CHAPITRE II.
Excellentes raisons qui ont porté les Pères de l’Eglise
à condamner les Comédies, et à les défendre aux Chrétiens.
« à cause des excès criminels et immodérés qu’il y avait de leur temps », comme dit l’Auteur de la Lettre ; mais ç’a été pour plusieurs autres raisons tout à fait dignes d’eux.
En effet, ils étaient convaincus, qu’on ne peut se sauver si l’on ne devient disciple et imitateur de Jésus-Christ. Or l’on ne le devient qu’autant qu’on aime ses maximes, qu’on s’y attache, et qu’on en fait la règle de toute sa conduite : car Jésus-Christ étant la vérité essentielle, il doit aussi être la voie des Chrétiens sur la terre, pour devenir dans le Ciel leur vie, leur nourriture et leur tout.
Il ne faut donc pas s’étonner, si les Pères de l’Eglise ont autrefois condamné la Comédie, et si tant de prédicateurs, qui sont animés de leur esprit, emploient encore à présent, et leur zèle et leur éloquence pour la combattre comme eux ; c’est qu’ils la regardent comme un divertissement opposé à l’esprit du Christianisme, qui abat les forces de la vertu, qui attriste le saint Esprit, et qui réjouit le démon.
PREMIERE RAISON.
La Comédie est entièrement opposée à l’esprit du
Christianisme, et détruit les maximes fondamentales de la piété.
Il y a deux sortes d’esprits dans chaque Chrétien.
Le premier, est son esprit naturel ; et le second est l’esprit de grâce.
L’esprit naturel est la lumière de la raison qui est commune à tous les hommes, et qui les conduit dans les actions ordinaires de la vie Civile.
L’esprit de grâce est celui que le Chrétien reçoit dans son baptême, et qui le fait agir par les principes de la foi.
« Nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde, mais l’esprit de Dieu ; afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits. »
« Si Spiritu vivimus Spiritu et ambulemus », dit S. Paul, leur vie est donc une continuelle pénitence, selon l’expression du Concile de Trente ; c’est une vie de crucifiement, comme parle saint Paul, ou bien enfin c’est une vie de mort à tous les faux plaisirs, et à tous les vains amusements du monde,
« mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo ».
Or la Comédie est entierement opposée à toutes ces saintes dispositions : car elle ne travaille qu’à étouffer dans ceux qui la fréquentent le souvenir et le regret de leurs péchés, afin qu’ils ne pensent qu’à se divertir, à rire et à passer agréablement leur temps. C’est pourquoi tandis qu’on les voit prendre tant de plaisir à répéter ces airs de l’Opéra.
« Que l’on chante,Que l’on danse ;Rions tous lors qu’il le faut,Ce n’est jamais trop tôtQue le plaisir commence.On trouve bientôt la finDes jours de réjouissance,L’on a beau chasser le chagrinIl revient plutôt qu’on ne pense.O douce vieDigne d’envie.Tendres amours enchantez nous toujours,O jours heureux ! que l’on vous trouve courts. »
D’un autre côté les véritables Chrétiens s’entredisent les uns aux autres : allons nous prosterner devant la Majesté de celui qui nous a créés, et tachons de fléchir sa miséricorde. Car il est notre Seigneur et notre Dieu. Pour nous nous avons l’honneur d’être son peuple et les brebis de sa bergerie.
S. Augustin distribue tous les hommes en deux grandes Classes, il place dans l’une tous les citoyens de la Jérusalem céleste ; et dans l’autre il met ceux qu’il appelle les citoyens de Babylone.
Les premiers se regardent comme des étrangers sur la terre, et des Voyageurs, qui tendent sans cesse au Ciel, qui est leur patrie. C’est là où sont toutes leurs pensées, leurs désirs, et leurs affections ; parce que c’est là qu’est leur trésor. Ils souffrent avec patience toutes les misères et les incommodités de leur pèlerinage ; parce qu’ils savent qu’elles finiront bientôt ; et ils méprisent tous les faux plaisirs que le monde leur présente, parce qu’ils en attendent d’autres qui seront plus grands et plus durables.
Les Citoyens de Babylone au contraire ne songent qu’à se bien établir sur la terre eux
et leurs enfants ; parce qu’ils la considèrent comme leur Patrie, et ne pensent
nullement au Ciel. C’est pourquoi ils mettent leur félicité dans les Festins, les
Comédies, et les Bals. Mais ils se trompent, puisque l’Evangile les menace de malheurs
éternels : « Væ vobis, qui ridetis nunc, quia lugebitis et flebitis. »
Lucæ 6. 25.
« Christo igitur in carne passo, et vos eadem cogitatione armamini. »
« Videlicet vestigia sequimini Christi in theatris ? tale vobis scilicet Christus reliquit exemplum, quem flevisse legimus ; risisse nunquam. »
II. RAISON.
Les Chrétiens qui ont renoncé aux plaisirs du siècle
dans leur Baptême, deviennent des prévaricateurs, lorsqu’après cela ils vont à la
Comédie, qui est comprise parmi ces plaisirs.
Dites-moi, je vous prie, quelle est la protestation que vous avez faite en votre Baptême ? N’est-ce pas celle-ci. Que vous renonciez au diable, à ses œuvres, à ses pompes, et à ses spectacles ? Les pompes et les spectacles sont donc les armes du diable, suivant la profession que vous faites en votre Baptême. Aller donc après cela à la Comédie, c’est renouer les chaînes que Jésus-Christ avait brisées, et c’est rentrer, à l’égard du diable, dans une nouvelle servitude, toute libre et toute volontaire. Et si cela est ainsi, où est donc votre Christianisme ? Hé quoi, n’avons-nous reçu le Sacrement de salut, que pour nous rendre plus coupables, et pour nous souiller bien davantage que nous ne l’étions, par une prévarication tout à fait criminelle ? Que dirons-nous devant Dieu pour nous justifier contre les Païens ? Ils sont sans doute bien moins coupables que nous, lorsqu’ils vont aux spectacles. Car ils ne sont pas les violateurs d’un Sacrement, ni les transgresseurs d’une promesse si solemnellement donnée.
Mes chers frères, vous avez fait profession publique de renoncer au démon et à toutes ses pompes : vous y avez, dis-je, renoncé non seulement en présence des hommes, mais aussi devant les Anges, qui ont eux-mêmes écrit les paroles que vous avez prononcées. Renoncez-y donc sincèrement, et non seulement de bouche, mais aussi par vos actions et par toute votre conduite. Faites en sorte qu’après un renoncement si solemnel et si public, il ne retrouve plus en vous ses œuvres ; et qu’il ne vous r’engage plus sous sa tyrannie. Car vous serez chargés d’une horrible confusion, si vous menez une vie qui n’ait point de rapport à la sainteté de la profession que vous avez embrassée, si portant le nom de fidèles, vous n’en faites point les actions, et si vous ne gardez point la foi que vous avez donnée à Dieu. Ne vous trompez pas, il a en horreur tous ceux qui prennent encore quelque part aux pompes auxquelles ils ont renoncé dans leur Baptême : Et il ne met pas au nombre de ses enfants ceux qui prennent plaisir de s’écarter des voies qu’il leur a tracées.
III. RAISON.
En quelque état que les Chrétiens se considèrent
devant Dieu, ils ne doivent pas aller à la Comédie.
Les Chrétiens ne peuvent se regarder devant Dieu qu’en deux manières ; ou comme innocents ou comme criminels. Comme innocents, si par sa miséricorde ils ont conservé la grâce qu’ils avaient reçue dans leur Baptême ; ou comme criminels, s’ils l’ont perdue par quelque péché mortel.
Il est rare, dans l’horrible corruption où est à présent le monde, de trouver des personnes qui aient conservé leur grâce baptismale. Mais supposé qu’il s’en trouve, je dis qu’en ce cas, ces personnes ne doivent pas aller à la Comédie, parce qu’ils sont obligés de prendre toutes les précautions possibles pour conserver un trésor aussi précieux qu’est cette grâce, et qu’il y a un danger évident de la perdre en y allant.
En effet, les 24. Evêques qui ont approuvé le Rituel d’Alet, sont par conséquent dans cette maxime, qui y est contenue : qu’il faut ou différer, ou refuser entièrement l’absolution à la plupart de ceux qui vont à la Comédie, à cause du péril évident d’offenser Dieu, et par mauvais désirs, pensées sales, regards lascifs, etc. auxquels ils s’exposent.
Saint Clément d’Alexandrie témoigne que le mélange des hommes et des femmes, qui ne
viennent en ce lieu que pour s’entreregarder, et qui se parent à ce dessein, donne
occasion à une infinité de péchés. Car il est bien difficile après cela d’effacer de son
esprit l’idée que le diable en imprime dans le cœur. « Species forma cordi per▶
oculos semel illigata vix magni luctaminis manu solvitur »
, dit S. Gregoire,
l. 21. mor. c. 2.
Nous devons donc faire une continuelle et sérieuse réflexion sur cette excellente vérité, que le même Pape nous enseigne encore au même endroit ; à savoir que les Chrétiens sont obligés à une pureté incomparablement plus grande que n’a été celle des Juifs.
Il est donc indubitable qu’un Chrétien qui a conservé son innocence baptismale, ne doit aller ni à la Comédie, ni a l’Opéra, parce qu’il ne doit nullement s’exposer au danger d’offenser Dieu.
Mais s’il est déchu de cet état d’innocence, s’il a violé par quelque peché mortel
l’alliance sainte qu’il avait contractée avec Dieu ; et s’il ne peut se regarder devant
lui que comme un criminel, certes il doit bien moins aller à la Comédie, s’il veut
tâcher de recouvrer la grâce qu’il a perdue : « Cohibeat se à spectaculis, qui
perfectam vult consequi gratiam remissionis »
, dit S. Augustin, de vera et falsa pœnit. c. 15.
En effet, un véritable pénitent se doit toujours regarder devant Dieu comme un
criminel, qui craint que l’heure de sa mort, qui est toujours incertaine, n’arrive
bientôt, et que son Juge irrité ne le livre aux démons, qui sont les Exécuteurs
ordinaires de sa Justice : c’est pourquoi il doit employer tout le temps qui lui reste
de sa vie à gémir, pour tâcher de fléchir son Juge par ses gémissements, et d’obtenir le
pardon de ses péchés. C’est ce que faisait David, comme il nous l’apprend lui-même. Mes
yeux, dit-il, jettent des torrents de larmes ; parce que, mon Dieu, je n’ai pas
observé votre sainte Loi : « Exitus aquarum deduxerunt
oculi mei ; quia non custodierunt legem tuam. »
Au lieu donc de rire, ou de prendre plaisir à voir rire les autres, un véritable
Pénitent n’est continuellement occupé que de la pensée de son malheur, et de la vue des
peines qui lui sont préparées. C’est ce qui fait ainsi parler un Prophète de la part de
Dieu. Ne soyez pas dans la joie, ô Israël, et ne faites pas retentir des cris
d’allégresse, parce que vous avez péché contre votre Dieu : « Noli latari Israël,
noli exultare, sicut populi, quia fornicatus es à Deo tuo. »
Osée c.
Ainsi c’est une étrange illusion, que de s’imaginer que le plaisir de la Comédie puisse être compatible avec les gémissements et les pleurs dans lesquels un pénitent doit passer sa vie. Un Chrétien se distingue de l’Infidèle, en ce qu’il ne met sa joie qu’en Dieu ; et le pécheur converti doit se distinguer de celui qui a conservé son innocence, en ce qu’il se prive des plaisirs même légitimes et permis, pour venger en lui ses joies déréglées, et ses plaisirs criminels.
IV. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent point perdre les moindres
moments du temps qui leur est donné fort court, et seulement pour faire
pénitence.
Il faut supposer ici une vérité qui est incontestable ; à savoir, que les Chrétiens durant toute leur vie sont des Voyageurs, qui doivent s’avancer incessamment vers leur véritable patrie, qui est le Ciel, et que Dieu leur a donné le temps, comme un moyen nécessaire pour y pouvoir arriver. Cela supposé, je dis
1. Que le temps n’est pas à eux, mais a Jésus-Christ, qui le leur a mérité par l’effusion de son Sang, comme une grâce. Ainsi comme il ne leur en donne que l’usage, ils lui doivent rendre compte du moindre moment de ce temps, comme l’Evangile assure qu’on rendra compte des moindres paroles oiseuses.
« Redimentes tempus, quoniam dies mali sunt. »
« Dum tempus habemus operemur bonum »,, dit S. Paul.
« Marchez pendant que vous avez la lumière, dit S. Jean, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. »
« Il faut que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, tandis qu’il est jour (durant ma vie) car la nuit (c’est-à-dire, la mort) viendra, dans laquelle personne ne peut plus agir. »
« Dedi illi tempus ut pœnitentiam ageret. »après quoi il menace ceux qui en abuseront de la leur ôter :
« Et juravit ◀per viventem in sæcula sæculorum, quia tempus non erit amplius »; car après la mort tout sera éternel.
Si vous aviez dépensé mal à propos quelque petite somme d’argent, vous appelleriez cela une perte : et en employant des demies journées à voir les pompes du diable, vous ne croyez pas avoir fait de mal ? Vous ne savez donc pas qu’il vaut mieux perdre toute autre chose que le temps ? car si vous perdez de l’or, il se peut recouvrer : mais il est bien difficile de recouvrer le temps perdu ; on nous le donne fort court durant la vie, et si nous ne l’employons en des choses absolument nécessaires, que dirons-nous pour nous excuser, quand nous comparaîtrons devant Dieu ?
V. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent pas aimer un divertissement
dont ils savent que le Diable est l’auteur, ni aller dans un lieu où Dieu est si
offencé.
« Oderis, Christiane, quorum authores non potes non odisse : quid luci cum tenebris ? quid vitæ et morti ? »
« Conficta delectamenta damonum noxiorum ». Voici la manière dont elles commencèrent à s’établir dans Rome, selon ce que nous en dit T. Live.
Une horrible peste ravageant toute la Ville, dit-il, les habitants après avoir
inutilement employé toutes sortes de remèdes, et s’avisèrent enfin d’instituer les Jeux
Scéniques, croyant apaiser par là leurs Dieux, c’est-à-dire, les démons, « omnes
Dit gentium dæmonia »
.
Ce furent eux, sans doute, dit saint Augustin, qui inspirèrent cette pensée aux Romains, afin de faire succéder à une peste qui faisait seulement mourir les corps, une corruption bien plus pernicieuse aux bonnes mœurs, et qui allait à tuer les âmes.
Tous les Chrétiens ensemble ne font qu’un corps, dont Jésus-Christ est le chef, et le saint Esprit l’âme. Peut-on donc s’imaginer que cet esprit conduise jamais à la Comédie un Chrétien qui est l’enfant de Dieu ?
Un enfant qui aime son père, prendrait-il plaisir à le voir déshonorer ? Une femme qui aime son mari, irait-elle volontiers dans un lieu où elle prévoit qu’on lui fera des insultes et des outrages ? il n’y a point d’apparence, ce ne serait pas l’aimer.
Or Dieu est le véritable père des Chrétiens ; Jésus-Christ est l’époux de leurs âmes, et on les voit cependant aller à la Comédie, où ils savent que ce Père des Chrétiens, et que cet Epoux de leurs âmes est offensé en cent manières.
Ce n’est pas assez de ne pas faire soi-même du mal, puisqu’on se rend coupable de celui
que font les autres, lorsqu’on leur applaudit, qu’on les loue, qu’on les favorise, et
que l’on approuve ce qu’ils font par sa présence, « Nobis satis non est si ipsi
nihil tale faciamus, nisi et tale facientibus non conferamus »
, dit
Tertullien.
VI. RAISON.
Il est honteux à des Chrétiens d’aimer un
divertissement, pour lequel les Païens mêmes n’ont eu autrefois que du
mépris.
La conduite des Chrétiens devrait être aussi élevée au-dessus de celle des plus honnêtes Païens, que le Ciel l’est au dessus de la terre. Que sera-ce donc si l’on voit souvent qu’elle n’en approche pas ? Il faut donc qu’ils fassent ici la leçon à ces demi Chrétiens qui se glorifient de ce nom, qui sera le sujet de leur condamnation.
Nous apprenons de Plutarque dans le traité qu’il a fait des Coutumes de Lacédémone, qu’on ne jouait dans cette Ville ni Comédie ni Tragédie, pour ne rien faire contre les lois, non pas même en se jouant.
Les Romains n’ont eu aucuns spectacles durant près de six cents ans, et ils ne furent recherchés par le peuple, qu’après que leurs richesses et leur luxe leur eurent entièrement corrompu l’esprit.
« Aures vocum sono, spectaculis oculos, et saporibus palatum suum delectabantur. »La passion que le peuple avait pour les spectacles devint ensuite furieuse. Juvenal s’en raille ainsi.
« Qui dabat olimImperium, fasces, regiones, omnia ; nunc seContinet, atque duas tantum res anxius optat ;Panem et Circenses », dit Juvenal Satyre 10.
« Urbs illa alioquin abundantissima bonorum omnium atque illustrium exemplorum, nihil omnino reprehensibilius habuit, quam ludorum studium immodicum. »Voilà quels ont été ceux d’entre le peuple qui se laissaient emporter par le torrent de la coutume.
« Magnam voluptatem capio, quod hac voluptate non capior. »
L’on va achever de ruiner, disaient-ils, ce qui nous reste encore des bonnes mœurs de
nos ancêtres, qui se sont peu à peu si fort altérées. Et si jusqu’ici nous avons eu tant
de peine à conserver un peu de pudeur, de modestie et de retenue, par des exercices
honnêtes ; comment sera-t-il possible de le faire dorénavant parmi tant de pièges dont
ces vertus seront attaquées ? « Vix artibus honestis pudor retinetur, nedum inter
certamina vitiorum pudicitia, modestia, aut quidquam boni moris retinebitur.
»
« Pantomimos ( Quadratus) non in theatro, nec domi
spectabat »
, et elle avait tant de respect pour la tendresse de son âge,
qu’elle le renvoyait étudier, quand elle les faisait venir en sa présence «
Abiret, studetetque ; quod mihi non amore magis facere, quam reverentia videbatur.
»