(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE II. Excellentes raisons qui ont porté les Pères de l’Eglise à condamner les Comédies, et à les défendre aux Chrétiens. » pp. 12-28
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(1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE II. Excellentes raisons qui ont porté les Pères de l’Eglise à condamner les Comédies, et à les défendre aux Chrétiens. » pp. 12-28

CHAPITRE II.
Excellentes raisons qui ont porté les Pères de l’Eglise à condamner les Comédies, et à les défendre aux Chrétiens.

Si les Pères de l’Eglise ont invectivé si fortement contre les Comédies, ce n’a pas été seulement « à cause des excès criminels et immodérés qu’il y avait de leur temps » , comme dit l’Auteur de la Lettre ; mais ç’a été pour plusieurs autres raisons tout à fait dignes d’eux.

En effet, ils étaient convaincus, qu’on ne peut se sauver si l’on ne devient disciple et imitateur de Jésus-Christ. Or l’on ne le devient qu’autant qu’on aime ses maximes, qu’on s’y attache, et qu’on en fait la règle de toute sa conduite : car Jésus-Christ étant la vérité essentielle, il doit aussi être la voie des Chrétiens sur la terre, pour devenir dans le Ciel leur vie, leur nourriture et leur tout.

Il ne faut donc pas s’étonner, si les Pères de l’Eglise ont autrefois condamné la Comédie, et si tant de prédicateurs, qui sont animés de leur esprit, emploient encore à présent, et leur zèle et leur éloquence pour la combattre comme eux ; c’est qu’ils la regardent comme un divertissement opposé à l’esprit du Christianisme, qui abat les forces de la vertu, qui attriste le saint Esprit, et qui réjouit le démon.

PREMIERE RAISON.
La Comédie est entièrement opposée à l’esprit du Christianisme, et détruit les maximes fondamentales de la piété.

Il y a deux sortes d’esprits dans chaque Chrétien.

Le premier, est son esprit naturel ; et le second est l’esprit de grâce.

L’esprit naturel est la lumière de la raison qui est commune à tous les hommes, et qui les conduit dans les actions ordinaires de la vie Civile.

L’esprit de grâce est celui que le Chrétien reçoit dans son baptême, et qui le fait agir par les principes de la foi.

C’est de lui que S. Paul parle ainsi. « Nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde, mais l’esprit de Dieu ; afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits. »
Or cet esprit de grâce met d’ordinaire dans ceux qui ne l’éteignent pas par leur mauvaise vie, des dispositions toutes saintes, et il les fait agir tout autrement que les gens du monde : car comme ils vivent par l’esprit de Dieu, c’est aussi par lui qu’ils agissent ; « Si Spiritu vivimus Spiritu et ambulemus » , dit S. Paul, leur vie est donc une continuelle pénitence, selon l’expression du Concile de Trente ; c’est une vie de crucifiement, comme parle saint Paul, ou bien enfin c’est une vie de mort à tous les faux plaisirs, et à tous les vains amusements du monde, « mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo ».

Or la Comédie est entierement opposée à toutes ces saintes dispositions : car elle ne travaille qu’à étouffer dans ceux qui la fréquentent le souvenir et le regret de leurs péchés, afin qu’ils ne pensent qu’à se divertir, à rire et à passer agréablement leur temps. C’est pourquoi tandis qu’on les voit prendre tant de plaisir à répéter ces airs de l’Opéra.

« Que l’on chante,
Que l’on danse ;
Rions tous lors qu’il le faut,
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance,
L’on a beau chasser le chagrin
Il revient plutôt qu’on ne pense.
O douce vie
Digne d’envie.
Tendres amours enchantez nous toujours,
O jours heureux ! que l’on vous trouve courts. »

D’un autre côté les véritables Chrétiens s’entredisent les uns aux autres : allons nous prosterner devant la Majesté de celui qui nous a créés, et tachons de fléchir sa miséricorde. Car il est notre Seigneur et notre Dieu. Pour nous nous avons l’honneur d’être son peuple et les brebis de sa bergerie.

S. Augustin distribue tous les hommes en deux grandes Classes, il place dans l’une tous les citoyens de la Jérusalem céleste ; et dans l’autre il met ceux qu’il appelle les citoyens de Babylone.

Les premiers se regardent comme des étrangers sur la terre, et des Voyageurs, qui tendent sans cesse au Ciel, qui est leur patrie. C’est là où sont toutes leurs pensées, leurs désirs, et leurs affections ; parce que c’est là qu’est leur trésor. Ils souffrent avec patience toutes les misères et les incommodités de leur pèlerinage ; parce qu’ils savent qu’elles finiront bientôt ; et ils méprisent tous les faux plaisirs que le monde leur présente, parce qu’ils en attendent d’autres qui seront plus grands et plus durables.

Les Citoyens de Babylone au contraire ne songent qu’à se bien établir sur la terre eux et leurs enfants ; parce qu’ils la considèrent comme leur Patrie, et ne pensent nullement au Ciel. C’est pourquoi ils mettent leur félicité dans les Festins, les Comédies, et les Bals. Mais ils se trompent, puisque l’Evangile les menace de malheurs éternels : « Væ vobis, qui ridetis nunc, quia lugebitis et flebitis. » Lucæ 6. 25.

Si donc nous prétendons régner avec Jésus-Christ, il faut marcher sur ses pas, et se résoudre à embrasser la mortification. « Christo igitur in carne passo, et vos eadem cogitatione armamini. »
Or, comme dit Salvien, est-ce marcher sur ses pas que d’aller à la Comédie ? Est-ce là l’exemple que Jésus-Christ vous a laissé, lui qui n’a jamais ri, et que nous voyons dans l’Evangile avoir souvent pleuré. « Videlicet vestigia sequimini Christi in theatris ? tale vobis scilicet Christus reliquit exemplum, quem flevisse legimus ; risisse nunquam. »

II. RAISON.
Les Chrétiens qui ont renoncé aux plaisirs du siècle dans leur Baptême, deviennent des prévaricateurs, lorsqu’après cela ils vont à la Comédie, qui est comprise parmi ces plaisirs.

En entrant dans le sacré lavoir du Baptême, dit Tertullien, nous faisons profession d’embrasser la Religion Chrétienne conformément aux saintes Lois qui nous y sont prescrites ; et nous y témoignons que nous renonçons au diable, à ses Anges, et à ses pompes. Or après un renoncement si solemnel, nous ne devons plus avoir de part ni de commerce avec lui, ni par nos actions, ni par nos paroles, ni par nos regards. Autrement c’est repasser dans le Camp de notre ennemi ; c’est jeter en bas nos armes ; c’est quitter notre drapeau ; c’est renoncer au serment de fidélité que nous avons fait à notre Prince ; et enfin c’est se dévouer à une mort certaine et inévitable.
Salvien ne parle pas avec moins de force que Tertullien. Car après avoir traité d’Apostats ceux qui vont à la Comédie, il continue de leur parler ainsi.

Dites-moi, je vous prie, quelle est la protestation que vous avez faite en votre Baptême ? N’est-ce pas celle-ci. Que vous renonciez au diable, à ses œuvres, à ses pompes, et à ses spectacles ? Les pompes et les spectacles sont donc les armes du diable, suivant la profession que vous faites en votre Baptême. Aller donc après cela à la Comédie, c’est renouer les chaînes que Jésus-Christ avait brisées, et c’est rentrer, à l’égard du diable, dans une nouvelle servitude, toute libre et toute volontaire. Et si cela est ainsi, où est donc votre Christianisme ? Hé quoi, n’avons-nous reçu le Sacrement de salut, que pour nous rendre plus coupables, et pour nous souiller bien davantage que nous ne l’étions, par une prévarication tout à fait criminelle ? Que dirons-nous devant Dieu pour nous justifier contre les Païens ? Ils sont sans doute bien moins coupables que nous, lorsqu’ils vont aux spectacles. Car ils ne sont pas les violateurs d’un Sacrement, ni les transgresseurs d’une promesse si solemnellement donnée.

Quel outrage est-ce faire à Dieu, dit Tertullien, lorsqu’après avoir renoncé au diable, qui est notre ennemi mortel, nous redevenons sa joie et son trophée ; et lorsque nous sommes cause que cet esprit malin triomphe en quelque façon de lui, après avoir recouvré sa proie qu’il avait perdue.
Cela suffirait pour faire rentrer dans eux-mêmes les amateurs de ce profane divertissement ; mais je les prie d’écouter encore de quelle manière S. Augustin parle aux Catéchumènes sur le même sujet.

Mes chers frères, vous avez fait profession publique de renoncer au démon et à toutes ses pompes : vous y avez, dis-je, renoncé non seulement en présence des hommes, mais aussi devant les Anges, qui ont eux-mêmes écrit les paroles que vous avez prononcées. Renoncez-y donc sincèrement, et non seulement de bouche, mais aussi par vos actions et par toute votre conduite. Faites en sorte qu’après un renoncement si solemnel et si public, il ne retrouve plus en vous ses œuvres ; et qu’il ne vous r’engage plus sous sa tyrannie. Car vous serez chargés d’une horrible confusion, si vous menez une vie qui n’ait point de rapport à la sainteté de la profession que vous avez embrassée, si portant le nom de fidèles, vous n’en faites point les actions, et si vous ne gardez point la foi que vous avez donnée à Dieu. Ne vous trompez pas, il a en horreur tous ceux qui prennent encore quelque part aux pompes auxquelles ils ont renoncé dans leur Baptême : Et il ne met pas au nombre de ses enfants ceux qui prennent plaisir de s’écarter des voies qu’il leur a tracées.

III. RAISON.
En quelque état que les Chrétiens se considèrent devant Dieu, ils ne doivent pas aller à la Comédie.

Les Chrétiens ne peuvent se regarder devant Dieu qu’en deux manières ; ou comme innocents ou comme criminels. Comme innocents, si par sa miséricorde ils ont conservé la grâce qu’ils avaient reçue dans leur Baptême ; ou comme criminels, s’ils l’ont perdue par quelque péché mortel.

Il est rare, dans l’horrible corruption où est à présent le monde, de trouver des personnes qui aient conservé leur grâce baptismale. Mais supposé qu’il s’en trouve, je dis qu’en ce cas, ces personnes ne doivent pas aller à la Comédie, parce qu’ils sont obligés de prendre toutes les précautions possibles pour conserver un trésor aussi précieux qu’est cette grâce, et qu’il y a un danger évident de la perdre en y allant.

En effet, les 24. Evêques qui ont approuvé le Rituel d’Alet, sont par conséquent dans cette maxime, qui y est contenue : qu’il faut ou différer, ou refuser entièrement l’absolution à la plupart de ceux qui vont à la Comédie, à cause du péril évident d’offenser Dieu, et par mauvais désirs, pensées sales, regards lascifs, etc. auxquels ils s’exposent.

Saint Clément d’Alexandrie témoigne que le mélange des hommes et des femmes, qui ne viennent en ce lieu que pour s’entreregarder, et qui se parent à ce dessein, donne occasion à une infinité de péchés. Car il est bien difficile après cela d’effacer de son esprit l’idée que le diable en imprime dans le cœur. « Species forma cordi per oculos semel illigata vix magni luctaminis manu solvitur », dit S. Gregoire, l. 21. mor. c. 2.

Que si une femme négligemment parée, et qui ne fait que passer par une rue, ne laisse pas souvent de blesser celui qui la regarde, dit saint Chrysostome, que doit-on dire de ceux qui abandonnent l’Eglise par un mépris injurieux, pour aller à la Comédie ? Car ils ne regardent pas une Comédienne par hasard et en passant ; mais ils y vont exprès pour la regarder. Auront-ils l’impudence de dire qu’ils ne la regardent pas avec un mauvais dessein, lorsque leur voix, leurs gestes étudiés, et la douceur de leur chant les porte à la volupté ?
Hé quoi, dit encore S. Chrysostome, vous vous persuadez qu’allant voir une Comédienne jouer sur un Théâtre, votre âme n’en reçoive aucune blessure ? Est-ce donc que vous êtes aussi insensibles que le marbre, et aussi dur que le fer ; Vous vous allez jeter au milieu d’un feu, et vous vous flattez de cette ridicule pensée, que vous en pourrez souffrir les ardeurs, sans qu’ils fassent la moindre impression sur vous ? Y eut-il jamais une présomption plus téméraire et plus mal fondée que celle-là ? Que si la Mère des vivants est tombée dans la mort du péché, pour n’avoir pas su garder ses yeux dans le Paradis terrestre, dit un grand Pape, combien nous autres qui habitons dans la région de mort, et qui n’avons pas à beaucoup près la force et la vertu qu’avait Eve, devons-nous être bien davantage sur nos gardes, et plus retenus par la triste expérience que nous faisons tous les jours de notre faiblesse ?

Nous devons donc faire une continuelle et sérieuse réflexion sur cette excellente vérité, que le même Pape nous enseigne encore au même endroit ; à savoir que les Chrétiens sont obligés à une pureté incomparablement plus grande que n’a été celle des Juifs.

La loi de Moïse, dit ce grand Pape, n’ordonnait aux Juifs que la pureté extérieure du corps, au lieu que l’Evangile engage les Chrétiens à la pureté interieure de l’âme. C’est pourquoi Jésus-Christ dit, que quiconque regardera une femme avec un mauvais désir, il a déja commis l’adultère dans son cœur. Dieu nous donne aussi de salutaires avis dans la sainte Ecriture, de détourner nos yeux d’une femme bien parée, et de ne pas regarder une fille en face, de peur que sa beauté ne nous soit un sujet de scandale et de chûte, comme cela est arrivé à plusieurs ; parce que les femmes sont le piège dont le diable se sert souvent pour perdre les hommes.
Cependant, ce qui est digne de larmes, dit le Cardinal Bellarmin, c’est que ce piège non seulement n’est pas évité, sinon par un très petit nombre de personnes sages et éclairées : mais au contraire, il est recherché avec grand soin. Jésus-Christ crie dans l’Evangile, que quiconque regardera une femme pour la convoiter, il a déja commis le péché dans son cœur. Il crie ; Si votre œil vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le bien loin de vous. Et néanmoins un Chrétien, soit qu’il n’ajoute point de foi aux paroles de Jésus-Christ même, soit qu’il les méprise, n’apperçoit aucun beau visage, sur lequel il n’arrête ses yeux. Bien plus, il va même aux lieux où il espère de trouver ces filets tendus.

Il est donc indubitable qu’un Chrétien qui a conservé son innocence baptismale, ne doit aller ni à la Comédie, ni a l’Opéra, parce qu’il ne doit nullement s’exposer au danger d’offenser Dieu.

Mais s’il est déchu de cet état d’innocence, s’il a violé par quelque peché mortel l’alliance sainte qu’il avait contractée avec Dieu ; et s’il ne peut se regarder devant lui que comme un criminel, certes il doit bien moins aller à la Comédie, s’il veut tâcher de recouvrer la grâce qu’il a perdue : « Cohibeat se à spectaculis, qui perfectam vult consequi gratiam remissionis », dit S. Augustin, de vera et falsa pœnit. c. 15.

En effet, un véritable pénitent se doit toujours regarder devant Dieu comme un criminel, qui craint que l’heure de sa mort, qui est toujours incertaine, n’arrive bientôt, et que son Juge irrité ne le livre aux démons, qui sont les Exécuteurs ordinaires de sa Justice : c’est pourquoi il doit employer tout le temps qui lui reste de sa vie à gémir, pour tâcher de fléchir son Juge par ses gémissements, et d’obtenir le pardon de ses péchés. C’est ce que faisait David, comme il nous l’apprend lui-même. Mes yeux, dit-il, jettent des torrents de larmes ; parce que, mon Dieu, je n’ai pas observé votre sainte Loi : « Exitus aquarum deduxerunt oculi mei ; quia non custodierunt legem tuam. »

Au lieu donc de rire, ou de prendre plaisir à voir rire les autres, un véritable Pénitent n’est continuellement occupé que de la pensée de son malheur, et de la vue des peines qui lui sont préparées. C’est ce qui fait ainsi parler un Prophète de la part de Dieu. Ne soyez pas dans la joie, ô Israël, et ne faites pas retentir des cris d’allégresse, parce que vous avez péché contre votre Dieu : « Noli latari Israël, noli exultare, sicut populi, quia fornicatus es à Deo tuo. » Osée c.

Ainsi c’est une étrange illusion, que de s’imaginer que le plaisir de la Comédie puisse être compatible avec les gémissements et les pleurs dans lesquels un pénitent doit passer sa vie. Un Chrétien se distingue de l’Infidèle, en ce qu’il ne met sa joie qu’en Dieu ; et le pécheur converti doit se distinguer de celui qui a conservé son innocence, en ce qu’il se prive des plaisirs même légitimes et permis, pour venger en lui ses joies déréglées, et ses plaisirs criminels.

IV. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent point perdre les moindres moments du temps qui leur est donné fort court, et seulement pour faire pénitence.

Il faut supposer ici une vérité qui est incontestable ; à savoir, que les Chrétiens durant toute leur vie sont des Voyageurs, qui doivent s’avancer incessamment vers leur véritable patrie, qui est le Ciel, et que Dieu leur a donné le temps, comme un moyen nécessaire pour y pouvoir arriver. Cela supposé, je dis

1. Que le temps n’est pas à eux, mais a Jésus-Christ, qui le leur a mérité par l’effusion de son Sang, comme une grâce. Ainsi comme il ne leur en donne que l’usage, ils lui doivent rendre compte du moindre moment de ce temps, comme l’Evangile assure qu’on rendra compte des moindres paroles oiseuses.

2. Ce temps est fort court. Et comme plusieurs en font un mauvais emploi, S. Paul exhorte les Chrétiens à le racheter en multipliant leurs bonnes œuvres : « Redimentes tempus, quoniam dies mali sunt. »
3. Il ne nous est pas libre de disposer de ce temps comme il nous plait. Car Dieu ne nous le donne que pour faire son œuvre ; c’est à dire, pour travailler à notre salut, en faisant dans notre condition tout le bien que nous devons faire. « Dum tempus habemus operemur bonum »,, dit S. Paul.
« Marchez pendant que vous avez la lumière, dit S. Jean, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. »
Ainsi chacun se doit dire ce que Jésus-Christ disait lui-même, tandis qu’il était sur la terre : « Il faut que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, tandis qu’il est jour (durant ma vie) car la nuit (c’est-à-dire, la mort) viendra, dans laquelle personne ne peut plus agir. »
4. Le temps ne nous a pas été donné pour le passer dans une honteuse fainéantise ; et bien moins encore pour l’employer aux Jeux et aux divertissements défendus mais Dieu nous marque dans l’Apocalypse qu’il ne nous l’a donné que pour faire pénitence : « Dedi illi tempus ut pœnitentiam ageret. » après quoi il menace ceux qui en abuseront de la leur ôter : « Et juravit per viventem in sæcula sæculorum, quia tempus non erit amplius » ; car après la mort tout sera éternel.
Gémissez donc du mauvais emploi que vous faites du temps, dit saint Chrysostome, Dieu ne vous a donné la vie, qu’afin que vous le serviez. Et employant ce temps en des choses tout-à-fait vaines et inutiles, vous me venez dire après cela, quel mal ai-je fait ? qu’ai-je perdu ?

Si vous aviez dépensé mal à propos quelque petite somme d’argent, vous appelleriez cela une perte : et en employant des demies journées à voir les pompes du diable, vous ne croyez pas avoir fait de mal ? Vous ne savez donc pas qu’il vaut mieux perdre toute autre chose que le temps ? car si vous perdez de l’or, il se peut recouvrer : mais il est bien difficile de recouvrer le temps perdu ; on nous le donne fort court durant la vie, et si nous ne l’employons en des choses absolument nécessaires, que dirons-nous pour nous excuser, quand nous comparaîtrons devant Dieu ?

V. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent pas aimer un divertissement dont ils savent que le Diable est l’auteur, ni aller dans un lieu où Dieu est si offencé.

Le diable prévoyant combien les Comédies devaient lui être avantageuses, dit Tertullien, en inspira aux Romains l’invention, parce qu’il savait combien elles devaient les pervertir. Tu es donc obligé, ô Chrétien, d’avoir en aversion une chose dont tu ne peux t’empêcher de haïr l’Auteur, dit Tertullien : car, que peut-il y avoir de commun entre la lumière et les ténèbres, et entre la vie et la mort ? « Oderis, Christiane, quorum authores non potes non odisse : quid luci cum tenebris ? quid vitæ et morti ? »
Saint Augustin fait aussi les démons inventeurs des Comédies, lesquelles il appelle pour ce sujet, « Conficta delectamenta damonum noxiorum ». Voici la manière dont elles commencèrent à s’établir dans Rome, selon ce que nous en dit T. Live.

Une horrible peste ravageant toute la Ville, dit-il, les habitants après avoir inutilement employé toutes sortes de remèdes, et s’avisèrent enfin d’instituer les Jeux Scéniques, croyant apaiser par là leurs Dieux, c’est-à-dire, les démons, « omnes Dit gentium dæmonia ».

Ce furent eux, sans doute, dit saint Augustin, qui inspirèrent cette pensée aux Romains, afin de faire succéder à une peste qui faisait seulement mourir les corps, une corruption bien plus pernicieuse aux bonnes mœurs, et qui allait à tuer les âmes.

Tous les Chrétiens ensemble ne font qu’un corps, dont Jésus-Christ est le chef, et le saint Esprit l’âme. Peut-on donc s’imaginer que cet esprit conduise jamais à la Comédie un Chrétien qui est l’enfant de Dieu ?

Un enfant qui aime son père, prendrait-il plaisir à le voir déshonorer ? Une femme qui aime son mari, irait-elle volontiers dans un lieu où elle prévoit qu’on lui fera des insultes et des outrages ? il n’y a point d’apparence, ce ne serait pas l’aimer.

Or Dieu est le véritable père des Chrétiens ; Jésus-Christ est l’époux de leurs âmes, et on les voit cependant aller à la Comédie, où ils savent que ce Père des Chrétiens, et que cet Epoux de leurs âmes est offensé en cent manières.

Les Anges regardent du haut du Ciel qui sont ceux, non seulement qui disent des impuretés et de mauvaises paroles, dit Tertullien, mais aussi qui sont ceux qui les écoutent avec plaisir : ils regardent, dis je, qui sont ceux qui ont prêté ou leurs langues ou leurs oreilles pour offenser un Dieu qui doit être leur Juge, et cependant l’on va sans crainte à la Comédie.

Ce n’est pas assez de ne pas faire soi-même du mal, puisqu’on se rend coupable de celui que font les autres, lorsqu’on leur applaudit, qu’on les loue, qu’on les favorise, et que l’on approuve ce qu’ils font par sa présence, « Nobis satis non est si ipsi nihil tale faciamus, nisi et tale facientibus non conferamus », dit Tertullien.

VI. RAISON.
Il est honteux à des Chrétiens d’aimer un divertissement, pour lequel les Païens mêmes n’ont eu autrefois que du mépris.

La conduite des Chrétiens devrait être aussi élevée au-dessus de celle des plus honnêtes Païens, que le Ciel l’est au dessus de la terre. Que sera-ce donc si l’on voit souvent qu’elle n’en approche pas ? Il faut donc qu’ils fassent ici la leçon à ces demi Chrétiens qui se glorifient de ce nom, qui sera le sujet de leur condamnation.

Nous apprenons de Plutarque dans le traité qu’il a fait des Coutumes de Lacédémone, qu’on ne jouait dans cette Ville ni Comédie ni Tragédie, pour ne rien faire contre les lois, non pas même en se jouant.

Les Romains n’ont eu aucuns spectacles durant près de six cents ans, et ils ne furent recherchés par le peuple, qu’après que leurs richesses et leur luxe leur eurent entièrement corrompu l’esprit.

Ils devinrent après cela tout effeminés et tout voluptueux, car ils ne recherchaient plus, dit Sénèque, qu’à satisfaire l’ouïe par la douceur d’une agréable mélodie, leurs yeux par la beauté des spectacles ; et leur goût par les viandes les plus exquises, « Aures vocum sono, spectaculis oculos, et saporibus palatum suum delectabantur. » La passion que le peuple avait pour les spectacles devint ensuite furieuse. Juvenal s’en raille ainsi.
« Qui dabat olim
Imperium, fasces, regiones, omnia ; nunc se
Continet, atque duas tantum res anxius optat ;
Panem et Circenses », dit Juvenal Satyre 10.
Et c’est ce qui a fait dire à Pétrarque, que cette Ville qui a eu tant d’excellents hommes qui ont été des modèles de vertus, n’a rien eu de plus digne de censure, que cet amour excessif pour les spectacles : « Urbs illa alioquin abundantissima bonorum omnium atque illustrium exemplorum, nihil omnino reprehensibilius habuit, quam ludorum studium immodicum. » Voilà quels ont été ceux d’entre le peuple qui se laissaient emporter par le torrent de la coutume.
Mais les esprits les mieux faits n’étaient pas susceptibles de ces bassesses ; ainsi nous voyons que Cicéron félicite un de ses amis dans une de ses lettres, de n’avoir pas eu la curiosité d’aller voir des spectacles que le peuple, dit-il, admire sans sujet ; et il lui témoigne qu’il est dans la même disposition que lui : « Magnam voluptatem capio, quod hac voluptate non capior. »
En effet, dit-il ailleurs, ce n’est pas pour nous divertir que l’Auteur de la nature nous a mis au monde ; mais ça été sans doute pour nous appliquer à des occupations plus graves et plus sérieuses.
Tacite rapporte dans ses Annales les plaintes que faisaient les plus sages d’entre les Romains, lorsqu’on alla chercher des Comédiens jusqu’en Grèce pour les amener à Rome.

L’on va achever de ruiner, disaient-ils, ce qui nous reste encore des bonnes mœurs de nos ancêtres, qui se sont peu à peu si fort altérées. Et si jusqu’ici nous avons eu tant de peine à conserver un peu de pudeur, de modestie et de retenue, par des exercices honnêtes ; comment sera-t-il possible de le faire dorénavant parmi tant de pièges dont ces vertus seront attaquées ? « Vix artibus honestis pudor retinetur, nedum inter certamina vitiorum pudicitia, modestia, aut quidquam boni moris retinebitur. »

Nous voyons dans Pline le jeune, qu’une Dame Romaine appelée Quadratilla qui entretenait des farceurs pour se divertir, ne les faisait jamais jouer en présence de son petit-fils.

« Pantomimos ( Quadratus) non in theatro, nec domi spectabat », et elle avait tant de respect pour la tendresse de son âge, qu’elle le renvoyait étudier, quand elle les faisait venir en sa présence « Abiret, studetetque ; quod mihi non amore magis facere, quam reverentia videbatur. »

Nous apprenons de Valère Maxime, qu’on ne souffrait pas autrefois qu’il entrât aucuns Comédiens dans la ville de Marseille, de peur que le peuple s’accoutumant peu à peu à leur voir représenter leurs pièces, ne se licentiât insensiblement à en faire aussi les actions.
Il témoigne qu’un certain Sempronius répudia même sa femme pour cette seule raison, quelle avait été aux spectacles à son insu.
Sénèque témoigne que les spectacles faisaient une si forte impression sur son esprit, que quand il y allait, il en revenait toujours chez lui plus porté à l’avarice, à l’ambition, et à la dureté. Si donc les Païens n’ont eu que du mépris pour les spectacles, que doit-on dire des Chrétiens, qui les aiment et les recherchent ? Ne font-ils donc profession d’une Religion si sainte, que pour la déshonorer par une conduite si basse et si indigne d’eux, et pour désobéir à l’Eglise, qui leur défend si expressément cette sorte d’amusement.