II. PARTIE.
Où l’on répond aux Objections de l’Auteur de la Lettre.
ARTICLE I.
Du mépris injurieux que fait le Théologien de l’autorité
des anciens Pères de l’Eglise, en leur préférant les Scholastiques
modernes.
Avant que d’entreprendre de répondre aux Objections de l’Auteur de la Lettre, il est bon de donner ici de l’horreur d’un principe, sur lequel il se fonde ; qui est qu’il faut préférer les opinions des Scholastiques modernes, à celles des anciens Pères de l’Eglise.
Dieu a donné autrefois à son Eglise, quantité de grands Saints qu’il a animés de son esprit, et remplis de ses lumières, pour être les maîtres et les guides des fidèles dans les voies de leur salut ; et il a en même temps donné aux fidèles une si grande vénération, et tant de docilité et de soumission pour eux, qu’ils ont toujours considérés leurs sentiments comme devant être la règle de leur conduite. Les Pères de l’Eglise ayant donc toujours interdit la Comédie aux véritables Chrétiens ; ceux-ci les ont toujours suivis. C’est ce que reconnaît l’Auteur de la Lettre.
« Je me sens, dit-il, accablé par un torrent de passages des Pères, qui depuis le premier jusqu’au dernier, ont toujours fulminé contre les spectacles, et ont employé la ferveur de leur zèle et la vivacité de leur éloquence, pour en donner une si grande horreur aux fidèles ; que les consciences faibles et timorées traitent de pernicieux et de relâchés les Docteurs qui ont l’indulgence de les tolérer. »
« l’une des plus pernicieuses inventions du démon ».
« Ce sont, dit-il, d’habiles Théologiens, encore plus recommandables par la sainteté de leurs mœurs, que par l’éclat de leur science. »
« Je ne puis lire ces grands Hommes, ajoute-t-il,
si distingués, par leur piété et par leur doctrine, que je ne
me laisse adoucir par la droiture de leurs raisonnements ; et plus encore par la force
de leur autorité. »
Mais voyons jusqu’où va l’aveuglement de cet indigne Théologien, dans la passion qu’il a de favoriser ses bons amis. Car il ne se contente pas d’avoir des sentiments si nuisibles ; mais il veut même en rendre garants les Pères de l’Eglise. Ecoutons-le parler.
ARTICLE II.
Paroles de l’Auteur de la Lettre.
« Ce n’est pas mon sentiment, ni ma doctrine particulière, (à savoir que la Comédie est bonne, honnête, et licite) mais c’est la doctrine et le sentiment des Saints Pères que j’ai lus et relus. »
RÉPONSE.
Se peut-il voir une impudence pareille à celle-là ? Il a, dit-il, lu et relu les saints Pères ; et ayant trouvé dans leurs Livres des sentiments tout opposés aux siens ; il ose dire hardiment que c’est leur doctrine qu’il débite dans sa Lettre. Pour le faire rougir de honte, il faut les faire ici parler eux-mêmes, et rapporter seulement quelques-uns de leurs passages, pour n’être pas trop long.
Saint Jean Chrysostome.
Comme cet incomparable Docteur de l’Eglise Grecque a demeuré quatorze ans dans Antioche, capitale de la Syrie ; et quatre dans Constantinople, où la Cour faisait son séjour ordinaire ; et où par conséquent les spectacles étaient très fréquents ; il ne faut pas s’étonner qu’il ait employé si fortement son zèle et son éloquence, pour déraciner un abus qu’il croyait si préjudiciable au salut des âmes, dont Dieu lui avait confié le soin.
Il appelle les théâtres « la boutique des démons et la source de toutes sortes
de maux et de désordres »
. Hom 38. in Math.
Et il nomme la Comédie une peste funeste, et une mer de perdition. Voici comme il en parle à son peuple dans son Homélie 6. sur saint Mathieu.
« Il ne nous est point permis à nous autres Chrétiens qui sommes appelés à la
possession d’un Royaume éternel ; à nous autres, dis-je, dont les noms sont écrits en
la Jérusalem Céleste, d’aller à la Comédie, et de nous amuser à de tels
divertissements. Ils ne conviennent pas à des soldats de Jésus-Christ, qui doivent
être revêtus d’armes spirituelles ; mais ils ne sont propres qu’à des gens qui sont à
la solde du démon. C’est lui qui a fait un art de la Comédie, afin d’attirer à son
parti les soldats de J.C. en amollissant leurs cœurs, et en émoussant leurs courages.
C’est pour ce sujet qu’il a fait bâtir des théâtres dans les Villes, et qu’il a appris
tant de sottises aux Comédiens ; afin de tâcher de répandre partout le poison dont il
est tout plein. »
« Vous ne savez ce que c’est que le Christianisme, leur dit-il ailleurs, quoique vous fassiez profession d’être Chrétiens, et que vous en preniez le nom. Car y eut-il jamais une folie comparable à la votre ? Je vois non seulement de jeunes gens aller à la Comédie, mais aussi des vieillards ; et je rougis pour eux de ce qu’ils déshonorent ainsi leurs cheveux gris, qui devraient attirer sur eux la vénération de tout le monde. Hé quoi ! n’est-il pas honteux, plus qu’on ne le peut dire, de les voir entraîner de jeunes gens par leur exemple, à aller ouïr les sottises qui s’y disent ? N’est-il pas, dis-je, honteux, que ce soit de son père qu’un fils apprenne à folâtrer comme lui ? Je vois bien que la liberté que je prends de vous parler ainsi, vous blesse, mais je le fais exprès ; afin que ces blessures vous deviennent salutaires, et qu’elles vous fassent enfin quitter une conduite si indécente à des Chrétiens ; et si déréglée. »
« Je monte aujourd’hui en chaire tout triste et tout abattu, dit-il encore dans une autre Homélie, quand je fais réflexion que nonobstant mes remontrances et mes exhortations, plusieurs de ceux qui m’écoutent et qui participent aux divins mystères, perdent encore des apresdinées entières aux spectacles ; et se vont jeter de propos déliberé dans les pièges que le diable leur tend ; sans que ni mes exhortations, ni la vanité de ce divertissement, ni le danger où ils s’exposent, soient capables de les faire rentrer dans eux-mêmes. En effet, puis-je prendre plaisir à continuer d’instruire des personnes, qui n’ont pas dessein de profiter de mes instructions ? Un laboureur prend-il plaisir d’ensemencer une terre qu’il voit toujours demeurer stérile, après la peine qu’il s’est donnée de la bien cultiver ? et un Médecin n’abandonne-t-il pas un malade, quand il voit qu’il ne veut pas suivre le régime de vie, qu’il lui a prescrit ? »
Saint Epiphane.
Ce Saint met les Comédies en parallèle avec la fornication et l’adultère dans son abrégé de la Doctrine Chrétienne. Il ne doute donc pas qu’elles ne soient mauvaises.
Pères de l’Eglise Latine.
Les Pères de l’Eglise latine n’ont pas cru aussi que les Comédies fussent bonnes, honnêtes, et licites.
Tertullien
Il appelle le théâtre. | Une chaire de pestilence, l. de Spect. c. 20. |
Le Consistoire de l’impudicité, c. 7. | |
Le donjon de toutes sortes de turpitudes, c. 10. | |
Le temple de tous les démons, c. 3. |
Il témoigne que de son temps pas un Chrétien n’allait au théâtre, et que c’était une
marque assurée qu’un Païen était converti et avait embrassé la foi, quand il cessait
d’aller aux spectacles : « De repudio spectaculorum intelligunt factum esse
Christianum »
, dit-il.
Je ne m’arrêterai pas ici à ce que dit cet excellent Auteur contre la Comédie ; non plus qu’à ce qu’en a écrit Saint Cyprien : parce qu’il faudrait copier tous entiers les deux beaux traités qu’ils en ont fait.
Saint Augustin.
« Le démon qui est notre irréconciliable ennemi, se sert de deux sortes d’armes pour nous attaquer ; et tout chrétien qui est soldat de J.C. et qui veut triompher de lui par une glorieuse victoire, doit se mettre en état de lui résister, en se munissant contre ses efforts. Mais quelles sont les armes, dont se sert le démon, me demanderez-vous ? Ces armes sont les plaisirs, et la crainte. Et vous devez savoir, mes très chers frères, qu’il en attire bien plus à son parti par les plaisirs, que par la crainte. Car pourquoi pensez-vous qu’il propose aux chrétiens les pièges des spectacles, sinon afin qu’il tâche de rengager sous sa tyrannie ceux qui étaient assez heureux pour en être déja échappés ? »Il donne ailleurs cet excellent avis à son peuple.
« Lorsque , dit-il, vous verrez un grand nombre de chrétiens, non seulement aller aux théâtres : mais aussi les défendre, et tâcher d’inspirer aux autres le désir de les imiter ; attachez-vous à la loi de Dieu ; et gardez-vous bien de suivre ceux qui en sont les ennemis et les prévaricateurs. Car ce ne sera pas sur leurs sentiments et leurs imaginations que vous serez jugé ; mais ce sera sur la verité de cette loi immuable. Joignez-vous aux gens de bien ; et faites amitié avec ceux qui ont de l’amour pour le même Roi que vous aimez. »
« Multi, dit-il, acquiescunt in theatris, in alea, in luxuria popinarum, multi in libidinibus adulteriorum. »
« Enfin étant pénétré de douleur de voir que quelques-uns ne laissaient pas d’aller encore à la comédie, il exhorte ainsi son peuple d’offrir à Dieu leurs prières pour eux.
« Mes chers frères, qui êtes les citoyens de la
Jérusalem Céleste ; je vous prie, ou pour mieux dire, je vous conjure par la paix
qui y règne, et par celui qui l’a rachetée et qui la gouverne, d’offrir vos prières au
Seigneur pour ces personnes ; afin qu’il leur fasse la grâce de reconnaître la vanité
de ces divertissements trompeurs ; et qu’après y avoir pris tant de plaisir, ils
rentrent dans eux-mêmes, et qu’ils commencent à se déplaire à eux-mêmes. Car mes chers
frères, il leur est très dangereux ; ou pour mieux dire il leur est très pernicieux de
pécher, comme ils font, avec une entière connaissance. Celui qui prend part à ces
vains plaisirs en méprisant la parole de J.C. est bien plus coupable, que ne le sont
ceux qui y vont, sans avoir été instruits de ce qu’ils doivent éviter. »
Saint Jerôme.
« la mort entre par les fenêtres »; c’est-à-dire, le péché entre dans leurs âmes, par leurs yeux et par leurs oreilles.
Saint Isidore Archevêque de Séville.
Salvien.
Cet éloquent Prêtre de Marseille qui vivait dans le V. siècle témoigne que de son temps, en recevant le Baptême, l’on avait accoutumé de renoncer particulièrement aux spectacles.
« Qu’aller à la Comédie après le Baptême, c’est apostasier de la foi, et commettre une prévarication mortelle contre le Symbole et les Sacrements célestes. »
« In spectaculis quædam apostasia fidei est, et à Symbolis ipsius et cælestibus Sacramentis lethalis prævaricatio. »C’est pourquoi il apostrophe ainsi les Chrétiens.
« Comment pouvez-vous aller aux spectacles après vôtre Baptême, vous qui
confessez qu’ils sont l’ouvrage du démon ? Car en y allant, après y avoir renoncé,
n’avouez vous pas que c’est de votre plein gré, et avec une entière connaissance que
vous vous engagez une seconde fois dans ses liens ? »
« Quomodo, ô Christiane, spectacula post baptismum sequeris, quæ opus esse
diaboli consiteris ? Renuntiasti diabolo, et spectaculis ejus ; et per hoc, necesse
est, ut prudens et sciens, dum ad spectacula remeas, ad diabolum te redire cognoscas.
»
« Le sujet de mes plaintes, dit encore ce saint Prêtre, c’est qu’en allant à la Comédie nous devenons plus coupables et plus inexcusables que les païens et les barbares. Car pour eux l’ignorance de la loi les excuse ; au lieu que la connaissance de cette même loi vous rend bien plus criminels. S’ils aiment, s’ils font le mal ; cela vient de ce qu’ils ne connaissent point le bien, et qu’ils ignorent ce que la vérité demande d’eux. Mais pour nous, qui avons la connaissance de la vérité et du bien ; non seulement nous ne le faisons pas, mais même nous faisons tout le contraire. »
Il faut encore mettre ici après les Pères de l’Eglise, les sentiments des gens doctes et pieux qui ont paru presque de notre temps.
Pétrarque.
Les théâtres ont toujours été fort contraires aux bonnes mœurs. Et si l’on est déjà méchant, lorsqu’on y va ; l’on en revient ordinairement bien pire qu’on n’y était allé.
Car, pour ce qui est des gens de bien, ajoute-t-il ; ils ne savent pas même le chemin qui y conduit. Et si par hasard quelqu’un d’entr’eux y va, sans savoir encore ce que c’est ; il est sans doute qu’il se ressent toujours du mauvais air qu’il y a été respirer.
Bodin.
Parce que la Comédie est une peste des plus pernicieuses qu’on puisse s’imaginer, et qu’il n’y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs et la simplicité naturelle du peuple.
Mariana Jesuite.
Ce Père, qui est le plus célèbre de tous les historiens d’Espagne, parle fortement contre la Comédie et les Comédiens dans son livre de la bonne éducation d’un Prince, qu’il dédia à Philippe III. Roi d’Espagne.
Il l’appelle un métier infâme et pernicieux, et il la fait la source d’une infinité de
crimes, et la boutique de l’impudicité, et de la méchanceté ; où les personnes de tout
sexe, de tout âge, et de toute condition se pervertissent et se corrompent. Les jeunes
gens particulièrement, et les filles, dit-il, y sont embrasées, du feu d’une passion
brutale, qui est excité par ce qu’on y voit, et ce qu’on y entend. Ce qui
est cause de la déplorable corruption qu’on voit aujourd’hui dans le
monde. Il ajoute que rien n’étant plus pernicieux aux bonnes mœurs, ni plus injurieux au
Christianisme, que la licence qu’on prend dans les Comédies, un Prince doit bien se
donner de garde de les autoriser par son exemple et par sa présence. « Censeo ego
moribus Christianis certissimam pestem afferre Theatri licentiam, nomini Christiano
gravissimam ignominiam. Censeo principi eam rem vel maximæ curæ fore, ne ipse suo
exemplo authoritatem conciliet arti vanissimæ, si frequenter intersit spectaculis,
audiatque libenter fabulas, etc. »
Il veut surtout qu’on empêche les jeunes gens d’assister à la Comédie, de peur dit-il, qu’étant comme la pépinière de la Republique, ils ne soient dès leurs plus tendres années tout gâtés et corrompus. Ce qui lui serait très préjudiciable.
Le Père Senault, Général des Pères de l’Oratoire.
Je détournerai toujours les Chrétiens, dit-il, d’aller à la Comédie, et je leur conseillerai d’éviter un écueil, qui est d’autant plus dangereux, qu’étant, comme il est agréable, il fait faire souvent de tristes naufrages à la chasteté.
Plus la Comédie semble honnête, plus je la tiens criminelle ; parce que le plaisir fait entrer insensiblement toutes les choses du monde dans notre esprit. Il n’y a rien de si mauvais qui n’y soit bien reçu, quand il est accompagné de ce poison agréable, qui est l’appas qui couvre l’hameçon auquel il est attaché.
ARTICLE III.
Réponse à l’autorité de S. Thomas.
Comme l’Auteur de la Lettre, tâche d’éblouir le monde par le nom de saint Thomas, et de se mettre à couvert sous son autorité ; il faut examiner s’il a raison de dire que ce Saint permet d’aller à la Comédie ; en sorte qu’étant, comme il dit, épurée, bonne et honnête, l’on y puisse assister en sûreté de conscience et sans scrupule.
Car tout le monde convient que la doctrine de cet Ange de l’Ecole, de ce Maître et de ce Chef des Théologiens, est célèbre dans le monde, et avantageuse à l’Eglise en beaucoup de points qu’il a traités excellemment ; mais s’ensuit-il qu’on puisse l’opposer tout seul aux Pères de l’Eglise qui lui sont antérieurs, et que son opinion particulière doive contrebalancer les décisions positives des Conciles. Nullement.
2. On ne lui doit point attribuer le don de l’infaillibilité dans tous les points qu’il a traités. Elle ne convient qu’aux Ecritures dictées par le Saint Esprit, et à l’Eglise, dans les décisions qu’elle fait sur les matières de la Foi, des mœurs et de sa discipline générale, et dans ses assemblées universelles, ou dans celles qu’elle autorise par son consentement, lorsqu’elles sont prononcées par son Chef visible.
Quoiqu’un grand Prélat ait déjà remarqué cela. Je ne laisserai pas d’en dire encore ici un mot.
S. Thomas ayant établi cette maxime, que l’esprit a autant besoin de relâchement et de repos après le travail, que le corps a besoin de nourriture, dit que dans le divertissement on doit prendre trois précautions.
La première est, qu’on ne le recherche pas en des actions et en des paroles déshonnêtes et capables de nuire.
La deuxième est, qu’on ne relâche pas entièrement la gravité de l’âme, et que l’harmonie et le concert des bonnes œuvres n’en soit pas interrompu.
Et la troisième est, que le divertissement convienne aux personnes et au temps.
Or ces trois précautions nécessaires selon saint Thomas, pour rendre un divertissement bon et louable, se trouvent-elles dans la Comédie d’aujourd’hui ? Nullement. Saint Thomas ne les approuve donc pas aujourd’hui ?
En effet, pour ne pas parler des mots équivoques, dont l’on enveloppe souvent les actions déshonnêtes, et qui font toujours de très dangereuses impressions ; il est certain que les tendresses de l’amour, les emportements de la colère, et la fureur de la vengeance sont capables de nuire beaucoup. Or cela se trouve toujours dans les Comédies d’aujourd’hui.
La deuxième précaution que saint Thomas exige dans le divertissement, ne se trouve pas aussi dans les personnes qui fréquentent la Comédie : qui dissipe entièrement la gravité de l’âme, comme nous avons déjà dit. L’harmonie et le concert des bonnes œuvres n’est pas aussi interrompu par ces Dames mondaines, ni par ces Abbés qui n’ont pas d’occupation réglée durant le jour. Ainsi ils n’ont pas besoin de la Comédie pour relâcher la gravité de leur âme qui n’est jamais dans cette situation.
Enfin la troisième précaution que saint Thomas veut qu’on apporte, pour que le divertissement soit louable, est qu’il convienne aux personnes et au temps.
Or peut-on dire cela de la Comédie d’à présent ? Convient-elle à des Chrétiens qui sont des enfants d’un Dieu, et à la sainteté des jours de Dimanches et de Fêtes, et au temps de l’Avent et du Carême, pour lesquels nos Pères ont toujours eu tant de vénération ? Cela ne se peut dire. Il faut donc conclure que S. Thomas n’approuve pas la Comédie d’à présent à l’endroit même qu’on cite de lui.
Réponse à l’authorité de S. Charles Borromée et de S. François de Sales, dont l’Auteur de la Lettre, tâche de se prévaloir.
L’auteur de la Lettre n’a guère mieux réussi en prétendant que ce grand Archevêque de Milan lui était favorable, et qu’il avait permis qu’on jouât des Comédies dans cette grande Ville, puisque nous voyons qu’il a fait tout le contraire. Car
Premièrement il défendit de représenter dans les Eglises la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, et le Martyre des Saints, comme l’on avait accoutumé de faire auparavant, à cause que cela donnait occasion au mépris et à la raillerie de nos mystères. Lib. 1. Const. et Decr. Synod. Prov. Mediol. de actionibus et repræs. sacris, p. 33.
Secondement il ordonna à ses Suffragants d’avoir grand soin d’empêcher qu’aux saints jours des Dimanches et des Fêtes, on ne jouat aucunes Comédies ; et qu’on ne fît même aucunes sortes de représentations. In Act. Eccles. Mediol. de Festor. cultu. p. 36.
Enfin il dit qu’il faut ordonner pour pénitence à ceux qui prennent encore quelque plaisir aux pompes du monde et aux œuvres de satan (telles que sont les Comédies) de faire certains jours de la semaine ce que saint Chrysostome voudrait que nous fissions tous les jours, qui est de renouveler la promesse solemnelle qu’ils ont faite dans leur Baptême, par la bouche de leurs Parrains, en priant Dieu du fond de leurs cœurs, de leur faire la grâce de renoncer sincèrement à toutes les pompes et vanités du siècle, en détestant de plus en plus au diable, comme à leur plus mortel ennemi, et en s’attachant pour toujours à Jésus-Christ leur véritable Seigneur et leur Dieu.
Il ordonna aussi dans son cinquième Concile, qu’on prierait humblement les Princes et les Magistrats de chasser de la Ville et de la Province les Comédiens et les Bouffons, et de punir sévèrement les Hôteliers et autres personnes qui les recevraient chez eux.
Il résulte donc qu’on ne peut dire que saint Charles ait été approbateur de la Comédie.
D’ailleurs, il faut bien faire attention au temps auquel vivait ce grand Archevêque. Car les mœurs de son siècle étant entièrement corrompues, il n’a pû d’abord corriger tous les abus qui régnaient dans son Diocèse ; mais on peut juger par ce que nous voyons qu’il a fait, de ce qu’il aurait pû faire, si Dieu l’eût laissé plus longtemps sur la terre.
Je ne dirai rien ici de saint François de Sales, puisqu’il n’y a qu’à lire ce qu’il a écrit dans sa Philothée, pour être convaincu qu’il est tout à fait opposé à la Comédie.
Plusieurs personnes très habiles ayant déja détruit avec tant de force et de lumière les principaux fondements sur lesquels l’Auteur de la Lettre avait établi ses preuves, je répondrai ici seulement à quelques-unes de ses Objections qui m’ont paru les plus considérables.
Réponses aux Objections de l’Auteur de la Lettre.
OBJECTION I.
Paroles de l’Auteur.
« Des personnes de poids et de probité avec l’horreur qu’elles ont du péché, ne laissent pas d’assister aux spectacles. Mille Gens d’une éminente vertu, et d’une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, ont été obligées de m’avouer, qu’à l’heure qu’il est, la Comédie est si épurée sur le Théâtre Français, qu’il n’y a rien que le plus chaste ne pût entendre. »
Réponse.
Ce n’est pas sur l’exemple de telles gens. Mais sur les maximes de l’Evangile, que les Chrétiens doivent régler leur conduite. Or l’Evangile nous apprend que l’horreur que nous devons avoir du péché, nous doit porter à éviter avec grand soin les moindres occasions d’offenser Dieu, jusqu’à nous arracher l’œil, et nous couper la main droite, s’ils nous sont une occasion de chûte. L’Evangile nous défend donc d’aller à la Comédie, où les dangers d’offenser Dieu sont évidents.
2. Quand le nombre de ces faux dévots qui ne laissent pas d’aller sans scrupule à la Comédie, avec l’horreur qu’on prétend qu’ils ont du péché, serait encore mille fois plus grand qu’il n’est ; il ne serait nullement capable de justifier et de rendre licite un divertissement qui est condamné par les Conciles. Car les coupables ne deviennent pas innocents par la multitude de leurs complices ; et une Loi ne perd rien de sa force, quand les infractions s’en multiplient.
Comme donc la Comédie émeut et entretient les passions criminelles ; elle ne peut être
ni approuvée, ni excusée, selon la maxime constante de Tertullien, qui ne souffre point
de réponse, « nusquam et numquam excusatur quod Deus damnat »
.
« Non tam benè de rebus humanis agitur ut optima quæque pluribus placeant. »Ainsi, au lieu de conclure, comme fait notre faiseur de Lettre qu’on peut aller à la Comédie, il aurait dû dire tout le contraire ; puisque le S. Esprit nous défend de suivre la grande troupe de ceux qui font mal
« Non sequetis turbam ad faciendum malum. »
« Quiconque sera un sujet de scandale et de chute au moindre fidèle, dit Jésus Christ, il vaudrait mieux pour lui, qu’on lui pendît au col une de ces meules qu’un âne tourne, et qu’on le jetât au fond de la mer. »
Il s’ensuit donc de ceci qu’on ne doit reconnaître pour gens de bien, que ceux qui se privent des faux plaisirs du siècle, pour se soumettre au joug agréable de Jésus-Christ.
II. OBJECTION
« Tous les jours à la Cour les Evêques, les Cardinaux, et les Nonces du Pape ne font point de difficulté d’assister à la Comédie. C’est donc une marque qu’elle est si pure et si régulière, qu’il ne peut y avoir de mal de s’y trouver. »
Réponse.
L’on ne sait quelle peut être la pensée de l’Auteur de la Lettre tant il se contredit.
Car tantôt il loue hautement la Comédie, et tantôt il la blâme, et tâche d’en donner de
l’horreur. Il dit ici pour la louer qu’elle est si pure et si régulière, « qu’il
n’y aurait pas moins d’imprudence, que de folie de la condamner, à cause que les
Cardinaux, les Evêques, et les Abbés y vont »
.
Et plus bas il change du blanc au noir, et il ne fait point de difficulté de dire que ces mêmes personnes ne peuvent aller à la Comédie sans péché mortel. Voici comme il parle.
« Il y a quelques personnes qu’il serait indécent et scandaleux de voir assister à la Comédie comme sont les Religieux ; et surtout les plus réformés. Et je vous avoue que j’aurais de la peine à les sauver de péché mortel, aussi bien que les Evêques, les Abbés et tous les constitués en dignité Ecclésiastique, non pas qu’ils assistent à des spectacles mauvais ; mais parce qu’étant consacrés à Dieu, ils doivent se priver des divertissements. Outre que leur présence en ces sortes de lieux pourrait causer du scandale ; et que pour me servir des paroles de saint Augustin, ils doivent mépriser tous les vains amusements du monde, pour se nourrir de l’esprit, de la lecture, et de la méditation des saintes Ecritures. »
OBJECTION III.
« Les Magistrats ne défendent point la Comédie ; donc ils l’approuvent. »
Il est indubitable que les Magistrats qui sont revêtus de l’autorité du Prince, ne doivent pas moins travailler à conserver la Religion dans son lustre qu’ils s’occupent à maintenir l’Etat en paix et en tranquillité. C’est à quoi leur conscience, leur honneur et leur devoir les obligent. Car ils ne doivent pas apporter moins de vigilance, d’application, et de soins à faire respecter et craindre la majesté du Dieu qu’ils adorent, laquelle est blessée par la corruption des bonnes mœurs ; qu’ils en apportent à faire révérer le Souverain qu’ils servent, en faisant observer ses ordonnances.
Mais si cela est ainsi, d’où vient donc, me dira t-on qu’ils ne défendent point absolument les Comédies que l’on prétend être mauvaises ?
Je réponds à cela, que la prudence et les maximes de la politique obligent souvent les Magistrats à tolérer malgré eux des choses, qu’ils n’approuvent pas, pour empêcher de plus grands maux et de plus fâcheux désordres qu’ils craignent.
Les Magistrats savent donc bien ce qu’ils doivent à Dieu et à la Religion. Ainsi quand ils semblent se relâcher, c’est la crainte de voir troubler l’Etat et le repos public par des esprits inquiets et remuants, qui les porte malgré eux à cette fâcheuse tolérance.
« voluptatibus Romani plus adversus subditos quam armis valuerunt. »C’est pourquoi ce même Auteur se raille de la stupidité des Anglais, qui prenaient les Jeux que les Romains faisaient faire dans leur pays, pour un témoignage d’une affection particulière ; au lieu, dit-il, qu’ils devaient considérer cela comme faisant partie de leur servitude :
« Istud apud imperitos humanitas vocabatur, cum pars servitutis esset. »
Mais quoique les Magistrats tolèrent malgré eux la Comédie, comme j’ai déja dit ; il ne faut pas en tirer cette conclusion qu’ils l’approuvent et qu’elle soit permise ; puisqu’étant, comme elle est, condamnée par l’Ecriture sainte, par les Conciles, et par les Pères de l’Eglise, la dureté des hommes qui ne veulent pas déférer à ces lois de Dieu, qui sont immuables, sera sans doute très sévèrement punie dans son jugement.
OBJECTION IV.
« Monseigneur l’Archevêque de Paris tolère la Comédie, donc elle n’est pas mauvaise ni scandaleuse. »
C’est la conclusion que tire l’auteur de la lettre après l’éloge qu’il fait de ce Prélat.
Réponse.
La passion qu’a l’auteur de la Lettre pour la Comédie l’aveugle tellement, qu’il ne considère pas assez le plus souvent ce qu’il dit, et ce qu’il devrait dire.
1. Monseigneur l’Archevêque de Paris, bien loin d’approuver la Comédie, la condamne hautement dans son Rituel, en défendant d’administrer le sacrement de l’Eucharistie aux Comédiens dans leurs maladies, et pour Viatique.
2. Il la fait condamner tous les Dimanches par autant de bouches, qu’il a de Curés dans son Diocèse.
3. Cent Prédicateurs qui ont employé leur zèle et leur éloquence à invectiver contre un abus si pernicieux, avant que la lettre en question parût, ne sont-ce pas autant de témoins illustres qui déposent en sa faveur.
4. Mais que dirai-je de l’indignation que ce grand Prélat a témoignée si publiquement contre le Père Caffaro, qui passait dans Paris pour en être l’auteur ? la rétractation publique qu’il l’a obligé d’en faire, n’est-elle pas une preuve visible, que bien loin de tolérer cet abus, il le condamne autant qu’il est en lui.
Que si cela ne suffit pas encore, ce qui est arrivé, dans Paris à la vue de tout le monde sera une conviction indubitable du peu d’estime que cet illustre Prélat fait des Comédiens.
Après l’heureuse opération faite sur la personne sacrée de sa Majesté, tout le monde s’efforçant d’en faire paraître sa joie, le Te Deum fut chanté dans toutes les Eglises de Paris en action de grâces d’une santé si souhaitée, et si nécessaire à l’Etat.
Les Comédiens Italiens voulurent aussi se signaler dans cette occasion, et ayant demandé et obtenu de Monseigneur l’Archevêque de Paris, sous le nom de gentilhommes Italiens la permission d’en faire chanter un en leur particulier ; ils en firent ensuite afficher les placards aux coins des rues sous leurs vrais noms, et en la manière dont ils ont coutume d’en user pour leurs Comédies, et firent de magnifiques préparatifs aux grands Augustins. Mais Monseigneur l’Archevêque rompit tous leurs desseins.
V. OBJECTION
« Si l’on blâme les Comédies ; il n’en faudrait donc plus jouer dans les
Collèges. Et si les Comédiens sont infâmes, pour monter sur le
théâtre. Je voudrais bien savoir en vertu de quoi les jeunes gens qui
font la même chose dans les Collèges, et qui représentent des personnages dans des
Comédies, ne le sont pas ? »
Réponse.
L’on s’est autrefois contenté dans tous les Collèges de France durant l’espace de plus de quatre cents ans, de faire seulement de simples déclamations. Ce qu’on croyait suffire pour donner aux jeunes gens une louable hardiesse de paraître et de parler en public avec grâce et bienséance. Ce qui est l’unique fin qu’on doit se proposer dans ces sortes d’exercices.
Quelques personnes croient que les Tragédies qui ont été introduites depuis, ne sont nullement nécessaires pour cela, leurs raisons sont fortes. Les voici.
Ces actions, disent-ils, nuisent beaucoup aux Régents, et à leurs disciples ;
Aux Régents en ce qu’elles leur ôtent trois ou quatre mois du meilleur temps qu’ils aient, soit pour composer quelque nouvelle pièce, soit pour exercer les Acteurs ; et aux Ecoliers, en ce qu’elles dissipent leurs esprits, interrompent le cours de leurs études ; et non seulement les rendent plus paresseux à s’acquitter ensuite de leurs devoirs, mais aussi beaucoup plus fiers et plus indociles ; parce qu’ils s’imaginent qu’ils sont nécessaires, et qu’on ne peut se passer d’eux. Enfin les Tragédies font faire des dépenses bien inutiles et aux Principaux et aux parents ; dérangent tout un Collège, et sont quelquefois cause de grands désordres.
Mais enfin supposons ici qu’on les juge utiles pour exercer les Ecoliers à la déclamation, ou pour contribuer à rendre un Collège plus célèbre ; elles doivent être réglées par ce qui est dit dans l’Ordonnance de Blois, et dans la réforme de l’Université de Paris.
Extrait de l’Ordonnance de Blois, article 80.
Défendons aux Supérieurs, Sénieurs, Principaux, et Régents, de faire et permettre aux Ecoliers ou autres quelconques de jouer Farces, Tragédies, Comédies, Fables ni autres jeux en Latin ou en Français, contenant lascivetés, injures et invectives sur peine de prison, et punition corporelle.
Extrait de la réforme de l’Université de Paris, faite en 1598, article 35.
« Omnes Collegiorum præfecti caveant, ne in suis Gymnasiis satyræ et
declamationes recitentur aut Tragediæ, Comediæ aut alii ludi Latini vel Gallici
exhibeantur ; quibus lascivia aut procacitas contineantur. »
Il y a aussi différentes règles sur ce sujet, et les Révérends Pères Jésuites s’en sont prescrites dans leurs constitutions, qui portent que chez eux,
1. Les Tragédies et les Comédies doivent être fort rares.
2. Qu’elles doivent être toujours Latines.
3. Et les sujets pieux et devôts.
4. Qu’il ne s’y doit rien faire ni dire dans les entractes qui ne soit honnête et bienséant ; et même qui ne soit toujours Latin.
5. Enfin elles défendent qu’il y ait aucun personnage de filles, ni aucuns divertissements.
« Tragediarum et Comediarum, quas nonnisi Latinas et rarissimas esse oportet,
argumentum
sanctum sit, ac prium neque quicquam actibus
interponatur quod non Latinum sit ac decorum, nec persona ulla muliebris, vel habitus
introducatur. »
Il serait même à souhaiter, que ce que porte Mandement de Monsieur le Recteur de l’Université de Paris, fait en 1647. de concert avec Mrs. les Principaux des Collèges les plus célèbres, et publié en 1648. fût exactement observé, il fût fait contre la mauvaise coutume qui commençait à s’introduire, de faire paraître des danseurs aux intermèdes des Tragédies.
Anno Domini 1647. die Sabbati 9. Octobris.
Convocatis ad nostra comitia celebriorum Collegiorum Moderatoribus, ad tuendam universi studis disciplinam, decreta hæc statutaquè sunt.
MANDATUM RECTORIS.
Cum in Academiæ scholas sensim irrepserit mos novus, et à prisca ejus sanctitate abhorrens, ut quoties dramaticum aliquod opus à nobilibus et ingenuis adolescentibus in theatrum datur, singulos actus pantomimi et histriones distinguant, ad thymelicas saltationes mercede conducti ; visum est deinceps ab hoc ritu quam prava nonnullorum hominum imitatio invenit, prorsus abstinendum esse, et præter honestas ac morales fabulas voce gestuque exhibendas, nihil omnino spectaculi permittendum. Datum in ædibus nostris Sorbonicis, die 17. Janvar. veneris, anno Domini 1648.
GODEFRIDUS HERMANT Rector Universi studii Parisiensis.
Si l’on est exact à observer ces belles règles dans tous les Collèges, les Comédiens n’auront plus sans doute aucun sujet de se plaindre, puisqu’il y aura une différence infinie entre leurs comédies, et celles qui se représentent dans les Collèges : et ce sera alors qu’on y verrait assister sans scandale, non seulement les Religieux des Ordres les plus austères : mais aussi les Evêques qui pourraient juger par ces coups d’essai quel est le fonds et le caractère de l’esprit des jeunes gens de leurs Diocèses, et en quoi ils pourront servir l’Eglise, si Dieu daigne les y appeler.
Mais, me direz-vous, les enfants même de qualité, ne doivent-ils pas être déclarés infâmes, comme le sont les comédiens, puisqu’ils montent aussi bien qu’eux sur le Théâtre.
Réponse.
Il y a bien de la différence entre le motif des uns et celui des autres. Car outre les
pièges qui ne se trouvent pas dans les Pièces que représentent des Ecoliers sous des
Régents sages et pieux, c’est la nécessité qu’il y a de les accoutumer à paraître en
public, qui les fait monter quelquefois sur le Théâtre, au lieu que c’est l’intérêt ou
le plaisir, ou la vanité qui portent les comédiens à s’y produire. « Quod in
pueris necessitatis est, illi in se crimen faciunt voluptatis »
, dit saint
Jérôme, ainsi ce qu’on loue dans les enfants, est avec raison blâmable dans les
comédiens.
VI. OBJECTION
Paroles de l’Auteur.
« Faut-il condamner les Comédiens, à cause que les mauvaises paroles qu’on y entend par hasard, et que les actions et gestes peu honnêtes qu’on y voit, peuvent quelquefois donner de mauvaises pensées, et émouvoir les passions ? Il n’y aurait rien de plus outré et de plus injuste que cela. On ne peut vivre dans le monde sans rencontrer mille choses capables d’exciter les passions. »
Réponse.
« Quiconque aime le peril, il y périra », dit l’Ecriture ; une Dame qui aime un peu la beauté et l’agrément de son visage, n’ira jamais dans un lieu où elle sait qu’il y a la petite vérole. Un homme qui aime sa vie, n’entrera pas aussi dans une maison suspecte de peste. Cependant l’on va gaiement à la comédie, qui est un lieu bien plus contagieux pour l’âme, que ne le sont pour le corps des maisons infectées de petite vérole et de peste. Et pourquoi en use-t-on ainsi ? C’est qu’on aime plus la beauté du visage, ou la vie du corps, qu’on n’aime le salut de son âme. L’on aime, et l’on cherche le danger.
VII. OBJECTION.
« S’Il ne faut pas aller a la Comédie, à cause que la vue des femmes peut donner de mauvaises pensées. Il ne faudrait donc pas aller à l’Eglise. »
Réponse.
Et si nous sommes en danger d’offenser Dieu dans l’Eglise où nous nous assemblons par son commandement ; que sera-ce de la comédie, où il nous défend d’aller ?
Enfin, si nous sommes tous chancelants dans un lieu où la majesté de Dieu nous protège, combien le serons-nous davantage dans celui où nous avons contre nous, non seulement le diable, mais Dieu même ?
Notre Défenseur des comédiens paraît dans cette Objection, être un fort méchant Théologien ? S’il ne sait pas faire la différence d’un péché, dans lequel peut tomber un homme qui va à l’Eglise avec bonne intention pour s’y édifier, pour prier et entendre la parole de Dieu ; et un homme qui va sans nécessité à la comédie, où il y a tant de dangers. Dans l’un, c’est un péché de faiblesse et involontaire ; mais dans l’autre, c’est un péché de malice et tout volontaire dans son origine. Le lieu où va le premier, n’est point par soi-même une occasion de péché ; au contraire le lieu où va l’autre, porte de soi-même au peché et à l’extinction de la grâce, qui peut seule préserver du péché. On pardonnerait une telle Objection à une femme ignorante.
VIII. OBJECTION.
Paroles de l’Auteur.
« Les Danses et les plaisirs ne sont mauvais que par les circonstances criminelles qu’on y ajoute, et je n’obligerais pas un Pénitent à s’en abstenir. »
REPONSE.
Puisqu’il y a tant d’union entre la Comédie et les bals, et que les vanités et les pompes du diable, auxquels l’on a renoncé dans le baptême, ne paraissent pas avec moins d’éclat dans l’un que dans l’autre, il faut faire ici voir que selon les Pères de l’Eglise, les bals et les danses doivent aussi être interdits aux chrétiens.
Mais, ce que dit sur ce sujet saint Ephrem doit suffire. Voici comme parle cet illustre
Diacre d’Edesse, dont saint Jérôme témoigne que les écrits étaient en si grande
vénération dans l’Eglise Grecque, qu’on les lisait publiquement après la sainte
Ecriture. Nous savons tous que des chrétiens ne doivent point passer leur vie dans les
plaisirs et les divertissements, après avoir ouï les menaces que Jésus-Christ leur fait
en ces termes : « Malheur à vous autres qui riez à présent ; parce
que vous pleurerez amèrement »
; et ce qu’il y a dans saint Jacques,
« Riches versez des larmes, poussez des soupirs et les cris dans
la vue des misères qui doivent fondre sur vous ; que vos ris se convertissent en
gémissements et votre joie en tristesse. »
Il y a encore plusieurs
autres passages qui ont rapport à ceux-ci, auxquels l’on ne fait pas assez d’attention ;
de sorte que cette parole du Seigneur s’accomplit : Vous « tombez
dans l'égarement faute de bien suivre l’Ecriture »
. Ce grand saint fait
ensuite l’éloge de la Psalmodie. Après quoi il continue de parler ainsi. Où se trouvent
les livres saints, et les lectures sacrées ; là se trouve la joie des Justes ; et le
salut de ceux qui les écoutent, joint à la confusion du diable ; mais où sont les
Guitares, les danses et les battements des mains, là sont les ténèbres de l’homme, la
perdition des femmes, la tristesse des Anges, et la fête du démon. O manière trompeuse
avec laquelle il séduit les chrétiens, et les porte au mal. On les voit aujourd’hui
chanter des Psaumes dans l’Eglise, conformément à ce que Dieu leur ordonne ; et demain
ils iront au bal, et à la danse ensuivant la doctrine du démon. Ils renoncent
aujourd’hui au diable, et demain ils le suivront, ils prendront aujourd’hu le part de
Jésus-Christ, et demain ils le quitteront, le renonceront
et
le déshonnoreront. Ils seront aujourd’hui chrétiens et demain ils seront de véritables
païens. Enfin ils seront aujourd’hu dévôts et fidèles serviteurs de J.C. et demain ils
seront des impies, des Apostats, et de véritables ennemis de Jésus-Christ.
Mes chers frères, ne vous trompez pas, je vous le dis encore une fois, ne vous trompez pas : nul ne peut servir Dieu et aller danser avec le démon. Nous avons été formés à l’image de Dieu ; tâchons de ne pas déshonnorer cette Image. Suivons Jésus-Christ, comme des soldats suivent leur capitaine, et servons-le fidèlement comme notre maître. N’allez donc pas aujourd’hui chanter à l’Eglise en la compagnie des Anges, pour vous en aller demain au bal en la compagnie des démons. Ne vous en allez pas ouïr aujourd’hui la lecture de la sainte Ecriture, comme un serviteur affectionné à Jésus-Christ ; pour aller demain ouïr un concert profane, comme un prévaricateur, et un ennemi de Jésus-Christ. Ne vous repentez pas aujourd’hui de vos péchés, pour vous en aller demain au bal, au grand dommage de votre âme.
Mes chers frères, ne perdons pas malheureusement le temps que Dieu nous donne pour
faire pénitence, et pour opérer notre salut : et souvenons nous de cette terrible menace
que Jésus-Christ nous fait dans l’Evangile ; « Malheur a vous
autres qui riez et qui vous divertissez, parce que vous pleurerez un jour.
»
Que personne ne vous séduise. Cette maxime qu’on peut aller au bal, n’est
pas une maxime de chrétiens, mais une maxime d’infidèles qui n’ont pas de Dieu.
Considérez, je vous prie, que les jours de l’homme passent comme une fleur qui ne tarde guère à se flétrir. Tous ces divertissements trompeurs s’évanouissent en un moment. Un petit accès de fièvre emportera toutes vos danses et vos frivoles récréations. Une heure viendra bientôt vous séparer de tous ceux avec qui vous dansiez. Une seule nuit est capable de faire perdre à votre corps toute sa force et sa vigueur. Vos pieds qui vous portaient au bal défaillerons tout d’un coup. Vos bras et vos mains perdront leur force, vos yeux s’obscurciront, votre langue ne pourra plus se remuer, et votre voix peu articulée viendra tout d’un coup à vous manquer. Vous ne ferez plus alors que soupirer et que gémir ; mais les larmes que vous jetterez vous seront inutiles, aucune créature ne vous pourra plus aider, parce que vous aurez méprisé et déshonnoré votre Créateur. Ainsi personne ne demeurera auprès de vous que les Démons invisibles, auxquels vous avez tâché de plaire, et auxquels vous êtes si soumis et si obéissant durant votre vie.
Comme les gens du monde font encore assez souvent d’autres objections je vais y faire faire réponse.
IX. OBJECTION.
« Il y a longtemps que je vais à la Comédie, et je ne m’aperçois point que ce
qui s’y passe, fasse aucune impression sur mon esprit. Ne puis-je donc pas continuer
d’y aller, sans scrupule et sans crainte ? »
REPONSE.
1. Il ne faut point juger du péril qu’il y a en général d’aller à la Comédie, par les dispositions toutes singulières qui se peuvent trouver dans un très petit nombre de personnes ; mais par la multitude de ceux à qui l’expérience a fait connaître qu’on ne peut aller à ces assemblées du grand et du beau monde, sans un extrême danger de la pureté, de la piété et du salut ; et par conséquent sans crime, car je veux que la pièce soit si innocente, si modeste et si honnête, qu’on la pourra avoir et entendre sans que la pureté des yeux, des oreilles et de l’esprit en ressente aucune maligne impression (quoique cela soit très difficile dans la pratique) ce sera la pompe du siècle, l’empressement pour la satisfaction des sens et pour les plaisirs ; l’ardeur pour se remplir l’esprit et le cœur de l’estime et de l’amour de ce que le monde a de plus charmant et de plus propre à faire oublier Dieu et l’éternité, qui feront tout le mal, dit le P. Thomassin dans sa méthode d’étudier et d’enseigner chrétiennement les lettres humaines.
2. Peut-être que le diable qui tient déja l’âme captive par d’autres plus fortes passions, néglige de se servir contr’elle de cette tentation qui est trop grossière.
3. Ou peut être, c’est que le cœur est si fort rempli depuis longtemps de ces sortes de plaisirs ; que les nouveaux n’y sauraient plus trouver de place : ou bien c’est une marque que Dieu a abandonné une âme.
4. Quoi qu’il puisse arriver que la vue des Comédiennes n’excite dans les spectateurs aucune mauvaise pensées, tandis qu’ils sont actuellement à la comédie ; elle laisse néanmoins toujours des idées que le diable saura bien réveiller, quand il trouvera l’occasion.
5. L’on ne tombe pas tout d’un coup. Les grandes chûtes ont leurs préparations et leurs progrès, et il arrive souvent qu’on ne succombe a de grandes tentations ; que parce qu’on s’est affaibli peu à peu en des occasions, qui ont paru de peu d’importance.
6. L’on ne fait pas souvent assez d’attention sur les pensées qui se glissent imperceptiblement dans le cœur, et qui ne laissent pas pourtant d’être fort criminelles devant Dieu ; lequel par un effet terrible de sa justice, permet que nous les connaissions et que nous en découvrions la profondeur.
7. Mais, supposé même que vous n’offensiez pas Dieu en votre particulier ; n’êtes vous pas cause que d’autres l’offensent par le mauvais exemple que vous leur donnez ; et ainsi ne devenez vous pas coupable en allant à la Comédie.
« Si quelqu’un se confie tellement en sa vertu, qu’il se croie en état de demeurer ferme et inébranlable parmi une infinité de pièges que le diable lui tend , dit S. Cyprien. Qu’il se mette au moins un peu en peine pour son prochain ; qu’il craigne d’être à ses yeux un sujet de chûte et de scandale ; et qu’il soit épouvanté par ces paroles de Jésus-Christ ? »
« Malheur , dit-il, à celui par qui les scandales arrivent. »Que si notre âme est touchée de la crainte de ces menaces, nous devons plus appréhender le péril où nous sommes à cause de notre prochain, qu’à cause de nous mêmes : car comme parle l’Apôtre, nous devons procurer mutuellement le bien les uns des autres : et ne penser pas seulement à ce qui vous regarde en particulier ; mais aussi à ce qui regarde notre prochain.
8. Enfin, qui est-ce qui vous a assuré que vous persévérerez jusqu’à la fin dans la
disposition, où vous vous êtes trouvez jusqu’ici en allant à la comédie ? Dieu vous
doit-il sa grace ? et en vous exposant témérairement comme vous faites, au danger de
l’offenser : n’avez-vous pas sujet de craindre qu’il ne vous abandonne à votre
faiblesse ; comme les Histoires nous apprennent qu’il en a abandonné tant d’autres.
« Nec esse est ut caducis lapsibus elidantur, qui viam lubricam tenent.
»
dit S. Cyprien.
X. OBJECTION.
« Je prie bien Dieu en allant à la comédie, afin qu’il ne permette pas que je
l’y offense. »
REPONSE.
Il y a bien de l’apparence que l’esprit de Dieu portera bien plutôt ceux qu’il anime à éviter tout à fait la Comédie, comme un divertissement très dangereux, qu’à lui demander la grâce d’être préservé de l’air contagieux qu’on y respire : La Comédie est une occasion prochaine de l’offenser. Ainsi il faut avoir une horrible présomption, pour se croire capable de résister de soi-même à la moindre mauvaise pensée qu’on y peut avoir.
XI. OBJECTION.
« Il vaut bien mieux aller à la Comédie, que d’aller en des conversations, où
l’on médit du prochain. »
REPONSE.
1. Il n’y a point de nécessité d’aller à la Comédie, pour s’exempter d’offenser Dieu en des conversations trop libres. Car il ne faut faire ny l’un ny l’autre.
2. Le monde n’est pas encore si dépravé et si corrompu, qu’il ne s’y trouve plus du tout d’honnêtes gens, avec qui on puisse lier amitié, il s’agit seulement de bien choisir.
3. Lorsque sans l’avoir prévu l’on se trouve engagé avec des personnes trop licencieuses, l’on n’offense pas Dieu en ne prenant pas plaisir au mal qu’ils disent, et en le désaprouvant par un silence et une froideur affectée.
Mais il n’en est pas de même de la Comédie, car l’on n’y va pas malgré soi, et sans y avoir pensé auparavant, et l’on ne témoigne guère, quand l’on y est qu’on est fâché de voir tant offenser Dieu.
4. Du temps de saint Louis qu’il n’y avait point de Comédies, les honnêtes gens ne se divertissaient-ils pas ! Il ne peut donc venir dans l’esprit d’une personne tant soit peu raisonnable, qu’ils ne le fissent honnêtement. Pourquoi donc ne peut-on pas encore faire la même chose en ce temps-ci. Est-ce une nécessité qu’il y ait des comédies ; parce que des fainéants et des Dames mondaines ne savent, selon leur langage, passer le temps.
XII. OBJECTION.
« S’il n’est pas permis de prendre de semblables divertissements dans la vie, il faut donc se retirer dans la solitude. »
REPONSE.
Se divertir c’est retirer son esprit d’une occupation sérieuse pour l’appliquer à une autre moins attachante. D’où il s’ensuit, que toutes les personnes qui ne s’appliquent jamais l’esprit n’ont pas droit ni besoin de se divertir.
2. Quoique le divertissement soit nécessaire à l’esprit, comme la nourriture l’est au
corps, il ne s’ensuit pas qu’un chrétien puisse se proposer pour fin le plaisir des sens
qu’on cherche particulièrement dans la comédie. C’est une maxime de saint Augustin :
qu’on peut faire beaucoup de choses avec plaisir, mais que l’on n’en doit faire aucune
pour le plaisir, « multa licet facere cum voluptate nihil omnino propter
voluptatem »
.
3. C’est une illusion d’espérer d’être un jour bienheureux dans le ciel, en vivant sur
la terre d’une autre manière que Jésus-Christ n’y a vécu. Le serviteur ne doit point
s’attendre d’y être mieux traité que ne l’a été son maître. « Delicatus es miles,
si hic putas gaudere cum sæculo, et postea regnare cum Christo »
, dit
Tertullien.
Or Jésus-Christ n’a jamais aimé ni recherché les plaisirs des sens ; et il n’en a
jamais joui durant toute sa vie. Les chrétiens ne les doivent donc pas aimer, ni les
rechercher ; et par conséquent ils ne doivent point aller à la Comédie. Ce n’est pas
pour des Moines seuls que Dieu
a fait ses Commandements, mais
c’est généralement pour tous les Chrétiens. Et quand Jésus-Christ, dit : « Si
quelqu’un voit une femme, et qu’il la regarde avec un mauvais desir, il a déjà commis
le péché dans son cœur. »
Ce n’était pas à des Moines qu’il parlait, dit S.
Chrysostome ; mais c’était à des gens mariés qui étaient en grand nombre sur la
montagne. Il ne faut donc pas s’imaginer qu’il n’y a que des Moines qui soient obligés
de mener une vie sainte et réglée, et que les gens du monde peuvent licitement se
divertir durant toute leur vie. Ces sentiments sont dignes des Athées, et non pas des
Chrétiens qui craignent Dieu.
Quels doivent être les plaisirs et les divertissements des Chrétiens selon les Pères de l’Eglise.
Les Pères de l’Eglise ont toujours considéré les véritables Chrétiens comme des hommes
spirituels, dont les plaisirs et la conversation devait être dans le Ciel, «
Conversatio nostra in cælis est »
dit S. Paul. Bien loin donc de prendre
plaisir aux divertissements des gens du monde ; leurs plus grandes délices doivent, ou
de pleurer dans le souvenir de leurs péchés, ou de ce qu’ils ne jouissent pas encore
dans Sion du bonheur qui est l’unique objet de leurs affections et de leurs désirs.
C’est ce qui fait dire à saint Augustin, qu’ils trouvent de plus grandes douceurs dans
leurs larmes, que les gens du monde n’en trouvent à la comédie, « Dulciores sunt
lacrymæ Pœnitentium, quam gaudia theatrorum. »
C’est donc ce qui est cause que les Pères de l’Eglise ne leur proposent le plus souvent que des plaisirs tout spirituels.
Quelle joie aurez-vous de voir aussi ces cruels persécuteurs des Chrétiens enveloppés de flammes bien plus dévorantes, que n’étaient celles dont ils se servaient pour tourmenter ces Saints. Quels contentements sentirez-vous, lorsque ces Philosophes, qui voulaient vous persuader que Dieu ne prenait pas soin des choses de la terre, paraîtront devant vos yeux avec leurs Disciples, tout couverts de feux et de flammes ?
Enfin, quelle satisfaction sera la votre, de voir ces Poètes, qui s’étaient acquis tant
de réputation dans le monde ; honteusement conduits, non pas devant un Minos, ou un
Rhadamante ; mais devant le Tribunal de Jésus-Christ. Voilà, ajoûte-t-il, quels doivent
être les spectacles des chrétiens, des spectacles saints, qui durent toujours, et qui ne
coûtent rien. « Sunt spectacula christianorum sancta, perpetua, gratuita.
»
« Non respexit in vanitates et insanias falsas ? »Laisserons-nous un homme passionné pour les spectacles profanes, si nous les lui ôtons, sans lui en substituer d’autres en leur place ? Non certainement ; Nous le ferions mourir de chagrin. Donnons lui en donc d’autres : Mais quels spectacles donnerons-nous à des chrétiens, que nous voulons détourner de ceux que nous blâmons ici ? Je vous rends grâces, ô mon Dieu, ajoute-t-il, de ce qu’il vous plaît nous apprendre dans le verset suivant quels spectacles nous devons proposer à ceux qui ont encore quelque affection pour les Théâtres ; après que votre grâce les en a retirés. Grand Dieu, vous avez fait dans le monde une infinité d’ouvrages dignes d’admiration. Que celui donc qui regardait auparavant les ouvrages des hommes avec étonnement, s’arrête à considérer ceux de Dieu, et se serve pour cela des yeux que la foi lui donne.
« Ipsa sunt spectacula utilia, salubria, ædificentia, non defluentia. »
Mais parce que la plupart des Chrétiens sont devenus tout charnels ; les Pères se rabaissants à leur faiblesse, leur proposent encore d’autres divertissements, qui sont à la vérité plus grossiers : mais qui ne laissent pas d’être très innocents.
Vous avez aussi vos femmes, et vos enfants. On raconte que quelques Barbares entendant
parler des spectacles des Romains ; ils s’écrièrent, « qu’il fallait que ceux qui
avaient inventé ces vains divertissements, n’eussent ni femmes ni enfants »
.
Voulant dire, qu’une honnête femme et des enfants ne sont que trop suffisants pour
donner à un homme raisonnable toute la récréation dont il peut avoir besoin.
On peut ajouter à ces sortes de divertissements des conversations honnêtes et édifiantes à des yeux innocents, qui ne servent qu’à se lasser l’esprit. Car pour ceux de hasard ; et d’attache, qui n’ont pour objet que le gain et l’intérêt ; ils doivent être en horreur à des Chrétiens autant que les Bals, et la Comédie.
CONCLUSION.
Que reste-t-il à faire, après toutes les instructions que nous avons vu que donnent les Pères de l’Eglise sur le sujet de la Comédie, sinon d’offrir à Dieu nos prières pour ceux qui y ont encore de l’attache, afin qu’il les en retire par sa grace. Disons lui donc avec l’Eglise.
Extrait du Privilège du Roi.
Par Lettres Patentes du Roi, données à Versailles le 20. jour d’Août 1694. signées Boucher, et scellées du grand Sceau de cire jaune : Il est permis au Sieur Coutel, de faire imprimer▶ un Livre intitulé, Les Sentiments de l’Eglise et des Saints Pères, pour former ceux des véritables Chrétiens, sur la Comédie et les Comédiens. Opposés à ceux de la Lettre scandaleuse qui a paru depuis quelques mois sur ce sujet, pendant le temps de douze années consécutives, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d’◀imprimer▶ pour la première fois : Avec défenses à tous Libraires Imprimeurs et autres de l’◀imprimer▶, ni faire ◀imprimer▶, vendre ni débiter, sans le consentement dudit Exposant, ou de ses ayants cause, à peine de Trois mille livres d’amende, confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et intérêts, et autres clauses inserées audit Privilège.
Registré sur le Livre des Libraires et Imprimeurs de Paris, le neuvième Septembre 1694. Ledit Sieur Coutel sera averti que l’Edit de Sa Majesté du mois d’Août 1686. et les Arrêts de son Conseil, ordonnent que le débit des Livres se fera par un Libraire, ou par un Imprimeur.
Signé, P. AUBOUIN, Syndic.
Achevé d’◀imprimer pour la première fois, le 30. Septembre 1694.
Approbation de Monsieur Pirot Chancelier de l’Université de Paris.
J’ai vu ce petit Manuscrit contre la Comédie. En Sorbonne ce 28. Juillet 1694.
PIROT.