CHAPITRE IV.
Deux conséquences que les Pères de l’Eglise ont tirées
des principes qui ont été établis ci-devant.
Le but que se sont proposés les Saints Pères dans les instructions qu’ils donnaient à leurs peuples, a toujours été la réformation des mœurs. C’est pourquoi non seulement ils tâchaient de leur donner une grande horreur du vice ; mais ils les portaient▶ aussi à fuir et à éviter les personnes qui pourraient les y ◀porter. C’est sur ce principe que sont fondées deux conséquences.
C’est sur ce principe que le Concile de Paris, tenu en 829. sous Louis le Débonnaire,
exhorte ce Prince à ne les pas entretenir ; et il les met en parallèle avec les
impudiques, « impudicos et histriones non nutrire. »
« Histrionibus dare, dæmonibus est immolare. »C’est pourquoi, suivant l’exemple du saint Empereur Henry I. il aima mieux les faire vendre, pour entretenir les pauvres, de l’argent qui en viendrait.
Ce sont, dit-il, des gens qui ne servent qu’à flatter et à nourrir les voluptés et la fainéantise ; et à remplir les esprits oiseux de vaines chimères, qui les gâtent, et qui causent dans les cœurs des mouvements déreglés que la sagesse et la religion commandent si fort d’étouffer.
C’est sur ce principe que le grand saint Louis les chassa de sa Cour, histriones aula exegit, dit Paul Emile.
C’est ce qui fit aussi que Ghuevara Gouverneur de Milan, les chassa effectivement de
cette Ville, à la sollicitation de ce S. Archevêque, comme des gens qui passaient leur vie
dans un métier honteux, et qui ne s’occupaient qu’à corrompre les bonnes mœurs de ceux qui
les allaient voir, par des fables souvent déshonnêtes qu’il leur débitaient, « qui
turpibus plerumque fabulis ad depravandos spectatorum mores accommodatis, sordidum
quæstum faciunt »
.
« Exturbet eam pravitatem, neque concedat mores suorum ea turpitudine depravari. »
Et certes, si l’on a toujours eu en horreur, et si l’on a exterminé autant qu’on a pu les empoisonneurs ; parce qu’on n’a rien de plus précieux que la vie du corps, laquelle ils tâchent d’ôter. Avec quelle exécration ne doit-on pas regarder les Comédiens, qui empoisonnent les âmes, et qui faisant doucement avaler le venin des passions dans les comédies, ôtent la vie de la grâce, qui est incompatible avec elles.
Lorsqu’on a une fois avalé le poison, l’on ne peut plus ensuite en empêcher l’effet, il faut qu’il agisse sur le corps ; il en est de même pour l’âme. Ainsi quand un jeune homme a été prendre quelques malheureuses leçons à la comédie, et qu’on lui a, par exemple inspiré, ou l’amour des plaisirs ou du luxe, ou de l’ambition, ou de la vengeance, il est après cela bien difficile de l’en guérir.
Il ne faut pas attendre que les Comédiens se puissent réformer. Ils cesseraient d’être ce qu’ils sont, et ne pourraient plus divertir le monde, s’ils n’émouvaient les passions. L’innocence est tout-à-fait incompatible avec cette profession.
La deuxième conséquence que les Pères de l’Eglise ont tirée des principes qui ont été
ci-devant établis, c’est qu’il n’est pas permis de contribuer à la subsistance des
Comédiens ; parce que c’est entretenir le vice. Ceci est fondé sur ce qui est dit dans le
12. chapitre de l’Ecclésiastique, verset 7. Ne donnez rien à l’impie, et empêchez qu’on ne
lui donne de quoi se nourrir. « Ne dederis impio, prohibe panes illi dari
»
; car vous trouverez un double mal dans
tout le bien
que vous lui ferez, parce que le Très-haut hait les pécheurs, et qu’il exerce sa vengeance
sur les méchants. « Duplicia malæ invenies in omnibus bonis, quæcumque feceris ;
quoniam Altissimus odio habet peccatores, et impiis reddet vindictam. »
« Donare res suas histrionibus, vitium est immamane : quia laudatur peccator in desideriis animæ suæ, et qui iniquè agit, benedicitur. »
« Qui donant histrionibus et meretricibus, non ibi attendunt naturam operis Dei ; sed nequitiam operis humant. »
« Nonnulli hujus mundi divites, cum fame cruciantur pauperes, effusis largitionibus nutriunt Histriones. »
« Gratiam suam Histrionibus et Mimis multi prostituunt ; et in exhibenda malitia eorum cœcâ quadam et contemptibili magnificentiá, non tam mirabiles, quam miserabiles faciunt sumptus. »
« non seulement il n’y a point de péché à assister les Comédiens, mais encore, c’est une action de justice de leur donner, comme l’on y est obligé, la récompense de leur ministère ».
O étrange ministère qu’on est obligé de récompenser ! Les Comédiens contribuent à la damnation de leurs spectateurs : et il faut encore que les spectateurs les payent de leurs peines. Mais parlons mieux, comme les spectateurs sont cause que les Comédiens jouent ; ce sont eux aussi qui se chargent de répondre devant Dieu de leur péché. Car ils ne joueraient pas s’ils n’avaient point de spectateurs. Ainsi ce sont eux qui les font demeurer dans leurs professions criminelles. Or la raison souffre-t-elle qu’on fasse son divertissement du péché des autres, qu’on les porte à offenser Dieu, et qu’on se rende complice du mal qu’ils font ? Le péché des Comédiens est énorme, puisqu’il est puni dès cette vie de l’Excommunication et de l’infamie, qui sont les deux plus grandes punitions qu’aient l’Eglise et l’Etat civil : le péché de ceux qui contribuent à leur entretien, ne peut donc pas être léger. Que tous ceux qui vont à la Comédie fassent un peu de réflexion à cela.
La misère déplorable du temps, rend encore leur péché plus grief. Car si tous les Abbés,
les jeunes fainéants, les Dames mondaines et autres telles gens qui ne plaignent pas trois
ou quatre Louis à une Loge, pour passer deux ou trois heures de temps à voir offenser
Dieu, en avaient donné chacun la moitié aux pauvres : combien y en aurait-il eu de
soulagés, qui ne seraient pas morts de faim. Ils doivent donc craindre que Dieu ne leur
dise en son jugement ; « quia non pavisti occidisti »
. Vous êtes coupables
de la mort d’autant de personnes que vous en auriez pu sauver en les assistant de ce que
vous avez prodigué pour votre plaisir. Enfin on doit conclure que la Comédie est un
plaisir contraire aux bonnes mœurs, aux règles de l’Evangile, aux décisions de l’Eglise,
aux sentiments des Saints Pères, de tous les Auteurs
Ecclésiastiques, de tous les gens de bien qui ont une piété solide, et que même elle est
contraire aux sentiments des honnêtes Païens, comme on l’a fait assez voir.