, il est fort penchant et incliné au
côté du mal, et par conséquent plein de danger et de péril, etc. »
De ces paroles de saint François de Sales, et de quelques autres qu’il ajoute encore, les Partisans de la Comédie infèrent que ce Saint a regardé la Comédie comme une chose indifférente de sa nature, qu’il n’en a pas blâmé l’usage, pourvu qu’elle n’eût rien de déshonnête, et qu’il ne l’a pas même interdit à sa Philothée, pourvu qu’elle n’y mît pas son affection.
Quand j’accorderais toutes ces conséquences, il ne s’ensuivrait pas que saint François de Sales ait approuvé les Comédies d’aujourd’hui, dont il s’agit entre le Docteur et moi. Car qu’il y ait des Comédies qui de leur nature soient indifférentes ou qu’il n’y en ait pas, il est sûr, comme nous l’avons déjà fait voir plus d’une fois, que celles d’aujourd’hui ne sont point indifférentes. Il est encore moins vrai qu’elles puissent passer pour tout à fait honnêtes. Et ainsi ce que saint François de Sales dit en faveur de la Comédie prise en général et selon sa nature, ne sert de rien à notre Docteur, qui a pour but de justifier la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui.
Mais bien loin que saint François de Sales approuve les Comédies telles qu’elles sont aujourd’hui, elles se trouvent absolument condamnées par tout ce qu’il enseigne dans les deux chapitres qu’on nous objecte ; où ce Saint non seulement ne tolère les Comédies, que supposé qu’elles soient indifférentes, mais, parce que celles-là mêmes, selon lui, sont toujours dangereuses, il n’en permet l’usage qu’avec beaucoup de réserve, et qu’à des conditions moralement impraticables.
Il veut premièrement, que les danses et les Comédies soient assaisonnées « de
modestie, de dignité, et de bonne intention»
.
En second lieu, il ne veut pas qu’en y assistant on y mette son affection. « C’est
dommage, dit-il, de semer en terre de notre cœur des
affections si vaines et si sottes : cela occupe le lieu des bonnes impressions, et
empêche que le suc de notre âme ne soit employé ès bonnes inclinations. »
.
Il veut enfin qu’après ces divertissements et au retour de la Comédie, « on use de
quelques saintes et bonnes
considérations qui empêchent les dangereuses
impressions que le vain plaisir qu’on a reçu pourrait donner à nos
esprits»
.
Mais de quelles considérations veut-il que l’on use ? Il les marque lui-même.
« C’est, dit-il, qu’à même ◀temps▶ que vous étiez au
bal, plusieurs urnes brûlaient du feu d’enfer pour les péchés commis à la danse. Que
plusieurs Religieux et gens de dévotion étaient à même heure devant Dieu, chantaient ses
louanges et contemplaient sa beauté. Qu’en ce même ◀temps▶ plusieurs âmes sont décédées en
grande angoisse, mille milliers d’hommes et de femmes ont souffert de grands travaux en
leurs lits, dans les hôpitaux, etc. Que Notre Seigneur, Notre Dame, les Anges, vous ont
vu au bal. Ah ! Que vous leur avez fait grand pitié, voyant votre cœur amusé à une si
grande niaiserie et attentif à cette fadaise. Que tandis que vous étiez là, le ◀temps▶
s’est passé, la mort s’est approchée. Voyez qu’elle se moque de vous, et qu’elle vous
appelle à sa danse, en laquelle les gémissements de vos proches serviront de violons, et
où vous ne ferez qu’un seul pas de la vie à la mort, et du ◀temps▶ à une éternité de biens
ou de peines. »
Voilà les antidotes que saint François de Sales veut que l’on oppose aux plaisirs et aux impressions des danses et des Comédies les plus honnêtes : voilà les conditions sous lesquelles il en tolère l’usage. Mais y a-t-il quelqu’un des mondains qui puisse se vanter de n’y assister qu’avec ces ménagements et ces précautions ? ou plutôt y en a-t-il quelqu’un qui en voulût acheter le privilège à ce prix ?
Il ne faut donc pas que notre Docteur prononce si souverainement que Saint François de
Sales n’a point interdit l’usage de la Comédie, puisqu’il le rend comme impraticable par
les conditions qu’il demande ; et que d’ailleurs il en dit assez pour en détourner tout à
fait les Ames un peu chrétiennes. Car n’est-ce point assez de leur dire ? « Que les
Comédies sont toujours dangereuses : qu’’il en faut user comme on use des champignons,
dont les meilleurs ne valent rien : qu’elles dissipent l’esprit de dévotion,
alanguissent les forces, refroidissent la charité, et réveillent en l’âme mille sortes
de mauvaises affections. Qu’il faut en cela imiter les Nazaréens, qui s’abstenaient non
seulement de tout ce qui pouvait enivrer, mais aussi des raisins et du
verjus»
.
En fallait-il davantage pour donner de l’horreur des Spectacles à une
conscience timorée, et à une Ame tant soit peu curieuse de son salut ? Et peut-on après
cela tirer quelque avantage en faveur de la Comédie d’aujourd’hui, de ce que saint
François de Sales a dit des Comédies qu’il a supposé honnêtes, mais qu’il a néanmoins
toujours représentées « comme dangereuses, et comme propres à dissiper l’esprit de
dévotion, à refroidir la charité, et à réveiller en l’âme mille sortes de mauvaises
affections ? »
Il a regardé les Spectacles avec leur appareil, comme choses si dangereuses au salut et à la perfection chrétienne, que dans les Règles qu’il donne aux Filles de la Visitation, il retranche de leur Service d’Eglise tout chant, toute musique, tout instrument, et tout ce qui peut ressentir les Spectacles en dévotion. Et dans sa Constitution 38. il ne veut pas même qu’en aucun endroit de la Maison on souffre de ces poupées de dévotion qui vont à représenter Notre Seigneur, la Vierge, les Anges, ni aucune autre chose de cette espèce, parce que tout cela ne tend qu’à dissiper l’esprit chrétien, et à reveiller l’esprit du monde.
Quoi ! saint François de Sales prétend que des Spectacles et des poupées de dévotion sont capables de dissiper l’esprit chrétien et de réveiller l’esprit du monde ; et on croira qu’il a permis comme choses innocentes les Spectacles d’aujourd’hui, tout profanes qu’ils sont ; et où des poupées non pas de dévotion, mais des Poupées de licence bien animées et bien vives, paraissent avec les ajustements et tous les airs les plus mondains ? C’est ce que le Docteur ne me persuadera pas.
Mais il doit avoir contentement sur le fait de saint François de Sales. Voyons si saint Charles Borromée qu’il invoque aussi, lui sera plus propice.
« Fontana de Ferrare, nous dit-il, rapporte dans son
Institution que l’illustre saint Charles Borromée permit les Comédies dans son Diocèse
par une Ordonnance de 1583. à condition néanmoins qu’avant que d’être représentées,
elles seraient revues et approuvées par son grand Vicaire... Ce pieux Cardinal approuva
donc les Comédies modestes, et ne condamna que les déshonnêtes et les impies, comme on
le voit par le troisième Concile qu’il tint à Milan en 1572. »
Pour ne rien négliger de ce qui touche saint Charles Borromée, j’ai cherché partout où il m’a été possible cette Ordonnance prétendue, dont on dit que parle Fontana de Ferrare, et je ne l’ai trouvé nulle part : peut-être aussi n’a-t-elle jamais été ? Car enfin faire une Ordonnance Episcopale pour permettre la Comédie dans un Diocèse, n’est pas une chose qu’on présume aisément d’un saint Evêque : et on ne voit pas bien l’édification qui pourrait revenir aux Fidèles d’une telle Ordonnance, à moins que l’on ne leur donnât en même temps le moyen de se sanctifier par la Comédie ; ce que l’approbation d’un grand Vicaire aurait peine à opérer.
Si saint Charles Borromée avait eu une Ordonnance à faire au sujet de la Comédie, il est bien plus vraisemblable que c’aurait été pour la défendre plutôt que pour la permettre, puisque dans tous les Actes authentiques que nous avons de lui, et qui ont été publiés sous son nom, il se déclare partout contre la Comédie et les Spectacles, et qu’il n’a même rien omis de ce que son zèle pastorale a pu lui suggérer pour bannir les Comédiens du commerce du monde.
Dans le premier Concile Provincial de Milan, où il parle avec ses Suffragants :
« Nous avons, dit-il, trouvé à propos
d’exhorter les Princes et les Magistrats de chasser de leurs Provinces les Comédiens,
les Farceurs, les bateleurs, et autres gens semblables de mauvaise vie, et de défendre
aux hôteliers et à tous les autres, sous de grièves peines, de les recevoir chez
eux.»
Dans ce même Concile Provincial, il y a une défense particulière aux Ecclésiastiques
d’assister aux Comédies : et la raison de cette défense peut aussi regarder tous les
Chrétiens : « C’est de crainte, dit le Concile, que leurs
yeux et leurs oreilles qui sont consacrées au Service divin, ne soient souillées par des
actions et des paroles malhonnêtes et badines. »
Tous les Chrétiens ne
doivent-ils pas appréhender la même chose ? Leurs oreilles et leurs yeux n’ont-ils pas été
consacrés dans le Baptême ? Et ne doivent-ils pas craindre de les souiller par des actions
et des paroles malhonnêtes et badines, aussi bien que les Ecclésiastiques ? Encore que les
Ecclésiastiques soient obligés à une plus grande réserve, à cause de leur double
consécration.
Dans le troisième Synode de Milan, il ordonne aux Prédicateurs de reprendre avec force
ceux qui suivent les Spectacles,
et de ne pas cesser de représenter aux
Peuples « combien ils doivent détester et avoir en exécration les jeux, les
Spectacles et autres semblables badineries, qui sont des restes du Paganisme, qui sont
contraires à la discipline chrétienne, et qui sont les sources de toutes les calamités
publiques, dont les Chrétiens sont affligés»
.
Saint Charles ne s’est pas contenté de faire des Ordonnances contre la Comédie pour la conduite de son Diocèse et de sa Province, mais dans les Règlements de sa Famille il défend encore expressément à ses domestiques de se trouver jamais aux Comédies ni aux farces des baladins.
Il a encore étendu ses soins et sa charité plus loin ; il a composé un Livre exprès pour
l’instruction de tous les Fidèles contre les danses et les Comédies ; et il en parle comme
de « choses illicites : parce que, dit-il, elles sont
mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent et de leurs effets ;
et que c’est pour cela aussi qu’elles sont défendues »
.
On peut juger par tout cela de l’attention que saint Charles a eue à ne pas permettre les Comédies, et à les décrier même autant qu’il a pu, à cause des circonstances qui les accompagnent et de leurs effets, ainsi qu’il s’explique : et je ne sais si on doit avoir beaucoup de créance au récit de Fontana de Ferrare, qui parle d’une Ordonnance que saint Charles avait faite comme pour les permettre. Je ne conseille pas en tout cas à notre Docteur de préférer ce témoignage à tant d’Actes authentiques qui le détruisent ; et surtout saint Charles n’ayant pas fait la distinction des Comédies en honnêtes et malhonnêtes au troisième Concile de Milan, comme il l’avance, et comme il se l’est apparemment laissé persuader sur quelque ouï-dire.
J’ai jusqu’à présent un peu harcelé notre Docteur, parce qu’il sortait de sa sphère en contrefaisant un peu trop l’habile homme, et en faisant tenir aux Pères de l’Eglise et aux Auteurs Ecclésiastiques un langage qui ne leur convenait pas, et qui aurait pu imposer aux idiots. Mais maintenant qu’il va parler par lui-même, et que la plupart de ses raisonnements ne seront plus que des scaramouchades, j’en userai avec lui moins sérieusement, et d’une manière qui lui sera moins chagrinante.
Il reprend donc la parole ; et voici comment il commence d’argumenter.
« Les Pères, dit-il, qui ont parlé si fortement contre
la Comédie, ne l’ont point fait avec moins de force contre les jeux de cartes et de dés,
contre les festins et les banquets, contre le luxe et contre les parures, contre les
bâtiments superbes et la magnificence des maisons, contre la richesse des
ameublementsm et la rareté des
peintures, etc. Or on ne fait pas cependant tant les scrupuleux sur ce chapitre :
pourquoi donc n’étendrons-nous pas cet adoucissement aux Spectacles ? »
Je réponds au Docteur que son raisonnement pèche dans la matière et dans la forme. Il pèche dans la matière, parce qu’il suppose qu’on a raison de ne point faire de scrupule de jouer à des jeux de hasard, de passer le ◀temps▶ en banquets et en festins, de donner dans le luxe, dans les parures, dans les bâtiments superbes et dans les riches ameublements. Ce qui est néanmoins très faux, rien ne pouvant prescrire ni prévaloir contre le Droit divin qui condamne tous ces excès. Et il pèche dans la forme, parce que le Docteur argumente de certaines choses où l’on peut garder quelque modération supportable, ou par leur nécessité, ou par leur bienséance ; à une autre qui n’ayant ni nécessité ni bienséance, mais étant un plaisir purement mondain, n’est susceptible d’aucune modération : au moins est-il certain que les Comédies d’aujourd’hui ne peuvent point encore se vanter d’avoir attrapé ce point de modération, à qui on puisse donner le nom de Modestie chrétienne ; comme il peut convenir à la modération que bien des gens gardent dans l’usage des festins, des ameublements et des habits.
Notre Docteur qui ne s’assujettit à aucun ordre, retourne à l’Ecriture sainte expliquée par Albert le Grand, dont il rapporte les paroles, et par où il prétend justifier la Comédie dans les sens de l’Ecriture même.
Je n’ai pas dessein de retoucher l’autorité de l’Ecriture, dont il a été parlé plus haut : mais je ne puis m’empêcher d’admirer ici l’indulgence de notre Docteur, qui après avoir rapporté quelques endroits de l’Ecriture, où il est fait mention de danses et de tambours, qui n’ont rien de commun avec les Spectacles, il conclut néanmoins doucereusement qu’il n’obligerait pas un Pénitent à s’en abstenir.
Voilà une indulgence plus que plénière,
puisqu’elle va non seulement à ne
point affliger un Pénitent, mais à le divertir et à l’envoyer à la Comédie essuyer ses
larmes. Mais qui lui a donné une puissance si bénigne ? Il prétend la tenir de Dieu même :
« Il n’obligerait pas, dit-il, un Pénitent de
s’abstenir des Spectacles ; puisque Dieu non seulement les permet, mais les promet
lui-même. »
Et il croit avoir trouvé cette permission et cette belle promesse de
Dieu dans Jérémie.
Ce Prophète inspiré de l’Esprit saint, prédit que les Juifs au retour de leur captivité,
danseront et joueront du tambour, pour marque de leur joie et de leur reconnaissance. Et
c’est sur cette prédiction que notre Docteur fonde le pouvoir qu’il se donne de
métamorphoser un Pénitent en un homme de plaisir : c’est de cette prédiction qu’il infère,
que « non seulement Dieu permet la Comédie, mais qu’il promet lui-même de la
donner à son Peuple»
.
Quelle étrange interprétation ! Ou plutôt quelle horrible corruption des paroles de
l’Ecriture ! Pourrait-on la pardonner à tout autre qu’à un Docteur de Théâtre ? II ne
laisse pas cependant d’en triompher comme s’il avait dit quelque
chose de bon.
Il en devient même plus hardi : la Comédie n’est plus chez lui une chose indifférente,
c’est la meilleure chose du monde. « C’est un tableau,
dit-il, qui représente des histoires et des fables, non pas tant pour divertir
que pour instruire les hommes. »
Et pour preuve de cela, il apporte l’exemple
non pas de quelque Pièce sérieuse de Corneille ou de Racine, mais de la Comédie d’Esope
composée par son Ami, à qui il fait des compliments sur le présent qu’il lui en a fait. Il
assure que « cette incomparable Pièce est d’une grande instruction pour la morale,
et qu’elle fait beaucoup plus d’impression que n’en feraient les leçons les plus
sérieuses »
.
Nous ne savions pas, Monsieur, où notre Docteur avait puisé tous ses beaux principes.
Mais enfin, il nous en découvre la source ; c’est dans l’incomparable Esope de son Ami
qu’il s’est instruit du mérite de la Comédie ; c’est là où il a appris que « dans
la Comédie il n’y a rien qui ne soit conforme au sentiment de tous les
Fidèles »
.
Et c’est de là même qu’il prend occasion de vouloir faire canoniser la Comédie, et qu’à
ce dessein apparemment il y fait trouver le Pape en personne. « Oui,
dit-il, le Souverain Pontife assiste quelquefois en
personne à des Comédies qui se représentent chez les Religieux les plus réguliers et les
plus austères, ou dans les Collèges où on exerce la jeunesse. »
Notre Docteur
nous permettra, s’il lui plaît, de ne le pas croire ici sur sa parole. Quoi ? Un Pape à la
Comédie ! c’est-à-dire, un Pape quitter la Chaire de saint Pierre, pour s’assoir avec les
moqueurs dans la chaire de pestilence, (car c’est ainsi que Tertullien prétend que David a
traité la Comédie,) il y a même de l’impiété à le penser. On ne croira pas non plus qu’on
joue jamais des Comédies chez les Religieux les plus réguliers et les plus austères : je
puis au moins assurer qu’on ne trouvera point d’exemples de pareilles observances dans les
devoirs de la Vie Monastique, qui nous ont été donnés depuis quelques années par un des
plus saints Abbés de l’Eglise de Dieu. Quant aux Exercices des Collèges, c’est une autre
affaire ; j’en dirai un mot un peu plus bas, où notre Docteur les remet encore en jeu.
Suivons-le cependant dans sa bonne humeur, car il prend ici un ton goguenard ; et comme s’il avait poussé à bout ses adversaires, il les fait retrancher à dire qu’il faut bien que la Comédie soit mauvaise, puisqu’elle est défendue : là-dessus il se réjouit, et se donne la Comédie à lui-même, comme si c’était un mauvais argument en Morale de prouver qu’une chose est mauvaise, parce que Dieu et les Lois la défendent.
Il reprend après cela son sérieux, et entreprend de montrer que la Comédie n’est pas même défendue. Et pour toutes preuves, quant à la Loi de Dieu, il se contente d’apporter les explications favorables que donne Albert le Grand à certains passages de l’Ecriture qui paraissent condamner les Comédies ; comme s’il n’y avait pas encore une infinité d’autres passages dans l’Ecriture qui les condamnent, ou comme si Albert le Grand était l’unique Juge des Controverses.
S’étant ainsi expédié à peu de frais de la Loi de Dieu et de l’Ecriture, il vient aux objections qu’on pouvait lui faire de la part des Lois des Empereurs et des Canons de l’Eglise.
Il commence ainsi lui-même à se proposer celle que l’on tire de l’infamie, dont les
Comédiens sont notés dans le Droit Civil. « Mais, me direz-vous, si les Comédies
sont bonnes en elles-mêmes,
pourquoi ceux qui les jouent sont-ils notés
d’infamie dans le Digeste ? »
On voit bien que cette objection le presse, il se tourne de tous côtés pour en éluder la
force. « Un Soldat, dit-il, qui s’enfuit du combat, et
une jeune veuve qui se remarie avant l’année expirée de son veuvage, ne pèchent point ;
et cependant l’un et l’autre sont déclarés infâmes dans le même Digeste. Il ne s’ensuit
donc pas que la Comédie soit mauvaise, quoique les Comédiens soient infâmes.»
Voilà notre Docteur déjà tout consolé de son infamie, se reposant sur l’innocence
prétendue de la Comédie.
Mais comme cette consolation ne serait peut-être pas du goût de ses Confrères les
Comédiens, et que les exemples d’un Soldat qui fuit, et d’une jeune veuve qui se remarie,
sur lesquels ils se fondent, sont un peu équivoques ; il s’efforce en se tournant d’un
autre côté, de secouer l’infamie qu’il avait endossée trop ingénument.
« Pourquoi, dit-il, les Comédiens seront-ils plutôt
infâmes, que les jeunes gens dans les Collèges, que les personnes les plus sages, et
quelquefois les plus qualifiées, les Princes mêmes et les Rois, les Prêtres et les
Religieux, qui tous pour se divertir et sans scandale
représentent des
personnages dans les Comédies ? »
Nous répondrons à notre Docteur : mais qu’il nous dise, s’il lui plaît, auparavant, où il a vu des Rois et des Princes, des Prêtres et des Religieux, et enfin des personnes les plus sages jouer la Comédie. Néron autrefois a monté sur le Théâtre, mais nous n’avons point, que je sache, d’exemples de Princes Chrétiens qui se soient piqués de l’imiter.
On a peine aussi à croire que des Prêtres et des Religieux aient jamais prostitué la Sainteté de leur état à de semblables badineries, du moins cela n’est-il pas de nos usages ni du génie des Français ; et cela ne pourrait peut-être convenir qu’à des Nations qui naissent comédiennes, et en qui la Nature, pour ainsi dire, demeure plus forte que la Grâce.
Mais ce que l’on pourrait dire néanmoins pour exempter ces sortes de personnes de la note d’infamie qui est propre aux Comédiens, supposé qu’elles en imitassent les actions ; c’est, comme le dit notre Docteur lui-même, que cela se ferait sans scandale, c’est-à-dire, dans le particulier, et hors certaines circonstances qui ne s’ajustent pas avec la Modestie chrétienne, et qui sont inséparables des représentations pompeuses et mondaines, telles que sont nos Comédies.
Pour les Exercices des Collèges, on peut observer d’abord que les Comédies ne sont pas des exercices convenables à la jeunesse, et qu’il n’y a point de parents qui mettent leurs enfants aux Collèges pour y être dressés au Théâtre. Les anciens Païens ne souffraient pas même que leurs enfants montassent sur le Théâtre, et ceux qui se donnaient cette licence, étaient censés dès lors avoir dégénéré, suivant la remarque de Tacite. Mais les Gens de qualité avaient coutume de faire venir chez eux quelque habile Comédien, qui exerçait leurs enfants par des déclamations de Pièces choisies et propres à les former aux emplois auxquels on les destinait.
Il n’y a pas longtemps non plus que la mode des Comédies s’est introduite parmi nous dans les Collèges : mais on a soin cependant qu’il ne s’y représente rien que de modeste et que d’honnête. L’Université de Paris en a fait un Règlement exprès dans ses Statuts, et elle en a fait un autre pour bannir les Comédiens de l’étendue de sa Juridiction, afin d’ôter aux Ecoliers les occasions de se dissiper et de se corrompre.
C’est donc bien mal à propos que le Docteur fait comparaison des Comédiens de profession
avec les jeunes gens que l’on exerce dans les Collèges, et qu’il prétend que les uns ne
sont pas plus infâmes que les autres. Qu’il lise les Lois, et il verra qu’elles font
tomber l’infamie « sur ceux qui font métier de jouer sur le Théâtre, et qui en
tirent un gain et un profit honteux»
, ainsi que font nos Comédiens ; et que par
conséquent elle ne s’étend point à des jeunes gens, à qui on ne fait déclamer que des
Pièces honnêtes, et en forme d’exercice seulement, afin de les disposer à paraître
quelques joursn
avec plus de liberté et de hardiesse dans les emplois publics.
Quoique l’on exempte d’infamie les jeunes gens que l’on fait déclamer dans les Collèges, on ne voudrait pas pour cela garantir de péché les Professeurs qui font représenter des Pièces avec un appareil qui ressent la vanité des Spectacles mondains ; où l’on fait paraître des garçons habillés en filles, ce qui est condamné par les Lois divines et humaines ; et où l’on fait danser des ballets souvent à grands frais, qui ne peuvent néanmoins jamais servir à former ni l’esprit ni les mœurs des Ecoliers.
Notre Docteur emploie une autre espèce de lexiveo pour effacer la tache d’infamie dont les Comédiens se trouvent
marqués dans les Lois Impériales. « Le ◀temps▶, dit-il, qui
change, fait tout changer avec lui ; ainsi tel était autrefois infâme, qui ne l’est plus
aujourd’hui. Un Cabaretier, par exemple, n’était pas reçu autrefois en témoignage, et on
le traite aujourd’hui d’honorable homme : les Médecins autrefois furent chassés de Rome
comme gens infâmes ; et dans l’élévation où ils sont aujourd’hui, reste-t-il le moindre
vestige de leur infamie ? Pourquoi donc y en aura-t-il dans une profession toute pleine
d’esprit ? et qui est aujourd’hui, par les soins que tant d’honnêtes gens se sont
donnés, moins l’école du vice que celle de la vertu. Les Comédiens doivent donc être mis
aujourd’hui au nombre des honnêtes gens ; et ils y sont si bien, que la Comédie ne fait
point dégénérer la Noblesse : témoin Floridor, qui fut un des plus grands Comédiens que
la France ait eus, qui était né Gentilhomme, et qui dans la recherche de la Noblesse fut
reçu à faire preuve de la sienne.»
Cette lexive, quelque excellente qu’elle paraisse à notre Docteur, n’a pas encore enlevé la tache des Comédiens : le ◀temps▶ avec tous ses changements n’a point encore couvert leur infamie ; c’est en eux une espèce de caractère ineffaçable. Il n’en va pas de même que de celle des Cabaretiers et des Médecins : les Cabaretiers et les Médecins exercent une profession nécessaire dans la République et à la vie ; ainsi elle peut être réduite aux termes de la nécessité, et en ce cas loin d’être infâme, elle devient louable, et on doit même quelque honneur à ceux qui l’exercent. Mais la profession des Comédiens n’est nullement nécessaire ; c’est un métier qui n’est pas l’ouvrage de Dieu, et qui n’a été inventé du Démon ou des hommes que pour la volupté, et que pour une volupté piquante et toute sensuelle ; en sorte qu’il faut rire ou pleurer de joie à la Comédie, ou enfin y être transporté agréablement de quelque autre passion, sans quoi le Théâtre serait désert, et la Comédie ne serait plus Comédie. Ainsi la Comédie n’étant pas susceptible d’une modération honnête, et ne pouvant jamais devenir une école de vertu, comme la baptise aujourd’hui notre Docteur ; ce n’est pas merveille si les Cabaretiers et les Médecins ont secoué l’infamie, et que les Comédiens en demeurent toujours chargés.
Il est vrai que le Cardinal de Richelieu pensant qu’on pouvait les débarbouiller, procura la Déclaration de 1641. par laquelle Louis XIII réhabilite les Comédiens, qui avaient toujours jusques alors été tenus pour infâmes : mais c’est à condition néanmoins qu’ils s’abstiendraient à l’avenir de toute représentation qui pourrait blesser l’honnêteté, et que dans toutes leurs actions ils n’excèderaient point les bornes de la Modestie chrétienne. Le Cardinal de Richelieu avait cru que ces conditions était compatibles avec les divertissements qu’on cherche à la Comédie : mais l’expérience a fait voir le contraire ; la Scène depuis ce ◀temps▶-là n’a point changé de face, on a représenté depuis comme auparavant des Pièces purement Comiques, on a joué des farces, on a dansé des ballets, les décorations ont été également pompeuses, les Acteurs et les Actrices ont paru avec les mêmes airs et les mêmes ajustements, les passions les plus vives et les plus piquantes, ont éclaté dans les Pièces les plus sérieuses ; et quand on pense dire son sentiment là-dessus, on répond que sans tout cela les Acteurs et les Spectateurs se morfondraient également au Théâtre, tant il est vrai que la Comédie sera toujours Comédie, et les Comédiens toujours Comédiens, c’est-à-dire, toujours infâmes. Car quant à l’exemple de Floridor, à qui la Noblesse, dit-on, a été conservée, il ne prouve autre chose, sinon que le Roi est le Maître, et qu’il fait grâce à qui il lui plaît : nous n’empêcherons pas que le Docteur et ses Confrères ne s’adressent de même à Sa Majesté pour se faire réhabiliter, s’ils se sont autrefois piqué de Noblesse ; mais en attendant, il ne faut pas qu’ils se tiennent pour bien lavés de la tache d’infamie qu’ils ont tous sur le corps.
Voyons s’ils se relèveront mieux des Censures que l’Eglise prononce contre eux : car
c’est où notre Docteur nous conduit par une autre objection que son Ami apparemment lui
avait faite, et à qui il adresse ces paroles dédaigneuses : « Des Docteurs,
dites-vous, ou du moins qui se piquent de l’être, vous ont montré certains Rituels qui
défendent aux Confesseurs d’administrer les Sacrements aux Comédiens ; ce qu’ils
confirment par plusieurs Conciles. »
Voilà l’objection ; et
voici la
réponse. « Je réponds à cela, dit-il, qu’il est constant
que ces Rituels et les Canons de ces Conciles, n’en veulent qu’aux Comédiens qui jouent
des Pièces scandaleuses, ou qui ne les représentent pas assez honnêtement. »
Cette réponse suppose toujours ce qui est en question, savoir que les Comédies
d’aujourd’hui n’ont rien que d’honnête et de modeste. Mais il faut voir comment il la
brode : « Vous me ferez plaisir, continue-t-il, en parlant à
son Ami, de prier ceux qui vous apportent de ces sortes d’arguments, de vous
dire la différence qu’ils mettent entre les autres jeux et les Comédies ; car pour les
Rituels, les Canons et les Conciles, ils n’y en mettent aucune, défendant également tous
les jeux. »
Et après avoir fait montre de son érudition, en citant quelques
endroits des Conciles et des Pères, où les jeux de hasard sont étroitement défendus, comme
si quelqu’un en doutait, il tire une conclusion tout à fait digne de lui :
« Cependant, dit-il, vos Docteurs qui font sonner si
haut les Pères et les Conciles, n’en suivent pas si scrupuleusement les décisions contre
les jeux : nous voyons que ce qu’il y a d’Abbés, de Prêtres, d’Evêques et
d’Ecclésiastiques,
ne font point de difficulté de jouer, et qu’ils
prétendent que toutes ces Censures des Pères de l’Eglise, ne doivent s’entendre que de
l’excès du jeu. Pourquoi donc ne pas dire la même chose de la Comédie ? Et refuser de
justes adoucissements en sa faveur, puisqu’on en trouve si facilement à l’égard des
autres jeux. »
Je dis que cette conclusion est tout à fait digne d’un Docteur de Théâtre : elle en a
toute l’impudence, en blasonnant d’un seul trait tout l’Etat Ecclésiastique, et en
composant non pas un Concile, mais une Académie de Joueurs, « de tout ce qu’il y a
d’Abbés, de Prêtres, d’Evêques et d’Ecclésiastiques »
. S’il n’avait parlé que de
quelques Abbés et de quelques Ecclésiastiques, on aurait peut-être pu les lui abandonner :
mais de n’en excepter aucun, c’est ce qu’on ne peut lui passer, non plus que la
conséquence qu’il tire en faveur de la Comédie, de ce qu’il y a quelques Abbés et quelques
Ecclésiastiques qui jouent à des jeux de hasard : car les Canons pour cela n’en sont pas
moins Canons ; et les Comédiens ne sont pas plus absous des Censures de l’Eglise par la
licence de ces Abbés, que ces Abbés le sont par la licence des Comédiens.
Notre Docteur pousse son impudence encore plus loin ; il se mêle de faire
interroger les Evêques sur faits et articles, et les oblige de prononcer de vive voix
l’absolution des Comédiens, ou en tout cas de les autoriser par leur silence :
« D’ailleurs, dit-il, quand on demande aux Evêques et
aux Prélats ce qu’ils pensent de la Comédie, ils protestent que quand elle est honnête,
et qu’il n’y a rien dedans qui blesse les Mœurs et le Christianisme, ils ne prétendent
point la censurer : et, quand ils ne le diraient pas, on peut le conjecturer de leur
conduite, puisque dans les Diocèses où l’on se sert de ces Rituels, on ne laisse pas d’y
jouer la Comédie, qui y est soufferte, et peut-être approuvée. »
Il faut être bien hardi pour faire jurer des Evêques sur une telle matière ; et il ne le faut pas être moins pour leur faire approuver par leur conduite ce qu’ils condamnent dans leurs Rituels. Mais ce sont là de ces libertés de Théâtre qui ne laissent pas d’être honnêtes, et de ne blesser en rien le Christianisme, ainsi que parle le Docteur ; mais peut-il s’imaginer qu’on l’en croira sur sa parole ?
Il n’en demeure pourtant pas là ; il veut être autorisé dans la défense de la
Comédie par l’Archevêque de la Capitale du Royaume : « L’illustre et sage
Prélat, dit-il, qui gouverne avec tant de succès ce grand
Diocèse, et qui ne laisse rien échapper à ses soins et à son zèle, n’emploierait-il pas
toute son autorité pour ôter cette pierre de scandale du milieu de son Troupeau, s’il
était vrai que la Comédie fut scandaleuse ? »
Notre Docteur est ici bien loin de son conte ; il vient se briser contre la colonne même
dont il pense se faire un appui. L’illustre et sage Prélat dont il parle, et qui n’attend
pas après ses éloges, est celui-là même qu’on peut mettre à la tête des Prélats qui
foudroient la Comédie avec plus de force et avec plus de zèle. Que peut-il faire davantage
dans l’exercice de la Juridiction Ecclésiastique pour bannir la Comédie de son Diocèse,
que de défendre dans son Rituel d’admettre les Comédiens à la sacrée Communion, et de les
faire déclarer tous les Dimanches aux Prônes des Paroisses, « excommuniés et
manifestement infâmes»
, tout ainsi que les « sorciers, les magiciens et
les blasphémateurs»
. Et pour marque que ce grand Prélat n’approuve point par sa
conduite ce qu’il condamne si formellement dans son Rituel, il n’y a qu’à se
souvenir de la manière dont il en usa à l’égard d’un célèbre Comédien, dont une mort
funeste arrivée sur le Théâtre, fut la catastrophe terrible de sa dernière Pièce, et qu’il
ne voulut être inhumé que la nuit, et à la façon des Huguenots, nonobstant toutes les
sollicitations qui lui furent faites alors.
Si les Comédiens ne cessent donc point de jouer à Paris, ce n’est pas une marque de l’approbation que Monseigneur l’Archevêque leur donne, mais bien un effet de leur désobéissance aux Ordres de l’Eglise, et d’un aveuglement pitoyable qui leur fait préférer un métier infâme, et l’intérêt d’un gain sordide, à une bonne renommée et à leur propre salut.
Il y a apparence aussi que notre Docteur se défie de l’efficacité des preuves qu’il a
apportées jusqu’à présent pour justifier la Comédie ; il en appelle à soi-même, et il
emploie son autorité comme un surtout, et comme un supplément à tous les moyens dont il
s’est servi. « Pour moi, dit-il, de la manière qu’on joue
la Comédie à Paris, je n’y vois rien de criminel. Il est vrai que je n’en puis porter un
jugement bien décisif, puisque je n’y suis jamais allé ; et qu’étant Prêtre, et
que devant l’exemple aux Fidèles, je ferais autant de scrupule de m’y trouver
que dans aucune autre assemblée du monde, dont notre état nous doit éloigner : mais il y
a trois moyens pour savoir ce qui s’y passe ; et je me suis servi de tous les
trois. »
Cette nouvelle entrée du Docteur, si on y prend garde, a quelque chose qui ne lui est pas ordinaire ; il y paraît modeste et scrupuleux. Il avoue que son jugement ne doit pas passer pour décisif : et il avoue de même qu’étant Prêtre et que devant l’exemple aux Fidèles, il n’a jamais été à la Comédie et qu’il en a fait scrupule. Il nous faut profiter de tout : il y a donc enfin au moins un Prêtre dans l’Eglise de Dieu qui fait scrupule d’aller à la Comédie, et qui s’en abstient pour donner l’exemple aux Fidèles ; exemple apparemment qu’il veut être suivi : mais ce qui est de merveilleux, c’est que ce Prêtre est le Docteur même, qui faisait il n’y a qu’un moment aller impunément les Evêques et le Pape à la Comédie, et qui emploie encore ailleurs cet argument pour montrer qu’elle n’a rien que d’honnête : qu’il prenne la peine, s’il lui plaît, de s’accorder là-dessus avec lui-même.
Quant au jugement qu’il porte en faveur de la Comédie, comme il nous avertit qu’il ne doit pas passer pour décisif, nous nous le tiendrons pour dit, et nous lui promettons de n’y avoir pas plus d’égard que de raison : écoutons cependant les trois moyens dont il s’est servi pour former ce jugement.
« Le premier, dit-il, a été de s’en informer à des gens
de poids et de probités ; le second, a été la Confession des Fidèles ; et le troisième,
la lecture des Comédies. »
Il reprend ces trois moyens l’un après l’autre, et
les brode du mieux qu’il peut.
Voici un commencement de la broderie du premier. « Mille gens d’une éminente vertu
et d’une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, ont été obligés de
m’avouer qu’à l’heure qu’il est la Comédie est si épurée sur le Théâtre Français, qu’il
n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne pût entendre. Tous les jours à la Cour les
Evêques, les Cardinaux et les Nonces du Pape, ne font point de difficulté d’y assister ;
et il n’y aurait pas moins d’impudence que de folie, de conclure que tous ces grands
Prélats sont des impies et des libertins, puisqu’ils autorisent le crime par leur
présence. C’est bien plutôt une marque que la Comédie est si pure et si
régulière, qu’il n’y peut avoir de honte ni de scrupule à s’y trouver. »
Quoi ! Notre Docteur lui-même faisait tout présentement scrupule d’assister à la Comédie, à cause de sa qualité de Prêtre qui l’oblige de donner l’exemple aux Fidèles, et voici qu’il y conduit en foule les Evêques, les Cardinaux, et les Nonces du Pape, avec assurance qu’il ne peut y avoir ni honte ni scandale à s’y trouver : il y a là-dedans une contradiction manifeste. Mais il n’y a pas moins d’impudence à assurer, comme il fait, que les Evêques, les Cardinaux, et les Nonces du Pape ne font point de difficulté d’assister aux Comédies qui se représentent à la Cour. Ne serait-il pas un jugement plus équitable, s’il disait que si quelquefois des Prélats qui se trouvent à la Cour, assistent à ces sortes de représentations, c’est qu’ils y sont entraînés par le torrent des Courtisans, et non pas qu’ils y aillent avec inclination et de leur gré ?
Il n’y a point non plus, « de personnes d’une éminente vertu, et d’une conscience
fort délicate et scrupuleuse»
, qui puissent lui avoir dit des nouvelles de la
Comédie, et l’avoir assuré « qu’à l’heure qu’il est tout y est si
épuré, qu’il n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre »
. Ce ne
sont point de ces sortes de personnes qui fréquentent les Spectacles, et qui en savent des
nouvelles ; elles en ont de l’horreur, loin d’y aller chercher du plaisir. On sait le
genre de personnes qui ont coutume d’aller à la Comédie, et qui en peuvent dire du bien ;
mais leur témoignage sera toujours douteux, et ne sera pas exempt de reproches. Et si
elles assurent qu’elles ne s’y sentent pas émues, on pourra leur répliquer que les
ladresp ne sentent pas
non plus quand on les pique.
Que notre Docteur s’en rapporte plutôt au sentiment d’un Homme, qui n’est ni scrupuleux
ni libertin, et qui fait métier de dire des vérités d’une manière assez sèche et sans
beaucoup flatter les gens. J’entends parler de « l’agréable Boileau»
, pour
qui notre Docteur aura peut-être plus de déférence et de ménagement que pour Tertullien et
que pour saint Chrysostome : du moins est-il sûr qu’il ne dira pas que ce Satirique ait
parlé de la Comédie du ◀temps▶ passé, comme il a dit des anciens Pères, puisque c’est dans
sa dernière Satire contre les
femmes qu’il s’en explique, et qu’il fait
entendre à son Ami, un peu trop crédule, qu’une jeunesse innocente peut aisément se
corrompre à l’Opéra et à la Comédie.
Le Docteur poursuit de broder le premier moyen de sa persuasion, par une réflexion tout à
fait indiscrète, et qu’il croit néanmoins fort judicieuse. « J’ai fait encore
quelquefois, dit-il, une réflexion qui me paraît assez
judicieuse, en jetant les yeux sur les affiches qu’on lit aux coins des rues, où l’on
invite toutes sortes de personnes de venir à la Comédie et aux autres Spectacles qui se
jouent avec Privilège du Roi. »
Un argument en matière de Théologie, tiré des affiches des coins des rues, est sans doute une chose bien rare. On ne s’était point encore avisé de ce lieu Théologique : et il était même échappé à la diligence de Melchior Canus, qui a fait un dénombrement assez exact des lieux communs de Théologie. Ce n’est pas que celui-ci ne soit des plus communs, il est même si commun qu’il est trivial, puisqu’il est pris des carrefours des rues ; mais c’est qu’assurément il a peu de rapport à une conclusion vraiment Théologique. Cependant notre Docteur le met en œuvre comme quelque chose de fort bon ; et effectivement c’est un vrai lieu commun pour les Docteurs de Théâtre ; car comme les affiches des rues leur tiennent lieu d’écriture, il semble qu’ils ont droit d’en tirer des arguments pour établir leur doctrine Théâtrale. Il ne faut donc pas leur envier cette Faculté, bien entendu qu’on ne fera pas plus de cas de leurs conclusions que de leurs principes.
Mais notre Docteur fait une instance. « Ces affiches,
dit-il, invitent à la Comédie et à d’autres Spectacles qui se jouent avec
Privilège de Sa Majesté. Les Magistrats n’en empêchent pas la publication ; et Sa
Majesté même n’a pas dédaigné d’y assister en personne. C’est donc une marque que ni
l’Eglise ni la Cour n’ont rien reconnu dans les Comédies d’aujourd’hui qui puisse
empêcher les Chrétiens d’y assister. »
Je ne sais de quoi notre Docteur s’avise de mêler ici l’Eglise avec la Cour dans sa belle
conclusion ; il n’en avait pas fait de mention dans ses principes. Mais c’est peut-être
qu’il s’est aperçu que la Cour toute seule n’était pas compétente pour juger d’un fait de
Religion, et en cela il ne s’est pas trompé : Mais à cela
près, examinons les
principes d’où il tire sa conclusion. « Les affiches des coins des rues, dit-il, invitent à la Comédie et à des Spectacles qui se jouent
avec Privilège du Roi ; les Magistrats ne les empêchent pas, et Sa Majesté quelquefois
n’a pas dédaigné d’y assister en personne. »
Si notre Docteur avait été bien sage, il n’aurait point employé le nom, et moins encore l’exemple de Sa Majesté dans une matière Théâtrale, et dans une cause aussi odieuse qu’est celle-ci. Mais comme les insectes aiment à se mettre au Soleil aussi bien que les Aigles, il n’y a point de Charlatan, point d’Opérateur, point de Saltimbanque, et enfin point de cette sorte d’engeance, qui ne tâche de se parer du nom du Roi.
« Mais les Magistrats ne s’y opposent pas »
, dit le Docteur. A cela je lui
répondrai ce que me dit un jour un célèbre Magistrat, qui vit encore aujourd’hui et qui
est encore en place. Je lui faisais à peu près la même difficulté sur un autre fait de
Police, et voici comme il me ferma la bouche : « Monsieur, me
dit-il, le Corps politique a sa vermine aussi bien que le Corps naturel ; et
quelque soin que nous prenions de l’en purger, il ne
nous est pas
possible.»
Notre Docteur méditera, s’il lui plaît, sur cette réponse ; je ne
pouvais lui rien dire ni de meilleur ni de plus juste.
Mais afin qu’il ne s’imagine pas encore après cela, que les Magistrats autorisent les
Comédiens en France, il n’a pour se désabuser qu’à consulter les Registres du Parlement de
Paris, il verra comme ils y sont traités, et il y trouvera plusieurs Arrêts qui leur
défendent de jouer, « à peine d’amende arbitraire et de punition corporelle,
quelques Permissions qu’ils eussent impétrées »
. Ce sont les termes des Arrêts
de 1584. et de 1588.
Quant à ce qu’il a l’audace de citer l’exemple de Sa Majesté, laquelle, dit-il,
« n’a pas dédaigné autrefois d’assister aux Spectacles »
. Premièrement,
il parle d’un ◀temps▶ passé, et en cela il me fait un grand plaisir. Mais si Sa Majesté a
assisté autrefois aux Spectacles, elle a pu avoir des raisons de politique qui ne sont pas
du ressort du Docteur ni du mien : et ça a été peut-être avec la confiance que sa présence
imprimerait assez de respect, tant aux Acteurs qu’aux Spectateurs, pour les contenir les
uns et les autres dans les termes de la modestie. Peut-être aussi que si on avait fait
connaître à Sa
Majesté le peu de convenance qu’il y a du plaisir des
Spectacles avec la pureté du Christianisme, et de la Religion qu’elle professe, elle
n’aurait pas moins fait éclater son zèle contre la Comédie, que firent autrefois saint
Louis et Philippe Auguste, en bannissant les Comédiens du Royaume : qui a su chasser les
Huguenots de ses Etats, en pourrait bien exterminer la race des Comédiens. Mais enfin, il
ne nous appartient pas de raisonner sur la conduite de notre Souverain : le parti que de
fidèles Sujets et de bons Français ont à prendre, est de prier Dieu pour Sa Majesté et
pour ses Conseils, tant de conscience que de politique. Il serait à souhaiter que notre
Docteur n’en eût point pris d’autre, au lieu de s’étendre si fort et si mal à propos sur
son premier motif de persuasion.
Son second motif de crédibilité ou de crédulité, est encore un peu plus impertinent que
le premier : c’est la voie des Confessions. « Je n’ai jamais pu, dit-il, par leur moyen entrevoir cette prétendue malignité de la Comédie :
car si elle était la source de tant de crimes, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait que les
riches et ceux qui ont le moyen d’y aller qui fussent les plus grands pécheurs ; et nous
voyons cependant que cela bien égal, et que les pauvres qui ne savent pas
ce que c’est que la Comédie, ne tombent pas moins dans les crimes de colère, d’impureté
et d’ambition : j’aime donc mieux conclure avec plus de vraisemblance, que ces péchés
sont des effets de la malice ou de la faiblesse humaine, qui de toutes sortes d’objets
indifféremment prennent occasion de pécher. »
On ne se serait point douté que notre Docteur fît le métier de confesser, s’il n’en avait
averti ; car ce métier est un peu sérieux pour un Docteur de Théâtre : il nous assure
cependant que c’est là un des moyens dont il s’est servi pour s’endoctriner sur le fait de
la Comédie. Mais enfin, qu’a-t-il appris par-là ? Le voici : « C’est, dit-il, que les pauvres qui ne vont point à la Comédie, ne
pèchent pas moins que les riches qui ont le moyen d’y aller, et que par conséquent la
Comédie ne produit aucun mauvais effet dans ceux qui s’y rencontrent. »
Beau raisonnement pour un Docteur Confesseur ! Qui lui a dit que si ces riches qu’il a confessés n’avaient point du tout été à la Comédie, ils n’auraient pas moins péché que les pauvres, par la bonne éducation qu’ils ont au-dessus des pauvres ? Qui lui a dit de même que si les pauvres y avaient été comme les riches, ils n’auraient pas péché plus que les riches ? Mais n’y a-t-il pas aussi d’autres sources des désordres des pauvres que la Comédie ? Et sans parler de leur peu d’éducation et de leur pauvreté même, qui quelquefois leur est une tentation presque insurmontable, la canaille n’a-t-elle pas ses Spectacles au Pont neuf aussi bien que les riches à l’Hôtel de Bourgogne ? Le Docteur aurait donc bien mieux fait de garder le silence sur les Confessions qu’il a entendues et qu’il devrait avoir oubliées. Aussi, Dieu a-t-il permis que voulant en tirer des lumières en faveur de la Comédie, il s’est aveuglé lui-même, ne sachant proprement ce qu’il veut dire.
Reste donc son troisième motif de persuasion, à savoir la lecture des Comédies : sur quoi
il nous fait cette Confession. « Je suis obligé d’avouer,
dit-il, qu’il ne m’en est jamais tombé aucune sous les mains où j’ai trouvé rien
d’indécent ni de déshonnête, qui pût en quelque manière blesser le Christianisme ou la
pureté des Mœurs. »
Il faut le féliciter du bonheur qu’il a eu de si bien rencontrer : mais n’est-ce
pas aussi qu’il n’est pas délicat sur l’article ? Je lui conseille en tout cas
de s’en tenir à sa bonne fortune, et de ne pas lire davantage de ces sortes de Pièces, qui
ne sont pas toutes aussi honnêtes qu’il se le persuade, et dont la lecture ne convient
guère à un Prêtre, qui doit éviter jusqu’aux lectures inutiles. Or c’est la moindre note
que l’on puisse donner aux lectures des Comédies. Et en effet (pour le prouver par
lui-même) quel profit en a-t-il tiré ? Il ne nous paraît pas qu’il y ait appris autre
chose qu’à les approuver. Or son approbation et rien, c’est la même chose, surtout après
qu’il a eu la bonté de nous avertir « que son jugement en cette matière ne devait
pas passer pour décisif»
; à quoi nous voulons bien nous en tenir.
C’était ici l’endroit où le Docteur pouvait finir son rôle ; mais il le pousse encore
plus loin : « Voulant aussi, dit-il, examiner les
précautions avec lesquelles les Docteurs permettent que l’on aille à la
Comédie. »
Il dit donc, « que suivant saint Thomas, saint Bonaventure, saint Antonin et
Albert le Grand, il faut dans les jeux prendre garde à trois choses : la première, qu’on
ne cherche pas le plaisir dans
des paroles ou dans des actions
déshonnêtes ; la seconde, qu’en voulant donner quelque relâche à l’esprit, on ne perde
point la gravité et l’harmonie de l’âme ; et la troisième, que les jeux conviennent aux
personnes, aux lieux et aux ◀temps▶. Or il est aisé, à ce qu’il
dit, de faire voir qu’aucune de ces conditions ne manque à la Comédie
d’aujourd’hui, et que par conséquent elle est bonne et entièrement
permise. »
Suivons-le jusqu’au bout, et en supposant avec lui qu’il ne faut que ces trois conditions pour supporter les Comédies, quoique saint François de Sales en ait demandé bien d’autres, voyons quel est l’examen qu’il en fait, et dont il nous fait fête par avance.
Quant à la première condition ; il croit, dit-il,« avoir suffisamment prouvé que
les Comédies d’aujourd’hui sont châtiées et exemptes de toute action et de toute parole
déshonnête »
. Il en prend son Ami à témoin, il insulte à ceux qui ne sont pas de
son avis ; et il traite de Réformateur un des plus grands hommes du siècle, parce qu’il
soutient que dans les Comédies d’aujourd’hui il y reste toujours quelque chose de la
première corruption des Spectacles ; et que
d’y assister, c’est s’exposer à
faire naître des passions que les Chrétiens sont obligés de réprimer avec toute
l’application dont ils sont capables.
« Belles paroles, dit-il en se raillant, pour un Orateur
austère, mais peu solides pour un Théologien équitable. Quelle différence n’y a-t-il pas
entre des actions et des paroles qui peuvent par hasard exciter les passions, et celles
qui les excitent en effet ? Les dernières sont absolument défendues et criminelles ;
mais pour les premières, telles que sont les Comédies d’aujourd’hui, qui n’excitent les
passions que par hasard, il n’y aurait rien de plus outré et de plus injuste que de les
condamner, autrement il ne faudrait pas qu’une belle femme allât à l’Eglise, de peur d’y
exciter la passion d’un libertin : il ne faudrait pas lire les Histoires, parce qu’elles
se servent de paroles qui expriment les passions, et qu’elles rapportent des actions
éclatantes dont elles ont été la cause. On ne devrait pas même lire l’Ecriture sainte,
puisqu’elle est la cause innocente de toutes les Hérésies, qui, selon saint Jérôme,
naissent pour l’ordinaire d’une parole mal entendue ou malicieusement
expliquée.»
Notre Docteur établit ici son triomphe
sur une victoire un peu imaginaire.
Il croit, dit-il, « avoir suffisamment montré que les Comédies d’aujourd’hui sont
tout à fait châtiées, et qu’elles n’ont rien que de modéré et que d’honnête »
.
Mais on lui a fait assez voir la faiblesse de ses preuves ; et on lui soutient encore avec
les plus habiles gens et les meilleurs connaisseurs, que dans les Comédies mêmes que l’on
joue aujourd’hui, il reste toujours quelque chose de la première corruption des
Spectacles ; qu’on y étale encore tout ce que le monde a de plus vain et de plus pompeux,
qu’on y fait toute sorte d’efforts pour enchanter les yeux et les oreilles ; et qu’on n’y
épargne rien de tout ce qui peut séduire le cœur par le remuement des passions, dont on
fait jouer souvent les ressorts les plus fins sous de belles apparences de vertus : en
sorte qu’un Comédien croirait avoir perdu son ◀temps▶ s’il n’avait causé quelque émotion et
fait quelque brèche au cœur de ses Spectateurs ; et que les Spectateurs de même croiraient
avoir perdu leur argent s’ils sortaient de la Comédie aussi froids qu’ils y sont entrés.
Et ainsi ce n’est point un hasard que les Comédies excitent les passions, comme l’assure
notre Docteur, mais ce serait un
miracle si elles ne les excitaient pas.
Les belles comparaisons après cela que fait ici notre Docteur, quand il nous dit :
« que s’il était défendu d’aller à la Comédie, une belle femme ne devrait point
aller à l’Eglise, de peur d’y exciter la passion de quelque libertin ; qu’on ne devrait
pas lire les Histoires, parce qu’elles rapportent des faits éclatants dont les passions
ont été la cause ; et qu’on ne devrait pas même lire l’Ecriture sainte, parce qu’elle
peut être l’occasion des Hérésies et des erreurs»
. Comme si une belle femme
n’était belle et n’allait à l’Eglise que pour exciter la passion d’un libertin, de même
qu’une Comédienne n’est Comédienne, et ne monte sur le Théâtre que pour donner du plaisir
à ses Spectateurs : comme si des Histoires muettes et qui racontent des événements d’une
manière simple et naturelle, faisaient la même impression que des discours et des actions
animées, qui expriment les passions avec toute la véhémence et tout l’art imaginable : et
comme si l’Ecriture sainte enfin n’avait été dictée du Saint Esprit que pour induire et
jeter les hommes dans l’erreur, de même qu’on ne compose des Comédies que pour les
transporter dans le plaisir. Qu’il y aurait
de choses à dire là-dessus à
notre Docteur, qui ne se soucie pas de damner les gens, pourvu que ce ne soit que par
accident et que par hasard.
Mais ce n’est pourtant pas par accident ni par hasard que les Comédies excitent les passions ; ce n’est pas par une occasion prise, ainsi que parle le Docteur, mais par une occasion bien donnée et bien préparée ; puisque les Comédies avec tous leurs accompagnements, ne tendent qu’à donner du plaisir et à remuer agréablement les passions.
Et par là on voit qu’il est impossible que la gravité et l’harmonie de l’âme ne se perde point dans les Spectacles : ce qui est néanmoins la seconde condition que saint Thomas demande dans l’usage des jeux, et que notre Docteur s’efforce d’ajuster au Théâtre.
Passons avec lui à la troisième condition, qui consiste à prendre garde aux circonstances des ◀temps▶, des lieux et des personnes.
C’est ici la dernière Scène de la Pièce de notre Docteur, qui n’est pas moins abondante en paradoxes que les précédentes.
Il prétend donc premièrement que la circonstance des ◀temps▶ est parfaitement
bien gardée dans la Comédie ; « parce qu’elles ne durent pas depuis le matin
jusqu’au soir ; mais qu’elles ne commencent qu’à cinq ou six heures du soir, et ne
durent que jusqu’à huit : ce qui n’est pas un ◀temps▶ trop long, mais raisonnable pour se
divertir »
.
Ce ◀temps▶ effectivement est assez raisonnable pour se divertir à des jeux innocents. Il y a même bien des honnêtes gens qui se passeraient à moins : mais il n’est que trop long pour se divertir à la Comédie, qui ne doit pas même occuper un moment de la vie d’un Chrétien, à cause des dangers qui l’accompagnent.
Le Docteur n’en demeure pas là, il étend son indulgence jusqu’au saint ◀temps▶ des Fêtes et des Dimanches, et jusqu’au ◀temps▶ consacré à la pénitence et aux pleurs : il faut l’entendre prêcher là-dessus.
« Il est vrai, dit-il, qu’on joue en des ◀temps▶ saints,
comme les jours de Fête et de Dimanche, et pendant tout le Carême, ◀temps▶ consacré à la
pénitence, ◀temps▶ de larmes et de douleurs pour les Chrétiens ; ou, pour me servir des
termes de l’Ecriture, ◀temps▶ où la Musique doit être importune, et auquel les Spectacles
et la Comédie, ce semble, devraient être
défendus. Je réponds à cela avec
les propres paroles de saint Thomas, que dans ces sortes de jeux le Pénitent doit se
comporter autrement que les autres, lui qui doit chercher les larmes de la pénitence ;
qu’il peut toutefois en user modérément comme d’une honnête récréation de l’esprit, ou
pour entretenir la société avec ceux avec qui il est obligé de vivre : d’où l’on peut
inférer, qu’à la vérité les Chrétiens doivent moins fréquenter ces sortes de Spectacles
pendant le Carême ; non pas qu’ils soient défendus, mais parce que leur état les oblige
a se mortifier en ce ◀temps▶. De plus, que les Comédiens qui jouent tout les jours ne
pèchent point, parce qu’étant dévoués au Public, c’est moins pour leur divertissement
qu’ils jouent que pour celui des autres ; et qu’ils peuvent jouer tous les jours, parce
que tous les jours il se peut trouver des particuliers qui veulent prendre une
récréation modérée. »
Quel étrange Evangile, Monsieur ! Cet exposé seul ne vous fait-il pas horreur ? Quoi ! dans ce saint ◀temps▶, qui, de l’aveu même du Docteur, est consacré à la pénitence, qui est un ◀temps▶ de larmes et de douleurs pour les Chrétiens, et auquel la Musique doit être importune, suivant le langage de l’Ecriture ; dans ce saint ◀temps▶, dis-je, il sera permis d’aller à la Comédie et de la jouer tous les jours ? Quelle fureur, quel aveuglement ! Quoi ! On s’abstiendra en Carême des choses les plus innocentes et presque nécessaires à la vie, comme de viande, d’œufs, de laitage, et on ne s’abstiendra pas de la Comédie, qui est une chose de soi criminelle, ou tout au moins très dangereuse, et qui n’a été inventée que pour le plaisir, vrai antipode de la pénitence ? Quoi ! Les plus justes sont obligés de se mortifier dans le Carême ; et l’Eglise même, cette chaste Colombe, est plongée en ce saint ◀temps▶ dans le deuil et dans les pleurs, tant pour la mort de son Epoux que pour les crimes de ses enfants ; et les Comédiens auront le privilège de se réjouir et de réjouir les autres durant tout ce ◀temps▶ ? Et ils pourront même y jouer tous les jours, parce que tous les jours il peut se trouver des gens qui veulent se divertir ? Quel sera donc enfin le Carême des Comédiens ? Et s’il n’y a pas de Carême pour eux, quelle en sera la Pâque ? L’Eglise après cela aura-t-elle tort de les excommunier, puisqu’ils s’excommunient ainsi d’eux-mêmes ?
Mais saint Thomas, dit le Docteur, permet à un Pénitent de prendre quelque divertissement pour entretenir la société.
Mais cela, lui dirai-je moi, s’appelle-t-il envoyer un Pénitent à la Comédie ? Cela s’appelle-t-il l’y envoyer même en ◀temps▶ de Carême ? Cela veut-il dire enfin que les Comédiens peuvent jouer tous les jours du Carême, afin de divertir tous les jours les Pénitents qui en auront envie ?
Ce sont là cependant les riches conclusions que le Docteur prétend tirer de la doctrine de saint Thomas : comme si saint Thomas avait pu ignorer, ou comme s’il avait méprisé les Canons de l’Eglise sur le fait des Spectacles, de la pénitence et de l’observation du Carême. Car enfin l’Eglise défend les Spectacles à tous les Chrétiens ; et le Docteur veut que saint Thomas les permette même aux Pénitents : l’Eglise les défend sans exception, et pour tous les ◀temps▶ de l’année ; et le Docteur veut que saint Thomas les permette durant tout le saint ◀temps▶ du Carême ; et tout cela, parce que saint Thomas a dit, que pour entretenir la société on pouvait accorder quelque divertissement à un Pénitent. Comme si la Société humaine dépendait uniquement de la Comédie, et comme si sans la Comédie elle ne pouvait se conserver parmi les hommes, même en ◀temps▶ de Carême. En vérité, pour raisonner ainsi, il faudrait non seulement avoir fermé les yeux à toutes les règles de l’Eglise, mais avoir même renoncé à la raison et au bon sens : c’est de quoi néanmoins personne n’accusera saint Thomas ; et ainsi ce ne peut être qu’un effet de l’entêtement de notre Docteur, à qui la Comédie plaît beaucoup plus que le Carême.
Son entêtement va encore plus loin : il ne respecte pas plus les Fêtes et les Dimanches que le Carême : il tâche même de faire entrer la Comédie dans la sanctification des Fêtes et des Dimanches : et il abuse encore de l’autorité de saint Thomas pour soutenir cette vision, comme il a fait pour la précédente.
« A l’égard des Dimanches, remarquez je vous prie, dit-il à
son Ami, que bien que les saints jours nous aient été donnés pour les sanctifier
et pour vaquer plus particulièrement qu’aux autres au Service de Dieu, ils ont encore
été institués pour prendre du repos ; afin qu’à l’exemple de Dieu même qui se reposa le
septième jour, après le grand ouvrage de la Création du monde, nous
puissions aussi nous reposer en quelque manière après avoir travaillé durant la semaine.
Or est-il que, selon saint Thomas, les jeux honnêtes sont permis ce jour-là même pour
soulager l’esprit, et lui donner du repos, qui n’est autre chose, comme ajoute le même
Père, que le plaisir qu’on prend à ces sortes de jeux : il s’ensuit donc par une
conséquence nécessaire, que la Comédie étant du nombre des plaisirs honnêtes, comme nous
l’avons assez prouvé, elle ne doit pas être plus défendue les Dimanches, que les
plaisirs qui en tel jour ne sont pas défendus ; surtout, puisqu’elle ne se joue que dans
un ◀temps▶ propre, et que, grâce à la vigilance des Pasteurs, au zèle des Evêques, à la
piété du Prince et à la dévotion des Fidèles, les Théâtres ne s’ouvrent qu’après que les
Eglises sont fermées, et qu’on ne peut plus abandonner les saints Mystères pour courir
aux Spectacles : d’où je conclus que ce n’est point un péché d’aller le Dimanche à la
Comédie. »
Par ce beau raisonnement qui suppose toujours l’innocence des Comédies, non seulement elles seront permises les Fêtes et les Dimanches, mais il y aura même du mérite à y assister ; et ce sera un moyen pour arriver à la perfection et à la ressemblance de Dieu.
Cela paraît impertinent, et cela l’est effectivement très fort ; mais cela n’est pas cependant moins vrai, suivant notre Docteur : et pour le justifier, il n’y a qu’à réduire ses propositions dans une espèce de forme.
« Dieu se reposa le septième jour »
, dit le Docteur.
« Or le Dimanche est institué, afin que nous nous reposions à son
exemple. »
« Donc ce repos se trouvant dans la Comédie, on peut y aller le Dimanche, afin
d’imiter l’exemple que Dieu nous a donné. »
D’où il s’ensuit que d’aller le Dimanche à la Comédie, ce sera un moyen de tendre à la ressemblance de Dieu, et par conséquent chose tout à fait méritoire.
La dévotion aisée ne s’était point encore avisée de ce secret, et elle n’était jamais allé si loin ; mais voilà les égarements où l’on tombe quand on abandonne les Vérités éternelles, pour suivre le penchant et les inclinations du monde.
Il y a encore une grande impertinence qui s’ensuit de cette doctrine : c’est que la sanctification du Dimanche qui ne peut compatirq avec l’exercice des métiers les plus utiles à la vie, se trouvera en partie dans l’exercice du métier des Comédiens, tout infâme qu’il est. Tous les Artisans et les Boulangers mêmes, i Fornari, suivant les Règles de saint Charles Borromée, doivent s’abstenir de travailler les Fêtes et Dimanches ; et les Comédiens suivant cette doctrine, auront le privilège de jouer les Dimanches : et non seulement ils ne pècheront point en jouant, mais ils satisferont à un des devoirs de leur état qui les oblige de jouer autant de fois qu’il se trouvera des personnes qui voudront se divertir à la Comédie. Mais ce qui est encore de plus surprenant, c’est qu’en cela même ils contribueront à la gloire de Dieu, en procurant un agréable repos à leurs Spectateurs, dans un ◀temps▶ où ils doivent en se reposant imiter son exemple.
Le Docteur prétend se tirer de tous ces inconvénients, en disant qu’il n’approuve les Dimanches que les Comédies qui se jouent hors les ◀temps▶ du Service divin, et après que les Eglises sont fermées.
Mais qui lui à donné le pouvoir, après avoir fait la part de Dieu, de faire aussi celle du Démon ? Le troisième Précepte du Décalogue qui ordonne la sanctification du Dimanche, a-t-il usé de quelque réserve ou de quelque exception ? Et s’il y en avait quelqu’une, pourquoi serait-elle plutôt en faveur des Comédiens que des Artisans, dont les métiers sont utiles et n’ont rien que d’honnête ?
Les Canons et les Lois Impériales en ont bien décidé d’une autre manière ; et saint Charles Borromée qui en a été le fidèle Interprète, n’a jamais montré plus de zèle que contre certains Casuistes relâchés de son ◀temps▶, qui, comme notre Docteur fait encore aujourd’hui, réduisaient la défense d’assister aux Spectacles au seul ◀temps▶ des Offices divins.
« C’est, dit saint Charles au chapitre 12 de son Livre contre
les danses, ce qui a donné lieu aux abus déplorables, et aux désordres qui se
commettent en ces saints jours. Ces Casuistes eussent bien mieux fait de suivre
constamment et de soutenir avec courage la doctrine des Anciens, qui est fondée sur la
discipline de l’Eglise et animée de son Esprit, et de réprimer par la force de la vérité
la licence effrénée des Chrétiens relâchés et vicieux, que de leur montrer une voie
large qui favorise leurs convoitises, et qui >
par conséquent ne peut que
les conduire dans le précipice par des opinions nouvelles, qui n’ont aucun fondement ni
dans la doctrine de l’Eglise ni dans celle des Pères. »
Et dans le chapitre 14 du même Livre : « Ces Casuistes, dit
encore saint Charles, ont fait tort à la vérité ; et ils ont été trop hardis, de
vouloir limiter ainsi par leurs interprétations particulières, l’obligation que les
Canons imposent sans restriction aux Fidèles : ces Auteurs ont eu sans doute plus
d’égard à l’usage de leurs ◀temps▶ qu’à la vérité et à l’esprit de l’Eglise. »
Saint Charles cite ensuite le second Concile de Mâcon pour justifier ce qu’il vient de
dire : « C’est, dit-il, ce que nous font comprendre ces
admirables paroles du Concile de Mâcon : Que le Dimanche vos yeux et vos mains soient
élevés vers Dieu DURANT TOUT LE JOUR. Sint oculi manusque vestra TOTO DIE DOMINICO ad
Deum expansæ. »
Canon 1.
Il confirme la même chose par les Lois des Empereurs, qui défendent absolument les Spectacles aux jours de Fêtes, et il en marque deux qui sont trop belles et trop précises pour ne pas les rapporter ici.
La première est insérée au titre 5 du quinzième Livre du Code Théodosien :
« Nous voulons, dit l’Empereur, que les plaisirs des
Spectacles cessent les jours de Fêtes dans toutes les Villes de notre Empire, afin que
les Fidèles s’occupent TOUT ENTIERS au Service de Dieu : Omni theatrorum atque
circensium voluptate per universas urbes earum populis denegata, TOTÆ CHRISTIANORUM ET
FIDELIUM MENTES Dei cultibus occupentur. »
La seconde est la Loi dernière au Code de Feriis, dont voici les
termes : « Nous ne voulons pas que les jours de Fêtes qui sont dédiés à la Majesté
souveraine de Dieu, soient employés A AUCUNS DIVERTISSEMENTS. Dies Festos Majestati
altissima dedicatos NULLIS volumus VOLUPTATIBUS occupari.»
D’où saint Charles infère que « puisque les Empereurs ont si absolument défendu
toute sorte de jeux et de divertissements séculiers les jours de Fêtes, ce serait faire
injure à la puissance Ecclésiastique, de penser que les saints Evêques aient été moins
exacts dans leurs Ordonnances ; eux qui ne parlent jamais des Spectacles qu’avec horreur
et exécration »
.
L’Eglise de France a l’honneur d’avoir
toujours été très religieuse en ce
point : on le verra en lisant les derniers Conciles Provinciaux qui ont été tenus en
France ; et entre autres le Concile de Paris de 1557, celui de Reims de 1583, et celui de
Tours de la même année. Et il est à remarquer que ce dernier Concile qui fut approuvé par
le saint Siège, défend de représenter des Comédies les Fêtes et Dimanches, « sous
peine d’excommunication ; Sub anathematis poena. Et la raison qu’il en apporte, c’est
qu’il est très absurde qu’aux jours qui sont destinés pour obtenir les effets de la
miséricorde de Dieu, les Fidèles soient détournés par les charmes dont le Diable se sert
pour séduire les âmes »
.
Que notre Docteur apprenne donc mieux son Un seul Dieu, qu’il s’en fasse expliquer le troisième Précepte, qui ordonne la sanctification du Dimanche : mais surtout, qu’il se garde bien de plus s’imaginer qu’en allant à la Comédie le Dimanche, on imite Dieu dans son repos ; c’est une proposition qui n’est point éloignée du blasphème, et qui marque une ignorance très crasse du sens des paroles de la Genèse, qui ne veulent dire autre chose sinon que le septième jour Dieu acheva et mit fin à l’ouvrage de la Création. Il ne s’était pas fatigué en créant le Monde, et il n’avait pas besoin de repos à cet égard. Mais le véritable repos de Dieu consiste dans des actions qui n’ont point de fin, c’est-à-dire, dans la contemplation et dans l’amour éternel de ses perfections infinies : et c’est ce repos que nous devons tâcher d’imiter les Fêtes et les Dimanches, en ne cessant point durant tout le jour de contempler les merveilles de Dieu, de lui donner des marques de notre amour, et de célébrer ses louanges, et non pas en allant à la Comédie. Et ainsi aller à la Comédie ce jour-là, ce n’est point garder la circonstance des ◀temps que saint Thomas et Albert le Grand veulent être observée dans l’usage des jeux ; quand d’ailleurs la Comédie ne porterait pas les marques de sa réprobation, même pour les autres jours.
Pour ce qui est de la circonstance des lieux : s’il n’y avait que cela à reprendre dans les Comédies d’aujourd’hui, elles seraient plus supportables : on avoue qu’en France on ne permet pas qu’elles se jouent dans les Eglises, et qu’on n’y souffre pas même qu’elles se jouent dans les lieux où l’on rend la Justice : mais ce n’est pas par là apparemment que le Docteur en voudrait prouver l’innocence. Car enfin si on les bannit des Eglises et des lieux où l’on rend la Justice, ce n’est pas pour leur trop d’honnêteté ni pour leur trop de modestie.
Quant enfin à la circonstance des personnes, qui est la dernière des trois que saint Thomas et Albert le Grand demandent dans l’usage des jeux, le Docteur prétend qu’elle est admirablement bien gardée dans les Comédies d’aujourd’hui, tant à l’égard de ceux qui les jouent, qu’à l’égard de ceux qui en prennent le divertissement.
« Les Acteurs qui les jouent, dit-il, ne sont point des
personnes consacrées ni vouées au Seigneur ; ce qui serait indécent, je l’avoue ; et si
cela était, je le condamnerais absolument et sans restriction. Car, comme disait saint
Bernard, les bagatelles dans la bouche d’un Séculier, ne sont que des bagatelles ; mais
dans celle d’un Prêtre ou d’un Religieux, ce sont des blasphèmes. Ceux donc qui jouent
la Comédie, sont d’honnêtes gens qui se sont destinés à cet emploi, et qui s’en
acquittent sans scandale, et avec toute sorte de bienséance, à moins que parmi eux il ne
s’en trouve de malhonnêtes, de même qu’en toute autre
profession : alors
leur malice naît de leur propre corruption, et non pas de leur état, ni de la profession
dont ils se mêlent, puisque tous ne leur ressemblent pas. J’en ai confessé et connu
assez particulièrement, qui hors du Théâtre et dans leur famille, menaient la vie du
monde la plus exemplaire : et vous m’avez dit vous-même, que tous en général, prenaient
sur la masse de leur gain de quoi faire des aumônes considérables, dont les Magistrats
et les Supérieurs des Couvents pourraient rendre de bons témoignages. Je doute qu’on
puisse dire la même chose des personnes zélées qui parlent si haut contre
eux.»
Pour dire du bien des Comédiens, il ne fallait pas pour cela penser du mal ni marquer sa méchante humeur contre ceux qui n’en sont pas idolâtres : car enfin ce n’est point un péché de n’aller pas à la Comédie et de ne pas faire l’éloge des Comédiens ; et ainsi le Docteur pouvait se taire là-dessus et se contenter de montrer l’innocence des Comédies par l’innocence des Comédiens ; ce qu’il entreprend ici de faire, et qu’il exécute assez mal.
« Les personnes, dit-il, qui jouent les Comédies, ne
sont point consacrées ni
vouées au Seigneur, c’est-à-dire, qu’elles ne sont ni Prêtres ni Religieux ; et si cela était, il
les condamnerait lui-même »
: c’est là un grand effort pour lui. Mais pourquoi
les condamnerait-il lui-même ? « C’est, ajoute-t-il,
parce que, selon saint Bernard, certaines paroles qui ne sont que des bagatelles dans la
bouche d’un Séculier, deviennent des blasphèmes dans celle d’un Religieux ou d’un
Prêtre. »
Mais je demanderais volontiers à notre Docteur, si ces paroles qui,
selon saint Bernard, sont des blasphèmes dans la bouche d’un Prêtre ou d’un Religieux, ne
sont pas au moins des peccadilles dans celle d’un Séculier, et si ce n’est point assez
pour empêcher un Séculier d’en faire métier et marchandise, ainsi que font les
Comédiens ?
Cependant, selon lui, ceux qui jouent la Comédie sont d’honnêtes gens qui se sont destinés à cet emploi. N’est-ce pas proprement comme s’il disait, que ceux qui jouent la Comédie sont d’honnêtes infâmes ; puisque l’infamie est attachée au métier de Comédiens, ainsi que je l’ai fait voir ?
« Mais il en a confessé, dit-il, qui hors du Théâtre et
dans leur famille, menaient la vie du monde la plus exemplaire. »
Je voudrais que notre Docteur ne mît, pas encore une fois la Confession en
jeu, et qu’il ne fît pas ici un lieu commun d’une chose qui doit être toute sainte et
toute secrète. Mais quand ce qu’il dit serait vrai, cela ne suffirait pas pour canoniser
un Comédien, non plus qu’on ne canonisera pas certaines femmes qui font les béates dans
les Eglises, et qui sont effectivement des enragées dans leur famille ; « Bonum ex
integra causa»
, disent les Philosophes : les hauts et les bas ne se souffrent
point particulièrement dans la vie d’un Chrétien qui doit être toute unie ; et la règle
qui doit l’unir, c’est l’Evangile de Jésus-Christ. Or l’Evangile ordonne entre autres
vertus la gravité et la modestie, qui ne seront jamais le partage des Comédiens.
Et ainsi il ne faut pas qu’ils se vantent trop de leurs aumônes prétendues : je douterais même qu’elles fussent plus agréables à Dieu que celles d’un certain Cordonnier qui dérobait du cuir pour faire des souliers aux pauvres. Car enfin ils ne peuvent faire des aumônes que d’un gain sordide et honteux que saint Augustin condamne, et que l’Eglise n’approuvera jamais.
Il paraît par tout cela que les Comédies ne se sauveront pas à la faveur de l’innocence de ceux qui les jouent. Voyons si elles seront plus heureuses du côté de ceux qui s’en divertissent.
« A l’égard de ceux qui vont à la Comédie, dit le
Docteur, il y en a quelques-uns qu’il serait indécent et scandaleux d’y voir
assister, comme sont les Religieux, et surtout les plus réformés. Et je vous avoue que
j’aurais de la peine à les sauver de péché mortel, aussi bien que les Evêques, les Abbés
et tout les gens constitués en dignité Ecclésiastique : non pas qu’ils assistassent à
des Spectacles mauvais, mais parce qu’étant consacrés à Dieu, ils doivent se priver des
divertissements du siècle ; outre que leur présence en ces sortes de lieux pourrait
causer du scandale, et que, pour me servir des paroles de saint Augustin, ils doivent
mépriser tous les vains amusements du monde, pour ne se nourrir l’esprit que de la
lecture et de la méditation des saintes Lettres. J’en excepte les Comédies qui se jouent
en certains pays, comme à Rome, à Venise et dans toute l’Italie, où il est si ordinaire
de voir des Religieux assister aux Spectacles, que cela est passé en coutume, et qu’il
n’y a plus de scandale à donner ni à recevoir. »
Le Docteur se démasque ici lui-même, et il semble qu’il serait fâché en finissant sa Pièce, de ne pas paraître ce qu’il est, c’est-à-dire, un Docteur de Théâtre, dont le propre est de divertir le monde, en prouvant ce qu’il avance par des absurdités et des contradictions.
Son but est ici, suivant sa proposition, de prouver que dans les Comédies d’aujourd’hui la bienséance s’y rencontre de la part des personnes qui s’y trouvent ; et il fait consister toute cette bienséance en ce que les Religieux, les Prêtres, les Abbés et les Evêques, ne doivent pas y assister. Il ne dit pas que les Religieux, les Prêtres, les Abbés et les Evêques n’y assistent pas, ce qu’il aurait fallu dire, mais il se contente de dire qu’ils ne doivent pas s’y rencontrer ; ce qui ne prouve rien de ce qu’il prétend, non plus que si je lui disais que les Comédies sont innocentes de la part des Spectateurs, parce que tous les Chrétiens généralement ne doivent pas y assister à cause de leur Baptême : car quoique les Chrétiens ne doivent point assister à la Comédie, cela n’empêche pas que beaucoup n’y assistent ; de même que s’il est vrai ce que le Docteur a dit plus haut, il y a aussi beaucoup de Religieux, de Prêtres, d’Abbés et d’Evêques qui ne font point de scrupule d’y assister : mais si cela est de la sorte, où est donc cette bienséance prétendue de la part des personnes qui se divertissent à la Comédie ?
Il y a encore ici une autre contradiction bien grossière à remarquer. Le Docteur a prouvé plus haut l’innocence des Comédies d’aujourd’hui, parce que les Religieux, les Prêtres, les Abbés et les Evêques, ne font point de scrupule d’y assister : et présentement il en prouve la bienséance, parce que les Religieux, les Prêtres, les Abbés et les Evêques n’y assistent pas ; et que même, selon lui, ils ne peuvent y assister sans commettre un péché mortel : de manière que le voilà lui-même devenu le scrupuleux, et érigé en Directeur des Evêques.
Il est même plus que Directeur ; il fait aussi le Législateur : il ordonne, et il
dispense. Il défend aux Religieux, aux Ecclésiastiques et aux Evêques de France d’aller à
la Comédie, sous peine de péché mortel ; « parce qu’étant consacrés à Dieu, ils
doivent se priver des divertissements du siècle, et ne se nourrir l’esprit que de la
lecture et de la méditation des saintes Lettres»
; et en même temps il fait
grâce aux Religieux et aux
Evêques d’Italie, « parce que, dit-il, cela est passé en coutume»
. Comme si une
méchante coutume effaçait le caractère et la consécration des Religieux et des Evêques
d’Italie, et comme s’ils étaient moins obligés par leur état de « se priver des
divertissements du siècle, et de ne se nourrir que de la lecture et de la méditation des
saintes Lettres »
. C’est à peu près comme si je disais, que parce que c’est la
coutume de s’enivrer en Allemagne, et que cela n’y fait point de scandale, on peut s’y
enivrer en conscience et sans scrupule.
Avec cela je douterais fort qu’il y eût des Religieux ou des Evêques en Italie qui
voulussent se servir de la dispense de notre Docteur, ni approuver sa douce Morale. Tout
ce qu’il pourrait prétendre en Italie, suppose qu’il y jouât, ce serait peut-être en
finissant son rôle de recevoir quelques applaudissements de la part de la canaille du
parterre, et d’entendre crier, comme on fait en ce pays-là : « Viva viva il
Dottore, viva. »
On ne l’empêchera pas d’aller savourer ces acclamations en Italie. Mais pour ce qui est de la France, je ne crois pas qu’il y fasse de grands progrès : et, excepté peut-être quelques ignorants, ou quelques sensuels livrés au plaisir, il n’y trouvera pas beaucoup d’approbateurs.
Je ne conseillerais pas même cet Ami à qui il écrit, de trop déférer à ses maximes ; mais s’il désire sérieusement de savoir ce que l’on doit penser de ceux qui travaillent pour le Théâtre, il pourra l’apprendre de saint Cyprien, qui écrit à ce sujet une belle Lettre, et que l’on ne doute point être de lui, à l’Evêque Euchratius, qui l’avait consulté touchant la conduite qu’il devait tenir à l’égard d’un Comédien qui avait quitté le métier, mais qui ne laissait pas de dresser et de former des Acteurs pour le Théâtre. Il peut donc se faire expliquer cette Lettre, puisqu’il n’entend pas le Latin : et on peut l’assurer qu’il y trouvera une doctrine plus salutaire que celle de la Lettre qu’on lui adresse, et qu’il fera par conséquent beaucoup mieux de suivre.
Voilà, Monsieur, au plus juste, ce que je pense du mérite de la Lettre sur laquelle vous
avez voulu que je vous expliquasse mes sentiments. Vous y trouverez quelques traits de
gaieté en certains endroits ; mais outre que la matière le comportait assez d’elle-même,
je l’ai fait aussi à dessein, afin de vous moins
ennuyer. Peut-être que mes
réflexions n’en auront pas pour cela moins de force, puisque le ridicule en certaines
rencontres vaut mieux, et a plus d’effet qu’un grand sérieux : « Ridiculum acri,
etc.»
, Vous y trouverez cependant de l’un et de l’autre. Je souhaite de tout
mon cœur que vous en soyez content, et que le Public en puisse être autant édifié, qu’il a
paru scandalisé de la Lettre dont je vous ai fait le détail. Je suis, avec tout le respect
possible,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur *******
Docteur de Sorbonne.