Chapitre XVI.
De la présentation des Poëmes aux Comédiens▶ ; de leur réception, & du choix de ceux qu’on joue dans les intervales.
Un ◀Comédien▶ joue-t-il pour soi ? Si cela est, il peut jouer telle Piéce qu’il lui plaît. Si c’est au contraire pour le spectateur, le goût de celui-ci l’emporte avec raison sur le sien. Le ◀Comédien▶ peut être comparé en ce sens, au Médecin. L’un dissipe l’ennui, véritable maladie de l’ame, comme l’autre guérit celle du corps. Que penseroit-on d’un Docteur, qui voudroit faire prendre à un malade, des remèdes qui ne seroient bons qu’à lui-même ? C’est donc pour le spectateur que le ◀Comédien▶ joue.
Il remplit cette obligation par son zéle, par son jeu, & par la beauté des piéces qu’il donne. Le spectateur s’acquitte envers lui, en connoissant, & en saisissant les uns & les autres.
S’il arrivoit qu’un ◀Comédien▶, jouant une bonne pièce, ne le contentât pas, & cela arrive, il auroit donc manqué son but. Si mettant de la vérité dans son action, il n’étoit pas applaudi, (disgrace éprouvée par un Acteur qui s’est retiré il y a quelques années,) il n’y parviendroit pas non plus. C’est donc le goût du public qui fait le sors des pièces & des Acteurs. C’est donc à lui qu’appartient le choix des unes comme des autres.
On lui a laissé à-peu-près le choix des ◀Comédiens▶ : & ceux-ci se sont arrogé le droit de recevoir les piéces ; ils ne les admettent que pour lui. Mais pourquoi leur goût n’est-il pas le sien ? Le public n’a pas même reclamé un droit, qui dans les mains des ◀Comédiens▶, est la source de mille abus.
L’amour propre domine autant l’homme de Lettres, que qui que ce soit, & lui est pardonnable. Les Auteurs ont avec raison, de la répugnance à faire des démarches auprès des ◀Comédiens▶, pour la réception de leurs Ouvrages ; & ils concluent avec un égal fondement, à ne les point faire, quand ils peuvent s’en dispenser.
La conduite des ◀Comédiens▶ envers les Auteurs, est si indécente qu’elle soulève tous les esprits. Les amateurs du Théatre, les plus zèlés partisans des ◀Comédiens▶, les François, les Etrangers, tout dépose contre leur fier despotisme. Le cri est général. Le goût du Théatre est, à la vérité, porté parmi nous jusqu’à la phrénesie. Mais celle-ci se tourne contre les ◀Comédiens▶, dès que par des démarches indiscrétes, ils donnent lieu à quelque plainte. Qu’en doit-on conclure ? Que le levain du mécontentement fermente dans tous les cœurs ; qu’il est sans doute encore trop foible pour étouffer entierement notre passion pour les représentations théatrales ; mais que sans cesse accru par le spectacle des usurpations des Acteurs, & par l’abus qu’ils font de nos propres droits contre nous-mêmes, ce levain parviendra enfin à triompher d’un penchant qui nous humilie, & à nous inspirer autant d’aversion pour le Théatre que nous aurons eu de goût pour lui. Si les ◀Comédiens vouloient refléchir aux preuves, que le public leur donne assez souvent de sa sensibilité à leurs outrages, ils verroient sans doute que la révolution dont nous les ménaçons, n’est pas si éloinée qu’ils se l’imaginent.