(1768) Instructions sur les principales vérités de la religion « CHAPITRE LII. De la Comédie et des Spectacles ? » pp. 142-146
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(1768) Instructions sur les principales vérités de la religion « CHAPITRE LII. De la Comédie et des Spectacles ? » pp. 142-146

CHAPITRE LII. De la Comédie et des Spectacles ?

I. Si la comédie se bornait à représenter, avec décence, des exemples édifiants, ou les actions mémorables des grands hommes, elle ne serait point condamnable ; mais ce n’est point là ce qu’on y voit. Tout ce qui est capable de réveiller les passions, d’exciter la concupiscence de la chair et des yeux, et l’orgueil de la vie, s’y réunit. Car, sans parler du concours et des rendez-vous de la jeunesse de tout sexe, à qui la comédie est une occasion de désordre, jugeons de la comédie par ses circonstances et par les sujets qui y sont représentés.

1. Les circonstances et l’appareil de la comédie, les décorations agréables et enchantées, la vue des Actrices, leurs parures, leur enjouement, leurs voix insinuantes, les airs tendres et passionnés des Acteurs, les tours délicats sur la pudeur et l’amour profane, les traits satiriques, lâchés en passant sur la vertu ; tout cela ne fait-il aucune impression sur les cœurs ? Si on a peine à résister à ces impressions étant seul, y résistera-t-on dans la dissipation du spectacle ?

2. Quant aux sujets qui sont le fond et la base de la comédie, sans compter les bouffonneries, les extravagances, les sauts et les gestes dissolus ; ces femmes et ces Acteurs qui exposent leur vie en se balançant, en voltigeant indécemment sur des cordes, que voit-on dans le reste, qu’une peinture des passions, plus propre à les exciter qu’à les éteindre.

Tantôt une intrigue de galanterie, une maîtresse affligée, un rival supplanté, une femme jalouse, un mari dupé. Tantôt des satires piquantes et malignes sur les différents états. D’autres fois des aventures tragiques, des trahisons, des fourberies, des combats, des vengeances méditées, des projets ambitieux, exécutés avec succès, une conspiration, des cruautés exécutées avec fureur, quelquefois même la Religion, les Personnes sacrées et les Puissances tournées en ridicule, etc.

En vérité, un Chrétien se peut-il croire innocent dans le plaisir qu’il prend à voir, à entendre ce qui excite en lui tant de passions différentes ? Et, quand il serait sans passion, lui est-il permis de voir avec danger, et d’aimer avec complaisance les représentations des choses qu’il doit détester ? Dieu qui, par la sainteté de sa Loi, nous ordonne de veiller en tout temps sur nos sens, sur notre esprit, et sur notre cœur, pour en écarter les représentations et les pensées dangereuses, qui fera rendre compte d’une parole inutile et des moindres dépenses superflues, peut-il approuver des spectacles qui remplissent l’esprit et l’imagination de tant d’objets vains, ridicules et séduisants ? Peut-il approuver qu’on y emploie un argent dont on devrait soulager tant de pauvres familles qui gémissent dans l’indigence ?

II. Le monde cependant prétend avoir de grandes raisons pour les autoriser. La comédie, dit-on, est utile : elle déclame contre le vice autant que les Prédicateurs. Quelle indignité, de mettre le théâtre en parallèle avec l’Evangile, et de comparer la parole d’un Comédien avec celle de Dieu ! La comédie, il est vrai, rend le vice ridicule ; mais elle ne le rend pas odieux : elle en fait rire, mais elle ne le fait pas pleurer. Elle inspire la ruse, la défiance, le mépris d’autrui, la satire, non la charité ; elle a fait commettre des millions de péchés, et jamais elle n’en a fait détester un seul.

Vous prêchez contre la Comédie, me dit un jour un homme qui avait été parmi les Acteurs sur le théâtre, vous avez bien raison : elle fait commettre cent fois plus de crimes que vous ne pouvez imaginer. Les fruits qui croissent sur les bords du lac de Sodome paraissent d’une beauté charmante ; mais aussitôt qu’on les touche, ils tombent en poussière et répandent une infection insupportable. Tels sont les fruits de la Comédie ; en s’évanouissant, ils répandent dans l’âme un air contagieux.

Mais, dira-t-on, je n’y vais que par divertissement, je n’y ai jamais eu ni mauvaises pensées ni tentations. Vous vous trompez. Etourdi par l’enchantement du spectacle, vous n’avez pas connu ce qui se passait en vous. Dans le saint lieu même souvent vous avez eu des tentations : comment n’en auriez-vous pas à la comédie ? Vous avez pensé dans ces spectacles aux objets que vous y voyiez, et à ce qu’on y disait ; vous en sortiez avec un esprit rempli d’idées profanes qui vous ôtaient le goût des choses de Dieu et de vos devoirs, qui vous dissipaient jusques dans vos prières. D’ailleurs le plaisir de voir, d’entendre, de goûter ce qui agitait en vous tour à tour différentes passions, ne sont-ce pas autant de tentations ? S’il vous faut quelque divertissement, faites comme d’autres, qui, sans aller aux bals et à la comédie, savent se divertir innocemment.

Mais, ajoute-t-on, S. François de Sales ne condamne pas les danses et les spectacles. Cela est faux. Loin d’approuver ces sortes de divertissements, il a écrit tout ce qui est capable d’en faire connaître le ridicule, le danger et le venin. Ce grand Saint, à la vérité, en faveur de ceux qui dans certaines conjonctures, qui sont rares, se voient comme forcés de s’y trouver, prescrit des précautions pour y conserver l’innocence ; mais il ne plaît pas aux gens du monde de les prendre, ces précautions ; ils ont donc mauvaise grâce d’autoriser les danses et les spectacles, par le témoignage de ce saint Evêque.

N’alléguez point, qu’étant lié avec le monde, vous ne pouvez vous dispenser de faire comme les autres, ni vous passer de ces sortes de divertissements. S. Augustin vous répondra que bien d’autres, plus distingués et meilleurs que vous, s’en dispensent et s’en passent. Pourquoi ne pourriez-vous pas faire de même ? « Nunquid delicatior es illo Senatore ? Tu non potes ? Ille potuit. »

Il faut donc, ajoutez-vous, vivre comme des solitaires et des misanthropes. D’ailleurs, ne vaut-il pas mieux aller à la comédie et au bal, que de faire plus de mal ? un pareil discours dans la bouche d’un Chrétien, est un raisonnement insensé, qui ne mérite pas qu’on y réponde : « Ne respondeas stulto, dit le Sage, juxta stultitiam suam », Prov. 26.