Chapitre VIII.
Des Sentences mélées à l’action Théatrale, chez les Anciens & les Modernes.
L es Auteurs de nos jours, peu capables de remplir▶ un Poëme d’action, parce que leur tête est vuide, & qu’ils ne savent pas tirer d’un sujet toutes les ressources qu’il fournit, se jettent sur les Sentences ou maximes, sans réfléchir qu’elles ne sont pas le moindre obstacle à leurs succès.
L’Abbé d’Aubignac les définit : des propositions générales, qui ne tiennent à l’action théatrale que par application & par conséquence ; où l’on ne trouve que des discours qui sont seulement propres pour instruire le spectateur aux régles de la vie civile, & non pas pour expliquer quelques intrigues du théatre.
Cette définition seule nous apprend combien on doit apporter de précaution pour mettre les maximes sur le théatre, leur but est d’instruire, & ce n’est pas celui du théâtre. Un Auteur qui a réussi sur la Scene Françoise, & dont les talens supérieurs dans d’autres parties de Littérature, lui ont mérité une place à l’Académie, a pourtant fait des efforts pour justifier l’usage des maximes dans le poëme tragique. Il prétend qu’on n’y doit pas moins instruire que toucher & comme ce premier devoir est plus facile à ◀remplir que l’autre, parce qu’il n’y a rien qui coute moins à trouver qu’un lieu commun, & que l’homme est naturellement porté à donner des avis, on les séme avec profusion.
Dans l’origine du Théatre Grec, les Sentences rares qu’Eschyle & Sophocle mettoient dans la bouche des personnages, étoient tellement liées au sujet ou au caractère de ces Acteurs, qu’elles sembloient des parties mêmes de l’édifice Dramatique. Elles avoient une toute autre fin que l’instruction : elles faisoient allusion à quelques traits repréhensibles, soit dans le Gouvernement, soit dans les Généraux, soit dans les Magistrats. C’étoit alors une censure délicate des vices, des entreprises de ceux qui tenoient les rênes de l’Etat. Elles donnérent à la Tragédie le nom de satyrique. Sophocle dans ses Poëmes sérieux, c’est ainsi qu’on les distingue de ceux dont nous venons de parler, a placé quelques Sentences, mais de manière qu’elles n’en peuvent être détachées. Il avoit comme dit l’Abbé d’Aubignac, la précaution de reduire la thèse à l’hypothèse ; c’est-à-dire, d’en faire des applications particuliéres, qui leur ôtoient ce qu’elles avoient de choquant, le ton didactique & l’air d’enseignement.
Euripide n’avoit point cette adresse dans l’usage des maximes, qui se rencontrent très-fréquemment dans ses piéces. C’est pour cela que les jeunes gens qui lisent ce tragique, le préférent à Sophocle, parceque ces grandes moralités, leur paroissent neuves & frappantes. Aussi Quintilien8 disoit-il, qu’Euripide leur est plus utile que Sophocle. Mais c’est sans doute aussi, par cette raison, qu’Athénes mettoit Sophocle au-dessus d’Euripide, & que le premier remportoit presque toujours le prix du Théatre sur l’autre. C’est qu’en lui les maximes étoient politiques & non instructives. C’est qu’elles éclairent & n’échauffent point dans ce dernier cas ; c’est en un mot, comme le dit Scaliger, que si le Théatre doit instruire, il n’y parvient que d’une manière indirecte & détournée, & par le tableau des actions.9
Ne pourroit-on pas dire que ce Parterre, qui applaudit avec tant de fracas, aux grandes maximes qui se débitent sur nos Théatres, comme la jeunesse dévore celles d’Euripide, n’est qu’un enfant que les Sentences ne transportent qu’à raison de leur nouveauté ?
Si l’application est juste, quel juge que ce Parterre ?
Des maximes continuées pendant plusieurs vers, & embellies par l’éclat de la versification, ne sont donc autre chose que des brillans défauts, qui suspendent le cours de l’action & de l’intrigue ; sur-tout quand on les place comme aujourd’hui au milieu de la plus grande chaleur & des plus vives impressions.
Ainsi je voudrois que la jeunesse qui se destine au Théatre les rejettât absolument. Il faut avoir une grande expérience pour les employer à propos ; il faut être consommé dans l’étude des Poëtes, & avoir mûrement observé leurs ouvrages, & réfléchi sur l’objet du théatre, sur le goût des spectateurs, & sur la nature des applaudissemens que l’ignorance accorde au tissu, à l’éclat emprunté des maximes mal enchassées.